ARCHIVES PARLEMENTAIRES. SÉNÉCHAUSSÉE D’ANGOUMOIS CAHIER des doléances de l'ordre du clergé de la province d'Ângoumois (i), remis à Messieurs l'évêque d'À ngoulême, Jombert, curé de Saint-Martin. L’an 1789, et le vingt-cinquième jour de mars, l’ordre du clergé, légalement assemblé et présidé par Mgr Philippe-François d’Albignac de Castelnau, évêque d’Àngoulême, dans le chœur de l’église cathédrale de la ville d’Angoulême, adresse à Sa Majesté ses très-humbles doléances, rédigées de la manière qui suit : D’abord il paraîtrait naturel que l’ordre du clergé, conformément aux devoirs du ministère évangélique, se fût borné à représenter à Sa Majesté les funestes effets de l’incrédulité; la France inondée en moins d’un siècle de livres obscènes, impies et scandaleux et qui deviennent, au préjudice de la religion, le seul code d'instruction d’une jeunesse insensée. Mais considérant que le vœu de Sa Majesté, en rassemblant la nation est de rechercher avec elle les moyens de prévenir la ruine de l’Etat, prêt à s’écrouler par l’effet d’une multitude d’abus qui se sont glissés dans toutes les parties de l’administration; Désirant, en conséquence, donner des preuves de son patriotisme et de cet attachement inviolable et respectueux qui caractérise les fidèles sujets de Sa Majesté, ledit ordre du clergé, pour exprimer la sincérité de ses sentiments devant un roi qui invite son peuple à donner le plus libre essor à la vérité, a arrêté d’une voix unanime les articles qui suivent : Art. 1. Sa Majesté sera très-humblement suppliée de déclarer, comme elle l’a fait dans le résultat de son conseil du 27 décembre 1788, qu’à l’avenir aucun impôt ne pourra être consenti ou prorogé que par les Etats généraux. Art. 2. Que tous les impôts actuellement existants , sous quelque dénomination que ce soit , n'ayant point été consentis par la nation, qui seule en a le droit imprescriptible, seront éteints à l’ouverture des Etats généraux, pour être aussitôt recréés par elle. Art. 3. La périodicité des Etats généraux sera fixée par une loi, à l’époque et dans la ville qu’il conviendra à Sa Majesté d’indiquer. Art. 4. Les ministres seront à l’avenir responsables de leur gestion à la nation assemblée, et il sera délibéré par les présents Etats sur un tribunal compétent pour les juger, en cas de prévarication. (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. lre SÉRIE, T. II. Art. 5. La liberté individuelle des citoyens sera assurée par une loi irrévocable. Art. 6. Sa Majesté voulant, suivant le résultat de son conseil du 27 décembre 1788, que dans le nombre des dépenses dont elle assure la fixité, on ne distingue pas même celles qui tiennent plus particulièrement à sa personne ; en conséquence de ce vœu, qui exprime sa bienfaisance, les dépenses de chaque département, y comprises celles de la maison du roi, seront invariablement fixées, ainsi que la somme destinée aux pensions. Art. 7. L’ordre du clergé ne s’oppose pas à la liberté de la presse, pourvu qu’elle soit modifiée, que les écrits ne soient point anonymes, et qu’on interdise l’impression des livres obscènes et contraires aux dogmes de la foi et aux principes du gouvernement, de quoi tout imprimeur sera responsable en son propre et privé nom. Art. 8. Les précédents articles accordés, l’ordre du clergé de ladite sénéchaussée consent alors de consolider la dette nationale préalablement examinée et reconnue, de concourir, comme tous les autres citoyens, à combler le déficit, rigoureusement démontré, par l’établissement des impôts qui seront jugés nécessaires, mais qui demeureront supprimés et éteints à l’époque fixée par la prochaine assemblée des Etats généraux; et, renonçant à tous privilèges qui ne sont que pécuniaires, tous les impôts seront également répartis sur toutes les classes des citoyens indistinctement à raison de leurs propriétés territoriales, fonds de commerce et industrie. Art. 9. Une partie de la libération de la dette nationale sera renvoyée à la génération future, pour que le fardeau n’en retombe pas uniquement sur la présente. Art. 10. L’ordre du clergé demande une loi qui fixe invariablement la perception des droits de contrôle, sans que les directeurs puissent y rien ajouter, modifier ou retrancher, à peine, de concussion; il demande aussi la suppression des aides, en chargeant les Etats provinciaux du soin de simplifier l’impôt. Art. II. La conservation du bureau des notaires, dans la ville d’Angoulême, pour le dépôt des actes de toute la sénéchaussée, dont l’utilité, par le bon ordre qui s’y observe, est généralement reconnue ; mais, attendu que la plupart de ceux qui sont obligés d’y avoir recours font des frais considérables, eu égard à la distance des lieux, on désirerait rétablissement de semblables dépôts en différents districts. Art. 12. Le reculement des douanes aux frontières et portes du royaume, ainsi que la suppression des traites de Gnarente. Art. 13. Le rapprochement des tribunaux en faveur des justiciables, la réforme du Gode civil et [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d’Angoumois.] criminel, l’abolition des épices, et la suppression de la vénalité des charges de judicature, laissant aux Etats généraux le choix des moyens pour leur remboursement; et quant aux magistrats, il demande qu’ils soient inamovibles et sous la sauvegarde de la loi. Art. 14. Il sera statué, par une loi particulière, que la même personne ne pourra réunir l’office de juge, procureur et notaire, ce qui est un abus dans les justices seigneuriales, mais seulement l’une de ces trois fonctions. Art. 15. Sa Majesté sera suppliée d’ordonner qu’il soit établi un juge de paix dans chaque paroisse, agréé par la commune, et amovible tous les trois ans, mais pouvant être continué dans ses fonctions, lequel jugera sommairement, sans aucune attribution pécuniaire et sans appel, toutes les contestations qui s’élèvent dans les campagnes, à raison des débats et des querelles, qui, ne résultant que d’un mouvement de colère, donnent souvent lieu à des procès interminables, et nourrissent, au mépris de la religion et des mœurs, la haine, l’animosité et la vengeance dans les familles. Art. 1.6. Attendu que la ville d’Angoulême est en titre d’élection de la généralité de Limoges, l’ordre du clergé demande qu’elle soit distraite du Limousin, pour former un Etat provincial dans l’étendue de la sénéchaussée, ou pour être ainsi réunie aux provinces de Saintonge et d’Aunis, dont chaque ville capitale serait alternativement le siège de l’assemblée générale dans laquelle seront traitées toutes les affaires relatives aux impôts et au bien de ces provinces. Art, 17. fît comme l’ordre du clergé fait, pour le bien de la patrie, le sacrifice de ses privilèges pécuniaires, il demande la conservation de ses formes, et la suppression de tous les impôts qui ne lui seraient pas communs avec les autres ordres ; et quant à ceux qu’il doit supporter, ils seront également répartis en proportion du revenu et du genre de hénéfice de chacun, Art. 1.8, La suppression du bureau général des économats, comme onéreux à tout le clergé, et d’une faible ressource pour l’Etat, pour être remplacé par le bureau diocésain, sous le nom d’économat, lequel sera présidé par le seigneur évêque, et composé des représentants du clergé , séculier et régulier, légalement convoqué, et librement élu, et dans lequel les représentants des curés seront en nombre égal à ceux des autres bénéficiers. Art, 19. Les syndics et les représentants du clergé qui composeront la chambre ecclésiastique ne pourront, sans une nouvelle élection, être continués pendant trois ans dans les fonctions de leur charge, et le receveur ne pourra rendre ses comptes qu’en présence au moins des deux tiers de l’assemblée, et, pour mettre les opérations de la chambre en évidence, les membres qui la composeront seront obligés d’en publier le tableau chaque année par la voie de l’impression, sans émolument, à raison de leur charge. Art. 20. L’ordre demande le rétablissement des assemblées synodales dans chaque diocèse, dont l’utilité fut dans tous les temps reconnue pour le maintien des mœurs, de la religion et de la discipline ecclésiastique, ainsi que le retour des conciles provinciaux ; et qu’en quelque assemblée générale du clergé que ce soit, et pour quelque motif qu’elle ait lieu, les corps séculiers et réguliers aient leurs représentants, comme il est porté par l’article 18 des présentes doléances, Art. 21. Les juges séculiers et les officiers inférieurs de justice ne pourront contraindre les officiaux à décerner des monitoires, que pour des causes graves, telles que les crimes d’Etat, les meurtres, et autres cas semblables. Art. 22. La religion catholique sera la seule autorisée dans l’Etat pour l’exercice du culte public ; et dans Je cas où des non catholiques, en vertu de possessions seigneuriales, auraient le droit de collation à des cures ou autres bénéfices, il y sera pourvu par les ordinaires, sans préjudicier en aucune manière au droit de patronage attaché auxdites possessions, et qui revivra lorsqu’elles appartiendront à des catholiques. Art. 23. Sa Majesté sera suppliée d’avoir en considération le sort des curés à portion congrue, affaire sur laquelle il sera délibéré par les États généraux ; et le corps des curés demande que la portion congrue soit fixée à 1,500 livres, et que cette somme soit payée en nature par une portion de dîmes de pareille valeur, suivant les baux de ferme, et prise sur les gros décimateurs de la paroisse. A la même loi seront assujettis les commandeurs de l’ordre de Malte pour les cures dépendantes de leurs commanderies. Quant aux curés qui préféreraient de garder leurs dîmes navales avec l’ancienne portion congrue de 300 livres, ils demandent particulièrement qu’elles soient converties en grosses dîmes, par cantons limités, Art. 24. Quant aux curés décimateurs dont les revenus ne seraient pas évalués pour chacun à la somme de 1 ,500 livres, il leur sera fait un supplément par des réunions de prieurés, s’il en existe dans la paroisse, ou d’autres prieurés et bénéfices, même consistoriaux , qui se trouveraient dans l’étendue du diocèse ou de la sénéchaussée, Art. 25. Le sort des vicaires amovibles sera amélioré en proportion de ce qui a été pratiqué par le passé. Art. 26. Attendu que les évêchés, les cathédrales et collégiales utiles seraient considérablement appauvries par l’augmentation des portions congrues, Sa Majesté sera suppliée de les indemniser par des réunions de bénéfices consistoriaux. Art. 27. Les cures des différentes villes de la sénéchaussée seront dotées proportionnellement aux dépenses auxquelles sont tenus les titulaires ; et les cures de la . ville d’Angoulême le seront particulièrement sur les revenus des menses conventuelles des abbayes de Saint-Cybar-sous-Angou-lême et Bournet, dont la suppression est ordonnée par un arrêt du conseil ; et attendu que depuis un demi-siècle on ne voit que des monastères détruits, on demande instamment la conservation de tous les corps réguliers aujourd’hui existants, et l’oninvitele gouvernement à les rendre plusutiles. Art. 28. L’édification des maisons presbytérales et la dotation des fabriques seront aussi présentées à Sa Majesté et aux Etats généraux, comme un objet d’utilité publique, dont il sera nécessaire de s’occuper. Art. 29. L’ordre demande l’extinction du casuel forcé, comme très-onéreux au peuple, ainsi que celui du secrétariat du diocèse, y compris les frais de fulmination pour les dispenses de mariage sur le degré de parenté. Art. 30. La suppression du droit de visite des seigneurs évêques, et dont la perception se fait sur les deniers de la caisse ecclésiastique, ainsi que de tout droit et usage onéreux aux héritiers des curés, et Sa Majesté sera suppliée de pourvoir à l’indemnité desdits seigneurs évêques. Art. 31. 11 sera pourvu à la subsistance des curés et prêtres séculiers infirmes par des réunions de bénéfices aux bureaux diocésains [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée d’Angoumois.] 3 qui en auront la distribution; il en sera de même pour des pensions gratuites au séminaire en faveur des pauvres ecclésiastiques. Art. 32. L’instruction de la jeunesse ayant toujours été la base des vertus sociales et religieuses, Sa Majesté sera suppliée de jeter un regard attentif sur l’état déplorable des collèges, et d’ordonner qu’il soit pourvu à leur prompt rétablissement par les administrations provinciales, de concert avec les seigneurs évêques, et l’on pense qu’il serait avantageux de ne confier l’instruction qu’à des corps permanents, tels que les réguliers, en les assujettissant à la juridiction de l’ordinaire; et alors, pour prévenir l’extinction de ces corps, il serait à désirer, qu’en dérogeant à l’édit qui a fixé à vingt et un ans la profession religieuse, il fût permis de la faire à dix-huit ans ; et, relativement au collège d’Angoulême, Sa Majesté sera suppliée de considérer que depuis l’extinction du corps qui l’administrait, les écoles sont désertes, et les pères de famille obligés d’envoyer à grands frais leurs enfants dans les collèges éloignés. Art. 33. Et attendu qu’en vertu des lettres patentes de François Ier, le collège des études de la ville d’Angoulême avait été érigé en titre d’université, la province désire tenir de Sa Majesté le rétablissement du même privilège, ou l’agrégation du collège d’Angoulême à quelque université. Art. 34- Pour obvier à l’abus qui règne depuis longtemps, de conférer des bénéfices à des sujets dont la vocation pour l’état ecclésiastique n’est pas encore décidée, il sera statué qu’à l’avenir aucune personne ne pourra être pourvue des bénéfices simples et canonicats, sans préalablement être engagée dans les ordres sacrés. Art. 35. Les ordonnances sur la sanctification des fêtes et dimanches, ainsi que les règlements de police relatifs à cet objet, seront renouvelés, pour être exécutés rigoureusement. Art. 36. Enfin ledit ordre du clergé, en considération du sacrifice de ses privilèges pécuniaires, demande que la dette nationale du clergé, qui n’a été faite que pour le bien-de l’Etat, fasse partie de la dette nationale, et qu’il soit maintenu d’ailleurs dans ses honneurs et prérogatives, ainsi que dans le droit de voter par ordre, et celui de préséance dans les assemblées où il sera convoqué ; il demande aussi que les agents généraux du clergé soient/pareillement maintenus dans le droit d’assister aux Etats généraux. Fait, lu, et arrêté en l’assemblée de l’ordre du clergé, tenue en l’église cathédrale, sous la présidence de Monseigneur l’évêque, le 25 mars 1789. CAHIER sommaire des très-humbles remontrances faites et dressées par l’ordre de la noblesse de la province d’Angoumois, en l'assemblée tenue en la ville d’Angoulême les 16, 17, 18, 19, et jours suivants du mois de mars 1789, par ordre du roi , suivant la lettre de Sa Majesté à M. le Sénéchal d' Angoumois, en date du 24 janvier dernier , et de l'ordonnance dudit sieur sénéchal du 14 février, sur le sujet de la convocation des Etats généraux en la ville de Versailles, assignés au Tl avril dudit an, et mises entre lesmains de MM. le marquis de Saint-Simon et le comte de Culent, député s par ladite noblesse pour assister auxdits Etats généraux, et représenter les articles desdites remontrances qui s'ensuivent (1). Art. 1er. Proposeront en premier lieu lesdits dépu-(1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat. tés d'adresser de très-humbles remercîments au roi d’avoir bien voulu assembler la nation, et d’assurer Sa Majesté du profond respect, parfaite obéissance et inviolable fidélité de la noblesse de sa province d’Angoumois. Art. 2. Ladite noblesse prescrit à ses députés de ne délibérer que par ordre, avec le veto d’un ordre sur les deux autres, en observant que si la pluralité des députés de l’ordre de la noblesse «tait d’avis de délibérer par tête, ils y accéderont dans le seul cas de la pluralité de voix des députés de la noblesse de France, avec protestations, sans scission. Art. 3. Quoique le droit de la nation de consentir seule les impôts soit authentiquement reconnu par le roi lui-même imprescriptible, cependant les altérations que ce droit a reçues en différents temps, rendent nécessaire et convenable une démarche authentique des Etats généraux à ce sujet ; en conséquence, l’assemblée a arrêté que la première opération des Etats généraux doit être de déclarer tous les impôts, actuellement existants, nuis et caducs, comme ayant été incom-pétemment établis, étendus, ou continués; mais que dans la même séance ils doivent les recréer tous pour le temps seulement de la durée de la présente tenue, avant la fin de laquelle ils pourvoiront aux besoins de l’Etat par les moyens qu’ils jugeront les plus convenables. Ar. 4. Lesdits députés insisteront à ce que la matière de l’impôt et des autres secours nécessaires, tant aux besoins de l’Etat qu’au payement de la dette, quand elle sera jugée, ne soit traitée qu’après la sanction de la charte nationale. Charte nationale. La succession au trône conservée dans l’ordre consacré. La liberté générale et individuelle des citoyens. La liberté de la presse, sous les modifications que les Etats généraux jugeront convenable d’y prescrire. L’abolition absolue des lettres de cachet, tant pour exil que pour emprisonnement; de l’usage dangereux et illégal de toutes commissions particulières pour juger les délits, et de tous les mandats des cours supérieures aux juges inférieurs, connus sous le nom de veniat. Que la foi publique ne puisse, sous aucun prétexte, être violée dans les bureaux de la poste aux lettres. Que l’on assure la périodicité des Etats généraux, dont la première tenue sera indiquée au plus tard dans trois ans, à compter de la fin des Etats prochains, et les autres tenues seront fixées à cinq ans de distance de l’une à l’autre, s’en référant au surplus au vœu général des députés aux Etats généraux. Que l’assemblée prochaine des Etats généraux détermine toutes les précautions à prendre pour assurer l’exercice du pouvoir souverain, dans le cas où il y aurait lieu à la régence, et jusqu’à ce qu’elle ait été déférée par lesdits Etats généraux. Que les députés aux Etats généraux, comme personnes sacrées, ne puissent, sous aucun prétexte, être troublés dans leurs fonctions. Qu’aucun citoyen, occupant un emploi légal, civil ou militaire, ne puisse être destitué que par ses juges naturels. Que tout citoyen accusé par le ministère public, et renvoyé absous, ait droit à une indemnité qui sera payée par l’Etat. Qu’aucune loi générale ne puisse avoir lieu qu’autant qu’elle aura été consentie ou propo-