380 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] applaudi aux sentiments de zèle et de patriotisme qui l’ont inspirée. « A Versailles, le 19 septembre 1789. « Signé de Messieurs du comité des douze. » Extrait du registre des délibérations de l'administration de la Caisse d’escompte. A la suite de l’escompte de ce jour, M. Darney étant venu porteur d’une lettre de M. Dufresne, directeur général du Trésor royal, écrite d’ordre du ministre des finances, et adressée à l’administration , MM. les administrateurs soussignés en ont pris connaissance, ainsi que de l’approbation qu’elle contenait de MM. les députés de l’Assemblée nationale, composant le comité des douze, à la demande faite par le ministre des finances, détaillée dans la précédente délibération. D’après cette approbation , et conformément à ce qui a été précédemment arrêté ,| et sur la demande de M. Dufresne, MM. les administrateurs présents ont délivre à M. Darney 12 millions en billets de caisse, contre la remise que leur a fait ledit sieur Durucy de son billet de même somme, au 31 décembre fixe, soutenu d’un bordereau de comptant du dernier emprunt national, également de 12 millions; et il a été arrêté d’en rendre compte à l’assemblée de l’administration de jeudi prochain, et qu’il sera copié ci-après la lettre de M. Dufresne, et l’approbation de MM. les députés de l’Assemblée nationale. Signé : Les administrateurs de la Caisse d' escompte. La lecture du rapport de M. le duc du Châtelet a été écoutée avec une attention soutenue. M. le comte de Mirabeau. Je demande à MM. les commissaires s’ils regardent les 90 millions dus par le gouvernement à la Caisse d’escompte, comme délégués sur la contribution patriotique. M. le duc du Châtelet. L’Assemblée, par son décret du 5 octobre, a autorisé le Roi et son ministre à faire à ce sujet tel arrangement qui conviendrait au bien de l’Etat. M.le comte de Mirabeau. Je demande qu’il nous soit donné lecture du décret sur la contribution patriotique. M. le Président fait donner lecture du procès-verbal de la séance du 5 octobre qui contient ce décret. La discussion est reprise sur le projet du ministre des finances , concernant la conversion de la Caisse d’escompte en banque nationale. M. de Talleyraud , évêque d’ Autun (1). Comme membre du comité dont vous venez d’entendre le rapport, j’ai cru pouvoir vous demander la parole, soit pour vous soumettre quelques idées particulières sur la Caisse d’escompte, soit surtout pour rappeler et rattachera ce sujet des questions importantes qui en sont inséparables, et qui tiennent essentiellement aux (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. de Talleyrand. grands intérêts qui vous occupent et vous pressent en ce moment. L’idée de l’établissement d’une banque nationale en France vient de frapper tous les esprits et a acquis beaucoup de faveur dans l’opinion. Parmi ceux qui ont des notions saines du crédit, plusieurs regardent cet établissements comme indispensable, et ceux-là même qui sont Je plus étrangers à cette matière, qui savent à peine ce que c’est qu’une banque, et nullement quelle est l’organisation qui conviendrait à une banque nationale , paraissent rassurés sur le discrédit actuel, pour avoir entendu dire que l’Assemblée nationale décréterait l’établissement d’une banque nationale. On dirait que le mot banque suffit seul pour tout réparer; et pourtant il faut bien se persuader que ce n’est qu’une banque bien constituée qu’il pourrait être utile d’établir, et non une banque nationale quelconque. Les banques ne sont point des institutions simples; leur but est à la vérité partout le môme; c’est de favoriser la circulation, les échanges, et de faire baisser l’intérêt de l’argent; mais lès moyens qu’elles emploient doivent extrêmement varier. Les banques sont des instruments d’une trempe forte qu’il faut employer avec précaution et intelligence, parce qu’il peut en résulter ou un grand bien ou un grand mal. Ici surtout il faut se défendre contre tous les systèmes que l'avidité, la légèreté et les demi-connaissances si communes et si dangereuses se hâteront, ou peut-être se sont hâtées de vous offrir. Il ne peut donc être inutile de rappeler, en les réfutant, les diverses idées qui ont été répandues sur la création d’une banque en France, d’autant que plusieurs d’entre elles n’ont été ni combattues ni discutées, et sont de nature à pouvoir peut-être égarer de bons esprits. Parcourons-les rapidement. On a parlé de créer une banque nationale. Je pense qu’une banque bien constituée ne doit pas être une banque nationale, soit qu’on attache à ce mot l’idée seule rie la responsabilité rie la nation, soit qu’on veuille que la nation fasse faire la banque pour son propre compte. L’on est porté à croire que, parce que la nation va se rendre garant de la dette publique, elle pourrait aussi répondre des fonds d’une banque; mais il est bien essentiel de ne pas confondre. La nation doit répondre de la dette publique, sans doute, puisque les sommes qui composent cette dette ont été prêtées à la nation, employées pour la nation . confiées au seul représentan t con nu de la nation. Il faut même observer que c’est improprement que l’on a dit que la nation sera caution de cette dette. La nation n’en sera pas caution, elle en est débitrice; et il faut bien être garant du payement des sommes dont on est débiteur. Le cautionnement que la nation accorderait à la banque sera d’une nature toute différente. Loin que ce cautionnement de la nation donnât du crédit à une banque, cette combinaison devrait au contraire ôter tout crédit à la nation qui serait capable de l’adopter. Comment en effet se confier à une nation qui serait assez imprudente pour livrer à un petit nombre de particuliers la gestion d’une banque dont les opérations doivent être illimitées, et par laquelle toutes les propriétés nationales se trouveraient hypothéquées? L’on suppose bien que toutes les précautions seront prises pour que les administrateurs de lu banque ne commettent point d’infidélités: mais enfin, ce qui sera toujours possible, s’il arrivait un malheur à la banque, il faudrait que l’on gré- [4 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 381 vàt les propriétés de contributions énormes, ou que la nation fit banqueroute. Une nation sage peut-elle consentir à courir une seule chance qui puisse la réduire à une pareille alternative? Une nation loyale peut elle acccorder une responsabilité qui pourrait devenir illusoire? La nation ne peut donc pas, ne doit donc pas se rendre caution pour la banque. La nation doit encore moins faire la banque pour son propre compte; car à tous les inconvénients résultants de la responsabilité qui auraient également lieu, s’en joindraient nécessairement beaucoup d’autres. La nation ne pourrait en effet que de deux choses l’une: ou faire administrer la banque par des employés gagés, ou la confier à des régisseurs intéressés. Dans le premier cas, il serait trop à craindre que la banque ne fût pas dirigée avec le soin qu’elle exige; dans le second, il serait également à craindre que les administrateurs ne se livrassent à la poursuite de bénéfices immodérés, sous le prétex le de l’intérêt delà nation avec laquelle ils seraient associés. Dans les deux cas, s’il arrivait quelque malheur à la banque, les représentants de la nation prononceraient avec bien moins de liberté sur des événements où l’intérêt de la nation entière serait compromis, que lorsqu’ils n’auront à traiter qu’avec des administrateurs particuliers, ou plutôt, qu’à juger leur conduite. Dans les deux cas enfin, les frais annuels de la gestion seraient augmentés, et la portion de bénéfices que la nation pourrait s’attribuer directement sur les opérations de la banque, ne la dédommagerait sûrement pas de la perte incalculable qui résulterait pour elle d’une moindre diminution du taux de l’argent dans le royaume. 11 ne faut donc, ni que la nation se rende caution de la banque, ni que la banque soit faite pour le compte de la nation. L’on a proposé d’établir des caisses d’escompte dans les différentes ville du royaume ; ce projeta quelque chose de séduisant: car il semble d’abord que si les caisses d’escompte sont utiles, on ne saurait trop les multiplier; que si elles favorisent le commerce, il faudrait en établir surtout dans les villes de commerce. Mais il est aisé d’observer qu’une seule caisse d’escompte, ou banque de secours, placée dans la capitale, au centre des circulations, ne vivifie pas seulement le commerce du lieu où elle est établie, et que son influence s’étend nécessairement dans tout le royaume. Or, plusieurs caisses d’escompte, ou banques de secours, ne procureraient pas même ces avantages : loin d’accroître réciproquement leur crédit, elles se nuiraient infailliblement. Car d’abord, la multiplicité de ces banques mettrait chaque particulier dans la nécessité d’examiner tous les papiers de banque qui lui seraient présentés, tandis qu’une grande partie de la confiance accordée à ces effets provient de ce qu’ils n’ont besoin d’aucun examen, de ce qu’ils se reconnaissent à la première inspection, presque aussi facilement que les pièces de monnaie. Cette observation est plus importante peut-être qu’elle ne le paraît: il est certain que l’on accordera aux billets d’une banque unique pour tout le royaume une opinion de crédit que n’obtiendraient jamais des billets de plusieurs banques ou caisses d’escompte, réparties dans les provinces , puisque ces diverses banques étant inégalement accréditées, chacun de leurs billets exigerait un examen préalable, avant d’être admis dans un payement quelconque. Mais, indépendamment de cette considération, il y aurait un inconvénient bien grave : c’est que les fautes de l’une de ces banques iraient frapper inévitablement sur le crédit des autres, par la correspondance qui existerait entre elles. Multiplier les lieux où ces fautes pourraient se commettre, c’est en multiplier la probabilité : et il importe, sans doute, de ne pas augmenter les chances qui peuvent compromettre le commerce et la circulation du royaume. Il est presque impossible que, s’il existait 30 ou 40 banques de secours, il n’arrivât jamais d’accident à aucune d’entre elles; et il n’est pas moins certain que l’époque où l’une de ces banques pourrait être en faillite, donnerait lieu à une multitude de fraudes de la part de gens qui auraient été instruits plutôt que d’autres, et quelquefois à l’avance, d’un événement de ce genre: de là aussi des contestations sans nombre, même entre personnes de bonne foi, qui auraient donné ou reçu eu payement des billets de cette caisse, par la raison que ces sortes de billets étant de nature à être négociés sans endossement, il n'y aurait lieu à aucun recours. Enfin il est presque nécessaire que les caisses nationales admettent les billets de la banque en payement; et qui ne voit pourtant qu’il serait impossible que la nation autorisât les receveurs des deniers publics à prendre indistinctement les billets de toutes les banques qui pourraient être établies dans le royaume? Tout ce qui vient d’être dit sur ces différentes caisses de secours n’empêche pas que des négociants, ou des capitalistes, puissent se réunir dans différentes villes pour escompter des lettres. Ces institutions particulières, séparées, n’existant que par la confiance, et surveillées par leur propre rivalité, ne peuvent qu’être extrêmement utiles. 11 a été proposé un moyen de suppléer à la multiplicité de ces banques, en ne laissant subsister qu’une banque générale, qui aurait, dans la plupart des villes du royaume, des bureaux de correspondance, où l’on rembourserait les billets de la banque à présentation. Cette idée est la plus impraticable de toutes ; elle réunit aux inconvénients de la précédente un inconvénient bien plus grand encore : car on voit qu’il faudrait que la banque, au lieu d’avoir seule-men t dans sa caisse principale, telle portion de son capital que la prudence fera juger nécessaire, eût en même temps cette même portion dans chacun des bureaux qui seraient établis, puisque, sans parler des gens mal intentionnés, qui pourraient porter une partie considérable de billets dans telle ville où serait un bureau de la banque, le hasard seul ou quelque circonstance impossible à prévoir pourraient diriger une grande quantité de billets à la fois vers tel ou tel bureau qui ne serait pas en état de les acquitter ; et s’il y avait seulement 50 bureaux répartis dans différentes villes du royaume, il est probable que la banque ferait, presque tous les jours de l’année, banqueroute dans plusieurs endroits, quoique la somme qu’elle aurait en espèces effectives, réparties dans ses différentes caisses, fût très-supérieure à la totalité des demandes d’espèces qui lui seraient faites. L’on a donné aussi le plan d’une banque dont les billets porteraient intérêt. Cette idée me paraît absolument contraire à la nature des billets de banque. Dans les moments où une banque a du crédit, l’appât d’un intérêt modique attaché à ses billets 382 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] n’est nulleiiient nécessaire pour déterminer à les prendfe; et dans les moments où il y aurait de l’inquiétude sur la banque, cet intérêt modique ne serait sûrement pas capable de faire prendre des billets, d’autant qu’il serait impossible de proportionner le taux de l’intérêt à la gradation croissante ou décroissante de la confiance. L'on dit qu’il a été question d’établir une banque avec des fonds très-considérables, qui la mettraient en mesure de prêter sur les bie mds. Je ne connais pas les détails de ce plan; mais il me paraît évident que les placements sur les biens-fonds ne pourraient avoir lieu que pour le capital oisif de la banque, et que ce capital sera toujours placé plus convenablement sur la nation tint qu’il existera une dette publique, d’abord parce que cela tournera au profit de la nation, et ensuite parce qu’une créance sur la nation serait toujours plus susceptible d’être négociée et vendue, lorsque quelque événement mettrait la banque dans la nécessité d’avoir recours à cette portion de son capital pour faire face à ses engagements. Quant aux fonds destinés à vivifier la circulation il me semble tout aussi incontestable qu’on ne peut prudemment les placer sur des biens-fonds, parce que tout le monde sait que ce genre de placement, qui, peut-être, est celui dont le capital est le plus assuré en définitive, est certainement celui dont la rentrée à époque fixe est la moins certaine et donne lieu à plus de difficultés. Un tel emploi des fonds de la banque ne serait sûrement pas de nature à tranquilliser les porteurs de billets sur l’acquittement de ces billets, au moment de la présentation. Une banque ne pourra employer une partie de ses fonds actifs de cette manière que lorsque l’ordre et la confiance seront telfement rétablis que les placements manqueront à l’argent, et que l’on préférera des placements par privilège à de l’argent comptant, parce que, dans un tel ordre de choses, la banque trouverait facilement à transporter des créances par privilège : encore faudrait-il qu 'alors même la banque ne se livrât à ce genre de placement qu’avec infiniment de réserve; car le crédit est extrêmement mobile, et le moindre changement dans les circonstances pourrait d’un moment à l’autre reproduire la difficulté de négocier de semblables placements, et rejeter la banque dans l’impossibilité de s’acquitter avec le public. Quant au plan de banque qui vous a été proposé par le ministre des finances, et qui, à ce titre, a mérité la plus profonde attention de votre part, j’ajouterai peu de chose aux observations qui lui ont été opposées. Je me borne à une seule remarque qui me semble, il est vrai, décisive. Ce plan est fondé sur la création d’un papier non conversible à volonté en argent , par conséquent sur la création d’un papier-monnaie : or, il n’existe pas, du moins à mon avis, deux idées qui se repoussent davantage que celle d’un papier-monnaie et celle d'une banque, puisque l’un porte le caractère de la force et l’empreinte de l’autorité absolue, tandis que l’autre au contraire ne peut vivre que par la confiance la plus libre et la plus illimitée. Après avoir montré, ou du moins indiqué les inconvénients de la plupart des systèmes de banque qui ont été proposés, il n’èntre point dans mon projet de vous soumettre un plan particulier de banque. J’ajouterai pourtant quelques réflexions qui appartiennent aux questions qui vous occupent et qui serviront peut-être à éclaircir des principes qui ne me semblent pas suffisamment connus. La loi fondamentale d’une banque quelconque est d’acquitter ses engagements à l’époque fixée. Je n’en connais point d’autre. Si sa nature particulière la met dans le cas de prendre des engagements à vue et payables à toute heure, il faut que le régime de cette banque soit tel, qu’elle soit en effet prête à payer toujours ses engagements à présentation. Telle est la règle dictée par le simple bon sens. On s’est persuadé que l’onjet directd’une banque était de verser des billets dans la circulation. Sans doute la faculté de verser des billets est une conséquence immédiate du crédit d’une banque; mais il n’est pas permis de confondre cette conséquence avec le but réel de l’institution d’une banque de secours. Quand on veut bien connaître le principe, il faut nécessairement le dégager de ses conséquences même les plus prochaines et les plus directes. Le but d’une banque composée d’associés en commandite, comme, la Caisse d’escompte, est de fournir des secours au commerce en réunissant des fonds considérables, toujours destinés à escompter de bons effets à un intérêt modéré. Lorsque l’on présente à cette banque des effets jugés de nature à être pris à l’escompte, et que l’administration de la banque consent à les escompter, les administrateurs remettent un bon pour toucher l’argent à leur caisse. On va chercher cet argent à la caisse et on l’emporte. Voilà la marche naturelle qui a été suivie dans les commencements; mais, après avoir fait escompter du papier plusieurs fois, et avoir éprouvé que ce bon sur la caisse était payé sur-le-champ à présentation, l’on s’est aperçu bientôt que ce bon serait également payé le lendemain comme le jour même, et qu’il était quelquefois plus commode de l’emporter chez soi, sauf à en envoyer chercher le montant lorsqu’on en aurait besoin. On l’a donné en payement à quelqu’un qui, ayant aussi connaissance de cette exactitude, ne s’est pas pressé de le faire acquitter; et cette counais-nance de l’exactitude des bons fournis par les administrateurs de la banque sur leur caisse a fait à la longue que chacun a regardé comme indifférent d’avoir ce billet, ou d’avoir les espèces qu’il représentait. Il est résulté de là que les intéressés dans l’établissement, voyant que beaucoup de personnes prenaient le parti de ne pas envoyer chercher le montant des billets payables à vue à la caisse, ont cru pouvoir, lorsqu’on leur apportait de bons papiers dont les rentrées n’étaient pas trop éloignées, employer à les escompter une partie de l’argent destiné à acquitter leurs billets; mais il est clair qu’ils n’ont dû employer de cet argent que la portion qui ne pouvait pas naturellement leur être demandée avant l’époque de la rentrée du montant des effets qu’ils venaient d’escompter. Tant que les administrateurs se conforment à cet égard aux règles de la prudence, leurs billets acquièrent un tel degré de confiance, à raison de Incommodité de leur maniement et de leur circulation, que souvent même on apporte de l’argent pour obtenir des billets de caisse ; mais, si les administrateurs, abusant de cette confiance et voulant étendre leurs affaires et leurs bénéfices, se permettent dans quelques moments d’aliéner une portion des fonds qu’ils ont dans leur caisse, assez considérable pour courir le risque qu’on leur vienne [Assemblée nationale.] APiCHiVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] 333 demander un jour plus d'argent qu’ils n’en ont, toute confiance cesse : dès lors, on ne voit plus dans leurs billets qu’un papier dont le payement est incertain ; et comme les relations de la banque de secours lient les administrateurs à tous les banquiers de la capitale et à presque toutes les branches de la circulation du royaume, il se répand une grande défiance dans l’intérieur et une plus grande encore au dehors, qui fait tourner très-promptement le change à notre désavantage et produit le resserrement des espèces et tous les maux qui en sont la suite. Quelle doit donc être la conduite des administrateurs d’un pareil établissement dans les moments où la confiance est altérée? Elle est bien simple. Ils doivent savoir que, dans ces moments, on peut venir leur demander le payement d’une partie de leurs billets, et peut-être de tous. Ils doivent par conséquent n’user que d’une légère partie, et même ne point user des fonds qu’ils ont dans leur caisse et qui sont destinés à acquitter leurs billets. Ce serait donc mal à propos que les administrateurs d’une banque de secours prétendraient n’avoir aucun tort, lorsqu’il ont eu soin d’avoir dans leur caisse la somme en espèces équivalente au tiers ou au quart du montant de leurs billets en circulation ? II n’y a point à cet égard de proportion absolue. La prévoyance des administrateurs d’une banque doit se régler de manière à avoir, non pas le 1/4 ou le 1/3, mais la 1/2, les 1/4, mais la totalité des fonds représentatifs des billets dans les moments où il peut arriver qu’on vienne demander à la caisse la 1/2, les 3/4, ou la totalité du montant de ces billets qui sont payables à vue et à présentation. Mais, dira-t-on, alors la banque ne gagnera pas. Je réponds que la protection que le gouvernement ou la nation peuvent accorder à une banque de secours n’a pas pour objet principal que les intéressés de cette banque fassent, dans toutes les circonstances possibles, des gains considérables et jamais interrompus. Certainement la nation doit désirer que la banque gagne, parce que le gain est le seul moyen de décider les intéressés à soutenir un établissement de ce genre, et que l’existence d’un établissement de ce genre est utile dans un Etat; mais je dis que la nation n’est intéressée qu’à ce que les actionnaires gagnent précisément ce qu’il faut pour déterminer à soutenir la banque. 11 y a plus; et je ne craindrai pas d’étonner les bons esprits, quand je dirai que la banque, en se conformant aux règles que je viens d’indiquer, gagnerait bien davantage, quoique ses gains fussent plus susceptibles de variations dans les résultats d’une année comparée à l’autre. D’abord on voit que, dans les temps du plus grand resserrement des opérations, dans le moment où la condition des intéressés serait la plus mauvaise, ils retireraient toujours de la totalité de leurs fonds l’intérêt résultant du taux de l’escompte, c’est-à-dire environ 4 1/2 0/0; et même, si l’on croyait que la banque se conduisît avec cette rigide prudence, il doit paraître incontestable qu’il n’y aurait aucun moment où elle fût réduite à n’opérer que sur ses propres fonds; du moins est-il certain que, dans les temps d’abondance et de confiance, la bauque pourrait tirer l’intérêt de fonds excédant de beaucoup la valeur de tout son capital actif. Dans les temps où la confiance s’affaiblit, il est nécessaire qu’une banque publique réduise ses opérations. Les administrateurs d’un pareil établissement seraient bien imprudents, ou même bien coupables, si, ne voulant pas se résigner à prendre leur part des malheurs communs, et déterminés uniquement à gagner beaucoup dans tous les temps, ils s’obstinaient a donner toujours, contre la nature des choses, un égal essor à leurs opérations, au risque de recourir ensuite à des arrêts de surséance. La Caisse d’escompte paraît être tombée dans une partie de ces inconvénients, et avoir méconnu le principe fondamental de toutes les banques, qui consiste à ne jamais manquer à ses engagements. Je ne pense pas qu’il nous convienne de consacrer aujourd’hui cet établissement jii tout autre par une adoption nationale; et, dans tous les cas, je crois que, lorsque vous vous déterminerez à accorder votre confiance, soit à la Caisse d’escompte, soit à une autre banque de secours qui vous serait proposée, il conviendra que cette résolution soit la suite d’un examen approfondi des avantages de l’établissement que vous adopterez, et non l’effet du seul désir de satisfaire à un besoin du moment. La Caisse d’escompte s’est écartée bien certainement des règles qui lui étaient prescrites; et pourtant, peut-être est-il permis de ne pas peser sa conduite dans une balance ordinaire. Elle a fourni de l’argent que, sans doute, elle n’avait pas le droit de fournir, puisqu’il ne lui appartenait pas ; mais elle a donné ce secours dans une crise qui a trompé toute prévoyance humaine, et par déférence pour un ministre en qui la nation a si justement placé sa confiance. Il ne faut pas que l'Assemblée fasse de la Caisse d’escompte une Banque nationale; mais il faut incontestablement qu’elle tienne compte à cette Caisse de ses avances. Ce que M, Necker a proposé à cet égard ne m’a point paru, je i’avoue, atteindre à ce but. Je ne puis voir un véritable payement dans du papier-monnaie; ou, si c’en est un, je vois une préférence accordée à la Caisse d’escompte, qui peut paraître une injustice aux autres créanciers de l’Etat : car, alors, pourquoi créer un papier-monnaie spécialement en faveur dé la Caisse d’escompte, et laisser en souffrance d’autres citoyens qui, certes, ont des créances tout aussi sacrées sur la nation? Car il ne faut pas perdre de vue que ce n’est pas parles seules avances de la Caisse d’escompte que le gouvernement a été secouru cette année, mais aussi par la suspension des assignations et des billets de domaine, ainsi que par le retard des rentes et des remboursements. La créance de la Gaisse d’escompte n’est pas moins sacrée que les autres, je le sais; mais aussi elle ne l’est pas davantage. Je ne vous proposerai donc pas de faire du papier-monnaie pour les autres créanciers comme pour elle ; mais je vous conjure de n’en faire pour personne. L’effet inévitable de tout papier-monnaie, vous le savez, Messieurs, est la prompte disparition des espèces. Ce numéraire fictif chasse le numéraire réel, et parce qu’il le remplace, et parce qu’il l’effraye ; et, comme il ne peut jamais en être la représentation parfaitement exacte, il arrive qu’il en chasse beaucoup plus qu’il n’en remplace. Dès lors, ce papier ne se soutient plus à l’égalité de l’argent; il tombe au-dessous du pair, et de là les plus funestes conséquences. Tous les créanciers [que l'on rembourse en billets perdent la différence; tous les débiteurs à qui l’on avait prêté en argent la gagnent : par conséquent, renversement dans les propriétés, infidélité uni- 384 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAR verselle dans les payements, et infidélité d’autant plus odieuse qu’elle se trouve légale. Ce n’est pas tout : les anciens engagements entre particuliers une fois sodés, il faut bien, à moins d’une mort absolue de toute espèce de commerce, qu’il s’en forme d’autres; et ici recommence, en sens contraire, une opération non moins cruelle, non moins convulsive, par laquelle à leur tour les créanciers vont écraser les débiteurs : car, dans la crainte d’être remboursés en billets, et combinant d’avance la perte actuelle de ces billets et la perte plus grande qu’ils supposent pouvoir exister un jour, ils en grossissent outre mesure leur créance, et par là ils assurent la ruine des débiteurs pour l’époque où les billets n’existeront plus, ou pour celle à laquelle la confiance les rapprochera du pair de l’argent. 11 est évident que ce n’est pas ici une réparation de la première injustice, mais bien une injustice nouvelle, puisque ce ne sera plus alors ni la même proportion, ni les mêmes contractants, ni les mêmes engagements. Il faut donc rejeter tout papier-monnaie, et pourtant il faut prendre un parti prompt sur toutes les dettes arriérées ; ce parti est naturellement lié au plan d’ordre général qui sera adopté ; les principes, sur cette matière, m’ont paru renfermés dans un très-petit nombre de réflexions simples qui naissent de notre position actuelle. On l’a déjà dit, Messieurs, il est passé ce temps où des complications d’idées fiscales, des combinaisons savantes , habilement artificieuses, présentaient des ressources passagères qui retardaient l’instant de la crise pour la rendre plus périlleuse : tous ces moyens de l’esprit et de l’art sont épuisés : désormais c’est la simplicité qui tiendra lieu de génie. A côté de l’évidence de nos maux il faut mettre l’évidence du remède; il faut tout réduire à la simplicité d’un livre de compte, dressé par le bon sens et gardé par la bonne foi. Les affaires sont en quelque sorte mises en liberté, ainsi que les hommes. Il faut appeler les esprits les plus vulgaires à cette sorte de confiance qui naît de la conviction, lorsque, étonnés d’avoir nettement conçu, ils disent : N'est-ce que cela? Non, ce n’est que cela; mais c’est tout, si, en voyant à la fois le mal et le remède, vous assurez votre guérison. Le désordre dans les finances a produit les maux sous lesquels la France a été près de succomber; c’est dans l’ordre qu’il faut en attendre la réparation ; c’est de l’ordre, et ce n’est que là que réside toute la puissance d’opinion qui constitue ce crédit dont on parle tant, et qu’il importera toujours essentiellement de cultiver. Mais en quoi consiste cet ordre? En très-peu de chose : c’est toujours là son caractère. Que l’on mette au grand jour les moyens que l’on a de payer; que l’on en manifeste en même temps l’intention bien décidée : puissance et volonté ; voilà les grandes bases de toute confiance : on ne saurait trop les montrer au public : on ne peut trop lui dire que les véritables principes, ceux de la bonne foi et de l’exactitude, sontenfin invariablement adoptés, et que toutes les forces de la nation vont être employées à les maintenir et à les perfectionner. Ce langage sera entendu de tout le monde. Quelles que soient les prétentions de ces hommes péniblement instruits de ce qu’il faut enfin oublier, tout ce qui est vrai en administration doit être sensible à tous; et, dans un moment surtout où les plus hautes conceptions de l’esprit humain sur l’organisation des sociétés et sur les droits de LEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] l’homme deviennent familières et usuelles, il serait bien étonnant que des opérations financières conservassent encore le droit d’être au-dessus de la portée ordinaire des hommes. Plus on médite les principes véritables du crédit, plus on est convaincu qu’il n’existe à cet égard aucune différence entre une nation et un particulier. Une nation, comme un particulier, n’a de crédit que lorsqu’on lui connaît la volonté et la faculté de payer ; une nation, comme un particulier, ne peut rien faire de mieux vis-à-vis de ses créanciers que de les payer comptant aux échéances ; et si, par des circonstances malheureuses, les moyens de payer comptant manquent, la meilleure, la seule conduite que puisse tenir alors une nation comme un particulier, c’est de ne proposer à ses créanciers que des arrangements dont l’exécution soit assurée : car rien ne détruit la confiance comme des promesses exagérées. Dans ce cas, des opérations partielles et isolées ne suffisent pas. Jusqu’à ce jour, l’Àssemblée nationale s’est vue distraite à chaque instant par la nécessité de s’occuper précipitamment, et sans aucun ensemble, du payement de quelques-unes des parties de ces dettes que votre comité des finances a si justement qualifiées du nom de dettes criardes. Ce n’est pas ainsi que doit procéder la nation qui passe pour avoir le plus de ressources, qui est convaincue de l’existence de ces ressources, et qui les possède en effet. La constitution est maintenant bien assurée; et la seule chose qui pourrait désormais la compromettre, ce serait le manque d’argent : car, comme l’a si bien observé M.'ile marquis de Montesquiou dans son rapport : Ainsi que le désordre a fait férir le despotisme, il ferait bientôt périr la liberté. Le moment est donc arrivé où nous pouvons d’après le vœu de nos commettants, où nous devons, d’après le danger qu’il y aurait à différer encore, nous occuper d’établir un ordre général des finances. La dette arriérée est l’objet embarrassant pour le moment. Il me semble pourtant que la masse de cet arriéré n’est pas aussi effrayante qu’elle vous a été présentée par votre comité des finances, et parce qu'il y a compris des remboursements de charges dont vous n’avez pas encore décrété la suppression, et, surtout, parce que la suppression de plusieurs charges de finances mêmes, lorsqu’elle sera décrétée, vous donnera encore trois années pour en opérer le remboursement, conformément aux règles de la comptabilité ; de sorte qu’il faudra faire peser ces remboursements sur la dépense des années dans le cours desquelles ils devront avoir lieu; mais quel que soit le montant exact de cet arriéré, vous croyez bien, Messieurs, que l’imagination la plus exaltée par l’espérance n’osera pas vous promettre des moyens de rembourser sur-le-champ cette somme immense en espèces effectives. Trop longtemps on a substitué les apparences à la réalité; trop longtemps on a vécu d’illusions. Si le grand art de l’administration a été de les prolonger jusqu’à nos jours, ce serait une grande erreur de les croire encore nécessaires. On vous a proposé du papier-monnaie, des billets d’Etat, et autres moyens de ce genre. Peut-être n’examinerait-on pas avec tant de soin, ne débattrait-on pas avec tant de vivacité, s’il est bien ou mal fait de faire des billets d’Etat ou du papier-monnaie, si l’on voulait bien véritablement se pénétrer de l’état des choses : car alors on reconnaîtrait bientôt, qu’indépendam-ment de ce que créer de pareils effets, c’est mal [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] 385 aire moralement, c’est aussi ne rien faire du tout pour le but qu’on se propose. En effet, des papiers-monnaie, ou des billets, ne seront autre chose que des fractions de créances échues : ainsi, ii est très-vrai de dire que remplacer ces titres de créance par du papier-monnaie, c’est ne faire que donner cours de monnaie à tous les billets du domaine, à toutes les assignations, en un mot, à tous les titres de rentes ou de remboursements échus; et il faut convenir que, si, d’un côté, il y a de avantage et commodité dans la division de ces divers titres de créance en plus petites parties, d’une autre part, la confiance doit bien probablement en être altérée : d’abord, parce qu’il y aurait novation de titres; ensuite parce que des titres aussi mobiles, toutes les lois que cenesont pas deseffets payables à vue, présentent toujours l’idée d’une moins grande solidité, que des titres de créance de sommes plus considérables. Mais, en supposant que la conlianee fut la même, du moins est-il très-sûr qu'elle ne pourrait s’accroître par une semblable opération; et l’on sait combien, en ce moment, est faible la confiance du public dans ces divers titres de créance, puisqu’ils perdent 15 ou 20 0/0 sur la place. Or, par cela même, il en résulterait une extrême injustice; car donner à ces divers titres de créance, ou à des billets qui en seraient la représentation, une valeur de monnaie, ce serait forcer à recevoir au pair, des effets qui ne valent pas le pair. Que si l’on veut donner aux effets échus, tels qu’ils existent, ou au papier-monnaie qui serait créé pour les remplacer, une hypothèque sur la contribution patriotique, sur les domaines, sur la portion des biens du clergé que la nation se déterminerait à vendre, ou sur tel autre objet particulier, ce sera encore une injustice, puisqu’il en résultera une préférence pour telle portion de la dette, qui sera nécessaire au détriment des autres portions qui ne participeront pas à cette faveur. Mais de plus, cette injustice serait bien gratuite; comment en effet se persuader qu’une hypothèque suffira seule pour mettre ces effets au pair, lorsqu’on voit que les litres de créance dont ces billets seraient des fractions, ont déjà des hypothèques et n’en perdent pas moins, comme nous venons de le dire, 15 on 20 0/0 sur (a place. L’hypothèque la plus spéciale serait ici absolument illusoire, par la raison qu’il n'en résultera jamais pour un particulier une action réelle contre le gouvernement ou la nation. La véritable, la seule hypothèque que puisse offrir une nation, c’est l’inébranlable volonté de payer, appuyée sur des moyens réels et bien démontrés. La dette entière de l’Etat a été reconnue, la dette de l’Etat doit être payée. L'engagement est indivisible : il est sacré dans son entier : il ne peut donc y avoir de différence dans l’obligation d’en acquitter les diverses parties que celle qui résulte du taux différent de l'intérêt de chacune d’elles et des diverses époques de remboursement. Mais je l’ai déjà dit : ce serait vouloir étrangement vous abuser que de vous proposer de payer en écus et sur-le-champ, tous les objets arriérés; on doit se rappeler que le premier jour où l’Assemblée natioaale s’est réunie, vous avez trouvé le crédit anéanti et les payements en état de suspension. Cette suspension ne peut donc pas vous être imputée; elle appartient à l’ancien désordre du gouvernement arbitraire. Vous ne pouvez la faire cesser à l’instant; mais votre devoir est de l’abréger le plus possible. II faut Ve Sérié, T. X. donc prendre avec vos créanciers des arrange* meuts tels que la possibilité de leur exécution en garantisse la certitude. Il faut donc répartir sur plusieurs années un remboursement qu’il est impossible de se promettre de faire dans le cours d’une seule; les créanciers de l’Etat verront dans cette disposition l’assurance de leur payement; et les peuples, le grand avantage de ne supporter qu’une charge modérée. Je sais qu’on ne manquera pas d’objecter qu’un arrangement de ce genre est un emprunt forcé; mais, si l’on veut y réfléchir, l’on verra qu’au contraire l’arrangement que j’indique est un remboursement réel, et le remboursement le plus prochain gue l’on puisse espérer : car, si après avoir attribué un taux d’intérêt convenable aux effets aujourd’hui suspendus, après avoir fixé les époques de leur remboursement, la nation Drend de telles mesures que le payement entier dès intérêts, et le remboursement exact des capitaux aux échéances déterminées soient assurés, je suis entièrement convaincu qu’il s’écoulera fort peu de temps avant que le crédit de la France ne reprenne le rang qu’il doit occuper dans la confiance des nations, et que les effets remonteront au pair : or, dès que les effets seront au pair, comme il ne tiendra qu’à ceux de vos créanciers qui en seront possesseurs de les vendre à ce taux, ils auront effectivement la faculté de toucher le montant de leur dette. Croyez que tous moyens physiques défaire reparaître des espèces, tels que la fonte de la vaisselle, tels que l’achat des matières à grands frais, tous ces expédients de vingt-quatre heures peuvent bien procurer un secours apparent, mais qu’il n’y a rien de réel ni de durable dans de semblables moyens : car, dès que l’opinion porte à receler ou exporter les espèces, celles que vous fabriquerez seront bientôt, comme les anciennes, hors de la circulation. Ce n’est qu’en commandant l’opinion, en donnant des motifs déterminants de confiance, que l’on assure le crédit; et si l’on craint que, même après le rétablissement de l’ordre, le numéraire qui semble s’être évanoui au milieu de nous ne reparaisse pas, on se trompe. L’or et l’argent se portent nécessairement, comme les autres marchandises, partout où l’on a volonté et faculté de les payer; ils s’y portent même bien plus aisément, à raison de la facilité de leur transport. Pourvu que la nation ait des excédants à donner, elle se procurera toujours l’or et l’argent dont elle aura besoin : car il ne faut pas oublier que si l’or et l’argent sont le prix de toutes choses, toutes choses sont également le prix de ces métaux. Pour une nation qui n’a rien à donner, il n’y a rien à acquérir; mais pour celle qui a des excédants immenses, elle ne peut manquer de rien de ce qui s’achète, et elle manquerait d’or et d’argent moins que de toute autre chose. Puisque la position de vos finances vous force à être débiteurs des autres nations, rendez-vous les meilleurs débiteurs possibles : vous en avez les moyens; montrez que vous savez les mettre en œuvre, et vous verrez bientôt abonder chez vous des capitaux immenses de l’étranger, qui n’attend que ce moment pour venir les échanger contre vos effets; vous verrez sortir de dessous terre des sommes considérables qui ne rapportent rien, et auxquelles on préférera bientôt des effet? productifs d’intérêts annuels, lorsque le payement de ces intérêts sera certain et que le capital ne sera pas compromis. Au reste, votre dette, embarrassante pour le moment, est vis-à-vis de la Caisse d’escompte : 386 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] elle s’élèvera à 90 millions au 31 décembre, moyennant 30 millions que la Caisse d’escompte doit fournir d’ici à cette époque. J’avais cru devoir comprendre cette dette dans l’arriéré. La rigueur du principe d’égalité pour tous les créanciers de l’Etat l’exigeait en effet. La nation ne peut accorder de préférence à personne. Ce n'est que dans des fonds étrangers au Trésor public que la Caisse d’escompte peut trouver des avantages pour sa créance particulière. L’idée qui a été soumise à l’Assemblée par M. de Laborde, le 5 décembre, de remplacer la Caisse d’escompte par une banque qui se chargerait de la rembourser, n’est pas nouvelle pour moi : feu M. Panchaud, inventeur de la Caisse d’escompte, et digne de la plus grande confiance sur ces matières, avait conçu un projet semblable, et l’a développé avec les principaux détails dans plusieurs mémoires. Si donc, on se détermine à adopter une banque, et que surtout l’on ne craigne point que, dans la circonstance, elle ne se rende trop nécessaire, celle qui vous a été proposée se présente avec un titre imposant. Je n’avais pas cru, il est vrai, que ce fût le moment de faire une banque nouvelle : les fonds mêmes qui me semblaient indispensables pour un établissement de ce genre, me paraissaient difficiles à rassembler; mais M. de Laborde s’est sans doute assuré des moyens d’exécution, et ses rapports avec les capitalistes le mettent à portée de juger mieux qu’un autre de la réalité de ces moyens. Cette manière d’opérer la liquidation de la Caisse d’escompte pourra produire des avantages pour la circulation, et surtout, ce qui me paraît essentiel à remarquer, ce remboursement étant alors fait par les seuls actionnaires du nouvel établissement, aucun des créanciers de l’Etat ne pourra dire que c’est nous qui accordons une préférence à la Caisse d’escompte. Le principe, qui me semble incontestable, de la parité de droit entre toutes les créances, sera conservé, et l’exécution des autres articles que je propose, er devient plus facile. Le parti que je conseille ne présente aucun appât, aucune chance qui puisse attirer les joueurs; il aura de ia défaveur auprès d’eux : ce n’est point un plan de finance, c’est plutôt une suite d’idées qui m’ont paru pouvoir vous diriger dans le choix des plans qui vous seront présentés; et les motifs que j’ai exposés me paraissent si conséquents aux décrets que vous avez rendus précédemment sur la dette publique, que je vous propose d’arrêter les articles suivants : Art. 1er. La question de l’établissement d’une banque, par l’Assemblée nationale, ajournée. En attendant, la Caisse d’escompte subsistera, et sera rappelée par degrés à son institution. Art. 2. La division des deux caisses qui vous a été proposée par le comité des finances, adoptée. Art. 3. L’établissement d’une Caisse d’amortissement, dont le plan et l’organisation vous seront présentés par le comité des finances, décrété. Art. 4. Les avances de la Caisse d’escompte comprises dans l’état général des dettes arriérées. Cet article, d’une stricte justice, d’après le principe de l’égalité de droit entre les créanciers de l’Etat, a pu paraître, et m’avait paru à moi-même bien sévère dans la circonstance. Je suis très-aise que l’approbation qu'a reçue, dans l’Assemblée, la proposition de M. de Laborde, m’autorise à le retirer. i Art. 5. Le relevé complet du montant total de l’arriéré une fois déterminé, il sera fait un fonds chaque année de 8 0/0 de ce capital pour acquitter les intérêts à 5 0/0 et opérer avec le surplus le remboursement ducapital dans l’espace d’environ vingt années. La masse de l’arriéré étant diminuée de toute la créance de la Caisse d’escompte, on pourrait emplover à l’annuité proposée 10 0/0 du capital au lieu de 8, ce qui éteindrait cet objet à peu près en 14 ans (I ). Art. 6. Le montant total de l’arriéré sera divisé en billets de 1,000 livres, et la portion qui devra être remboursée chaque année, sera déterminée par la voie du sort, d’où il résultera que le mode de cet emprunt sera une annuité pour le gouvernement qui la payera , mais non pour ceux qui la recevront, c’est-à-dire, qu’au lieu de rembourser quelque chose à tous chaque année, comme cela se pratique en Angleterre, l’on remboursera chaque année tout à quelques-uns, comme il a été réglé à l’égard de l’emprunt de 126 millions. Art. 7. Au commencement des sessions de chaque législature, seront arrêtés les moyens de pourvoir au payement des intérêts de la totalité de la dette nationale, et aux remboursements stipulés pour les diverses dettes de la nation, pendant le cours de l’année suivante. Art. 8. Le comité des finances présentera, le plus tôt possible, à l’Assemblée nationale, un état exact du montant des intérêts à payer, et des remboursements qui doivent écheoir dans le cours de l’année 1790, en y comprenant la portion de la dette arriérée, qui doit être acquittée dans le cours de ladite année. Art. 9. Les ressources extraordinaires, telles que la contribution patriotique, la vente des domaines et de quelques portions des biens du clergé, seront employées d’abord au remboursement fixé pour la dette arriérée, et le surplus sera versé dans la caisse d’amortissement. M. Anson, secrétaire du comité des finances (2). Messieurs, dans la situation périlleuse où se trouvent les finances de la France, obligés de prendre enfin une détermination à laquelle est attaché le sort de l’Etat, et le succès de nos travaux, nous ne devons plus nous livrer à de longs et dangereux débats : le temps presse. L’éloquence, et l’amour-propre qui est toujours à sa suite, doivent se taire au milieu des embarras qui nous assiègent : la justice et la raison peuvent seules répondre dignement à la voix de la patrie, qui les appelle à son secours. Puisque nous discutons nos ressources, nulle d’entre elles, sans doute, ne doit rester sans une définition précise; et en supposant que quelques-unes dussent être absolument écartées, encore faut-il les écarter en connaissance de cause : il faut savoir ce que l’on rejette. Je ne vous offrirai point ici des calculs arides et des millions entassés sur des millions : tous mes efforts tendent à vous épargner de semblables détails; tropheu-(1) Qu’on ne perde pas de vue que le nouvel ordre de choses doit ramener en peu de temp' les effets au pair, et que par conséquent le remboursement successif présenté dans cet article deviendra réellement un remboursement de tous les jours pour ceux, qui le désireront, par la facilité qu’ils auront de s’en défaire sans aucune perte. (2) Le Moniteur se borne à mentionner le discours de M. Anson. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1789.] reux si, dans le résultat simple et précis de mes réflexions, vous trouvez quelques idées justes, réunies à des intentions très-pures. Au milieu des projets de tout genre qui vous sont présentés., il m’a semblé que c’était à trois espèces d’opérations, de nature différente, qu’ils pouvaient se rapporter. Cette division m’a paru devoir contribuer à accélérer votre délibération. L’immensité des dettes exigibles d’un côté, et de l’autre la rareté du numéraire réel, conduisent naturellement à s’occuper d’un numéraire fictif; et, il faut en convenir, Messieurs, puisqu’un emprunt, même remboursable, ne peut plus être mis en usage, un papier quelconque devient nécessaire : il est donc utile d’approfondir lequel de tous est le plus approprié à notre situation présente. Je réduis ces différents numéraires à trois : billets à vue, tels que ceux de la Caisse d’escompte dans son principe; billets d’Etat, qu’on vous a déjà proposés plus d’une fois ; et le papier-monnaie, qui, selon moi, diffère beaucoup des billets d’Etat. C’est surtout du dernier, sans y donner cependant aucune préférence, que je m’appliquerai à fixer les vrais caractères ; parce qu’on a négligé, ce me semble, jusqu’à présent cet objet essentiel: c’est d’ailleurs une espèce d’obligation que je remplis aujourd’hui. Dans l’une de nos séances de Versailles, au moment où nous délibérions sur un article de la constitution relatif aux impôts et aux emprunts, un membre éloquent de cette Assemblée proposa d’y insérer qu’aucun papier-monnaie ne pourrait être mis en circulation sans un décret exprès des représentants de la nation. Je demandai alors la division de l’article, et même l’ajournement de la question qui me parut prématurée. Le projet du ministre des finances, sur lequel nous délibérons aujourd’hui, m’a rappelé cet ajournement : j’avais avancé que le papier-monnaie n’était ni un impôt ni un emprunt : on me répliqua que c’était un emprunt le sabre à la main. U me semble, Messieurs, que si cette définition était juste, il eût été bien étrange qu’un pareil objet fût la matière d’une de nos délibérations, et que la constitution française eût à s’expliquer sur un emprunt à faire le sabre à la main. Quant à moi, je ne proposerai certainement pas à ma nation une pareille manière d’emprunler. Je vois souvent confondre le papier-monnaie avec les billets d'Etat ; je ne crois pas pourtant qu’ils soient de la même nature. M. Necker parle en passant, dans son dernier mémoire, de billets d’Etat en (orme de papier-monnaie ; il ne faut pas en induire que le papier-monnaie ne soit qu’une forme et non une valeur. Les papiers de banque, dont il serait inutile de vous entretenir longtemps, ne sont, selon moi, qu’une manière d’emprunter à un modique intérêt. Les billets d’Etat, portant intérêt, tiennent de bien près à l’impôt. Et ce que j’appelle, dans mon sens, le papier-monnaie, n’est ni un emprunt ni un impôt : je le prouverai dans un instant, après avoir exposé rapidement mes idées sur la banque et sur les billets d’Etat. Le ministre des finances vous a exposé, avec la plus grande étendue, le but et la nature de l’établissement appelé banque nationale. Vous avez sans doute médité sur ses méditations mêmes; ainsi je ne dois point m’arrêter longtemps 387 sur ce genre de ressource, surtout depuis que plusieurs préopinants vous ont exposé avec beaucoup de clarté les mconvénieuts et les avantages des banques. Je ne dissimulerai pas même que, dans mon opinion personnelle, j’ai redouté longtemps pour la France un établissement de cette nature ; je croyais que les spéculations et les ressources d’un Etat agricole devaient être d’un genre très-supérieur et que ma patrie était appelée à de plus hautes et de plus sûres destinées. Quoi qu’il en soit, pour ne point sortir des notions générales que je me suis proposé de vous présenter, je dirai seulement qu’un billet de banque est un véritable emprunt sur gage, et le malheur est que le gage est imparfait. De cette imperfection même naît le bénéfice du banquier: il n’aurait point de bénéfice si le numéraire réel était égal au numéraire fictif. 11 est vrai que les autres fonds de la banque, soit effets de commerce, soit actions, soit créances d’autre nature, sont un nantissement de plus, et je dois à cette occasion rendre hommage à la solidité des billets de la Caisse d’escompte, dont vos commissaires vous ont fait si bien connaître la situation ; mais enfin tout cela repose sur des valeurs de convention qui, dans un temps prospère, sont généralement bonnes, mais qui peuvent s’évanouir avec la paix et la tranquillité. La Caisse d’escompte elle-même repose sur notre loyauté, sur notre crédit, et le crédit est un enchanteur, très-séduisant dans les jours de la gloire, mais bien cruel dans ceux de la détresse. Cependant, Messieurs, je me défie tellement de mes lumières, qu’en vous présentant ces dangers je ne prétends point vous détourner entièrement d’une route que vous trace un ministre dont l’expérience est imposante à mes yeux ; mais j’ai dû définir cette espèce de ressource; je désire qu’en l’adoptant on la connaisse, et, sans la proscrire, j’avoue que je ne voudrais pas me reposer habituellement sur elle. Après vous avoir annoncé aussi positivement mes principes, lorsque je m’expliquerai par ta suite et sur la Caisse d’escompte et sur le plan du premier ministre des finances, j’espère que vous m’écouterez avec la confiance qui est due à l’impartialité. Les véritables billets d’Etat portent intérêts ; ils sont assurément une source d’impôts; car l’intérêt qui accroît la dette, amène une surcharge, et cette surcharge appelle tôt ou tard la contribution. Quand ces billets ne sont pas à longs termes, quand l’époque de leur payement peut être indiquée de manière à fixer la confiance, ils offrent un plan plus on moins fécond de libération successive. Mais d’abord leur circulation est nécessairement moins active que celle de tout autre papier, et d’ailleurs c’est une véritable suspension générale de tous payements. Oui, Messieurs, c’est une espèce de faillite momentanée, et l’administrateur le plus ordinaire peut imaginer ce genre de ressource, dont l’Amérique n’a pas eu lieu de se féliciter. Au reste, je laisse à d’autres membres de l’Assemblée le soin d’insister sur ce qui vous a déjà été proposé pour quelque opération de cette nature, et je me borne à remplir ici la tâche que je me suis imposée plus particulièrement sur le papier-monnaie. J’ajouterai seulement que si les billets d’Etat étaient sans intérêt, on leur donnerait vainement le nom de papier-monnaie. Ce nom n’ajouterait rien à leur prétendue valeur : je les appelle, moi, de la fausse monnaie. Ce sont eux qui méritent le nom infamant qu’on leur a donné, en les proscrivant sous celui qui ne leur appartient pas. Ce sont eux en- [4 décembre 1789. J 388 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fin qui , n’ayant aucune valeur intrinsèque, n’offrant que des promesses au lieu de gages, ou tout au plus des hypothèques générales quand il faut des valeurs spéciales, seront probablement rayés à jamais de la liste des opérations natio-Avànt de décrire le véritable papier-monnaie, je me hâte d’annoncer que ce n’est point un projet que je propose, c’est une définition que je développe par une hypothèse, pour mieux me faire entendre. Je répète avec confiance que le papier-monnaie n’est ni un emprunt, ni un impôt. Il n’est point un impôt, car il ne pèse, ni pour le présent, ni pour l’avenir, par aucun payement d’intérêts, sur Jes contribuables. 11 n’est point un emprunt, car il est le contraire : c’est un prêt ; c’est un signe nouveau demandé à un souverain par un emprunteur que ce prêt soulage, encourage, enrichit. C’est une véritable monnaie nouvelle, frappée au nom du souverain, qui serait de la fausse monnaie si elle n’avait pas tous les attributs de la monnaie-métal, mais qui devient une monnaie véritable quand elle acquiert ces trois caractères, c’est-à-dire le signe qui constate son titre, la facilité delà circulation et la valeur intrinsèque. Les deux premiers caractères se conçoivent facilement ; c’est sur le dernier seulement que j’ai à offrir quelque explication; un exemple me fera mieux entendre : Un propriétaire de terre veut emprunter une somme quelconque jusqu’à concurrence d’une partie de sa propriété, que je suppose libre. Il offre un privilège au prêteur : le prêteur est obligé de lui donner de la monnaie-métal pour acquérir le privilège offert par l’emprunteur, et cela parce que celui qui prête, n’étant point un souverain, ne peut pas battre monnaie; mais aussi il a donné sa monnaie-métal pour un simple papier appelé contrat ou obligation. Pourquoi ce prêteur est-il tranquille avec son papier? C’est qu’il est représentatif d’une valeur très-réelle en fonds de terre. Que manque-t-il à celte valeur en papier appelée contrat ou obligation pour être une monnaie, si ce n’est le signe du souverain sur ce contrat, pour lui imprimer le mouvement de la circulation? Avec ce signe, et la valeur que je viens d’indiquer, elle a donc tous les caractères 'd’une véritable monnaie, surtout si à cette valeur se joint la certitude de la vente prochaine du fonds de terre, dont le prix éteindra le papier-monnaie dans la main du dernier possesseur, qui recevra le prix de la terre en échange. Agrandissons maintenant l’hypothèse, et voyons comment un royaume obéré peut se liquider en prêtant : c’est un problème à résoudre, je l’entreprends. Et, pour rendre l’hypothèse plus sensible, je prends la France pour exemple, en vous répétant que ceci n’est point précisément un projet, mais un moyen d’éclaircir définitivement la nature des différents numéraires fictifs, trop longtemps défigurée, et qui, je l’espère, ne le sera plus à l’avenir parmi nous. Pourquoi la France est-elle momentanément embarrassée, au milieu de grandes richesses très-supérieures à sa dette? C’est que, couverte des débris d’un gouvernement vicieux, elle a enseveli son ancien crédit sous ses décombres. Ne regrettons pas celui-là, Messieurs; bientôt , lorsque l’édifice que vous élevez sera couvert, avant même qu’il soit revêtu de tous ses ornements, une confiance préférable au crédit lui-même viendra couronner vos travaux. Tous vos créanciers voient un territoire immense dont la culture doit aller en croissant. Cette puissance agricole soutient leurs espérance ; mais en n’offrant qu’une masse indéfinie de territoire pour liquider des créanciers, on n’offre point une véritable liquidation : il faut spécifier, déterminer les valeurs, et c’est ce que la France pourra faire avec le temps. Elle pourra déléguer des fonds à ses créanciers, et de là naîtront les sources de sa libération. Vous avez décidé que les biens du clergé sont à la disposition de la nation ; si donc elle abandonnait par la suite une portion de ces biens-fonds, spécifiée, connue, déterminée, à ceux de ces créanciers dont la créance lui paraît la plus onéreuse, et qu’ils l’acceptassent, tout serait consommé, et alors le numéraire fictif serait inutile ; si elle ne faisait que déléguer ces fonds pour le payement des intérêts et pour le remboursement des capitaux, et que la délégation fût acceptée et consommée, suivant tous les principes de la plus sévère jurisprudence, la nation ne devrait plus cette portion de créances, du payement de laquelle se chargerait une caisse quelconque, destinée à l’acquitter avec le prix qu’elle recevrait des fonds mis en vente successivement. C’est ici que je dois rappeler une idée heureuse que présente le mémoire du premier ministre des finances : je veux parler de l’établissement qu’il propose d’un receveur des deniers extraordinaires, dans les mains duquel seraient versées les sommes provenant des ventes de biens-fonds et autres, sur lesquelles, dans son plan, il fait tirer des assignations. Cet établissement me paraît conforme aux meilleurs principes d’administration; et de même que dans la constitution générale du royaume vous avez soigneusement marqué les bornes des différents pouvoirs, je crois q u’en formant la constitution d’une finance nouvelle, il est très-important de distinguer attentivement les opérations des caisses ; de là naîtront l’ordre, la confiance et l’économie même. Je donne place dans mon hypothèse à la caisse des recettes extraordinaires. Pardonnez, Messieurs, mes fréquentes suppressions, mais elles sont analogues à la défiance que j'ai véritablement de mes lumières, et je ne cherche qu’à me faire entendre, sans prétendre davantage. Je suppose que cette caisse fût dirigée par des administrateurs que vous auriez désignés ; je les tegarde dès lors comme les seuls débiteurs des objets dont ils sont chargés ; occupés des moyens de payer leurs dettes, ils observeront avec raison que là vente sera longue, qu’il faut même qu’elle le soit pour être faite avec succès. Us invoqueront le secours du souverain pour emprunter de lui une somme équivalente et successive, afin de se liquider plus promptement; ils offriront un privilège, celui des terres qu’ils ont à vendre ; ils demanderont à payer progressivement, en une monnaie fictive mais bien assurée, parce qu’elle serait bornée et représentée par des fonds disponibles. Si le souverain faisait alors fabriquer un signe que j’appelle papier-monnaie, parce qu’il a tous les caractères d’une monnaie véritable, voilà un numéraire de plus dans la circulation. Ce nouveau numéraire, reçu d’abord dans les différentes caisses du royaume, et successivement dans tous les marchés, en en subdivisant les signes, offre le moyen de rembourser les anticipations qui nous gênent, les arriérés qui nous discréditent, fait tomber par là le déficit qui nous écrase, et bientôt nous marchons avec une recette égale à la dépense, avec (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des impositions simples substituées à des droits onéreux. Ne vous lassez point, Messieurs, de mes hypothèses; je vous demande même une indulgence particulière pour la dernière. En supposant pour un mo ment réalisées celles que je viens d’établir, une grande objection se présente. Comment, me dira-t-on, ces biens-fonds du clergé, que l’on charge de tant de choses, pourront-ils y suffire? entretien du culte, dettes anciennes du clergé, dettes de la nation, indemnités des anciens titulaires usufruitiers. Est-ce donc une mine inépuisable qu’un fonds de terre, parce qu’il a appartenu au clergé? Il en est une autre, Messieurs, il est une mine plus féconde, dont il faut bien que vous me pardonniez encore de vous proposer hypothétiquement de continuer l’exploitation : c’est celle de la dîme ecclésiastique. Votre décret, en abolissant la dîme dans l’avenir, n’a pas fixé le terme précis de l’abolition. Il en a ordonné la perception provisoire; si elle pouvait subsister pendant le temps suffisant pour arriver à la vente d’une partie des biens ecclésiastiques , pendant le temps nécessaire pour organiser successivement la nouvelle hiérarchie, alors on prendrait plus de courage encore, et mon hypothèse pourrait par la suite devenir une réalité. Si vous rejetez cette idée, Messieurs, vos espérances futures de libération avec une vente de biens-fonds ecclésiastiques, sont totalement illusoires. - J’ai rempli mon premier but si, par le développement de ces principes et par quelques suppositions qui ne sont pas inadmissibles, je suis parvenu à me faire entendre. Je crois avoir démontré que les numéraires fictifs, quels qu’ils soient, ne peuvent offrir des ressources, et ne sont même proposables qu’autant que leur valeur porte sur un privilège spécial, sur tel ou tel fonds de terre bien connu, bien déterminé, et promptement disponible, mais non sur des fonds en général, dont la valeur et la nature sont inconnues. Un véritable papier-monnaie ne mérite donc point d’être diffamé. Mais c’est dans des temps lus prospères qu’il pourrait sur-le-champ offrir l’Etat des moyens de se liquider et, dans l’avenir, des ressources aux propriétaires de terres pour se libérer ou pour faire des entreprises utiles; je dois maintenant vous parler un langage plus rapproché de notre situation présente. Si je n’ai pas cru devoir dissimuler les dangers d’une banque proprement dite, dois-je vous dissimuler davantage les innombrables obstacles que pourrait éprouver en ce moment dans son exécution tout plan appuyé sur un papier différent de celui de la Caisse d’escompte? Premièrement , les ventes des biens-fonds ecclésiastiques dont on nous parle continuellement, je les admets pour un moment ; ce sont elles seules, ainsi que celles des biens-fonds du domaine, qui peuvent présenter une perspective à cet égard. Mais elles seront sujettes à de grands embarras dans leur exécution : elles se prolongeront pendant bien des années; et d’ailleurs sommes-nous d’accord sur cette vente ? les provinces y consentiront-elles? ne serons-nous pas arrêtés par l’ancienne préférence due sur les premières ventes aux créanciers actuels duclergé? Nous n’avons encore rien de décrété à cet égard; et nous croirions pouvoir reposer sur cet objet notre imagination effrayée par 90 millions payables dans 3 semaines? [4 décembre 1789.] 309 En second lieu, combien dans le courant de 1790 les difficultés inséparables d’une organisation nouvelle dans toutes ses parties peuvent présager d’incertitude dans les recouvrements! Ce déficit de 1790, qui pourrait dès à présent s’évanouir en partie à nos yeux, si le plan de votre comité des finances eûi pu être adopté et exécuté dans toute son intégrité, ce déficit va se reproduire et se multiplier par toute sorte de causes. La nouvelle division du royaume, les essais des nouvelles assemblées provinciales, la conversion des droits en impositions directes, dont les combinaisons seront hérissées de tant de contradictions par la diversité des contributions des provinces; tous ces changements ne peuvent s’opérer sur-le-champ; il faut prévoir avec certitude qu’en 1790 il y aura de grandes diminutions dans les recettes; les receveurs des anciennes généralités ou élections, qui voient la prochaine distribution en 80 départements, peuvent-ils vous offrir des soumissions aussi précises qu’auparavanl? Est-il juste même de l’exiger, ou prudent d’v compter? et tant d’autres incidents àprévoirl Voilà sans doute ce qui a déterminé le ministre des finances à traiter l’année 1790 comme une année incomplète, à vous proposer en conséquence d’en assurer le service par des moyens extraordinaires, surtout dans l’incertitude où l’on est encore du produit du tiers de la contribution patriotique; voilà aussi pourquoi, je l’avoue, je m’éloignerais avec peine du plan qu’il vous a proposé, tout insuffisant qu’il peut être dans l’avenir. M. Necker vous propose 170 millions à 2 1/2 0/0 ou environ, y compris la réduction sur l’intérêt des 70 millions déposés il y a 5 ans au Trésor public; il ne vous parle que d’un numéraire fictif déjà existant, inférieur par lui-même en valeur intrinsèque à celui que je vous présentais hypothétiquement tout à l’heure, mais enfin auquel on est accoutumé ; qui, malgré toutes les révolutions, ne perd point sur la place. Et d’ailleurs, qui empêcherait que ce numéraire pût acquérir, avec le temps, le même avantage, en en appuyant l’émission sur des fonds de terre? Préférerez-vous la création d’un nouveau papier, qu’il serait si dangereux d’essayer dans notre position actuelle? Ne nous aveuglons pas, Messieurs, sur notre crédit : autant il sera grand dans un an, dans six mois peut-être, autant il faut nous en délier aujourd’hui. Qu’on ne nous parle plus de ces prétendus égarements des administrateurs de la Caisse d’escompte : est-ce donc s’égarer que de se dévouer au salut de l’Etat, de lui épargner une faillite? Est-ce profiter réellement d’un arrêt de surséance que de payer 10 millions par mois ? Les actionnaires de la Caisse d’escompte sont juges et garants de leurs administrateurs; ils applaudissent à leur conduite ; ils ne vous demandent pas précisément le titre de banque nationale ; on le leur a offert; mais probablement ils n’insisteront point à cet égard, si, comme cela est très-possible, on prouve que, de part et d’autre, ce titre n’est nullement nécessaire. Us réclament, pour satisfaire à leurs engagements. les sommes qui leurs sont dues; mais ils les réclament, vous le savez, avec autant de noblesse que de ménagements; s’ils sont remboursés d’ici au 31 décembre prochain, ils reprennent leurs payements à bureau ouvert, parce que leur numéraire sera en proportion avec leurs billets. Le ministre des finances leur a proposé une manière de les rembourser, à laquelle ils se [5 décembre 1789.] 390 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. soumettent, si vous l’agréez. Je ne vois dans tout cela rien qui puisse exciter tant de reproches; je ne vois point sur le papier de cette caisse la flétrissure et le mépris. Je vois, au contraire, qu’on en redouterait beaucoup l’anéantissement ; qu’il en résulterait des catastrophes dont les contre-coups sont incalculables; qu’avec tout autre numéraire fictif, le change serait de plus en plus à notre désavantage, et que le haussement du prix des denrées serait un nouveau malheur de plus. Je sens combien il sera pénible de commencer l’année 1790 avec un papier, garanti par la France, qui ne s’échangera pas sur-le-champ, contre un numéraire effectif. Voilà, je l’avoue, la plus grande objection qu’on puisse faire, selon moi, au plan du ministre des finances ; il se l’est faite le premier; il convient qu’il faut choisir entre les inconvénients; mais, Messieurs, un nouveau papier en présente de bien plus grands. Irez-vous, par des billets d’Etat, renouveler aux yeux de la France étonnée l’humiliante et désastreuse opération de l’archevêque de Sens : ou la suspension des anticipations, qui fut la ressource de l’abbé Terray? Soit qu’on substitue totalement un nouveau papier à celui de la Caisse d’escompte, soit qu’on risque de le mettre en concurrence avec lui, on s’expose aux plus grands malheurs; et, au milieu des incertitudes qui nous agitent maintenant sur la vérification des états de recettes et de dépenses, sur l’examen des contrats originaires, vous ne pouvez pas encore établir une caisse nationale; vous compromettriez un établissement qui peut devenir si utile. L’Europe, qui nous contemple, n’exige pas de nous l’impossible : elle apprécie nos efforts ; elle sait qu’on ne peut conquérir la liberté qu’au milieu des résistances, que d’elles naissent et le discrédit et le resserrement du numéraire et qu’au milieu d’une foule de dangers il serait imprudent de trop ou trop tôt entreprendre. Sera-t-il plus défavorable à ses yeux de-débuter par le papier de la Caisse d’escompte, languissant pendant quelques mois, mais qui bientôt reprendra toute son activité, que de répandre sur-le-champ une grande masse de billets d’Etat, ou de papier-monnaie sans valeur spéciale, qui perdront sur la place dès leur naissance? C’est entre ces différents inconvénients qu’il faut opter; et le choix, selon moi, n’est pas difficile. Quand je me ferais illusion, en pensant qu'on pourrait par la suite, avec les billets actuels de la Caisse d’escompte, se procurer le signe dont nous avons besoin pour, avec l’hypothèque des biens du clergé, rembourser successivement les dettes les plus instantes, qui gênent notre marche, il n’en serait par moins vrai que la Caisse d’escompte, dont l’établissement est monté avec un ordre si recommandable, dont l’organisation est si heureusement combinée, dont les 100 millions de capitaux sont si bien connus, est maintenant la seule force active dans l’Etat sur laquelle nous puissions raisonnablement fonder nos espérances. Considérez combien peut influer sur l’opinion le nom d’un ministre justement estimé, combien les efforts réunis de tant d’actionnaires, combien leur intérêt même peut vous offrir de ressources ; et osez vous en priver dans un moment aussi critique I g Je ne sais par quelle fatalité les hommes, en I s’occupant de l’administration, sont aisément | séduits par les projets brillants qui tendent à une I destruction : je me suis toujours refusé au premier mouvement, qui souvent m’entraînait moi-même dans cette route; plus je médite à cet égard, plus je crois qu’il est raisonnable de perfectionner, au lieu de détruire. Je suis bien éloigné de vous détourner des grandes vues que vous a offertes votre comité des finances; mais, si vous êtes obligés, comme cela est vraisemblable, de différer les réformes qu’il vous propose, pensez sérieusement, Messieurs, au déficit de 1790; songez qu'une caisse nationale, chargée de payer l’intérêt de la dette reconnue, ne peut marcher étant vide; qu’elle le sera en 1790, parce que la plus grande partie des revenus de cette année est dévorée d’avance par les anticipations; que si vous suspendiez le payement de ces anticipations, ce serait une faillite réelle vis-à-vis des possesseurs de bonne foi, de ce genre d’effets, dont le remboursement n’est point de nature à être différé; que des suspensions de ce genre sont aussi désastreuses qu’humiliantes ; que vous n’avez point de valeurs actuelles et spéciales, et disponibles, pour fonder un papier-monnaie, et que cette ressource, dont le nom effraye d’avance, ne peut être employée dans les circonstances présentes. Je conclus donc à ce qu’il soit décrété : 1» que le papier de la Caisse d’escompte sera préféré à tout autre; 2° que le plan du premier ministre sera adopté, sauf quelques amendements. Mes amendements sont : 1° , que la Caisse d’escompte ne soit point dénommée banque nationale ; 2° qu’elle n’aura point un privilège exclusif. (22 orateurs ayant encore demandé la parole, la discussion est ajournée à demain.) M. le comte de Barbançon demande la permission de s’absenter pour 15 jours, à cause du mauvais état de sa santé; l’Assemblée y consent. L’heure de 2 heures devait amener la délibération sur le décret proposé par le comité des rapports, au sujet des subsistances et de la sortie des grains; mais la discussion des différents projets de finances ayant été prolongée jusqu’à 3 h. i/2, M. le président lève la séance, et indique celle de demain à 9 heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE BOISGEL1N, ARCHEVÊQUE D’AIX. Séance du samedi 5 décembre 1789, au matin (1). Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre, par laquelle M. le marquis deVitlette, président du club national, offre les boucles d’argent des membres de celte Société. Un commissaire, chargé de présenter ce don patriotique est autorisé à assister à la séance. M. Dubois de Crancé, Vun de MM. les secrétaires, donnelecturedu procès-verbal. M. le marquis de Foucault-Lardinalie pensequeiesopinionsysont un peu trop détaillées. M. Camus observe, d’autre part, que d’après (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.