[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] 28(1 qu’elle pourrait provoquer des accusations contre M. l’abbé de Galonné. Ces observations n’ont pas de suite. Une lettre des officiers municipaux de la ville de l’éronnerend compte de l’arrestation deM. l’abbé Maury à son passage dans cette ville, qui, sous prétexte d’aller solliciter de nouveaux pouvoirs' de ses commettants, paraissait vouloir prendre une route opposée à celle qui devait le ramener à l’Assemblée nationale. Les officiers municipaux de Péronne et la garde bourgeoise ont jugé prudent de s’assurer de sa personne, en attendant que l’Assemblée nationale ait fait connaître ses intentions. M. l’abbé Maury a écrit aussi à M. le président, pour l’instruire des motifs de son voyage, et de sa détention à Péronne. Il rend justice aux habitants de Péronne, qui ont eu pour lui tous les égards qu’il pouvait en attendre. Après la lecture de ces lettres, plusieurs membres se lèvent et réclament l’exécution de l’arrêté du 23 juin, qui déclare l’inviolabilité de la personne des députés. M. I�e Franc de Pompignan, archevêque de Vienne. En quelque lieu que les députés de l’Assemblée nationale se trouvent dans le royaume, iis sont toujours environnés de leur inviolabilité. Si M. l’abbé Maury n’a eu d’autre objet dans son voyage, que d’aller faire changer ses pouvoirs, il le déclarera. S’il a voulu fuir, il en rendra compte à l’Assemblée. MM. Mounier, le marquis de llonteg-quiou, Fréteau, de JLaliy et plusieurs autres membres demandent la liberté de M. l’abbé Maury. Ils le considèrent comme député et comme citoyen. Sous le premier rapport, sa personne est inviolable ; sous le second, toute détention qui n’est pas commandée par une accusation légale est injuste et tyrannique. Tous les avis se réunissent à autoriser M. le Président à écrire aux officiers municipaux de Péronne la lettre suivante : « Le devoir de M. l’abbé Maury et l’intérêt général de ses commettants exigeant ici sa présence, MM. les officiers municipaux doivent laisser à M. l’abbé Maury toute la liberté nécessaire pour se rendre à l’Assemblée nationale, etc. » On reçoit deux députations : Celle du Châtelet de Paris et celle de la ville de Pontoise. M. Angran-d’AlIcray, lieutenant civil, est reçu dans l’enceinte. Il parle fort bas et dépose sur le bureau l’arrêté suivant : Arrêté du Châtelet de Paris , du 25 juillet 1789. « Ce jour, la compagnie assemblée, par continuation de l’assemblée du 23, dans laquelle il a été arrêté qu’il serait fait une députation au Roi et à l’Assemblée nationale ; « A arrêté que M. le prévôt de Paris et M. le lieutenant civil se retireront par-devers le Roi, pour remercier Sa Majesté des marques de bonté et de confiance qu’elle vient de donner à sa ville de Paris, et lui renouveler l’hommage de sa fidélité et du dévouement de son Châtelet ; et qu’ils se présenteront à l’Assemblée nationale pour lui exprimer sa reconnaissance des bons offices qu’elle a rendus à la capitale, la prier de les continuer, et l’assurer du respect, de la vénération de la compagnie, et de sa pleine confiance dans l’étendue des lumières et la sagesse de l’auguste Assemblée des représentants de la nation. » M. le Président. L’Assemblée nationale se rappelle avec plaisir que le Châtelet de Paris a opposé une fermeté salutaire aux attentats portés l’année dernière aux droits de la nation. Ce souvenir honorable lui est un titre certain à l’approbation des représentants de cette nation, et vous êtes un garant, Messieurs, de la satisfaction qu’ils reçoivent de vos respects et de vos hommages. L’on donne des sièges à M. le lieutenant civil et à M. le marquis de ISoulaiuvilliers, prévôt de Paris. M. le Président fait introduire ensuite la députation de la ville de Pontoise. Le maire de cette ville exprime à l’Assemblée les sentiments de respect et de reconnaissance qui animent ses habitants. 11 remet un arrêté qui est lu et beaucoup applaudi. M. le Présiilent témoigne à la députation la satisfaction de l’Assemblée pour la démarche et les bons sentiments des habitants de la ville de Pontoise. II a été fait lecture d’une déclaration de M. le duc de Coigny, déclaration signée du baron Félix de Wimpffen, et qui porte qu’en qualité de grand bailly d’épée, et de député du bailliage de Caen, M. le duc de Coigny avait convoqué pour le 25 de ce mois une Assemblée de la noblesse de Caen, afin qu’elle pût lever la défense prononcée par ses mandats, et qu’elle donnât à ses députés des pouvoirs illimités ; que la fermentation qui y règne, avait empêché cette Assemblée, mais que M. le duc de Coigny ayant vu presque tous ses commettants, pendant le séjour qu’il venait de faire auprès d’eux, est sûr de leurs intentions , et qu’en conséquence , croyant pouvoir obéir à son vœu particulier, il déclare qu’il prendra part aux délibérations de l’Assemblée nationale, et qu’il adhérera à toutes celles auxquelles il n’a pas concouru. M. le duc d’Aumont a fait demander la permission d’entrer à la barre ; l’Assemblée nationale l’ayant permis, il est entré, et a dit : qu’en qualité de grand bailli d’épée de Ghauni, U venait réclamer le droit d’une députation particulière pour ce bailliage: il a remis son mémoire qui a été renvoyé au comité de vérification des pouvoirs. M. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, demande la parole et fait à l’Assemblée le rapport suivant sur les premiers travaux du comité de constitution : Messieurs, vous avez voulu que le comité que vous avez nommé pour rédiger un projet de constitution, vous présentât dès aujourd’hui, au moins une partie de son travail, pour que la discussion puisse en être commencée ce soir même dans vos bureaux. Votre impatience est juste; et le besoin d’accélérer la marche commune, s’est à chaque instant fait sentir à notre cœur comme au vôtre. Une constitution nationale est demandée et attendue par tous nos commettants; et les événements survenus depuis notre réunion, la rendent de moment en moment plus instante et plus indispensable. Elle seule peut, en posant la liberté \9t juillel 1789. J 281 I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des Français sur des bases inébranlables, les préserver des dangers d’une funeste fermentation, et assurer le bonheur des races futures. Jusqu’à ces derniers temps, et je pourrais dire iusqu’àces derniers moments, ce vasîe et superbe Empire n’a cessé d'être la victime de la confusion et de l’indétermination des pouvoirs. L’ambition et l’intrigue ont fait valoir à leur gré les droits incertains des Rois et ceux des peuples. Notre histoire n’est qu’une suite des tristes combats de ce genre* dont le résultat a toujours été ou l’accroissement d’un fatal despotisme, ou l’établissement peut-être plus fatal encore de la prépondérance et de l’aristocratie des corps, dont le joug pèse en même temps sur les peuples et sur les Rois. Les prospérités passagères de la nation n’ont été jusqu’à présent que l’effet du caractère ou des talents personnels de nos Rois et de leurs ministres, ou encore de combinaisons fortuites, que les vices du gouvernement n’ont pu détruire. Le temps est arrivé, où une raison éclairée doit dissiper d’anciens prestiges ; elle a été provoquée, cette raison publique : elle sera secondée par un monarque qui ne veut que le bonheur de la nation qu’il se fait gloire de commander: elle le sera par l’énergie que les Français ont montré dans ces derniers temps; elle le sera par les sentiments patriotiques qui animent tous les membres de cette Assemblée. Loin de nous tout intérêt d’ordre et de corps ; loin de nous tout attachement à des usages, ou même à des droits que la patrie n’avouerait pas ! 11 n’est rien qui ne doive fléchir devant l’intérêt public. Eb ! quelle classe de citoyens pourrait revendiquer des privilèges abusifs, lorsque le Roi lui-même consent à baisser son sceptre devant la loi, à regarder le bonheur des peuples comme lui prescrivant le plus sacré de ses devoirs, et à rendre ce bonheur même la règle et la mesure de ses prérogatives et de son autorité? -Toutes ces considérations sans doute étaient bien propres à échauffer notre zèle. 11 ne faut pas d’efforts pour se livrer à l’empressement du patriotisme, et s’abandonner à ses pressantes inspirations; combien, au contraire, ne nous en a-t-il pas fallu pour en tempérer les élans! Combien d’imposants motifs nous ont présenté la nécessité de nous préserver d’une dangereuse précipitation ! C’est en votre nom, Messieurs, qu’il nous était recommandé de recueillir et de rassembler les vœux et les opinions. C’est à tracer les premiers fondements de l’édifice que vos mains généreuses vont élever à la liberté, et avec elle, à la dignité de l’homme, et à Ja félicité publique, que vous nous avez appelés: c’est devant vous que nous avons à répondre; c’est devant les représentants d’un grand Empire, c’est devant l’Europe entière dont les regards sont attachés sur nous, et qui attend de vos lumières un modèle qui sera bientôt imité ; c’est pour la postérité, qui tous les jours commence, qui, dans un moment, nous demandera compte de nos travaux; c’est par ces considérations que nous avons senti qu’il fallait nous asservir à une méthode sévère, et réunir à une méditation profonde sur les bases mêmes de la constitution, l’étude des volontés exprimées par nos commettants. Ainsi nous avons cru devoir commencer par l’examen de ces volontés, consignées dans les cahiers que nous avons pu consulter. M. le comte de Clermont-Tonnerre va vous présenter le travail raisonné dont il a bien voulu se charger, pour vous, faire connaître l’esprit général de vos cahiers. Nous avons surtout fixé notre attention sur les articles que nos commettants nous ont plus spécialement recommandés, et qu’ils regardent avec justice comme nécessaires et indispensables. Mais nous avons en même temps reconnu que ces différentes vues exigeaient l’établissement des moyens suffisants pour les accomplir ; qu’il fallait déterminer et définir les divers pouvoirs institués pour le maintien de l’ordre social, circonscrire leurs limites, et en même temps les préserver de toute invasion. Que la constitution de l’Empire devait présenter un ensemble imposant, dont toutes les parties liées et correspondantes entre elles, tendissent au même but, c'est-à-dire à la félicité publique et à celle de tous les; individus; et qu’enfin nous remplirions mal votre attente, en vous présentant des dispositions éparses* incohérentes et dénuées des précautions: capables d’en garantir pour toujours l’exécution ; et c’est sous ces rapports importants que s’est présenté à nous l’ouvrage que vous nous avez confié. Et d’abord nous avons jugé d’après vous que la constitution devait être précédée d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; non que cette exposition pût avoir pour objet d’imprimer à ces vérités premières une force qu’elles tiennent de la morale et de la raison; qu’elles tiennent de la nature, qui les a déposées dans tous les cœurs auprès du germe de la. vie, qui les a rendues inséparables de l’essence et du caractère d’homme; mais c’est à ces titres même que vous avez voulu que ces principes ineffaçables fussent sans cesse présents à nos yeux et à notre pensée. Vous avez voulu qu’à chaque instant, la nation que nous avons l’honneur de représenter, pût y rapporter, en rapprocher chaque article de la constitution, dont elle s’est reposée sur nous, s’assurer de notre fidélité à s’y conformer, et reconnaître l’obligation et le devoir qui naissent pour elle de se soumettre à des lois qui maintiennent inflexiblement tous ses droits. Vous avez senti que ce serait pour nous une garantie continuelle contre la crainte de nos propres méprises, et vous avez prévu que si, dans la suite des âges, une puissance quelconque tentait d’imposer des lois qui ne seraient pas une émanation de ces mêmes principes, ce type originel et toujours subsistant, dénoncerait à l’instant à tous les citoyens ou le crime ou l’erreur. Cette noble idée, conçue dans un autre hémis-hère, devait de préférence se transplanter d’a-ord parmi nous. Nous avons concouru aux événements qui ont rendu à l’Amérique septentrionale sa liberté : elle nous montre sur quels principes nous devons appuyer la conservation de fa nôtre; et c’est le Nouveau-Monde, où nous n’avions autrefois apporté que des fers, qui nous apprend aujourd’hui à nous garantir du malheur d’en porter nous-mêmes. Les membres de votre comité se sont tous occupés de cette importante déclaration des droits. Ils ont peu varié dans le fond, et beaucoup plus dans l’expression et dans la forme, fieux ont paru réunir les différents caractères des autres; On vous a déjà fait connaître, par la voie de l’impression, celle de M. l’abbé Sieyès; celle de M. Mou-nier vous sera de même communiquée. La première s’emparant, pour ainsi dire, de la nature de l’homme dans ses premiers éléments, et la suivant sans distraction dans tous ses développements et dans ses combinaisons sociales, a l’avantage de ne laisser échapper aucune des idées qui enchaînent les résultats, ni des nuances [27 juillet 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. qui lient les idées elles-mêmes. On y retrouve et la précision et la sévérité d’un talent maître de lui-même et de son sujet. Peut-être, en y découvrant l’empreinte d’une sagacité aussi profonde que rare, trouverez-vous que son inconvénient est dans sa perfection même, et que le génie particulier qui l’a dictée en supposerait beaucoup plus qu’il n’est permis d’en attendre de l’universalité de ceux qui doivent la lire et l’entendre; et tous doivent la lire et l’entendre. C’est par déférence pour ces réflexions, que M. l’abbé Sieyès a disposé les principes de son ouvrage en résultats courts, et plus faciles à saisir. Celle de M. Mounier est formée d’après les mêmes observations sur la nature de l’homme. L’enchaînement des résultats s’y fait moins apercevoir. Ce sont des formules pleines, mais détachées les unes des autres. Les personnes exercées les liront aisément, et suppléeront les vides laissés entre elles; les autres les retiendront plus facilement, et ne seront pas effrayés, ou par la fatigue d’en suivre attentivement la génération, ou par la crainte de mal choisir dans une suite de propositions celles où réside le résultat qui les intéresse. Vous retrouverez dans le projet de M. Mounier les idées qui vous ont déjà été présentées par M. de Lafayette, et qui ont reçu vos éloges, et M. Mounier a également eu soin de consulter les divers projets remis par plusieurs membres distingués de cette Assemblée. Vous déciderez, Messieurs, entre ces deux genres de mérite, tous deux si recommandables. Vous peserez ce que l’on doit aux lumières des esprits les plus pénétrants, et ce que l’on doit à la simplicité des autres. Peut-être croirez-vous devoir concilier cette double obligation, et de là naîtra une nouvelle forme qui conviendra à tous, comme elle sera l’ouvrage de tous. Nous joignons à ces deux projets de déclaration des droits de l’homme et du citoyen le projet du premier chapitre de la constitution sur les principes du gouvernement français. Ici nous avons été guidés et éclairés par une antique tradition et par l’universalité de nos cahiers. Nous soumettons ce projet à votre examen; nous le perfectionnerons par le secours de vos lumières, et nous vous le présenterons ensuite, plus digne de vous, dans le corps entier de la constitution. Nous avons cru pouvoir l’en détacher pour le moment, afin que vous puissiez reconnaitre si nous avons rendu avec fidélité les principes de vos commettants sur des objets d’une aussi haute importance. Nous vous rendrons compte ensuite, et le plus tôt qu’il sera possible, de nos vues pour l’organisation du pouvoir législatif; celle du pouvoir d’administration ; celle du pouvoir judiciaire ; celle du pouvoir militaire, et enfin celle d’une instruction publique et nationale. Nous invitons, avec empressement, tous les membres de cette Assemblée, à nous faire part de leurs idées sur ces différents objets, et nous croyons devoir fixer spécialement leur attention sur deux questions importantes qui sont relatives à la composition et à l’organisation du corps législatif, et dont la solution entraînera les plus précieuses conséquences. On demande d’abord si le Corps législatif sera périodique ou permanent. Le grand nombre des cahiers, il faut l’avouer, De parle que de la périodicité, et nous ne vous dissimulerons cependant pas que l’opinion unanime du comité est pour la permanence. Nous avons pense que le pouvoir législatif ne pouvait être, sans danger, condamné au silence et à l’inaction pendant aucun intervalle de temps; que lui seul a le droit d’interpréter ou de suppléer les lois qu’il a portées ; que se reposer sur le pouvoir exécutif de cette double fonction, ce serait compliquer ensemble deux forces que l’intérêt public exige que l’on sépare ; que commettre cette autorité à des corps, ce serait, par un plus grand malheur encore, exposer tout à la fois, et le pouvoir exécutif, et le pouvoir législatif à une invasion redoutable de leur part; qu’en fin, ce pouvoir ne pouvant s’exercer par délégation d'aucun genre, devant néanmoins être actif, il restait uniquement à rendre permanente l’Assemblée à laquelle il appartient de le faire agir. Ce n’est pas qu’aucun de nous ait pensé que cette Assemblée dût être perpétuelle, mais seulement toujours en mesure de se former, toujours continuant ses séances, et ne se renouvelant dans ses membres, que dans une proportion de nombre et de temps qu’il paraîtra convenable de fixer. Notre opmion n’est pas également arrêtée sur la composition même du Corps législatif: sera-t-il constituéen une seule Chambre, ou en plusieurs? Les personnes qui sont attachées au système d’une Chambre unique, peuvent s’appuyer, avec une juste confiance, sur l’exemple de celle dans laquelle nous sommes réunis, et dont les heureux effets sont déjà si sensibles. Elles allèguent encore que c’est la volonté commune qui doit faire la loi, et qu’elle ne se montre jamais mieux que dans une seule Chambre ; que tout partage du Corps législatif, en rompant son unité, rendrait souvent impossibles les meilleures institutions, les réformes les plus salutaires ; qu’il introduirait dans le sein ae la nation, un état de lutte et de combat, dont l’inertie politique, ou de funestes divisions pourraient résulter; qu’il exposerait aux dangers d’une nouvelle aristocratie, que le vœu, comme l’intérêt national, est d’écarter. D’autres, au contraire, soutiennent que le partage du Corps législatif en deux Chambres est nécessaire; qu’à la vérité, dans le moment d’une régénération, on a dû préférer l’existence d’une seule Chambre ; qu’il fallait se prémunir contre les obstacles de tout genre dont nous étions environnés; mais que deux Chambres seront indispensables pour la conservation et la stabilité de la constitution que vous aurez déterminée; qu’il faut deux Chambres pour prévenir toute surprise et toute précipitation, pour assurer la maturité des délibérations ; que l’intervention du Roi dans la législation serait vaine, illusoire et sans force contre la masse irrésitible des volontés nationales portées par une seule Chambre; que devant tendre surtout à fonder une constitution solide et durable, nous devons nous garder de tout système qui, en réservant toute la réalité de l’influence au Corps législatif, intéresserait le monarque à saisir les occasions de la modifier, et exposerait l’Empire à de nouvelles convulsions; que l’activité du Corps législatif, en accélérant sa marche sans utilité, l’expose à des résolutions trop subites, inspirées par une éloquence entraînante, ou parla chaleur des opinions, ou enfin par des intrigues étrangères, excitées par les ministres, ou dirigées contre eux ; que ces résolutions précipitées conduiraient bientôt au despotisme ou à l’anarchie; que l’exemple de l’Angleterre, et même celui de l’Amérique, démontrent l’utilité de deux Chambres, et répondent suffisamment aux objections fondées sur la crainte de leurs inconvénients. Ils ajoutent néanmoins, qu’en partageant le Corps législatif en deux Chambres, ce [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] 283 doit être sans égard aux distinctions d’ordre, qui pourraient ramener les dangers d’autant plus redoutables de l’aristocratie, gu’ils auraient le sceau de la légalité, mais en faisant ressortir leur différence de l’influence que l’on attribuerait à chacune d’elle, et de la nature même de leur constitution. C’en est assez, Messieurs, pour vous faire connaître les principaux rapports de la question qui exerce en ce moment vos commissaires : elle est susceptible des plus grands développements, et chacun de ces développements est susceptible lui-même des réflexions les plus graves et les plus sérieuses. Vous les modifierez avec l’application qu’ils exigent. Nous aurons rempli envers vous un premier devoir en la provoquant, et nous en remplirons un autre en accélérant de plus en plus nos travaux. (On applaudit .) M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre fait au nom du même comité un second rapport contenant le résumé des cahiers, en ce qui concerne la constitution. Yoici le texte du rapport: Messieurs, vous êtes appelés à régénérer l’Empire français ; vous apportez à ce grand œuvre et votre propre sagesse, et la sagesse de vos commettants. Nous avons cru devoir d’abord rassembler et vous présenter les lumières éparses dans le plus grand nombre de vos cahiers. Nous vous présenterons ensuite, et les vues particulières de votre comité, et celles qu’il a pu ou pourra recueillir encore dans les divers plans, dans les diverses observations qui lui ont été ou qui lui seront communiqués ou remis par les membres de cette auguste Assemblée. C’est de la première partie de ce travail, Messieurs, que nous allons vous rendre compte. Nos commettants, Messieurs, sont tous d’accord sur un point: ils veulent la régénération de l’Etat; mais les uns l’ont attendue de la simple réforme des abus et du rétablissement d’une constitution existant depuis quatorze siècles, et qui leur a paru pouvoir revivre encore si l’on réparait les outrages que lui ont faits le temps et les nombreuses insurrections de l’intérêt personnel contre l’intérêt public. D’autres ont regardé le régime social existant comme tellement vicié, qu’ils ont demandé une constitution nouvelle, et qu’à l’exception du gouvernement et des formes monarchiques, qu’il est dans le cœur de tout Français de chérir et de respecter, et qu’il vous ont ordonné de maintenir; iis vous ont donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer une constitution, et asseoir sur des principes certains, et sur la distinction et constitution régulière de tous les pouvoirs, la prospérité de l’empire français. Ceux-là, Messieurs, ont cru que le premier chapitre de la constitution devait contenir la déclaration des droits de l’homme; de ces droits imprescriptibles, pour le maintien desquels la société fut établie. > La demande de cette déclaration des droits de l’homme, si constamment méconnus, est, pour ainsi dire, la seule différence qui existe entre les cahiers qui désirent une constitution nouvelle, et ceux qui ne demandent que le rétablissement de ce qu’ils regardent comme la constitution existante. Les uns et les autres ont également tixé leurs idées sur les principes du gouvernement monarchique, sur l’existence du pouvoir et sur l’organisation du Corps législatif, sur la nécessité du consentement national à l’impôt, sur l'organisation des corps administratifs, et sur les droits des citoyens. Nous allons, Messieurs, parcourir ces divers objets, et vous offrir sur chacun d’eux, comme décisions, les résultats uniformes, et comme questions à examiner, les résultats différents ou contradictoires que nous ont présentés ceux de vos cahiers dont il nous a été possible de faire ou de nous procurer le dépouillement. 1° Le gouvernement monarchique, l’inviolabilité de la personne sacrée du Roi, et l’hérédité de la couronne de mâle en mâle, sont également reconnus et consacrés par le plus grand nombre des cahiers, et ne sont mis en question dans aucun. 2° Le Roi est également reconnu comme dépositaire de toute la plénitude du pouvoir exécutif. 3° La responsabilité de tous les agents de l’autorité est demandée généralement. 4» Quelques cahiers reconnaissent au Roi le pouvoir législatif, limité par les lois constitutionnelles et fondamentales du royaume; d’autres reconnaissent que le Roi, dans l’intervalle d’une assemblée d’Etats généraux à l’autre, peut faire seul les lois de police et d’administration qui ne seront que provisoires, et pour lesquelles ils exigent l’enregistrement libre dans les cours souveraines. Un bailliage a même exigé que l'enregistrement ne put avoir lieu qu’avec le consentement des deux tiers des commissions intermédiaires des Assemblées de districts. Le plus grand nombre des cahiers reconnaît la nécessité de la sanction royale pour la promulgation des lois. Quant au pouvoir législatif, la pluralité des cahiers le reconnaît comme résidant dans la représentation nationale, sous la clause de la sanction royale; et il paraît que cette maxime ancienne des capitulaires lex fit consensu populi et constitutione regis, est presque généralement consacrée par vos commettants. Quant à l’organisation de la représentation nationale, les questions sur lesquelles vous avez à prononcer, se rapportent à la convocation, ou à la durée, ou à la composition de la représentation nationale, ou au mode de délibération que lui proposaient vos commettants. • Quant à la convocation, les uns ont déclaré que les Etats généraux ne pouvaient être dissous que par eux-mêmes ; les autres, que le droit de convoquer, proroger et dissoudre, appartenait au Roi, sous la seule condition, en cas de dissolution, de faire sur-le-champ, une nouvelle convocation. Quant à la durée, les uns ont demandé la périodicité des Etats généraux, et ils ont voulu que le retour périodique ne dépendît ni des volontés ni de l’intérêt des dépositaires de l’autorité; d’autres, mais en plus petit nombre, ont demandé la permanence des Etats généraux, de manière que la séparation des membres n’entraînât pas la dissolution des Etats. Le système de la périodicité a fait naître une seconde question: y aura-t-il ou n’y aura-t-il pas de commission intermédiaire pendant l’intervalle des séances? La majorité de vos commettants a regardé l’établissement d’une commission intermédiaire comme un établissement dangereux. Quant à la composition, les uns ont tenu à la séparation des trois ordres ; mais à cet égard, l’extension des pouvoirs qu’ont déjà obtenue plusieurs représentants, laisse sans doute une plus grande latitude pour la solution de cette question.