284 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Vexés par un siège des plus longs, tourmentés par les rebelles du dedans et par les ennemis du dehors, écrasés par les ruines de quarante-deux jours de bombardement et de ca-nonnement, épuisés par les fatigues et par la famine, nos ennemis nous redoutaient encore dans cet état. Nous savons, représentants, que vous ne nous aviez point oubliés ; nous savons que, pendant que nous combattions, vous vous occupiez des mesures pour nous faire passer des secours puissants; mais, par une cruelle fatalité, il a fallu succomber, nous avons dû céder à l’Anglais, notre dernier pain à la main, une place que la force des armes ne nous aurait jamais pu arracher : forcés à l’évacuer, le seul regret que nous ayons eu, c’est celui de voir enlever par le despotisme un pays à la liberté. En quittant nos foyers avec nos familles, nous avons abandonné nos biens; mais la liberté nous reste, et ce bien seul nous suffît; c’est le véritable apanage des républicains. Reçus dans le sein de la mère-patrie, accueillis avec tendresse par les frères du continent, comblés de bienfaits de la république, sensibles à tous ces traits de générosité, nous sentons un vide dans notre coeur, il nous reste encore quelque chose à désirer, c’est la délivrance de notre pays. La France qui, grâce aux mesures sages et vigoureuses que vous avez prises, à votre inébranlable fermeté, à votre vigilance à déjouer toutes les trahisons fait aujourd’hui trembler tous les esclaves des tyrans coalisés, qui pousse ses conquêtes en Italie, aux Pyrénées, au Nord, elle qui a terrassé le monstre du fédéralisme, qui a écrasé l’hydre à jamais renaissante de la Vendée; qui vient encore de faire monter à l’échafaud le plus dangereux des tyrans, l’émule accompli de Pascal Paoli; la France, victorieuse partout ne peut certainement voir avec indifférence que le lâche Anglais domine dans les ports d’un de ses départements, ne peut souffrir qu’une poignée de rebelles insulte impunément et avec sécurité à sa générosité et à sa puissance. Oui, représentants, que l’Anglais apprenne en Corse qu’il a encore affaire aux vainqueurs de Toulon; qu’il éprouve une seconde fois les regrets et la honte qu’il a essuyés en fuyant de ce port. Que la tête de Paoli et de ses vils satellites tombe ; que les malheureux patriotes de l’intérieur de la Corse, dont les jours sont menacés et tranchés à chaque instant par le glaive meurtrier d’un despote, soient délivrés de l’oppression où ils gémissent ; qu’il soit fait justice des traîtres dans tous les lieux témoins de leurs perfidies et de leurs atrocités ; que la Corse, en un mot soit rendue à l’unité et à la république ; voilà, représentants, l’unique objet de nos voeux, voilà la seule récompense que nous demandons de votre justice pour notre dévouement à la mère-patrie. Suivent un grand nombre de signatures (fil). (67) Moniteur, XXII, 151. Bull., 14 vend, (suppl. 2). 48 Une députation de la section des Droits de l'Homme [Paris] est admise à la barre au nom des mères et épouses des canonniers de cette section, prévenus d’avoir participé à la rébellion de la commune, dans la journée du 9 thermidor, demandent leur prompt jugement. Renvoyé au comité de Sûreté générale (68). Clauzel annonce que le rapport du comité de Sûreté générale sera fait sans délai (69). 49 Un membre du comité de Sûreté générale [CLAUZEL] donne lecture, au nom de ce comité, d’une lettre à lui adressée sous la date du 10 vendémiaire, par les repré-sentans du peuple Charlier et Pocholle, envoyés à Commune-Affranchie, dans laquelle ils marquent qu’ils auroient désiré que le comité eût recueilli, du citoyen chargé du soin de conduire le nommé De-grosse, de tous les renseignemens qu’il de-voit donner sur la conduite et le caractère de cet individu : au reste, disent-ils, la lettre, l’interrogatoire et les pièces transmises, démontreront assez quels étoient les projets de ce soi-disant général. Ils ajoutent qu’ils tiennent un autre fourbe nommé Dutel, à-peu-près dans le même genre de Grosse, qui, sous le nom de général français, servoit des émigrés dont il étoit l’agent, avec le titre emprunté de major; il paraît avoir été, dans Commune-Affranchie, l’instrument d’une faction non moins dangereuse que l’aristocratie de Coblentz. Il fut arrêté dans la nuit : il avoit déjà fait la ronde de plusieurs postes ; et, à l’aide de son prétendu grade, revêtu d’un hausse-col, enveloppé d’un manteau et armé d’un sabre, il avoit réussi à en détacher une partie de volontaires dont il se faisoit suivre : interrogé, il s’est trouvé un ancien commissaire de section, un de ceux remplacés par les représentans Reverchon et Laporte, qui regrète sans doute amèrement les pouvoirs dont il étoit revêtu, quoiqu’il ait déclaré n’avoir eu aucune mauvaise intention. Les représentans pensent que son but étoit de favoriser un mouvement, à l’aide duquel le nommé Berger, envoyé au comité, se seroit échappé de la maison de détention; une foule de rapprochemens les confirment dans ces conjectures : ils demandent au comité ce qu’ils doivent en faire. Les représentans Charlier et Pocholle terminent par dire que l’histoire de (68) P.-V., XL VI, 271. (69) Gazette Fr., n° 1007; M. U., XLIV, 204. SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N° 50 285 cette commune peut se tracer en deux mots, qui sont la clef de toutes leurs opérations. Les immenses richesses avoient corrompu ceux qui les avoient acquises, elles ont dépravé ceux qui s’en sont attribué la conquête. Que justice soit faite des fripons ; que le peu qui reste échappe à leur espoir, et l'ordre y renaîtra infailliblement. Insertion au bulletin (70). [Charlier et Pocholle, représentants du peuple, envoyés à Commune-Affranchie et dans le département de Rhône-et-Loire, au comité de Salut public, le 10 vendémiaire an III] (71) Citoyens collègues, le citoyen auquel nous avions confié le soin de conduire devant vous le nommé Degrosse vient de nous rendre compte de sa mission. Nous avons appris avec peine que vos immenses occupations ne vous avaient pas permis de recueillir de lui les renseignements qu’il devait vous donner sur la conduite et le caractère de cet individu. Au reste la lettre que nous vous avons écrite à ce sujet, l’interrogatoire que nous lui avons fait subir et toutes les pièces que nous vous avons transmises, vous démontreront assez quels étaient les projets de ce soit disant général, et sous quel étendard il était réellement rangé. Nous tenons ici un autre fourbe à peu près dans le même genre. Degrosse, sous le nom de général français, servait les émigrés dont il était l’agent; et celui dont nous vous parlons, sous le titre emprunté de major nous paraît avoir été dans Commune-Affranchie l’instrument d’une faction non moins dangereuse que l’aristocratie de Coblentz. Il fut arrête dans la nuit du... par les postes de cette commune. Il avait déjà fait la ronde de plusieurs, et, à l’aide de son prétendu garde, revêtu d’un hausse-col, enveloppé d’un manteau, et armé d’un sabre, il avait réussi à en détacher une partie de volontaires dont il se faisait suivre. Nous l’avons interrogé le lendemain. C’est un ancien commissaire de section, un de ceux que nos collègues Reverchon et Laporte ont remplacés, et qui comme beaucoup d’autres, regrettent sans doute amèrement les pouvoirs dont ils s’étaient revêtus. Quoiqu’il nous ait déclaré qu’il n’avait eu aucune mauvaise intention en usurpant un titre et en remplissant des fonctions qu’aucune autorité ne lui avait déléguées, nous ne pouvons ajouter foi à ses magnifiques protestations ; nous pensons que son but était de favoriser un mouvement, à l’aide duquel le nommé Berger, que nous vous avons envoyé et qui devait partir cette nuit même, se serait échappé de la maison où il était détenu. Une sorte de rapprochement et les relations habituelles de ces individus confirment nos (70) P.-V., XL VI, 271-272. (71) Moniteur, XXII, 151-152; Débats, n" 744, 218-219 Bull., 14 vend, (suppl. 2); Ann. R. F., n“ 13; C. Eg., n“ 777 F. de la Républ., n 14; J. Paris, n° 14; Mess. Soir, n° 777 M. U., XLIV, 245-246; Rép., n” 15. conjectures. Nous n’avons encore pris à son égard d’autres mesures que celle de l’arrestation. Nous vous invitons à nous dire ce que nous en devons faire; son nom est Dutel. Si vous croyez qu’il doive être envoyé au tribunal, il partira de suite. Nous sommes à la recherche de ceux qui lui avaient conseillé un rôle qui lui a si mal réussi. Leur parti est nombreux, mais nous faisons tous nos efforts pour en découvrir les chefs et pour réduire les subalternes à l’impuissance. L’histoire de cette commune peut se tracer en deux mots, et ces deux mots doivent être la clef de toutes nos opérations : les immenses richesses avaient corrompu ceux qui les avaient acquises ; elles ont dépravé ceux qui s’en sont attribué la conquête. Que justice soit faite des fripons ; que le peu qui reste échappe à leur espoir, et l’ordre y renaîtra infailliblement. Signé : L.-J. Charlier et Pocholle. 50 Un secrétaire fait lecture d’une adresse des membres du conseil-général de Commune-Affranchie [Rhône], par laquelle ils disent que, lorsque la République eut triomphé des royalistes sous les murs de Lyon, Précy et ses satellites avoient disparu, et les restes impurs du fédéralisme étoient tombés sous le glaive de la loi ; mais que le génie impie de la domination veilloit encore, pour le malheur de cette cité, que Robespierre et Couthon avoient choisie pour un des principaux foyers de la rébellion qu’ils tramoient contre la souveraineté du peuple. Tandis que leurs concitoyens es-sayoient de rappeler la sollicitude de la Convention nationale et juroient de faire oublier leurs fautes à force de vertus, un nouveau genre de persécution s’établissoit sous le masque hypocrite du patriotisme. Vous avez, législateurs, disent-ils, fait votre révolution le 9 thermidor, sauvez aussi Commune-Affranchie ; soyez aussi généreux que la vengeance nationale a été sévère; rendez à cette commune ses liaisons commerciales; rendez-lui son ancien lustre avec son nom : votre clémence donnera une nouvelle vie à cent mille individus. Ils terminent par inviter la Convention nationale à rester à son poste jusqu’à ce que la République soit assise sur des bases inébranlables, et jurent de poursuivre sans relâche les aristocrates, les intrigans, les désorga-nisateurs, les dUapidateurs, les amis de Robespierre et Couthon, et de ne connoître que la Convention nationale et la République une, indivisible et démocratique. Mention honorable, insertion au bulletin (72). (72) P.-V., XLVI, 272-273. Ann. R. F., n“ 13 ; C. Eg., n" 777 ; F. de la Républ., n° 14; J. Paris, n° 14; Mess. Soir, n 777; Rép., n° 15.