246 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE sur un projet de décret relatif aux rentes viagères, et la Convention nationale en décrète quelques articles, et ajourne le surplus à demain (1). CAMBON : Citoyens, Je viens soumettre à la discussion la loi sur la liquidation des rentes viagères. Depuis le 2 germinal, époque de la première lecture de ce projet, nous avons recueilli toutes les observations auxquelles il a donné lieu. Personne n’a pu en attaquer les principes ni les conséquences. Notre but a été de réduire le taux usuraire des rentes viagères que le despotisme avait singulièrement accru, en les soumettant à une opération semblable à celle que vous avez décrétée pour les rentes perpétuelles. Nous vous proposons de les réduire à 5 % d’intérêt. Une seule observation majeure a été faite : la répartition du capital sur plusieurs têtes n’a pas paru claire; pour faire concevoir cette opération, nous avons joint au rapport 10 à 12 exemples qui la rendront sensible. Deux seuls amendements ont paru justes; nous les avons mis dans le décret. Plusieurs personnes ont fait entendre des plaintes; on a dit que nous réduisions leurs rentes : il ne nous a pas été difficile de faire voir combien ces clameurs étaient mal fondées. En effet, nous ne retranchons rien de la totalité du revenu de l’homme au-dessus de cinquante ans; sa rente viagère peut être considérée comme le fruit de son travail et de ses économies. Nous retranchons peu à celui qui a atteint l’âge de quarante ans; quant à ceux qui ont placé sur de jeunes têtes, ils n’ont point lieu de se plaindre; ils peuvent opter, ou de souffrir la réduction de leur rente viagère ou de la conserver entière en profitant de la faveur accordée à leur âge (2) . CAMBON annonce une bonification de 245 millions pour le trésor public, de grands avantages pour les rentiers, et une heureuse simplification dans la comptabilité. Le projet porte 2 bases principales : 1°) la conversion des rentes viagères en un capital qui sera inscrit sur le grand livre à 5 % d’intérêt; 2°) la faculté de conserver une certaine quantité de revenu viager conformément aux besoins de l’âge. Pour convertir le viager en capital, le Comité a fait établir des tables d’après un ordre moyen de mortalité, conformément à l’âge que chaque rentier doit vivre, en suivant l’ordre de la nature. Le rapporteur fait d’abord adopter plusieurs modifications au décret du 1er germinal sur le paiement des arrérages. Un article porte que les naturels Suisses produiront des certificats de vie délivrés par les magistrats de leur résidence. H présente ensuite les articles de la liquidation (1) P.V., XXXVII, 147. Décret n° 9113. Mention dans J. Sablier, n° 1313; Débats, n° 599, p. 301; Mess, soir, n° 531; J. Mont., n° 16; J. Matin, n° 690; J. Paris, n° 497; Rép., n° 143; Feuille Rép., n° 313; J. Sans-Culottes, n° 451; C. Eg., n° 632; Audit, nat., n° 596; J. TJniv., n° 1631. Voir ci-après, séance du 23, n° 59; voir Archives pari., T. LXXXVTI, séances : du 1er germ., n° 78; du 2, n° 40; du 6, n° 58; du 9, n° 55; du 13, n° 16; du 16, n° 30; du 21, Annexe II; du 23, nos 24 et 69; du 27, n° 69. (2) Mon., XX, 442-443. des rentes viagères et de leur conversion en un capital; les articles suivants sont décrétés : Art. I. Il sera formé un capital du produit de toutes les rentes viagères de la République d’après les propositions et bases établies aux tables jointes au présent décret. Les tables sont annexées au décret. Art. II. Dans aucun cas le capital ne pourra excéder la somme qui aura été fournie dans l’emprunt. Art. III. Les propriétaires de rentes et intérêts viagers seront crédités sur le grand livre à 5 % d’intérêt, sauf les exceptions ci-après : Art. IV. Les propriétaires des rentes viagères pourront convertir ce capital en une rente viagère qui ne pourra pourtant pas excéder 1 000 livres s’ils sont âgés de 30 ans et au-dessous, 1 500 liv. de 30 à 40 ans, 2 000 liv. de 40 à 50 ans, 3 000 liv. de 50 à 60 ans, 4 000 liv. de 60 à 70 ans, 5 000 liv. de 70 à 80 ans, 7 500 liv. de 80 à 90 ans, 10 000 liv. de 90 ans et au-dessus (1). 49 PREMIER RAPPORT FAIT AU NOM DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC Sur le moyen d’extirper la mendicité dans les campagnes, et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigens BARERE : Citoyens, Je viens exciter de nouveau votre patriotisme et vous rappeler le plus saint de vos devoirs. Je dois vous parler des indigens dont le spectacle afflige encore la République. Il y a peu de jours vous applaudissiez à ces paroles : « Les malheureux sont les puissances de la terre; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvememens qui les négligent. Ces principes sont éversifs des gouvememens corrompus; ils détruiroient le votre, si vous le laissiez corrompre ». Les Comités de salut public et de sûreté générale qui ont publié cet axiome terrible devant les représentans du peuple, ne doivent pas attendre que le peuple leur en reproche la stérile publication, ou l’inexécution des devoirs qu’il leur impose. Aussi le Comité vient vous parler aujourd’hui des indigens : à ce nom sacré, mais qui sera bientôt inconnu à la République, il compte sur vos efforts à le faire oublier. Tandis que le canon gronde sur toutes nos frontières, un fléau redoutable, la lèpre des monarchies, la mendicité, fait des progrès effrayans dans l’intérieur de la République. La propagation de cette maladie politique et morale n’a pas de principe plus actif que la guerre, d’agens plus dangereux que les factions, de moyens plus puis-sans que le désordre des affaires publiques, et de perpétuité plus assurée que l’indifférence du législateur. Eh bien ! ce sera une belle époque pour la Convention d’avoir aboli la mendicité au milieu des fureurs de la guerre. La mendicité est une dénonciation vivante con-(1) Ann. R.F., n° 163; J. Fr., n° 595. 246 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE sur un projet de décret relatif aux rentes viagères, et la Convention nationale en décrète quelques articles, et ajourne le surplus à demain (1). CAMBON : Citoyens, Je viens soumettre à la discussion la loi sur la liquidation des rentes viagères. Depuis le 2 germinal, époque de la première lecture de ce projet, nous avons recueilli toutes les observations auxquelles il a donné lieu. Personne n’a pu en attaquer les principes ni les conséquences. Notre but a été de réduire le taux usuraire des rentes viagères que le despotisme avait singulièrement accru, en les soumettant à une opération semblable à celle que vous avez décrétée pour les rentes perpétuelles. Nous vous proposons de les réduire à 5 % d’intérêt. Une seule observation majeure a été faite : la répartition du capital sur plusieurs têtes n’a pas paru claire; pour faire concevoir cette opération, nous avons joint au rapport 10 à 12 exemples qui la rendront sensible. Deux seuls amendements ont paru justes; nous les avons mis dans le décret. Plusieurs personnes ont fait entendre des plaintes; on a dit que nous réduisions leurs rentes : il ne nous a pas été difficile de faire voir combien ces clameurs étaient mal fondées. En effet, nous ne retranchons rien de la totalité du revenu de l’homme au-dessus de cinquante ans; sa rente viagère peut être considérée comme le fruit de son travail et de ses économies. Nous retranchons peu à celui qui a atteint l’âge de quarante ans; quant à ceux qui ont placé sur de jeunes têtes, ils n’ont point lieu de se plaindre; ils peuvent opter, ou de souffrir la réduction de leur rente viagère ou de la conserver entière en profitant de la faveur accordée à leur âge (2) . CAMBON annonce une bonification de 245 millions pour le trésor public, de grands avantages pour les rentiers, et une heureuse simplification dans la comptabilité. Le projet porte 2 bases principales : 1°) la conversion des rentes viagères en un capital qui sera inscrit sur le grand livre à 5 % d’intérêt; 2°) la faculté de conserver une certaine quantité de revenu viager conformément aux besoins de l’âge. Pour convertir le viager en capital, le Comité a fait établir des tables d’après un ordre moyen de mortalité, conformément à l’âge que chaque rentier doit vivre, en suivant l’ordre de la nature. Le rapporteur fait d’abord adopter plusieurs modifications au décret du 1er germinal sur le paiement des arrérages. Un article porte que les naturels Suisses produiront des certificats de vie délivrés par les magistrats de leur résidence. H présente ensuite les articles de la liquidation (1) P.V., XXXVII, 147. Décret n° 9113. Mention dans J. Sablier, n° 1313; Débats, n° 599, p. 301; Mess, soir, n° 531; J. Mont., n° 16; J. Matin, n° 690; J. Paris, n° 497; Rép., n° 143; Feuille Rép., n° 313; J. Sans-Culottes, n° 451; C. Eg., n° 632; Audit, nat., n° 596; J. TJniv., n° 1631. Voir ci-après, séance du 23, n° 59; voir Archives pari., T. LXXXVTI, séances : du 1er germ., n° 78; du 2, n° 40; du 6, n° 58; du 9, n° 55; du 13, n° 16; du 16, n° 30; du 21, Annexe II; du 23, nos 24 et 69; du 27, n° 69. (2) Mon., XX, 442-443. des rentes viagères et de leur conversion en un capital; les articles suivants sont décrétés : Art. I. Il sera formé un capital du produit de toutes les rentes viagères de la République d’après les propositions et bases établies aux tables jointes au présent décret. Les tables sont annexées au décret. Art. II. Dans aucun cas le capital ne pourra excéder la somme qui aura été fournie dans l’emprunt. Art. III. Les propriétaires de rentes et intérêts viagers seront crédités sur le grand livre à 5 % d’intérêt, sauf les exceptions ci-après : Art. IV. Les propriétaires des rentes viagères pourront convertir ce capital en une rente viagère qui ne pourra pourtant pas excéder 1 000 livres s’ils sont âgés de 30 ans et au-dessous, 1 500 liv. de 30 à 40 ans, 2 000 liv. de 40 à 50 ans, 3 000 liv. de 50 à 60 ans, 4 000 liv. de 60 à 70 ans, 5 000 liv. de 70 à 80 ans, 7 500 liv. de 80 à 90 ans, 10 000 liv. de 90 ans et au-dessus (1). 49 PREMIER RAPPORT FAIT AU NOM DU COMITÉ DE SALUT PUBLIC Sur le moyen d’extirper la mendicité dans les campagnes, et sur les secours que doit accorder la République aux citoyens indigens BARERE : Citoyens, Je viens exciter de nouveau votre patriotisme et vous rappeler le plus saint de vos devoirs. Je dois vous parler des indigens dont le spectacle afflige encore la République. Il y a peu de jours vous applaudissiez à ces paroles : « Les malheureux sont les puissances de la terre; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvememens qui les négligent. Ces principes sont éversifs des gouvememens corrompus; ils détruiroient le votre, si vous le laissiez corrompre ». Les Comités de salut public et de sûreté générale qui ont publié cet axiome terrible devant les représentans du peuple, ne doivent pas attendre que le peuple leur en reproche la stérile publication, ou l’inexécution des devoirs qu’il leur impose. Aussi le Comité vient vous parler aujourd’hui des indigens : à ce nom sacré, mais qui sera bientôt inconnu à la République, il compte sur vos efforts à le faire oublier. Tandis que le canon gronde sur toutes nos frontières, un fléau redoutable, la lèpre des monarchies, la mendicité, fait des progrès effrayans dans l’intérieur de la République. La propagation de cette maladie politique et morale n’a pas de principe plus actif que la guerre, d’agens plus dangereux que les factions, de moyens plus puis-sans que le désordre des affaires publiques, et de perpétuité plus assurée que l’indifférence du législateur. Eh bien ! ce sera une belle époque pour la Convention d’avoir aboli la mendicité au milieu des fureurs de la guerre. La mendicité est une dénonciation vivante con-(1) Ann. R.F., n° 163; J. Fr., n° 595. SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 247 tre le gouvernement; c’est une accusation ambulante qui s’élève tous les jours au milieu des places publiques, du fond des campagnes, et du sein de ces tombeaux de l’espèce humaine, décorés par la monarchie du nom d’hôtel-dieu et d’hôpitaux. Cependant la mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire. Ce mot honteux de mendiant ne fut jamais écrit dans le dictionnaire du républicain, et le tableau de la mendicité n’a été jusqu’à présent sur la terre que l’histoire de la conspiration des grands propriétaires contre les hommes qui n’ont rien. Laissons à l’insolent despotisme la fastueuse construction des hôpitaux pour engloutir les malheureux qu’il a faits, et pour soutenir momentanément des esclaves qu’il n’a pu dévorer. Cette horrible générosité du despotisme aide encore à tromper les peuples et à les tenir sous le joug. Quand les mendians se multiplient chez le des-poste, quand ils choquent la vue, qu’ils lui donnent quelqu’inquiétude, des maréchaussées, des édits, des prisons sont sa réponse aux besoins de l’humanité malheureuse. Que les orgueilleuses monarchies fassent donc de loin en loin quelques règlemens sur la mendicité, plutôt pour la punir que pour la soulager, pour en perpétuer la dépendance que pour en faire disparoître les dangers, cela convient au gouvernement d’un seul. Les mendians, toujours isolés et naturellement lâches, parce que ce vil métier avilit l’âme et flétrit le courage; les mendians, isolés, ne lui inspirent pas d’effroi; les mendians dévorés par le besoin ou par la crapule, jetés ou fondus dans les hôpitaux, ne donnent au monarque ni regrets ni remords. Mais dans une République, rien de ce qui regarde l’humanité ne peut lui être étranger; tout ce qui peut établir la dépendance d’homme à homme y doit être proscrit; le travail doit être honoré; l’enfance accueillie, élevée, la vieillesse respectée et nourrie; l’infirmité guérie et soulagée. Là où le cœur du citoyen palpite pour une Patrie, les vagissemens de l’enfant abandonné appellent cette même Patrie à son secours; homme, il sollicite du travail; infirme, il appelle la bienfaisance nationale; vieux, il a droit au repos, aux égards et aux secours publics; ils doivent embrasser les générations qui commencent et celles qui finissent. Ce n’est pas assez pour le peuple d’abattre les factions, de saigner le commerce riche, de démolir les grandes fortunes; ce n’est pas assez de renverser les hordes étrangères, de rappeler le règne de la justice et de la vertu; il faut encore faire disparoître du sol de la République la servilité des premiers besoins, l’esclavage de la misère et cette trop hideuse inégalité parmi les hommes, qui fait que l’un a toute l’intempérance de la fortune, et l’autre toutes les angoisses du besoin. Le despotisme avoit l’ostentation et le luxe du riche qui fait l’aumône; la République doit avoir l’abondance et l’obscurité de la nature qui répand chaque jour ses bienfaits. Le monarque trompoit la misère, en lui donnant des administrateurs et des palais; la Convention doit faire disparoître l’indigence, en distribuant des secours dans les domiciles peu fortunés. C’est sur l’humble chaumière que vous devez surtout porter aujourd’hui vos regards; c’est sur les habitans des campagnes, pauvres et industrieux, qui ne trouvent que le travail après le travail, le dédain dans l’infirmité et l’oubli dans la vieillesse, que la rosée républicaine doit se répandre. Qu’ont fait jusqu’à ce moment les législateurs pour la misère des campagnes ? Quelles institutions ont-ils faites pour ces laboureurs domestiques, ces ouvriers agricoles, ces artisans rustiques, parvenus à la vieillesse ? Quelle dette la République a-t-elle payée à ces créanciers de la nature et de la société, qui ont fertilisé l’une pour enrichir l’autre ? Le silence morne des campagnes et les larmes stériles de quelques vieillards nous répondent. Citoyens, jamais la fortune publique n’a été élevée au point où elle est dans ce moment. Riche de liberté, riche de population, riche de domaines, la République compte pour l’améliarotion du sort des citoyens peu fortunés, les milliards que les riches comptoient pour la contre-révolution. Ceux qui ont voulu assassiner la liberté l’ont enrichie. C’est à la Convention à réparer les injustices des lois monarchiques, à faire disparoître la grande inégalité des fortunes, à effacer le nom de pauvre des annales de la République, à bannir la mendicité par la bienfaisance, et à rappeler fortement tous les citoyens aux droits de l’humanité, et aux devoirs du travail. Vous avez déjà posé une grande base pour l’abolition de l’indigence dans le décret du 26 ventôse, présenté par le Comité; vous avez demandé à tous les agens nationaux près les communes, le tableau des citoyens qui sont sans propriété aucune, et l’état des biens nationaux encore invendus dont la division en petites parties, en forme de ventes nationales, peut rattacher tous les citoyens à la propriété et à la Patrie, et restituer à la terre des bras oisifs et robustes, et des familles perdues ou amolies dans des ateliers et dans les villes. Déjà les Comités de sûreté-générale et de salut public ont reçu, en vertu du décret des 8 et 13 ventôse, environ quarante mille décisions des Comités révolutionnaires sur les détenus, et ils se flattent qu’avant six semaines, ils vous feront connoître le tableau nominatif de la population indigente dans toute la République, pour lui porter des secours en propriété ou en bienfaisance nationale. Les décrets du mois de ventôse ont voulu faire tourner la révolution au profit de ceux qui la soutiennent, à la ruine de ceux qui la combattent, et soulager les malheureux avec les biens des ennemis de la République : aussi cette loi porte que toutes les communes de la République dresseront un état des patriotes indigens qu’elles renferment, avec leurs noms, leur âge, leur profession, le nombre et l’âge de leurs enfans. Une quantité considérable de municipalités sont en retard, et la plupart de celles qui ont satisfait au décret, l’ont fait d’une manière imparfaite : nous les accusons ici hautement, au nom de l’indigence; et si cette accusation solennelle n’étoit pas entendue de chaque municipalité, et ne retentissoit pas au milieu de chaque commune, la loi, forte de la voix et des droits du malheur, viendroit les punir de leur indifférence coupable envers les indigens. Le premier travail dont s’occupe le bureau des indigens est de classer tous les difîérens états, de les analyser et de présenter à la Convention nationale une première masse des indigens de la SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 247 tre le gouvernement; c’est une accusation ambulante qui s’élève tous les jours au milieu des places publiques, du fond des campagnes, et du sein de ces tombeaux de l’espèce humaine, décorés par la monarchie du nom d’hôtel-dieu et d’hôpitaux. Cependant la mendicité est incompatible avec le gouvernement populaire. Ce mot honteux de mendiant ne fut jamais écrit dans le dictionnaire du républicain, et le tableau de la mendicité n’a été jusqu’à présent sur la terre que l’histoire de la conspiration des grands propriétaires contre les hommes qui n’ont rien. Laissons à l’insolent despotisme la fastueuse construction des hôpitaux pour engloutir les malheureux qu’il a faits, et pour soutenir momentanément des esclaves qu’il n’a pu dévorer. Cette horrible générosité du despotisme aide encore à tromper les peuples et à les tenir sous le joug. Quand les mendians se multiplient chez le des-poste, quand ils choquent la vue, qu’ils lui donnent quelqu’inquiétude, des maréchaussées, des édits, des prisons sont sa réponse aux besoins de l’humanité malheureuse. Que les orgueilleuses monarchies fassent donc de loin en loin quelques règlemens sur la mendicité, plutôt pour la punir que pour la soulager, pour en perpétuer la dépendance que pour en faire disparoître les dangers, cela convient au gouvernement d’un seul. Les mendians, toujours isolés et naturellement lâches, parce que ce vil métier avilit l’âme et flétrit le courage; les mendians, isolés, ne lui inspirent pas d’effroi; les mendians dévorés par le besoin ou par la crapule, jetés ou fondus dans les hôpitaux, ne donnent au monarque ni regrets ni remords. Mais dans une République, rien de ce qui regarde l’humanité ne peut lui être étranger; tout ce qui peut établir la dépendance d’homme à homme y doit être proscrit; le travail doit être honoré; l’enfance accueillie, élevée, la vieillesse respectée et nourrie; l’infirmité guérie et soulagée. Là où le cœur du citoyen palpite pour une Patrie, les vagissemens de l’enfant abandonné appellent cette même Patrie à son secours; homme, il sollicite du travail; infirme, il appelle la bienfaisance nationale; vieux, il a droit au repos, aux égards et aux secours publics; ils doivent embrasser les générations qui commencent et celles qui finissent. Ce n’est pas assez pour le peuple d’abattre les factions, de saigner le commerce riche, de démolir les grandes fortunes; ce n’est pas assez de renverser les hordes étrangères, de rappeler le règne de la justice et de la vertu; il faut encore faire disparoître du sol de la République la servilité des premiers besoins, l’esclavage de la misère et cette trop hideuse inégalité parmi les hommes, qui fait que l’un a toute l’intempérance de la fortune, et l’autre toutes les angoisses du besoin. Le despotisme avoit l’ostentation et le luxe du riche qui fait l’aumône; la République doit avoir l’abondance et l’obscurité de la nature qui répand chaque jour ses bienfaits. Le monarque trompoit la misère, en lui donnant des administrateurs et des palais; la Convention doit faire disparoître l’indigence, en distribuant des secours dans les domiciles peu fortunés. C’est sur l’humble chaumière que vous devez surtout porter aujourd’hui vos regards; c’est sur les habitans des campagnes, pauvres et industrieux, qui ne trouvent que le travail après le travail, le dédain dans l’infirmité et l’oubli dans la vieillesse, que la rosée républicaine doit se répandre. Qu’ont fait jusqu’à ce moment les législateurs pour la misère des campagnes ? Quelles institutions ont-ils faites pour ces laboureurs domestiques, ces ouvriers agricoles, ces artisans rustiques, parvenus à la vieillesse ? Quelle dette la République a-t-elle payée à ces créanciers de la nature et de la société, qui ont fertilisé l’une pour enrichir l’autre ? Le silence morne des campagnes et les larmes stériles de quelques vieillards nous répondent. Citoyens, jamais la fortune publique n’a été élevée au point où elle est dans ce moment. Riche de liberté, riche de population, riche de domaines, la République compte pour l’améliarotion du sort des citoyens peu fortunés, les milliards que les riches comptoient pour la contre-révolution. Ceux qui ont voulu assassiner la liberté l’ont enrichie. C’est à la Convention à réparer les injustices des lois monarchiques, à faire disparoître la grande inégalité des fortunes, à effacer le nom de pauvre des annales de la République, à bannir la mendicité par la bienfaisance, et à rappeler fortement tous les citoyens aux droits de l’humanité, et aux devoirs du travail. Vous avez déjà posé une grande base pour l’abolition de l’indigence dans le décret du 26 ventôse, présenté par le Comité; vous avez demandé à tous les agens nationaux près les communes, le tableau des citoyens qui sont sans propriété aucune, et l’état des biens nationaux encore invendus dont la division en petites parties, en forme de ventes nationales, peut rattacher tous les citoyens à la propriété et à la Patrie, et restituer à la terre des bras oisifs et robustes, et des familles perdues ou amolies dans des ateliers et dans les villes. Déjà les Comités de sûreté-générale et de salut public ont reçu, en vertu du décret des 8 et 13 ventôse, environ quarante mille décisions des Comités révolutionnaires sur les détenus, et ils se flattent qu’avant six semaines, ils vous feront connoître le tableau nominatif de la population indigente dans toute la République, pour lui porter des secours en propriété ou en bienfaisance nationale. Les décrets du mois de ventôse ont voulu faire tourner la révolution au profit de ceux qui la soutiennent, à la ruine de ceux qui la combattent, et soulager les malheureux avec les biens des ennemis de la République : aussi cette loi porte que toutes les communes de la République dresseront un état des patriotes indigens qu’elles renferment, avec leurs noms, leur âge, leur profession, le nombre et l’âge de leurs enfans. Une quantité considérable de municipalités sont en retard, et la plupart de celles qui ont satisfait au décret, l’ont fait d’une manière imparfaite : nous les accusons ici hautement, au nom de l’indigence; et si cette accusation solennelle n’étoit pas entendue de chaque municipalité, et ne retentissoit pas au milieu de chaque commune, la loi, forte de la voix et des droits du malheur, viendroit les punir de leur indifférence coupable envers les indigens. Le premier travail dont s’occupe le bureau des indigens est de classer tous les difîérens états, de les analyser et de présenter à la Convention nationale une première masse des indigens de la 248 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE République. Ce travail seroit peu satisfaisant, et ne rempliroit pas le vœu de cette loi aussi bienfaisante et aussi digne d’une grande nation, si le Comité ne venoit se plaindre à cette tribune des imperfections et des négligences qu’il présente. On ne peut ajouter une foi aveugle à tous ces états plus ou moins irréguliers; il ne faut pas qu’une partie des biens des ennemis de la révolution tombe dans des mains qui ne seroient point assez pures pour recevoir de pareils bienfaits, ou qu’elle soit distribuée à des citoyens qui ne peuvent en jouir qu’au préjudice des véritables indi-gens. Plusieurs lettres des agens nationaux de district témoignent quelques craintes à ce sujet. Les uns dénoncent la mauvaise volonté des municipalités en retard; les autres leur ignorance, et d’autres enfin, des bruits répandus par des mal-veillans pour faire croire aux habitans des campagnes que le but de ces états est de faire con-noître les indigens, pour les transporter à la Vendée, ou pour les mettre en état de réclusion. Jamais l’aristocratie, dans sa furieuse agonie, n’employa des moyens plus perfides pour dénaturer les intentions bienfaisantes et paternelles de la Convention nationale dans ce décret qui l’immortalise. Citoyens indigens, êtres sacrés pour le Législateur d’un Peuple libre, non, ce n’est point à vous à parler de déportation, de réclusion et à la craindre; elle ne convient qu’à ceux qui calomnient la Convention, qu’à ceux qui n’ont jamais eu d’entrailles ni des richesses pour le pauvre, et qui veulent, en périssant, exaspérer sa misère ou désespérer son courage. Une instruction adressée aux agens nationaux des districts sera très-efficace pour détruire ces rêves sinistres de l’aristocratie expirante. On chargera ces derniers de nommer des commissaires patriotes et éclairés dans les différens cantons de leurs arrondissemens; ceux-ci s’y transporteront, presseront la confection de tous ces états dans un délai fatal, sous la responsabilité des municipalités : ils y feront porter la population des communes, dont la connoissance n’est point indifférente dans cette circonstance, pour comparer le nombre des indigens avec celui de la population; ils rassureront les habitans des campagnes sur les bruits perfides répandus par les ennemis de la liberté; ils prendront des ren-seignemens certains sur l’indigence des personnes portées sur les états ou qui auroient été oubliées, et enfin ils s’attacheront particulièrement à s’assurer du patriotisme de ces citoyens auprès des sociétés populaires. Par cette mesure, de nouveaux états mieux disposés seront fournis, et pourront servir de bases plus justes pour le rapport à faire par le Comité de salut public sur les moyens d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la révolution. Ces nouveaux états indiqueront, sous 3 colonnes : 1°) les indigens; 2°) ceux infirmes; 3°) ceux chargés de famille. L’ancien régime faisoit travailler à des états de population, mais c’étoit pour les décimer par les milices, et pour les imposer à l’humiliante capitation. La Convention nationale aura de meilleurs tableaux de population, pour les couvrir de bienfaisance, et pour leur imposer le travail honorable de l’agriculture. Le despotisme dénombroit les hommes comme de vils troupeaux; la liberté compte les indigens et les malheureux comme des êtres respectables et sacrés. En jetant les yeux sur l’état de la République arrachée des mains du despotisme, vous apercevrez facilement qu’il y a deux moyens de le faire oublier : le premier est de déblayer les ruines de la royauté, en secourant les indigens qu’elle avoit faits; le second, c’est de préparer les mesures qui doivent empêcher l’indigence de reparoître sur le sol de la République. Quant aux moyens de secourir les indigens actuellement existans, le Comité a distingué les citoyens au-dessous de l’âge de 60 ans, et ceux qui sont âgés de 60 années et au-dessus. Les bienfaits territoriaux ne peuvent être accordés qu’à ceux qui ont des forces pour cultiver la terre; ceux que l’âge éloigne du travail des champs, ou qui ont épuisé leurs forces en travaillant pour l’agriculture, doivent obtenir un repos honorable, et des secours proportionnés à leurs premiers besoins. Nous préparons deux autres rapports : l’un, sur les moyens de distribuer les secours territoriaux; l’autre, sur les moyens prompts et efficaces de déblayer la mendicité dans les villes. Ce dernier rapport sera fait dans peu de jours; nous nous bornerons aujourd’hui aux indigens dans les villages. La mendicité blesse votre délicatesse ou affecte vos sens dans les cités; mais elle reflue toujours dans les campagnes; c’est à ses habitans qu’elle est vraiment onéreuse; c’est dans les villages qu’elle porte ses dangers et son effroi. Dans les villes, on en a fait un spectacle journalier pour exciter la pitié ou pour favoriser la paresse; mais, avant peu de jours, nous vous aurons présenté les moyens de ne plus laisser sur nos places publiques, sur les passages mêmes de la Convention, le spectacle de ces plaies hideuses, de ces spectres mendians, de ces aumônes avilissantes, et de ces citoyens couverts de haillons, qui accusent la révolution et déshonorent la République. Vous devez aujourd’hui poser une seconde base, et c’est pour l’abolition de l’indigence existante dans les campagnes; vous aurez en même temps récompensé le travail, honoré la vieillesse, et porté le nom consolateur de la République dans la cabane du pauvre et dans la chaumière de l’indigent. La bénédiction du Peuple, la prospérité des familles malheureuses et la fertilité de la terre sont la seule récompense digne des travaux et des dangers de la Convention nationale. Mais avant que de vous développer les idées du Comité sur la mesure des secours publics à verser sur les campagnes et sur les premiers arts, c’est-à-dire sur les plus utiles, je vais vous exposer rapidement le tableau des opérations de la Commission que vous avez formée. Je vous présenterai ensuite les motifs du décret que nous vous proposons pour faire bénir la République dans tout le territoire de la France. PARAGRAPHE PREMIER Des travaux de la Commission La Commission des secours publics, placée dans un faubourg consacré, avant le bienfait de l’émigration, au luxe et à l’opulence avare, va s’organiser et porter ses vues sur l’enfant, l’homme et le vieillard; c’est dans ces trois divisions que se trouvent compris tous les objets de secours na-248 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE République. Ce travail seroit peu satisfaisant, et ne rempliroit pas le vœu de cette loi aussi bienfaisante et aussi digne d’une grande nation, si le Comité ne venoit se plaindre à cette tribune des imperfections et des négligences qu’il présente. On ne peut ajouter une foi aveugle à tous ces états plus ou moins irréguliers; il ne faut pas qu’une partie des biens des ennemis de la révolution tombe dans des mains qui ne seroient point assez pures pour recevoir de pareils bienfaits, ou qu’elle soit distribuée à des citoyens qui ne peuvent en jouir qu’au préjudice des véritables indi-gens. Plusieurs lettres des agens nationaux de district témoignent quelques craintes à ce sujet. Les uns dénoncent la mauvaise volonté des municipalités en retard; les autres leur ignorance, et d’autres enfin, des bruits répandus par des mal-veillans pour faire croire aux habitans des campagnes que le but de ces états est de faire con-noître les indigens, pour les transporter à la Vendée, ou pour les mettre en état de réclusion. Jamais l’aristocratie, dans sa furieuse agonie, n’employa des moyens plus perfides pour dénaturer les intentions bienfaisantes et paternelles de la Convention nationale dans ce décret qui l’immortalise. Citoyens indigens, êtres sacrés pour le Législateur d’un Peuple libre, non, ce n’est point à vous à parler de déportation, de réclusion et à la craindre; elle ne convient qu’à ceux qui calomnient la Convention, qu’à ceux qui n’ont jamais eu d’entrailles ni des richesses pour le pauvre, et qui veulent, en périssant, exaspérer sa misère ou désespérer son courage. Une instruction adressée aux agens nationaux des districts sera très-efficace pour détruire ces rêves sinistres de l’aristocratie expirante. On chargera ces derniers de nommer des commissaires patriotes et éclairés dans les différens cantons de leurs arrondissemens; ceux-ci s’y transporteront, presseront la confection de tous ces états dans un délai fatal, sous la responsabilité des municipalités : ils y feront porter la population des communes, dont la connoissance n’est point indifférente dans cette circonstance, pour comparer le nombre des indigens avec celui de la population; ils rassureront les habitans des campagnes sur les bruits perfides répandus par les ennemis de la liberté; ils prendront des ren-seignemens certains sur l’indigence des personnes portées sur les états ou qui auroient été oubliées, et enfin ils s’attacheront particulièrement à s’assurer du patriotisme de ces citoyens auprès des sociétés populaires. Par cette mesure, de nouveaux états mieux disposés seront fournis, et pourront servir de bases plus justes pour le rapport à faire par le Comité de salut public sur les moyens d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la révolution. Ces nouveaux états indiqueront, sous 3 colonnes : 1°) les indigens; 2°) ceux infirmes; 3°) ceux chargés de famille. L’ancien régime faisoit travailler à des états de population, mais c’étoit pour les décimer par les milices, et pour les imposer à l’humiliante capitation. La Convention nationale aura de meilleurs tableaux de population, pour les couvrir de bienfaisance, et pour leur imposer le travail honorable de l’agriculture. Le despotisme dénombroit les hommes comme de vils troupeaux; la liberté compte les indigens et les malheureux comme des êtres respectables et sacrés. En jetant les yeux sur l’état de la République arrachée des mains du despotisme, vous apercevrez facilement qu’il y a deux moyens de le faire oublier : le premier est de déblayer les ruines de la royauté, en secourant les indigens qu’elle avoit faits; le second, c’est de préparer les mesures qui doivent empêcher l’indigence de reparoître sur le sol de la République. Quant aux moyens de secourir les indigens actuellement existans, le Comité a distingué les citoyens au-dessous de l’âge de 60 ans, et ceux qui sont âgés de 60 années et au-dessus. Les bienfaits territoriaux ne peuvent être accordés qu’à ceux qui ont des forces pour cultiver la terre; ceux que l’âge éloigne du travail des champs, ou qui ont épuisé leurs forces en travaillant pour l’agriculture, doivent obtenir un repos honorable, et des secours proportionnés à leurs premiers besoins. Nous préparons deux autres rapports : l’un, sur les moyens de distribuer les secours territoriaux; l’autre, sur les moyens prompts et efficaces de déblayer la mendicité dans les villes. Ce dernier rapport sera fait dans peu de jours; nous nous bornerons aujourd’hui aux indigens dans les villages. La mendicité blesse votre délicatesse ou affecte vos sens dans les cités; mais elle reflue toujours dans les campagnes; c’est à ses habitans qu’elle est vraiment onéreuse; c’est dans les villages qu’elle porte ses dangers et son effroi. Dans les villes, on en a fait un spectacle journalier pour exciter la pitié ou pour favoriser la paresse; mais, avant peu de jours, nous vous aurons présenté les moyens de ne plus laisser sur nos places publiques, sur les passages mêmes de la Convention, le spectacle de ces plaies hideuses, de ces spectres mendians, de ces aumônes avilissantes, et de ces citoyens couverts de haillons, qui accusent la révolution et déshonorent la République. Vous devez aujourd’hui poser une seconde base, et c’est pour l’abolition de l’indigence existante dans les campagnes; vous aurez en même temps récompensé le travail, honoré la vieillesse, et porté le nom consolateur de la République dans la cabane du pauvre et dans la chaumière de l’indigent. La bénédiction du Peuple, la prospérité des familles malheureuses et la fertilité de la terre sont la seule récompense digne des travaux et des dangers de la Convention nationale. Mais avant que de vous développer les idées du Comité sur la mesure des secours publics à verser sur les campagnes et sur les premiers arts, c’est-à-dire sur les plus utiles, je vais vous exposer rapidement le tableau des opérations de la Commission que vous avez formée. Je vous présenterai ensuite les motifs du décret que nous vous proposons pour faire bénir la République dans tout le territoire de la France. PARAGRAPHE PREMIER Des travaux de la Commission La Commission des secours publics, placée dans un faubourg consacré, avant le bienfait de l’émigration, au luxe et à l’opulence avare, va s’organiser et porter ses vues sur l’enfant, l’homme et le vieillard; c’est dans ces trois divisions que se trouvent compris tous les objets de secours na- SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 249 tionaux que vous allez verser sur la République entière. Le soin des enfans de la Patrie, leurs hospices et leur éducation, seront le premier travail de la commission; elle sera chargée de vous présenter les idées et les projets qu’elle croira les plus propres à briser la chaîne qui les lie à la lente servitude des hôpitaux, et à leur donner une éducation uniquement agricole. La terre est la première créancière de la République; elle nourrit la liberté que la tyrannie a voulu affamer par tant de crimes. Les enfans des villes et des campagnes, tous égaux sous la constitution de l’égalité, les enfans infirmes, orphelins ou maltraités par la nature, auront des maisons d’éducation particulières, où l’on ne souffrira plus des générations saines et stériles. Les asyles pour les femmes enceintes, les secours aux femmes qui allaitent leurs enfans, ou qui sont surchargées d’enfans, dérivent des établissemens formés pour recueillir les êtres foibles ou abandonnés. L’homme, parvenu à l’âge de la force, a besoin de travail; il peut avoir besoin de secours momentanés; il faut l’aider en lui procurant de l’ouvrage, ou le soigner en état de maladie. Les travaux nécessaires instantanément dans quelques parties de la République, l’organisation des secours à domicile, dans l’état de détresse ou de maladie; la répartition de quelques propriétés à titre de récompense ou d’adjudication, doivent être un des objets des travaux constans de la commission. Le Français qui voyage ou qui a porté son industrie dans les pays étrangers, sans cesser de correspondre avec la Patrie et d’agrandir son commerce, peut être, sous plusieurs rapports, tourmenté dans les pays étrangers, sur-tout dans les gouvernemens ennemis de la liberté et des droits du Peuple; il faut l’aider pour lui faciliter le retour dans sa Patrie : de-là les secours aux familles françaises persécutées en terre étrangère; c’est un acte de bienfaisance nationale dont vous avez déjà donné plusieurs exemples à l’Europe par vos décrets. L’homme infirme a besoin de secours habituels dans son domicile ou dans le petit nombre d’hospices destinés à cet usage. La commission embrassera donc dans son travail les hospices de la République, sous telle dénomination qu’ils soient connus. Tous les établissemens qui auront pour but de soulager l’humanité souffrante, les dépenses nécessaires pour la transportation, les dépôts inévitables à former pendant quelque temps pour les vagabonds, les insensés, ou affligés de maladies incurables ou dangereuses; tous les établissemens divers où il faut cacher les erreurs de la nature, ou les maux inséparables de l’humanité, entreront dans le travail de la Commission des secours publics dont l’organisation simple ne contient que quatre divisions principales. Secours politiques, ce qui comprend ceux donnés aux veuves et aux parents des défenseurs de la Patrie; Hospices civils et militaires, ce qui comprend tous les établissemens des femmes et enfans; Secours militaires de terre et de mer; Secours aux pensionnaires de la République. Tel est l’apperçu des travaux de bienfaisance nationale que vous ordonnerez à votre commission des secours publics. Voici maintenant une idée sommaire des objets que nous embrassons dans ce rapport. Nous devons commencer comme la nature par les campagnes. Campagnes. Secours aux cultivateurs, aux artisans invalides; Aux femmes et aux veuves surchargées d’enfans; Aux femmes enceintes; Travail aux valides dans les temps de détresse; Répartition ou adjudication de propriétés nationales, à titre de récompense ou de vente à long terme dans chaque village; Secours à domicile, dans toutes les classes indiquées ci-dessus, dans l’état de maladie. L’ordre naturel des secours publics nous conduit aux grandes communes. Villes. Secours aux hospices sous telle dénomination qu’ils soient connus; Secours à domicile dans l’état d’indigence; Secours aux enfans abandonnés, aux orphelins et aux mutilés; Asyles pour les femmes enceintes; Secours aux femmes surchargées d’enfans; Secours aux vieillards infirmes; Placement des célibataires indigens et des vagabonds dans les hospices ou dans les maisons de répression. Armées. Secours aux invalides, soit à domicile, soit dans la maison nationale qui leur est consacrée; Secours aux femmes, enfans, et aux familles des défenseurs de la patrie; Distribution des récompenses nationales à à ceux qui auront combattu pour la liberté et l’égalité, en raison de leurs services et de leurs blessures. Après vous avoir présenté l’apperçu des travaux de la commission des secours publics, me voilà parvenu à vous parler des premiers moyens à employer pour distribuer en peu de temps des secours sur toute la surface de la République. § H. Des secours publics à distribuer les premiers Agriculteurs invalides. Si l’agriculture est la première et la véritable richesse d’un Etat; si la puissance réelle et la force intérieure appartiennent aux peuples agricoles; si un territoire bien défriché, bien cultivé, bien peuplé, annonce le bonheur des hommes et les lumières de l’administration publique; si la République française doit fonder son indépendance sur la charrue et les productions, nous devons prouver aujourd’hui que l’intérêt du législateur est de favoriser les cultivateurs avant toutes les classes oiseuses de la société. Dans l’ordre de la nature, la culture et la fertilité des campagnes doivent obtenir la priorité des regards du Législateur. C’est à la racine qu’il faut arroser l’arbre; les villes ne SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 249 tionaux que vous allez verser sur la République entière. Le soin des enfans de la Patrie, leurs hospices et leur éducation, seront le premier travail de la commission; elle sera chargée de vous présenter les idées et les projets qu’elle croira les plus propres à briser la chaîne qui les lie à la lente servitude des hôpitaux, et à leur donner une éducation uniquement agricole. La terre est la première créancière de la République; elle nourrit la liberté que la tyrannie a voulu affamer par tant de crimes. Les enfans des villes et des campagnes, tous égaux sous la constitution de l’égalité, les enfans infirmes, orphelins ou maltraités par la nature, auront des maisons d’éducation particulières, où l’on ne souffrira plus des générations saines et stériles. Les asyles pour les femmes enceintes, les secours aux femmes qui allaitent leurs enfans, ou qui sont surchargées d’enfans, dérivent des établissemens formés pour recueillir les êtres foibles ou abandonnés. L’homme, parvenu à l’âge de la force, a besoin de travail; il peut avoir besoin de secours momentanés; il faut l’aider en lui procurant de l’ouvrage, ou le soigner en état de maladie. Les travaux nécessaires instantanément dans quelques parties de la République, l’organisation des secours à domicile, dans l’état de détresse ou de maladie; la répartition de quelques propriétés à titre de récompense ou d’adjudication, doivent être un des objets des travaux constans de la commission. Le Français qui voyage ou qui a porté son industrie dans les pays étrangers, sans cesser de correspondre avec la Patrie et d’agrandir son commerce, peut être, sous plusieurs rapports, tourmenté dans les pays étrangers, sur-tout dans les gouvernemens ennemis de la liberté et des droits du Peuple; il faut l’aider pour lui faciliter le retour dans sa Patrie : de-là les secours aux familles françaises persécutées en terre étrangère; c’est un acte de bienfaisance nationale dont vous avez déjà donné plusieurs exemples à l’Europe par vos décrets. L’homme infirme a besoin de secours habituels dans son domicile ou dans le petit nombre d’hospices destinés à cet usage. La commission embrassera donc dans son travail les hospices de la République, sous telle dénomination qu’ils soient connus. Tous les établissemens qui auront pour but de soulager l’humanité souffrante, les dépenses nécessaires pour la transportation, les dépôts inévitables à former pendant quelque temps pour les vagabonds, les insensés, ou affligés de maladies incurables ou dangereuses; tous les établissemens divers où il faut cacher les erreurs de la nature, ou les maux inséparables de l’humanité, entreront dans le travail de la Commission des secours publics dont l’organisation simple ne contient que quatre divisions principales. Secours politiques, ce qui comprend ceux donnés aux veuves et aux parents des défenseurs de la Patrie; Hospices civils et militaires, ce qui comprend tous les établissemens des femmes et enfans; Secours militaires de terre et de mer; Secours aux pensionnaires de la République. Tel est l’apperçu des travaux de bienfaisance nationale que vous ordonnerez à votre commission des secours publics. Voici maintenant une idée sommaire des objets que nous embrassons dans ce rapport. Nous devons commencer comme la nature par les campagnes. Campagnes. Secours aux cultivateurs, aux artisans invalides; Aux femmes et aux veuves surchargées d’enfans; Aux femmes enceintes; Travail aux valides dans les temps de détresse; Répartition ou adjudication de propriétés nationales, à titre de récompense ou de vente à long terme dans chaque village; Secours à domicile, dans toutes les classes indiquées ci-dessus, dans l’état de maladie. L’ordre naturel des secours publics nous conduit aux grandes communes. Villes. Secours aux hospices sous telle dénomination qu’ils soient connus; Secours à domicile dans l’état d’indigence; Secours aux enfans abandonnés, aux orphelins et aux mutilés; Asyles pour les femmes enceintes; Secours aux femmes surchargées d’enfans; Secours aux vieillards infirmes; Placement des célibataires indigens et des vagabonds dans les hospices ou dans les maisons de répression. Armées. Secours aux invalides, soit à domicile, soit dans la maison nationale qui leur est consacrée; Secours aux femmes, enfans, et aux familles des défenseurs de la patrie; Distribution des récompenses nationales à à ceux qui auront combattu pour la liberté et l’égalité, en raison de leurs services et de leurs blessures. Après vous avoir présenté l’apperçu des travaux de la commission des secours publics, me voilà parvenu à vous parler des premiers moyens à employer pour distribuer en peu de temps des secours sur toute la surface de la République. § H. Des secours publics à distribuer les premiers Agriculteurs invalides. Si l’agriculture est la première et la véritable richesse d’un Etat; si la puissance réelle et la force intérieure appartiennent aux peuples agricoles; si un territoire bien défriché, bien cultivé, bien peuplé, annonce le bonheur des hommes et les lumières de l’administration publique; si la République française doit fonder son indépendance sur la charrue et les productions, nous devons prouver aujourd’hui que l’intérêt du législateur est de favoriser les cultivateurs avant toutes les classes oiseuses de la société. Dans l’ordre de la nature, la culture et la fertilité des campagnes doivent obtenir la priorité des regards du Législateur. C’est à la racine qu’il faut arroser l’arbre; les villes ne 250 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE font que consommer les fruits que le commerce accapare, manipule et agiote au gré de son avarice. Dans l’ordre de la bienfaisance nationale, les campagnes doivent passer avant les villes. Les campagnes sont des nourrices fécondes et généreuses; les villes sont souvent des filles ingrates et stériles. Dans l’ordre de la reconnoissance civique et révolutionnaire, les campagnes méritent les premiers secours. La contre-révolution a été combinée dans les villes, le fédéralisme orgueilleux est parti des cités, la guerre civile a été préparée dans les grandes Communes. Dans l’ordre des encouragemens à donner, le premier des arts, l’art nourricier et modeste qui produit les subsistances et toutes les matières premières, doit recevoir les bienfaits de la Nation. Cependant, dans le partage des bienfaits publics, les campagnes ont été toujours entièrement oubliées. Il n’existe dans les villages ni asyle ni secours pour les vieillards, ni pour l’infirme, ni pour l’orphelin, ni pour l’enfant abandonné par un faux honneur ou par une pitié barbare. Assez grand est l’attrait des arts exercés dans les villes; assez nombreux sont les bras qu’y attirent les richesses que les arts procurent à leurs entrepreneurs ou à leurs ouvriers. Les rendez-vous de l’industrie sont abrités, bruyans, nombreux, semés de plaisirs et de ressources; les ateliers de l’agriculture sont chargés des travaux les plus pénibles, exposés à toutes les intempéries des saisons, et semés de privations. Les artistes ont les plaisirs et les commodités qui naissent dans les cités; l’agriculteur consume ses forces, il a toutes les peines de la nature. Les artisans des villes ont mille ressources dans les divers emplois et dans les communications multiples de la société, ils ont des secours abondans dans les villes; l’homme champêtre, isolé par ses habitudes, solitaire par ses travaux, n’auroit plus qu’à maudire la terre qu’il a arrosée de ses sueurs, et le gouvernement qui en a profité, s’il n’avoit une perspective d’aisance ou de secours assuré dans sa vieillesse. Ce n’est pas que nous puissions jamais oublier l’artisan des villes, et c’est de lui que nous vous parlerons dans le second rapport. Nous n’ignorons pas que les carriers, les maçons, les charpentiers exercent des arts où ils perdent aussi leurs forces, et s’exposent à être blessés ou à devenir infirmes; nous voyons tous les jours avec quelle indifférence barbare les riches emploient les manouvriers, et que les pauvres laborieux sont consommés, gaspillés comme une denrée; leur jeunesse et leur santé sont la proie dont le luxe et les travaux des particuliers semblent prodigues. Nous porterons aussi nos regards consolateurs sur cette classe intéressante et utile des artisans des villes; mais la préférence pour les cultivateurs, les bergers et les artisans des campagnes est trop juste, trop urgente pour être contestée. Le valet de charrue, le valet pasteur, le batteur en grange, le vigneron, le moissonneur, et cette multitude de manouvriers nécessaires à l’agriculture et aux arts qui la servent, contractent tous des maladies habituelles avant l’âge de 50 ans : peu prévoyans dans la force de l’âge, ils la prodiguent à la terre. Quelles épargnes peut faire un ouvrier auquel on n’accorde qu’un modique salaire, dont le taux traîne lentement après le rapide surhaussement des denrées ? Les maladies, les épidémies, les accidents, les intempéries des saisons, tout, jusqu’à la plus grande grande consolation des hommes, la fécondité des mères, pèse sur lui de mille manières. Non, il n’est pas d’indigent à la campagne qui n’ait usé sa jeunesse au service des cultivateurs, des propriétaires et de l’agriculture; il n’en est pas un seul qui, après 30 ans de fatigues, n’ait acquis quelque infirmité accidentelle, ou un épuisement total de ses forces. Voilà les vrais créanciers de la République bienfaisante; voilà ceux qu’il faut honorer et non pas avilir, qu’il faut secourir et non pas arrêter. Accablé de maux dans un âge peu avancé, qu’offrira la société à l’homme champêtre qui l’a nourrie par ses labeurs ? Que lui donnera t-elle après 30 ans de travaux faits sous un soleil brûlant ou sous des pluies mal-saines ? Lui dira-t-elle comme le riche avare ou comme l’ancien gouvernement des rois : Malheureux ! tu as trop vécu; il n’y a pour toi que la mendicité, la réclusion, l’hôpital, ou la mort ? Non, citoyens, la République ne sauroit tenir ce langage sacrilège; elle dira à ses enfans agricoles et malheureux : « Je vous nourrirai; vos travaux passés » sont vos titres à ma reconnaissance; vos forces » épuisées sont vos droits aux secours nationaux, » et votre vieillesse sera tranquille et honorée ». Aucune loi n’oblige un maître à nourrir le domestique ou plutôt l’ami malheureux qui s’est cassé la jambe à son service; aucune institution n’assujetit un propriétaire à secourir la vieillesse de ses valets de labourage, de ses bergers misérables, de ses moissonneurs épuisés, de ses batteurs en grange usés par le travail; aucun règlement n’oblige le fabricant à conserver dans leur vieillesse les ouvriers ingénieux ou fidèles qui l’ont enrichi. Eh bien ! que la République française donne la première le grand exemple de cette justice, qui n’a pu trouver un asyle dans le cœur des citoyens. Qu’il soit ouvert toutes les décades, dans les temples, un grand registre où la République fera inscrire les noms de tous les vieillards indigens qui ont cultivé la terre, ou gardé des troupeaux, ou exercé les arts dans les campagnes; que l’agriculture ait aussi ses invalides comme la guerre; que le trésor public s’ouvre en même temps pour le défenseur et pour le nourricier de la patrie. Les riches ont bien obtenu de la République un grand livre pour enregistrer leurs richesses et leurs créances; eh bien ! les citoyens malheureux, les vieillards indigens auront aussi leur grand livre pour y graver leurs services industriels, leurs travaux agricoles et leurs droits à la bienfaisance nationale. Oui, je parle ici de leurs droits. Dans une République bien ordonnée, chaque citoyen a quelque propriété; l’aumône n’y flétrit pas le courage; l’aristocratie, déguisée en charité publique, n’y commande pas la servitude; le nom de mendiant est ignoré; et la République seule peut exécuter la grande loi de la bienfaisance universelle, par des règlements sages et une économie raisonnée. Oui, je parle ici de leurs droits, parce que, dans une démocratie qui s’organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du 250 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE font que consommer les fruits que le commerce accapare, manipule et agiote au gré de son avarice. Dans l’ordre de la bienfaisance nationale, les campagnes doivent passer avant les villes. Les campagnes sont des nourrices fécondes et généreuses; les villes sont souvent des filles ingrates et stériles. Dans l’ordre de la reconnoissance civique et révolutionnaire, les campagnes méritent les premiers secours. La contre-révolution a été combinée dans les villes, le fédéralisme orgueilleux est parti des cités, la guerre civile a été préparée dans les grandes Communes. Dans l’ordre des encouragemens à donner, le premier des arts, l’art nourricier et modeste qui produit les subsistances et toutes les matières premières, doit recevoir les bienfaits de la Nation. Cependant, dans le partage des bienfaits publics, les campagnes ont été toujours entièrement oubliées. Il n’existe dans les villages ni asyle ni secours pour les vieillards, ni pour l’infirme, ni pour l’orphelin, ni pour l’enfant abandonné par un faux honneur ou par une pitié barbare. Assez grand est l’attrait des arts exercés dans les villes; assez nombreux sont les bras qu’y attirent les richesses que les arts procurent à leurs entrepreneurs ou à leurs ouvriers. Les rendez-vous de l’industrie sont abrités, bruyans, nombreux, semés de plaisirs et de ressources; les ateliers de l’agriculture sont chargés des travaux les plus pénibles, exposés à toutes les intempéries des saisons, et semés de privations. Les artistes ont les plaisirs et les commodités qui naissent dans les cités; l’agriculteur consume ses forces, il a toutes les peines de la nature. Les artisans des villes ont mille ressources dans les divers emplois et dans les communications multiples de la société, ils ont des secours abondans dans les villes; l’homme champêtre, isolé par ses habitudes, solitaire par ses travaux, n’auroit plus qu’à maudire la terre qu’il a arrosée de ses sueurs, et le gouvernement qui en a profité, s’il n’avoit une perspective d’aisance ou de secours assuré dans sa vieillesse. Ce n’est pas que nous puissions jamais oublier l’artisan des villes, et c’est de lui que nous vous parlerons dans le second rapport. Nous n’ignorons pas que les carriers, les maçons, les charpentiers exercent des arts où ils perdent aussi leurs forces, et s’exposent à être blessés ou à devenir infirmes; nous voyons tous les jours avec quelle indifférence barbare les riches emploient les manouvriers, et que les pauvres laborieux sont consommés, gaspillés comme une denrée; leur jeunesse et leur santé sont la proie dont le luxe et les travaux des particuliers semblent prodigues. Nous porterons aussi nos regards consolateurs sur cette classe intéressante et utile des artisans des villes; mais la préférence pour les cultivateurs, les bergers et les artisans des campagnes est trop juste, trop urgente pour être contestée. Le valet de charrue, le valet pasteur, le batteur en grange, le vigneron, le moissonneur, et cette multitude de manouvriers nécessaires à l’agriculture et aux arts qui la servent, contractent tous des maladies habituelles avant l’âge de 50 ans : peu prévoyans dans la force de l’âge, ils la prodiguent à la terre. Quelles épargnes peut faire un ouvrier auquel on n’accorde qu’un modique salaire, dont le taux traîne lentement après le rapide surhaussement des denrées ? Les maladies, les épidémies, les accidents, les intempéries des saisons, tout, jusqu’à la plus grande grande consolation des hommes, la fécondité des mères, pèse sur lui de mille manières. Non, il n’est pas d’indigent à la campagne qui n’ait usé sa jeunesse au service des cultivateurs, des propriétaires et de l’agriculture; il n’en est pas un seul qui, après 30 ans de fatigues, n’ait acquis quelque infirmité accidentelle, ou un épuisement total de ses forces. Voilà les vrais créanciers de la République bienfaisante; voilà ceux qu’il faut honorer et non pas avilir, qu’il faut secourir et non pas arrêter. Accablé de maux dans un âge peu avancé, qu’offrira la société à l’homme champêtre qui l’a nourrie par ses labeurs ? Que lui donnera t-elle après 30 ans de travaux faits sous un soleil brûlant ou sous des pluies mal-saines ? Lui dira-t-elle comme le riche avare ou comme l’ancien gouvernement des rois : Malheureux ! tu as trop vécu; il n’y a pour toi que la mendicité, la réclusion, l’hôpital, ou la mort ? Non, citoyens, la République ne sauroit tenir ce langage sacrilège; elle dira à ses enfans agricoles et malheureux : « Je vous nourrirai; vos travaux passés » sont vos titres à ma reconnaissance; vos forces » épuisées sont vos droits aux secours nationaux, » et votre vieillesse sera tranquille et honorée ». Aucune loi n’oblige un maître à nourrir le domestique ou plutôt l’ami malheureux qui s’est cassé la jambe à son service; aucune institution n’assujetit un propriétaire à secourir la vieillesse de ses valets de labourage, de ses bergers misérables, de ses moissonneurs épuisés, de ses batteurs en grange usés par le travail; aucun règlement n’oblige le fabricant à conserver dans leur vieillesse les ouvriers ingénieux ou fidèles qui l’ont enrichi. Eh bien ! que la République française donne la première le grand exemple de cette justice, qui n’a pu trouver un asyle dans le cœur des citoyens. Qu’il soit ouvert toutes les décades, dans les temples, un grand registre où la République fera inscrire les noms de tous les vieillards indigens qui ont cultivé la terre, ou gardé des troupeaux, ou exercé les arts dans les campagnes; que l’agriculture ait aussi ses invalides comme la guerre; que le trésor public s’ouvre en même temps pour le défenseur et pour le nourricier de la patrie. Les riches ont bien obtenu de la République un grand livre pour enregistrer leurs richesses et leurs créances; eh bien ! les citoyens malheureux, les vieillards indigens auront aussi leur grand livre pour y graver leurs services industriels, leurs travaux agricoles et leurs droits à la bienfaisance nationale. Oui, je parle ici de leurs droits. Dans une République bien ordonnée, chaque citoyen a quelque propriété; l’aumône n’y flétrit pas le courage; l’aristocratie, déguisée en charité publique, n’y commande pas la servitude; le nom de mendiant est ignoré; et la République seule peut exécuter la grande loi de la bienfaisance universelle, par des règlements sages et une économie raisonnée. Oui, je parle ici de leurs droits, parce que, dans une démocratie qui s’organise, tout doit tendre à élever chaque citoyen au-dessus du SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 251 premier besoin, par le travail, s’il est valide; par l’éducation, s’il est enfant; et par le secours, s’il est invalide ou dans la vieillesse. N’oublions jamais que le citoyen d’une République ne peut pas faire un pas sans marcher sur son territoire, sur sa propriété. Plein de cette pensée philanthropique et juste autant qu’elle est politique et morale, le Comité vous présente plusieurs projets de décrets sur l’organisation prompte des secours publics les plus légitimes, les plus honorables et les plus généraux que vous puissiez verser dans les mains des citoyens français. §. III. Sur les secours publics à distribuer aux cultivateurs et artisans vieillards ou infirmes. Le projet de secours que nous vous proposons de porter dans les campagnes, a pour but de soulager principalement les cultivateurs. Cette classe utile a toujours été trop négligée, quoique, Hans l’ordre de votre bienfaisance, elle eût toujours dû être préférée. Parmi les dons immenses versés sur la République entière, le moindre nombre de lots est échu dans les campagnes; c’est pour réparer cette inégalité de distribution de secours, que nous allons vous soumettre une organisation révolutionnaire qui, embrassant toutes les classes indigentes qui habitent la campagne, apprenne à la nation que, d’une main également hardie, vous savez donner la mort aux traîtres, et rendre la vie à ceux qui, sous le chaume, servent la patrie par leurs mœurs, leurs vertus et leur travail. Avant que d’entrer dans les détails que ce rapport nécessite, nous devons vous faire observer que les décrets qui vous sont proposés ne contrarient en rien ceux que vous avez rendus les 19 mars et 28 juin dernier (vieux style). Les villes, qui ne font que le quart de la population de la République, avec leurs hôpitaux, leurs hospices et leurs établissemens de charité, peuvent attendre l’organisation générale des secours à laquelle travaille votre Comité; mais vous devez donner promptement une grande impulsion révolutionnaire à la bienfaisance nationale, en vous réservant toutefois le moyen d’augmenter, de diminuer ou de suspendre sans secousse, sans effort, cette même impulsion. Tout homme blessé ou infirme reste à la campagne sans secours, quoique souvent sa caducité ne soit qu’une suite de ses efforts : il doit donc obtenir un secours; ce secours doit être honorable et pur comme le motif qui l’a déterminé. Pour remplir cet objet, qui fait marcher le cultivateur sur la même ligne que le défenseur de la patrie, il sera ouvert dans chaque district un registre, qui aura pour dénomination : Livre de la bienfaisance nationale; et pour premier titre : Cultivateurs vieillards ou infirmes. Pour être inscrit il faudra être âgé de soixante ans, avoir travaillé à la terre ou à l’éducation des troupeaux pendant vingt ans, être infirme, indigent, ou hors d’état de travailler. Les sommes sont inscrites dans les décrets que nous devons vous proposer. On a fixé à 400 le nombre d’inscriptions par département, et pour une population de 100 milles âmes mais chaque département pourra, en justifiant, par des états exacts, avoir une population au-dessus de 100 mille âmes, obtenir de nouvelles inscriptions dans la proportion de quatre pour mille individus. Chaque département jouira sur-le-champ du bienfait de 400 inscriptions, qui seront divisées par district dans des registres séparés. Nous devons éviter toute idée départementale. Le fédéralisme ne doit ni flétrir ni empoisonner la bienfaisance. La jouissance de l’autre inscription relativement à une plus grande population, n’est ajournée que jusqu’au moment ou les autorités constituées auront rempli leur devoir, en envoyant les états plus exacts de la population agricole. Chaque inscription rapportera annuellement à celui qui l’aura obtenu, 180 liv. Qu’on ne croie pas que cette somme soit insuffisante : celui qui à la campagne a bien au-delà de son pain journalier, n’est déjà plus dans l’indigence, et ne doit pas mendier. L’habitant des campagnes ne ressemble en rien à celui des villes : le premier n’est presque jamais sans asyle, sans parens, sans amis; la misère du second est toujours isolée, hideuse et sans protection. Ce n’est que dans la fange des villes que l’homme pauvre ne trouve ni bois sec à ramasser, ni pêche à faire, ni rets à tendre, ni les légumes communs, ni air pur à respirer : au reste, si la nation doit être juste, elle ne doit pas être prodigue. Il existe encore dans les campagnes une classe de citoyens qui ont un droit égal à la bienfaisance nationale; ce sont les artisans vieillards ou infirmes. Le même registre sera aussi ouvert pour eux dans chaque département; il contiendra pour second titre : Artisans vieillards ou infirmes. Les formes et les conditions requises pour obtenir une inscription, sont à peu-près les mêmes que celles exigées pour les cultivateurs; il n’y a de différence que dans la durée du temps du travail, le nombre et la quantité des inscriptions par départemens. Nous justifions les motifs de ces différences, en disant d’abord que l’exercice des métiers sédentaires employant des individus avant l’âge de la force, ils doivent rapporter un certificat de service d’une plus longue durée. On a donc cru pouvoir demander vingt-cinq ans de travail hors des villes pour l’artisan, tandis qu’on ne demande au cultivateur que vingt ans. Le nombre des inscriptions est fixé à 200 par chaque département, parce que la population des artisans est moindre de plus de moitié que celles des cultivateurs; les ouvriers qui travaillent le fer, le bois, sous des dénominations différentes, sont disséminés de loin en loin dans les petites communes au-dessous de trois mille âmes. S’il est quelques cantons de la République où l’on rencontre des fabriques de toile et d’étoffes, il en est plusieurs où il n’existe aucune; c’est pour cette raison qu’il faut laisser aux départemens le soin d’établir plus exactement ce rapport dans les états de population qu’ils seront tenus de fournir. Les départemens ne sont appelés que pour donner les états de population agricole par district. L’inscription pour les artisans invalides n’est que de 130 liv. tandis que celle des cultivateurs est de 160 liv. SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 251 premier besoin, par le travail, s’il est valide; par l’éducation, s’il est enfant; et par le secours, s’il est invalide ou dans la vieillesse. N’oublions jamais que le citoyen d’une République ne peut pas faire un pas sans marcher sur son territoire, sur sa propriété. Plein de cette pensée philanthropique et juste autant qu’elle est politique et morale, le Comité vous présente plusieurs projets de décrets sur l’organisation prompte des secours publics les plus légitimes, les plus honorables et les plus généraux que vous puissiez verser dans les mains des citoyens français. §. III. Sur les secours publics à distribuer aux cultivateurs et artisans vieillards ou infirmes. Le projet de secours que nous vous proposons de porter dans les campagnes, a pour but de soulager principalement les cultivateurs. Cette classe utile a toujours été trop négligée, quoique, Hans l’ordre de votre bienfaisance, elle eût toujours dû être préférée. Parmi les dons immenses versés sur la République entière, le moindre nombre de lots est échu dans les campagnes; c’est pour réparer cette inégalité de distribution de secours, que nous allons vous soumettre une organisation révolutionnaire qui, embrassant toutes les classes indigentes qui habitent la campagne, apprenne à la nation que, d’une main également hardie, vous savez donner la mort aux traîtres, et rendre la vie à ceux qui, sous le chaume, servent la patrie par leurs mœurs, leurs vertus et leur travail. Avant que d’entrer dans les détails que ce rapport nécessite, nous devons vous faire observer que les décrets qui vous sont proposés ne contrarient en rien ceux que vous avez rendus les 19 mars et 28 juin dernier (vieux style). Les villes, qui ne font que le quart de la population de la République, avec leurs hôpitaux, leurs hospices et leurs établissemens de charité, peuvent attendre l’organisation générale des secours à laquelle travaille votre Comité; mais vous devez donner promptement une grande impulsion révolutionnaire à la bienfaisance nationale, en vous réservant toutefois le moyen d’augmenter, de diminuer ou de suspendre sans secousse, sans effort, cette même impulsion. Tout homme blessé ou infirme reste à la campagne sans secours, quoique souvent sa caducité ne soit qu’une suite de ses efforts : il doit donc obtenir un secours; ce secours doit être honorable et pur comme le motif qui l’a déterminé. Pour remplir cet objet, qui fait marcher le cultivateur sur la même ligne que le défenseur de la patrie, il sera ouvert dans chaque district un registre, qui aura pour dénomination : Livre de la bienfaisance nationale; et pour premier titre : Cultivateurs vieillards ou infirmes. Pour être inscrit il faudra être âgé de soixante ans, avoir travaillé à la terre ou à l’éducation des troupeaux pendant vingt ans, être infirme, indigent, ou hors d’état de travailler. Les sommes sont inscrites dans les décrets que nous devons vous proposer. On a fixé à 400 le nombre d’inscriptions par département, et pour une population de 100 milles âmes mais chaque département pourra, en justifiant, par des états exacts, avoir une population au-dessus de 100 mille âmes, obtenir de nouvelles inscriptions dans la proportion de quatre pour mille individus. Chaque département jouira sur-le-champ du bienfait de 400 inscriptions, qui seront divisées par district dans des registres séparés. Nous devons éviter toute idée départementale. Le fédéralisme ne doit ni flétrir ni empoisonner la bienfaisance. La jouissance de l’autre inscription relativement à une plus grande population, n’est ajournée que jusqu’au moment ou les autorités constituées auront rempli leur devoir, en envoyant les états plus exacts de la population agricole. Chaque inscription rapportera annuellement à celui qui l’aura obtenu, 180 liv. Qu’on ne croie pas que cette somme soit insuffisante : celui qui à la campagne a bien au-delà de son pain journalier, n’est déjà plus dans l’indigence, et ne doit pas mendier. L’habitant des campagnes ne ressemble en rien à celui des villes : le premier n’est presque jamais sans asyle, sans parens, sans amis; la misère du second est toujours isolée, hideuse et sans protection. Ce n’est que dans la fange des villes que l’homme pauvre ne trouve ni bois sec à ramasser, ni pêche à faire, ni rets à tendre, ni les légumes communs, ni air pur à respirer : au reste, si la nation doit être juste, elle ne doit pas être prodigue. Il existe encore dans les campagnes une classe de citoyens qui ont un droit égal à la bienfaisance nationale; ce sont les artisans vieillards ou infirmes. Le même registre sera aussi ouvert pour eux dans chaque département; il contiendra pour second titre : Artisans vieillards ou infirmes. Les formes et les conditions requises pour obtenir une inscription, sont à peu-près les mêmes que celles exigées pour les cultivateurs; il n’y a de différence que dans la durée du temps du travail, le nombre et la quantité des inscriptions par départemens. Nous justifions les motifs de ces différences, en disant d’abord que l’exercice des métiers sédentaires employant des individus avant l’âge de la force, ils doivent rapporter un certificat de service d’une plus longue durée. On a donc cru pouvoir demander vingt-cinq ans de travail hors des villes pour l’artisan, tandis qu’on ne demande au cultivateur que vingt ans. Le nombre des inscriptions est fixé à 200 par chaque département, parce que la population des artisans est moindre de plus de moitié que celles des cultivateurs; les ouvriers qui travaillent le fer, le bois, sous des dénominations différentes, sont disséminés de loin en loin dans les petites communes au-dessous de trois mille âmes. S’il est quelques cantons de la République où l’on rencontre des fabriques de toile et d’étoffes, il en est plusieurs où il n’existe aucune; c’est pour cette raison qu’il faut laisser aux départemens le soin d’établir plus exactement ce rapport dans les états de population qu’ils seront tenus de fournir. Les départemens ne sont appelés que pour donner les états de population agricole par district. L’inscription pour les artisans invalides n’est que de 130 liv. tandis que celle des cultivateurs est de 160 liv. 252 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il faut encore observer ici que la raison de cette différence est fondée sur ce que les métiers sédentaires occupent des vieillards quoi-qu’estropiés. Ce dernier travail, quelque médiocre qu’il puisse être, sert de supplément pour rétablir l’équilibre entre la quotité des deux inscriptions : l’artisan, devant et pouvant d’ailleurs avec le temps acquérir plus d’adresse et une propriété industrielle, a dû augmenter aussi chaque année ses épargnes et celles de la famille entière. Indépendamment des motifs que nous venons d’exposer, nous ne le déguiserons pas, les cultivateurs sont des hommes précieux au-devant desquels il faut aller sans cesse; il est encore d’une politique sage d’accorder un plus grand nombre d’inscriptions et une récompense plus forte aux cultivateurs, qui, exposés aux intempéries des saisons, ont prodigué leurs forces entières pour le service de tous. Nous n’aurions pas rempli entièrement notre tâche, si nous ne vous exposions en peu de mots les résultats de nos calculs sur la population. Il paroît, par un grand nombre de recherches faites avec le plus grand soin, que la proportion des indigens en France peut être évaluée au vingtième de la population ordinaire. Il y a donc sur 100.000 individus 5.000 indigens, ou 50 par mille; sur ces 50 par mille, il y en a moitié de non-valides, sur les non-valides, la moitié d’en-fans; il reste donc en hommes adultes invalides 12 indigens, dont à peu près la moitié de femmes; il reste alors 6 indigens infirmes par mille individus. Si nous n’avons accordés aux départemens que 4 inscriptions par mille individus excédant une population de 100.000 âmes, c’est uniquement pour nous tenir au-dessous du terme vrai. Il ne faut point en administration prétendre atteindre à une exactitude géométrique; en bienfaisance, il faut se méfier des extensions, car il est beaucoup plus aisé d’augmenter les dons que de les diminuer. En conséquence, vous trouverez que les secours pour les indigens habitant la campagne porteront sur 51.000 citoyens, et la dépense sera de 7.480.000 liv. Qu’est cette dépense pour une République opulente, fertile et généreuse ? Qu’est cette dépense pour un bienfait national, quand la République dépense 400 millions par mois pour le fléau de la guerre ? Avares habitans des cours, ministres barbares et prodigues, qui croyez gouverner des empires avec des impôts, des justices prévôtales, des corvées et des hôpitaux, voyez les larmes du laboureur et les malheurs de l’artisan sous votre affreux régime; entendez les bénédictions des campagnes sous la République, dites-nous si la terre d’Europe aura longtemps la patience de supporter votre désastreuse présence. §. IV. Des secours à accorder aux mères et aux veuves habitant la campagne. Une des grandes sources de la misère des campagnes est la fécondité des ménages indigens; c’est dans cette classe sur-tout que l’abandon des enfans dans les hôpitaux a lieu. Une mère qui ne peut plus donner un lait substantiel, excédée de fatigues et de besoins, expose son enfant par tendresse, et la misère seule la pousse à cet abandon. La misère fut toujours féconde; c’est à la Convention nationale à décréter que la fécondité des mariages, loin de craindre la misère, recevra des encouragemens et des secours de la République. L’expérience ne prouve que trop que l’indigence est la cause la plus fréquente de l’abandon des enfans. Des accidens aussi connus que peu prévus, le manque de travail, son peu de proportion avec les prix des subsistances ou l’étendue des besoins, des unions contractées dans le sein de la misère, forcent un grand nombre de parens à céder à la pitié publique, des enfans qui seroient la plus douce consolation de leur vieillesse, s’ils avoient le moyen de leur prodiguer leurs soins. Alors l’époux qui soupiroit pour le nom auguste de père, gémit de le porter; l’épouse désespérée pleure sur ses enfans, au lieu de sourire à leur aspect. Leurs innocentes caresses l’affligent, et les cris du besoin déchirent son cœur. A qui les confiera-t-elle ? les laissera-t-elle expirer dans ses bras ? Non : c’est par humanité qu’elle va les exposer, et ce sacrifice douloureux est le dernier effort de sa tendresse. La misère du Peuple, qui sous la royauté s’accroissoit tous les jours, et que quelques politiques ont cru nécessaire au repos du gouvernement, précipite une foule de ces enfans dans les asyles qui leur sont destinés, et trop souvent ils y périssent ou présentent une population déformée au physique et dégradée au moral : c’est ainsi que la force des nations s’altère et se consume; c’est ainsi que la population s’éteint dans les lieux où la misère s’introduit. Chez les Thébains, la loi ordonnoit à ceux qu’une extrême pauvreté mettoit hors d’état de nourrir leurs enfans, de les apporter aux magistrats, qui les faisoient élever aux dépens de la République. C’est chez le peuple le plus méprisé de la Grèce que cette loi fut portée. Combien il est plus digne de la République de verser des secours dans les familles indigentes, d’y nourrir les enfans entre les mains de leurs mères, et de conserver à la nature les droits les plus sacrés ! Nous croyons devoir fixer vos regards sur cette classe de femmes pour lesquelles la fécondité est un fléau dans les campagnes, tandis qu’elle fait la prospérité des Républiques. Il sera donc ouvert dans chaque district un registre qui commencera par ces mots : Mères et veuves habitant les campagnes. Pour obtenir une inscription, il faudra être femme ou mère d’un agriculteur ou d’un artisan des campagnes. La femme devra avoir deux enfants au-dessous de l’âge de dix ans et en allaiter un troisième. Les veuves, ayant un enfant âgé de moins de dix ans, en allaiteront un second, auront droit également à l’inscription. Il est nécessaire de poser ici le principe qui nous a servi à établir cette disposition. L’union de l’homme et de la femme a pour but de se reproduire; chacun des deux individus 252 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il faut encore observer ici que la raison de cette différence est fondée sur ce que les métiers sédentaires occupent des vieillards quoi-qu’estropiés. Ce dernier travail, quelque médiocre qu’il puisse être, sert de supplément pour rétablir l’équilibre entre la quotité des deux inscriptions : l’artisan, devant et pouvant d’ailleurs avec le temps acquérir plus d’adresse et une propriété industrielle, a dû augmenter aussi chaque année ses épargnes et celles de la famille entière. Indépendamment des motifs que nous venons d’exposer, nous ne le déguiserons pas, les cultivateurs sont des hommes précieux au-devant desquels il faut aller sans cesse; il est encore d’une politique sage d’accorder un plus grand nombre d’inscriptions et une récompense plus forte aux cultivateurs, qui, exposés aux intempéries des saisons, ont prodigué leurs forces entières pour le service de tous. Nous n’aurions pas rempli entièrement notre tâche, si nous ne vous exposions en peu de mots les résultats de nos calculs sur la population. Il paroît, par un grand nombre de recherches faites avec le plus grand soin, que la proportion des indigens en France peut être évaluée au vingtième de la population ordinaire. Il y a donc sur 100.000 individus 5.000 indigens, ou 50 par mille; sur ces 50 par mille, il y en a moitié de non-valides, sur les non-valides, la moitié d’en-fans; il reste donc en hommes adultes invalides 12 indigens, dont à peu près la moitié de femmes; il reste alors 6 indigens infirmes par mille individus. Si nous n’avons accordés aux départemens que 4 inscriptions par mille individus excédant une population de 100.000 âmes, c’est uniquement pour nous tenir au-dessous du terme vrai. Il ne faut point en administration prétendre atteindre à une exactitude géométrique; en bienfaisance, il faut se méfier des extensions, car il est beaucoup plus aisé d’augmenter les dons que de les diminuer. En conséquence, vous trouverez que les secours pour les indigens habitant la campagne porteront sur 51.000 citoyens, et la dépense sera de 7.480.000 liv. Qu’est cette dépense pour une République opulente, fertile et généreuse ? Qu’est cette dépense pour un bienfait national, quand la République dépense 400 millions par mois pour le fléau de la guerre ? Avares habitans des cours, ministres barbares et prodigues, qui croyez gouverner des empires avec des impôts, des justices prévôtales, des corvées et des hôpitaux, voyez les larmes du laboureur et les malheurs de l’artisan sous votre affreux régime; entendez les bénédictions des campagnes sous la République, dites-nous si la terre d’Europe aura longtemps la patience de supporter votre désastreuse présence. §. IV. Des secours à accorder aux mères et aux veuves habitant la campagne. Une des grandes sources de la misère des campagnes est la fécondité des ménages indigens; c’est dans cette classe sur-tout que l’abandon des enfans dans les hôpitaux a lieu. Une mère qui ne peut plus donner un lait substantiel, excédée de fatigues et de besoins, expose son enfant par tendresse, et la misère seule la pousse à cet abandon. La misère fut toujours féconde; c’est à la Convention nationale à décréter que la fécondité des mariages, loin de craindre la misère, recevra des encouragemens et des secours de la République. L’expérience ne prouve que trop que l’indigence est la cause la plus fréquente de l’abandon des enfans. Des accidens aussi connus que peu prévus, le manque de travail, son peu de proportion avec les prix des subsistances ou l’étendue des besoins, des unions contractées dans le sein de la misère, forcent un grand nombre de parens à céder à la pitié publique, des enfans qui seroient la plus douce consolation de leur vieillesse, s’ils avoient le moyen de leur prodiguer leurs soins. Alors l’époux qui soupiroit pour le nom auguste de père, gémit de le porter; l’épouse désespérée pleure sur ses enfans, au lieu de sourire à leur aspect. Leurs innocentes caresses l’affligent, et les cris du besoin déchirent son cœur. A qui les confiera-t-elle ? les laissera-t-elle expirer dans ses bras ? Non : c’est par humanité qu’elle va les exposer, et ce sacrifice douloureux est le dernier effort de sa tendresse. La misère du Peuple, qui sous la royauté s’accroissoit tous les jours, et que quelques politiques ont cru nécessaire au repos du gouvernement, précipite une foule de ces enfans dans les asyles qui leur sont destinés, et trop souvent ils y périssent ou présentent une population déformée au physique et dégradée au moral : c’est ainsi que la force des nations s’altère et se consume; c’est ainsi que la population s’éteint dans les lieux où la misère s’introduit. Chez les Thébains, la loi ordonnoit à ceux qu’une extrême pauvreté mettoit hors d’état de nourrir leurs enfans, de les apporter aux magistrats, qui les faisoient élever aux dépens de la République. C’est chez le peuple le plus méprisé de la Grèce que cette loi fut portée. Combien il est plus digne de la République de verser des secours dans les familles indigentes, d’y nourrir les enfans entre les mains de leurs mères, et de conserver à la nature les droits les plus sacrés ! Nous croyons devoir fixer vos regards sur cette classe de femmes pour lesquelles la fécondité est un fléau dans les campagnes, tandis qu’elle fait la prospérité des Républiques. Il sera donc ouvert dans chaque district un registre qui commencera par ces mots : Mères et veuves habitant les campagnes. Pour obtenir une inscription, il faudra être femme ou mère d’un agriculteur ou d’un artisan des campagnes. La femme devra avoir deux enfants au-dessous de l’âge de dix ans et en allaiter un troisième. Les veuves, ayant un enfant âgé de moins de dix ans, en allaiteront un second, auront droit également à l’inscription. Il est nécessaire de poser ici le principe qui nous a servi à établir cette disposition. L’union de l’homme et de la femme a pour but de se reproduire; chacun des deux individus SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN H (11 MAI 1794) - N° 49 253 doit être représenté : c’est la loi de la nature que doit suivre la politique. Dans cet ordre de choses, tant que les chefs de la famille existent, ils doivent travailler en commun pour la nourrir, et ils peuvent fournir suffisamment à leur nourriture; mais s’il survient un troisième enfant, c’est une charge dans un ménage indigent; l’administration doit favoriser la fécondité, et alors elle peut accorder une inscription. La veuve qui se trouve avec un enfant en bas âge et qui en allaite un second, est dans la même position que la femme qui a son mari, puisqu’elle reste seule chargée du soin de la famille, et qu’ayant perdu le chef, celui qui devoit nourrir un enfant, n’existe plus. L’inscription pour les mères et les veuves sera de 60 liv. par année; nous avons cru qu’il étoit politique d’y ajouter 20 liv. de supplément, dans le cas où la mère représenteroit son enfant âgé d’un an à l’agent national; c’est le moyen, s’il est possible, de renforcer les soins maternels. Nous avons dû considérer dans nos calculs la mortalité inévitable des enfans, et dans la dépense nous avons porté l’inscription à 80 liv.; nous avons supposé, d’après des calculs de probabilités de la vie humaine, qu’un quart des enfans mouroit avant la première année révolue. Pour compléter ce genre de bienfaisance, on a établi pour chaque département 350 inscriptions pour les femmes qui nourrissent leurs enfans, et 150 liv. pour les mères qui n’allaiteront pas, mais qui seroient veuves ou infirmes et chargées de deux enfans au-dessous de l’âge de 15 ans. On a fixé pour chaque département cinq cents inscriptions, avec la possibilité de les augmenter dans la proportion de quatre inscriptions par mille au-dessus de cent mille individus, et nous observons que les secours sont plutôt pour les générations commencées, que pour les mères. En résumant le nombre d’inscriptions accordées aux mères et veuves, vous les trouverez de cinq cents par département, ou de quarante-deux mille cinq cents pour la totalité de la République; et la dépense sera de trois millions soixante mille liv. Lorque l’enfance réclama, dans les écrits élo-quens du citoyen de Genève, un droit cher à la nature trop long temps méconnue, la voix se fit entendre aisément : elle s’adressoit à des mères. — Losque la maternité réclame, dans un écrit plus simple, les droits les plus sacrés de la société trop long-temps outragée, nous ne saurions craindre qu’elle ne soit pas entendue; elle s’adresse aux Législateurs d’un peuple libre et dont la bienfaisance et la philanthropie forment le caractère. §. V. Secours à domicile dans l’état de maladie dans les campagnes. Plus d’aumône, plus d’hôpitaux : Tel est but vers lequel la Convention doit marcher sans cesse, car ces deux mots doivent être effacés du vocabulaire républicain. La vanité sacerdotale créa l’aumône : le prêtre se fit dispensateur de la charité publique pour être maître et pour être avare; le moine créa des hôpitaux pour envahir des successions et pour dominer par les suites mêmes de la recon-noissance; le despotisme seconda ces pieuses usurpations, et joignit les prestiges du luxe à l’orgueil des fondations. Quand on considère tout ce que les arts ont inventé pour l’ostentation hospitalière, et que l’on observe ensuite dans l’intérieur ce que les administrations n’ont pu refuser aux misères humaines, on est tenté de croire que la bienfaisance publique n’étoit pour les tyrans qu’un spectacle et que les pauvres n’étoient pour eux que des moyens nouveaux d’assurer la servitude des peuples. Que voyoit-on sans cesse dans les hôpitaux ? le contraste de bâtimens brillans et de salles infectes; des administrateurs dans les délices, et des pauvres entassés dans le même lit; des avenues brillantes, et des tombeaux hideux; une humanité apparente, et une barbarie réelle; des secours promis, et une mort anticipée. On ne connoît que trop dans les hôpitaux de la monarchie cette pitié stérile et barbare qui appelle les malheureux qu’elle immole; et il n’y a pas jusqu’aux secours qu’elle donnoît, qui ne fussent souvent plus cruels que les maux qu’elle étoit chargée d’adoucir : il faut donc, pour diminuer insensiblement le besoin barbare des hôpitaux, et pour faire disparoître l’humiliant secours de l’aumône, créer un nouveau genre de secours, et organiser le secours à domicile pour les agriculteurs et les artisans invalides, ainsi que pour les mères et les veuves chargées d’enfans dans les campagnes; ce n’est que par le secours domiciliaire que vous porterez l’abondance et la sève à la racine de l’arbre social, et que vous le verrez prospérer. C’est ici que la nation se montrera bienfaisante comme la nature, en disséminant obscurément les secours dans les maisons des citoyens malheureux; il faut que la République porte des consolations modestes dans les greniers obscurs des villes et dans les chaumières indigentes des campagnes. C’est une providence politique invoquée depuis long-temps par les amis de l’humanité et par les défenseurs du régime républicain. La masse des individus auxquels vous allez porter des secours, comprend une portion considérable de la population des campagnes. Ce seroit avoir manqué votre but, que de ne leur accorder assistance que dans l’état de santé, et de les laisser dans l’abandon lorsque le fléau des maladies les accable des plus grands malheurs. Nous vous proposons d’établir, dans les campagnes, un service de santé qui donne à votre institution révolutionnaire des secours publics tout son complément. Le premier pas à faire, est d’assurer des soins éclairés à cette nombreuse classe de malades, de les préserver d’un fléau plus redoutable mille fois que les maladies, de les arracher à ces igno-rans empiriques qui, le plus souvent, aggravent les maux qu’ils traitent, apportent au moins pour long-temps la misère dans les familles dont ils approchent. Déjà la Convention a pris la résolution générale de remédier à un pareil malheur; un établissement d’officiers de santé auprès de chaque agence de canton, a été décrété le 28 juin. Nous ne vous proposerons pas l’exécution complète 18 SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN H (11 MAI 1794) - N° 49 253 doit être représenté : c’est la loi de la nature que doit suivre la politique. Dans cet ordre de choses, tant que les chefs de la famille existent, ils doivent travailler en commun pour la nourrir, et ils peuvent fournir suffisamment à leur nourriture; mais s’il survient un troisième enfant, c’est une charge dans un ménage indigent; l’administration doit favoriser la fécondité, et alors elle peut accorder une inscription. La veuve qui se trouve avec un enfant en bas âge et qui en allaite un second, est dans la même position que la femme qui a son mari, puisqu’elle reste seule chargée du soin de la famille, et qu’ayant perdu le chef, celui qui devoit nourrir un enfant, n’existe plus. L’inscription pour les mères et les veuves sera de 60 liv. par année; nous avons cru qu’il étoit politique d’y ajouter 20 liv. de supplément, dans le cas où la mère représenteroit son enfant âgé d’un an à l’agent national; c’est le moyen, s’il est possible, de renforcer les soins maternels. Nous avons dû considérer dans nos calculs la mortalité inévitable des enfans, et dans la dépense nous avons porté l’inscription à 80 liv.; nous avons supposé, d’après des calculs de probabilités de la vie humaine, qu’un quart des enfans mouroit avant la première année révolue. Pour compléter ce genre de bienfaisance, on a établi pour chaque département 350 inscriptions pour les femmes qui nourrissent leurs enfans, et 150 liv. pour les mères qui n’allaiteront pas, mais qui seroient veuves ou infirmes et chargées de deux enfans au-dessous de l’âge de 15 ans. On a fixé pour chaque département cinq cents inscriptions, avec la possibilité de les augmenter dans la proportion de quatre inscriptions par mille au-dessus de cent mille individus, et nous observons que les secours sont plutôt pour les générations commencées, que pour les mères. En résumant le nombre d’inscriptions accordées aux mères et veuves, vous les trouverez de cinq cents par département, ou de quarante-deux mille cinq cents pour la totalité de la République; et la dépense sera de trois millions soixante mille liv. Lorque l’enfance réclama, dans les écrits élo-quens du citoyen de Genève, un droit cher à la nature trop long temps méconnue, la voix se fit entendre aisément : elle s’adressoit à des mères. — Losque la maternité réclame, dans un écrit plus simple, les droits les plus sacrés de la société trop long-temps outragée, nous ne saurions craindre qu’elle ne soit pas entendue; elle s’adresse aux Législateurs d’un peuple libre et dont la bienfaisance et la philanthropie forment le caractère. §. V. Secours à domicile dans l’état de maladie dans les campagnes. Plus d’aumône, plus d’hôpitaux : Tel est but vers lequel la Convention doit marcher sans cesse, car ces deux mots doivent être effacés du vocabulaire républicain. La vanité sacerdotale créa l’aumône : le prêtre se fit dispensateur de la charité publique pour être maître et pour être avare; le moine créa des hôpitaux pour envahir des successions et pour dominer par les suites mêmes de la recon-noissance; le despotisme seconda ces pieuses usurpations, et joignit les prestiges du luxe à l’orgueil des fondations. Quand on considère tout ce que les arts ont inventé pour l’ostentation hospitalière, et que l’on observe ensuite dans l’intérieur ce que les administrations n’ont pu refuser aux misères humaines, on est tenté de croire que la bienfaisance publique n’étoit pour les tyrans qu’un spectacle et que les pauvres n’étoient pour eux que des moyens nouveaux d’assurer la servitude des peuples. Que voyoit-on sans cesse dans les hôpitaux ? le contraste de bâtimens brillans et de salles infectes; des administrateurs dans les délices, et des pauvres entassés dans le même lit; des avenues brillantes, et des tombeaux hideux; une humanité apparente, et une barbarie réelle; des secours promis, et une mort anticipée. On ne connoît que trop dans les hôpitaux de la monarchie cette pitié stérile et barbare qui appelle les malheureux qu’elle immole; et il n’y a pas jusqu’aux secours qu’elle donnoît, qui ne fussent souvent plus cruels que les maux qu’elle étoit chargée d’adoucir : il faut donc, pour diminuer insensiblement le besoin barbare des hôpitaux, et pour faire disparoître l’humiliant secours de l’aumône, créer un nouveau genre de secours, et organiser le secours à domicile pour les agriculteurs et les artisans invalides, ainsi que pour les mères et les veuves chargées d’enfans dans les campagnes; ce n’est que par le secours domiciliaire que vous porterez l’abondance et la sève à la racine de l’arbre social, et que vous le verrez prospérer. C’est ici que la nation se montrera bienfaisante comme la nature, en disséminant obscurément les secours dans les maisons des citoyens malheureux; il faut que la République porte des consolations modestes dans les greniers obscurs des villes et dans les chaumières indigentes des campagnes. C’est une providence politique invoquée depuis long-temps par les amis de l’humanité et par les défenseurs du régime républicain. La masse des individus auxquels vous allez porter des secours, comprend une portion considérable de la population des campagnes. Ce seroit avoir manqué votre but, que de ne leur accorder assistance que dans l’état de santé, et de les laisser dans l’abandon lorsque le fléau des maladies les accable des plus grands malheurs. Nous vous proposons d’établir, dans les campagnes, un service de santé qui donne à votre institution révolutionnaire des secours publics tout son complément. Le premier pas à faire, est d’assurer des soins éclairés à cette nombreuse classe de malades, de les préserver d’un fléau plus redoutable mille fois que les maladies, de les arracher à ces igno-rans empiriques qui, le plus souvent, aggravent les maux qu’ils traitent, apportent au moins pour long-temps la misère dans les familles dont ils approchent. Déjà la Convention a pris la résolution générale de remédier à un pareil malheur; un établissement d’officiers de santé auprès de chaque agence de canton, a été décrété le 28 juin. Nous ne vous proposerons pas l’exécution complète 18 254 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de cette mesure, dictée par l’humanité; elle ne peut avoir lieu que pour l’organisation générale et déterminée des secours publics, dont le travail est encore incomplet; mais tout ce que cette institution peut avoir d’exécutable en ce moment pour les campagnes, vous vous ferez un devoir de le saisir, et d’en hâter l’accomplissement. Le nombre de trois officiers de santé par district nous a paru devoir suffire; ce sera, à raison du nombre moyen de huit cantons par district, de huit municipalités par canton, un arrondissement de deux à trois cantons, ou de vingt à vingt-quatre commîmes, que chacun d’eux aura à desservir : des rapports déjà connus apprennent que cette mesure peut être adoptée. Nous proposons de choisir toujours l’un de ces officiers de santé dans le chef-lieu de district : outre l’avantage d’y trouver plus facilement des hommes instruits, on aura encore celui de placer auprès de 1’administration qui doit surveiller le service, un conseil utile. Cet officier de santé auroit 500 liv. d’appointemens; il seroit chargé du soin de veiller au traitement des épidémies. Le traitement des autres, qui seront bornés à des fonctions moins étendues, ne sera que de 350 liv. Que ceux qui murmurent en voyant cette indemnité donnée par la République aux officiers de santé appelés à l’honneur de secourir l’humanité souffrante soient repoussés ! que les administrateurs les rejettent du tableau des officiers de santé ! Ceux-là qui calculent froidement ce que donne la République pour une fonction aussi respectable, ne sont pas républicains; ils ne sont pas même des hommes... qu’ils aillent dans les hôpitaux des monarchies ! Quant à la fourniture des médicamens, l’expérience a appris que la distribution de boîtes de remèdes est la mesure la plus simple, et celle qui obvie le mieux à tous les inconvéniens, si nombreux dans ce genre de fournitures. Il sera distribué huit de ces boîtes par district : ce nombre nous a paru devoir suffire. Il en sera remis deux à chaque municipalité du lieu de résidence des officiers de santé d’arrondissement. Ce mode de placement doit paroître le plus avantageux : par ce moyen, les personnes chargées du dépôt des boîtes pourront s’éclairer auprès des officiers de santé sur les détails de la distribution des remèdes. Sur les huit boîtes, deux resteront en réserve à chaque administration de district pour subvenir aux besoins imprévus, ou pour faire face au traitement des épidémies. La compétition et la confection de ces boîtes nous ont paru devoir être confiées à des hommes de l’art qui seront désignés. En fait de médicamens, les fournitures par adjudications peuvent être admises; l’expérience a prononcé sur ce point. Enfin, il sera joint à chaque boîte une instruction sommaire sur la manière de distribuer et d’employer les médicamens qui y seront contenus. Nous ne vous proposerons pas de faire fournir les alimens en nature aux malades, sur-tout en viande et bouillon. Le nombre des communes étant de 42 mille, ce seroit un établissement ruineux que celui d’une marmite pour les malades indigens dans un si grand nombre de points de la République. Cette mesure, qui peut au plus avoir lieu dans les cas d’épidémies, parce qu’elles sont ordinairement concentrées dans certaines contrées, et que les malades y sont réunis, ne peut être admise pour des malades ordinaires également disséminés dans toute la République, et qui peuvent souvent ne pas même exister au nombre de deux dans la même co-mune. Pour remplacer ce genre de secours, qui entraîne une dépense énorme, vous préférerez sans doute de faire délivrer à chaque malade une somme modique par jour. Nous la fixons à dix sous, et à six sous pour les eni'ans au-dessous de dix ans. D’ailleurs, il sera ajouté à chaque boîte de médicamens une provision de farine de riz et de fécule de pomme de terre, qui serviront d’ alimens aux malades, particulièrement aux enfans. Pour vous donner une idée de l’étendue du secours que l’établissement dont nous parlons doit procurer, et de la dépense qu’il doit occasionner, nous vous présenterons le tableau suivant. Dans l’organisation révolutionnaire des secours que nous vous proposons, le nombre des individus secourus en santé s’élève à 106 250. Ces secours étant donnés à domicile, ne doivent pas être considérés comme accordés uniquement à celui qui les reçoit. C’est, dans ce genre d’assistance, la famille entière que l’on soulage : car c’est l’inappréciable avantage des secours à domicile qui multiplie en quelque sorte la bienfaisance nationale. Votre intention étant que le bienfait des inscriptions soit le plus également réparti, et que, pour l’étendre au plus grand nombre de familles, il n’en soit accordé, autant qu’il sera possible, qu’une par ménage; vous aurez 106 250 familles secourues. Maintenant, des résultats certains ayant appris que toute famille ou ménage donne au moins quatre personnes, ce sera une masse de 425 000 individus que vous embrasserez dans la distribution de vos secours. Nous avons pensé que tous ces individus dévoient être assistés dans leurs maladies, et que si le secours en santé devoit être regardé comme étant commun en quelque sorte à toute la famille de celui à qui il étoit accordé, toutes les personnes de la famille dévoient également avoir droit au secours établi pour l’état de maladie. La proportion la plus ordinaire des maladies sur une masse d’hommes quelconque paroissant être du vingtième, ce sera 21 250 malades que la totalité des familles assistées pourra donner; ce qui à raison de 551 districts donnera par jour pour chacun 38 à 39 malades, et 13 pour chaque arrondissement d’officier de santé. Dans la proportion de malades que nous venons d’énoncer, c’est celle qui a lieu pour les villes que nous avons suivie; elle pourroit paroître beaucoup trop forte dans l’application que nous en faisons aux campagnes; mais on doit remarquer que c’est sur la classe des vieillards et des cultivateurs ou des artisans infirmes, sur celle des femmes qui allaitent et sur leurs enfans, qu’elle porte; c’est-à-dire, sur les classes de la campagne les plus sujettes aux maladies, sur celles en un mot qui sous ce rapport se rapprochent le plus de la condition la moins heureuse des habitants des villes. Si l’on réfléchit que dans un nombre quelconque de malades, la majeure partie n’a pas besoin d’être visitée chaque jour, on verra que les arrondissemens formés au nombre de trois par 254 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de cette mesure, dictée par l’humanité; elle ne peut avoir lieu que pour l’organisation générale et déterminée des secours publics, dont le travail est encore incomplet; mais tout ce que cette institution peut avoir d’exécutable en ce moment pour les campagnes, vous vous ferez un devoir de le saisir, et d’en hâter l’accomplissement. Le nombre de trois officiers de santé par district nous a paru devoir suffire; ce sera, à raison du nombre moyen de huit cantons par district, de huit municipalités par canton, un arrondissement de deux à trois cantons, ou de vingt à vingt-quatre commîmes, que chacun d’eux aura à desservir : des rapports déjà connus apprennent que cette mesure peut être adoptée. Nous proposons de choisir toujours l’un de ces officiers de santé dans le chef-lieu de district : outre l’avantage d’y trouver plus facilement des hommes instruits, on aura encore celui de placer auprès de 1’administration qui doit surveiller le service, un conseil utile. Cet officier de santé auroit 500 liv. d’appointemens; il seroit chargé du soin de veiller au traitement des épidémies. Le traitement des autres, qui seront bornés à des fonctions moins étendues, ne sera que de 350 liv. Que ceux qui murmurent en voyant cette indemnité donnée par la République aux officiers de santé appelés à l’honneur de secourir l’humanité souffrante soient repoussés ! que les administrateurs les rejettent du tableau des officiers de santé ! Ceux-là qui calculent froidement ce que donne la République pour une fonction aussi respectable, ne sont pas républicains; ils ne sont pas même des hommes... qu’ils aillent dans les hôpitaux des monarchies ! Quant à la fourniture des médicamens, l’expérience a appris que la distribution de boîtes de remèdes est la mesure la plus simple, et celle qui obvie le mieux à tous les inconvéniens, si nombreux dans ce genre de fournitures. Il sera distribué huit de ces boîtes par district : ce nombre nous a paru devoir suffire. Il en sera remis deux à chaque municipalité du lieu de résidence des officiers de santé d’arrondissement. Ce mode de placement doit paroître le plus avantageux : par ce moyen, les personnes chargées du dépôt des boîtes pourront s’éclairer auprès des officiers de santé sur les détails de la distribution des remèdes. Sur les huit boîtes, deux resteront en réserve à chaque administration de district pour subvenir aux besoins imprévus, ou pour faire face au traitement des épidémies. La compétition et la confection de ces boîtes nous ont paru devoir être confiées à des hommes de l’art qui seront désignés. En fait de médicamens, les fournitures par adjudications peuvent être admises; l’expérience a prononcé sur ce point. Enfin, il sera joint à chaque boîte une instruction sommaire sur la manière de distribuer et d’employer les médicamens qui y seront contenus. Nous ne vous proposerons pas de faire fournir les alimens en nature aux malades, sur-tout en viande et bouillon. Le nombre des communes étant de 42 mille, ce seroit un établissement ruineux que celui d’une marmite pour les malades indigens dans un si grand nombre de points de la République. Cette mesure, qui peut au plus avoir lieu dans les cas d’épidémies, parce qu’elles sont ordinairement concentrées dans certaines contrées, et que les malades y sont réunis, ne peut être admise pour des malades ordinaires également disséminés dans toute la République, et qui peuvent souvent ne pas même exister au nombre de deux dans la même co-mune. Pour remplacer ce genre de secours, qui entraîne une dépense énorme, vous préférerez sans doute de faire délivrer à chaque malade une somme modique par jour. Nous la fixons à dix sous, et à six sous pour les eni'ans au-dessous de dix ans. D’ailleurs, il sera ajouté à chaque boîte de médicamens une provision de farine de riz et de fécule de pomme de terre, qui serviront d’ alimens aux malades, particulièrement aux enfans. Pour vous donner une idée de l’étendue du secours que l’établissement dont nous parlons doit procurer, et de la dépense qu’il doit occasionner, nous vous présenterons le tableau suivant. Dans l’organisation révolutionnaire des secours que nous vous proposons, le nombre des individus secourus en santé s’élève à 106 250. Ces secours étant donnés à domicile, ne doivent pas être considérés comme accordés uniquement à celui qui les reçoit. C’est, dans ce genre d’assistance, la famille entière que l’on soulage : car c’est l’inappréciable avantage des secours à domicile qui multiplie en quelque sorte la bienfaisance nationale. Votre intention étant que le bienfait des inscriptions soit le plus également réparti, et que, pour l’étendre au plus grand nombre de familles, il n’en soit accordé, autant qu’il sera possible, qu’une par ménage; vous aurez 106 250 familles secourues. Maintenant, des résultats certains ayant appris que toute famille ou ménage donne au moins quatre personnes, ce sera une masse de 425 000 individus que vous embrasserez dans la distribution de vos secours. Nous avons pensé que tous ces individus dévoient être assistés dans leurs maladies, et que si le secours en santé devoit être regardé comme étant commun en quelque sorte à toute la famille de celui à qui il étoit accordé, toutes les personnes de la famille dévoient également avoir droit au secours établi pour l’état de maladie. La proportion la plus ordinaire des maladies sur une masse d’hommes quelconque paroissant être du vingtième, ce sera 21 250 malades que la totalité des familles assistées pourra donner; ce qui à raison de 551 districts donnera par jour pour chacun 38 à 39 malades, et 13 pour chaque arrondissement d’officier de santé. Dans la proportion de malades que nous venons d’énoncer, c’est celle qui a lieu pour les villes que nous avons suivie; elle pourroit paroître beaucoup trop forte dans l’application que nous en faisons aux campagnes; mais on doit remarquer que c’est sur la classe des vieillards et des cultivateurs ou des artisans infirmes, sur celle des femmes qui allaitent et sur leurs enfans, qu’elle porte; c’est-à-dire, sur les classes de la campagne les plus sujettes aux maladies, sur celles en un mot qui sous ce rapport se rapprochent le plus de la condition la moins heureuse des habitants des villes. Si l’on réfléchit que dans un nombre quelconque de malades, la majeure partie n’a pas besoin d’être visitée chaque jour, on verra que les arrondissemens formés au nombre de trois par SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 255 district n’occasionneront aux officiers de santé aucune surcharge dans les temps ordinaires, et dans les cas où il en surviendroit dans quelques-uns des arrondissemens, nous avons dit qu’ils se suppléroient mutuellement. Pour ce qui concerne la dépense, on a fait les calculs suivans : Les 555 districts, à raison de trois arrondissemens chacun, donnent 1 665 officiers de santé; et leurs traitemens,, à raison de mille livres par chaque district, s’élèvent à la somme de 555 000 liv. Les 4 440 boîtes de médicamens, à raison de huit par district, donneront une dépense de 133 200 liv.; nous en portons le prix pour chacune à 30 liv. On peut évaluer à 27 750 liv. la dépense en provision de farine de riz et de fécule de pommes de terre, qui sera ajoutée aux boîtes, à raison de 50 liv. par district. La totalité de ces différentes sommes s’élève à 4 187 833 liv. 10 sous. On sent à vos applaudissemens que vous aimez ces détails, citoyens; ils ne paroîtront minutieux qu’aux riches et aux aristocrates; mais ici la sécheresse des détails doit disparoître devant l’intérêt du sujet que je traite. Vos cœurs se sont reposés déjà sur le spectacle des bienfaits que vous allez répandre sur les campagnes : déjà vous voyez célébrer dans toute la République la fête où le malheur sera honoré. Les premiers des Législateurs, vous consacrez à l’infortune un autel couvert de bienfaits. Oh ! combien ont de puissance sur les âmes les fêtes nationales, lorsque l’humanité et la justice viennent y présider ! Un grand livre va donc s’ouvrir dans chaque district, au milieu d’une cérémonie civique, le jour qui sera consacré au soulagement du malheur, conformément au décret rendu sur les fêtes nationales et décadaires. Là, en présence du peuple et des jeunes citoyens des écoles primaires, la justice nationale y inscrira le nom des vieillards indigens, des cultivateurs, des bergers et des artisans invalides, pour leur assigner des secours. C’est l’objet du premier et du deuxième titre du décret. Sur ce grand livre de la bienfaisance nationale, seront aussi écrits les noms des mères et des veuves ayant des enfans, habitans la campagne : elles ont des droits aux secours de la République. C’est l’objet du troisième titre. Dans le quatrième, on s’occupera des moyens d’organiser les secours à domicile; c’est là l’unique secret de la République, et c’est le moyen le plus assuré de faire disparoître dans peu de temps les établissemens qui appellent la mendicité au lieu de la détruire, et qui engloutissent l’humanité au lieu de la soulager. Des hommes de bronze et des administrateurs avides imaginèrent d’organiser les hôpitaux fondés par la charité des moines et par l’orgueil des tyrans; le gouvernement républicain s’occupera sans relâche des moyens de diminuer, par l’aisance générale et par la distribution plus juste des fortunes particulières et de la fortune publique, la masse des malheureux forcés de se réfugier dans les hôpitaux. Mais, en attendant les effets de cette opération rémunératrice et territoriale, portons les secours dans les lieux où ils sont nécessaires; que le malheureux ne reçoive plus, en échange d’un secours momentané et mesquin, le supplice de la séparation de sa famille. C’est sous l’humble toit où il est allé cacher sa misère, c’est à côté de sa femme, c’est en présence de ses enfants qu’il doit recevoir les bienfaits de la République; ils apprendront à l’aimer en la voyant pénétrer jusque dans la chaumière la plus reculée, jusque dans l’asile le plus ignoré. Accorder de pareils secours avec cette forme modeste, c’est secourir deux fois, c’est soulager le cœur et le besoin; c’est répandre des moyens d’existence dans toute une famille au lieu d’enrichir un économe ou un administrateur d’hôpital; c’est respecter la dignité de l’homme, ménager le sentiment des familles et rapprocher les citoyens. Le secours à domicile est réclamé depuis longtemps; il n’appartenait qu’à la Convention nationale de parvenir à l’organiser et à en faire jouir les citoyens malheureux. Quel changement admirable va s’opérer dans les fêtes des Français ! C’est le jour consacré par vous à honorer le malheur, qui sera celui où la reconnaissance publique s’acquittera envers les vieillards et les mères, les infirmes, les non valides, les cultivateurs et les artisans. Cette fête vraiment nationale sera célébrée dans chaque chef-lieu de district. Les mères et les vieillards ne doivent pas être exposés à des courses trop pénibles ou trop longues : les chefs-lieux de district sont assez près des habitations les plus reculées dans leur arrondissement, et il y a dans chaque district assez de population pour embellir cette fête simple, dédiée à la vieillesse et à la maternité. Quant aux citoyens à qui leurs infirmités ou leur âge avancé ne permettent pas de se rendre au chef -lieu de district pour la fête civique, ils en seront dispensés naturellement, et ils pourront se faire représenter pour la réception de leur semestre, avec les formalités établies par le décret. La bienfaisance ne doit pas être onéreuse à ceux qui en sont l’objet. Au milieu des émotions délicieuses que ce travail pour l’indigence vient de vous donner, je ne peux m’empêcher, en terminant ce rapport, de vous exprimer une dernière pensée qui vient involontairement affliger le cœur de tout homme qui jette ses regards sur l’état douloureux de cette partie de la société qui n’a d’autre dotation que le travail et la misère, d’autre espoir que l’emploi de ses forces et la mendicité, d’autre perspective que les fatigues du jour en santé, et l’abandon, les hôpitaux ou les tombes publiques en maladie. A ce spectacle l’on dirait que la moitié de la nation est née sous une constellation malheureuse, et doit aller s’engloutir dans des hôpitaux malsains, tandis que l’autre moitié épuise les délices de la vie dans des habitations brillantes. Si un tel abus pouvait être plus longtemps souffert, nous pourrions naturaliser parmi nous les préjugés des peuples barbares. Une relation de voyageur nous montre à Madagascar un préjugé dépopulateur qui règne au milieu de ce peuple doux, mais crédule et superstitieux. Il compte presque autant de jours heureux que de malheureux, et il immole impitoyablement tous les enfants qui naissent dans les jours réputés malheureux. Beniowsky, le plus éclairé d’entre les hommes de Madagascar, sauva plusieurs de ces victimes SÉANCE DU 22 FLORÉAL AN II (11 MAI 1794) - N° 49 255 district n’occasionneront aux officiers de santé aucune surcharge dans les temps ordinaires, et dans les cas où il en surviendroit dans quelques-uns des arrondissemens, nous avons dit qu’ils se suppléroient mutuellement. Pour ce qui concerne la dépense, on a fait les calculs suivans : Les 555 districts, à raison de trois arrondissemens chacun, donnent 1 665 officiers de santé; et leurs traitemens,, à raison de mille livres par chaque district, s’élèvent à la somme de 555 000 liv. Les 4 440 boîtes de médicamens, à raison de huit par district, donneront une dépense de 133 200 liv.; nous en portons le prix pour chacune à 30 liv. On peut évaluer à 27 750 liv. la dépense en provision de farine de riz et de fécule de pommes de terre, qui sera ajoutée aux boîtes, à raison de 50 liv. par district. La totalité de ces différentes sommes s’élève à 4 187 833 liv. 10 sous. On sent à vos applaudissemens que vous aimez ces détails, citoyens; ils ne paroîtront minutieux qu’aux riches et aux aristocrates; mais ici la sécheresse des détails doit disparoître devant l’intérêt du sujet que je traite. Vos cœurs se sont reposés déjà sur le spectacle des bienfaits que vous allez répandre sur les campagnes : déjà vous voyez célébrer dans toute la République la fête où le malheur sera honoré. Les premiers des Législateurs, vous consacrez à l’infortune un autel couvert de bienfaits. Oh ! combien ont de puissance sur les âmes les fêtes nationales, lorsque l’humanité et la justice viennent y présider ! Un grand livre va donc s’ouvrir dans chaque district, au milieu d’une cérémonie civique, le jour qui sera consacré au soulagement du malheur, conformément au décret rendu sur les fêtes nationales et décadaires. Là, en présence du peuple et des jeunes citoyens des écoles primaires, la justice nationale y inscrira le nom des vieillards indigens, des cultivateurs, des bergers et des artisans invalides, pour leur assigner des secours. C’est l’objet du premier et du deuxième titre du décret. Sur ce grand livre de la bienfaisance nationale, seront aussi écrits les noms des mères et des veuves ayant des enfans, habitans la campagne : elles ont des droits aux secours de la République. C’est l’objet du troisième titre. Dans le quatrième, on s’occupera des moyens d’organiser les secours à domicile; c’est là l’unique secret de la République, et c’est le moyen le plus assuré de faire disparoître dans peu de temps les établissemens qui appellent la mendicité au lieu de la détruire, et qui engloutissent l’humanité au lieu de la soulager. Des hommes de bronze et des administrateurs avides imaginèrent d’organiser les hôpitaux fondés par la charité des moines et par l’orgueil des tyrans; le gouvernement républicain s’occupera sans relâche des moyens de diminuer, par l’aisance générale et par la distribution plus juste des fortunes particulières et de la fortune publique, la masse des malheureux forcés de se réfugier dans les hôpitaux. Mais, en attendant les effets de cette opération rémunératrice et territoriale, portons les secours dans les lieux où ils sont nécessaires; que le malheureux ne reçoive plus, en échange d’un secours momentané et mesquin, le supplice de la séparation de sa famille. C’est sous l’humble toit où il est allé cacher sa misère, c’est à côté de sa femme, c’est en présence de ses enfants qu’il doit recevoir les bienfaits de la République; ils apprendront à l’aimer en la voyant pénétrer jusque dans la chaumière la plus reculée, jusque dans l’asile le plus ignoré. Accorder de pareils secours avec cette forme modeste, c’est secourir deux fois, c’est soulager le cœur et le besoin; c’est répandre des moyens d’existence dans toute une famille au lieu d’enrichir un économe ou un administrateur d’hôpital; c’est respecter la dignité de l’homme, ménager le sentiment des familles et rapprocher les citoyens. Le secours à domicile est réclamé depuis longtemps; il n’appartenait qu’à la Convention nationale de parvenir à l’organiser et à en faire jouir les citoyens malheureux. Quel changement admirable va s’opérer dans les fêtes des Français ! C’est le jour consacré par vous à honorer le malheur, qui sera celui où la reconnaissance publique s’acquittera envers les vieillards et les mères, les infirmes, les non valides, les cultivateurs et les artisans. Cette fête vraiment nationale sera célébrée dans chaque chef-lieu de district. Les mères et les vieillards ne doivent pas être exposés à des courses trop pénibles ou trop longues : les chefs-lieux de district sont assez près des habitations les plus reculées dans leur arrondissement, et il y a dans chaque district assez de population pour embellir cette fête simple, dédiée à la vieillesse et à la maternité. Quant aux citoyens à qui leurs infirmités ou leur âge avancé ne permettent pas de se rendre au chef -lieu de district pour la fête civique, ils en seront dispensés naturellement, et ils pourront se faire représenter pour la réception de leur semestre, avec les formalités établies par le décret. La bienfaisance ne doit pas être onéreuse à ceux qui en sont l’objet. Au milieu des émotions délicieuses que ce travail pour l’indigence vient de vous donner, je ne peux m’empêcher, en terminant ce rapport, de vous exprimer une dernière pensée qui vient involontairement affliger le cœur de tout homme qui jette ses regards sur l’état douloureux de cette partie de la société qui n’a d’autre dotation que le travail et la misère, d’autre espoir que l’emploi de ses forces et la mendicité, d’autre perspective que les fatigues du jour en santé, et l’abandon, les hôpitaux ou les tombes publiques en maladie. A ce spectacle l’on dirait que la moitié de la nation est née sous une constellation malheureuse, et doit aller s’engloutir dans des hôpitaux malsains, tandis que l’autre moitié épuise les délices de la vie dans des habitations brillantes. Si un tel abus pouvait être plus longtemps souffert, nous pourrions naturaliser parmi nous les préjugés des peuples barbares. Une relation de voyageur nous montre à Madagascar un préjugé dépopulateur qui règne au milieu de ce peuple doux, mais crédule et superstitieux. Il compte presque autant de jours heureux que de malheureux, et il immole impitoyablement tous les enfants qui naissent dans les jours réputés malheureux. Beniowsky, le plus éclairé d’entre les hommes de Madagascar, sauva plusieurs de ces victimes 256 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE du plus abominable préjugé, et les fit élever au fort appelé Dauphin, où ils vécurent et devinrent des hommes utiles. Cet exemple fit un si grand effet sur ces peuplades ignorantes que toutes les femmes à Madagascar prièrent l’épouse de Beniowsky, assassiné par le despotisme, de venir de l’Ile-de-France, où elle était retirée, pour qu’elles pussent prêter sous ses yeux le serment de ne plus distinguer les jours heureux et malheureux. L’épouse de Beniowsky parut, et aussitôt toutes les mères, en présence de la nature, tenant leurs enfants dans leurs bras élevés vers le ciel, jurèrent unanimement de les nourrir tous indistinctement et avec un égal intérêt. La cérémonie fut auguste et touchante, et le serment le plus pur qui se soit jamais élevé vers l’Auteur de la nature est celui des femmes de Madagascar dans cette circonstance, digne d’être citée dans les annales de l’humanité. Combien plus touchante et plus auguste sera la cérémonie dans laquelle le malheur sera honoré, puisque les deux extrémités de la vie y seront réunies avec le sexe qui en est la force ! Vous y serez, vieillards agricoles, artisans invalides, et à côté d’eux vous y serez aussi, mères et veuves infortunées chargées d’enfants ! et ce spectacle est le plus beau que la politique puisse présenter à la nature, et que la terre fertilisée puisse offrir au ciel consolateur. Représentants du peuple français, voilà les premiers pas vers la destruction de la misère et l’amélioration du sort de l’espèce humaine. Jurons, nous aussi, de ne plus reconnaître des classes d’hommes vouées à l’infortune ou abandonnées à l’indigence; jurons l’abolition de cette mendicité honteuse qui blesse la dignité de l’homme, offense la nature et l’humanité, flétrit l’âme des citoyens, déshonore toutes les administrations, et est incompatible avec le gouvernement républicain. Ce serment des représentants du peuple français sera aussi saint que celui des mères de Madagascar, et votre récompense sera dans les cœurs des habitants des campagnes et dans le bonheur du peuple. Voici le projet de décret : [adopté tel quel, sauf quelques variantes dans la rédaction] (1) . De nombreux applaudissements ont souvent interrompu le rapport de Bar ère. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BARERE, au nom] du Comité de salut public, décrète : Article unique. » Il sera ouvert dans chaque département un registre qui aura pour dénomination : Livre de la bienfaisance nationale. » Le premier titre sera intitulé : Cultivateurs vieillards ou infirmes. » Le second : Artisans vieillards ou infirmes. » Le troisième sera consacré aux mères et aux veuves ayant des enfans dans les campagnes. (1) Rapport imp. par ordre de la Conv. Broch. in-8°, 54 p. (A.N. ADXVIIIA4). TITRE 1er Des cultivateurs vieillards ou infirmes. Art. I. L’inscription sur ce livre, de laquelle il sera délivré un extrait par l’administration du département au cultivateur vieillard ou infirme qui l’aura obtenue, lui servira de titre pour percevoir annuellement un secours de 160 livres payable en deux termes, de six mois en six mois, et par avance. Art. II. Pour être inscrit, il faudra être indigent, âgé de 60 ans, et muni d’un certificat qui atteste que, pendant l’espace de vingt ans, il a été employé, sous tel rapport que ce soit, au travail de la terre. Ceux qui auront des infirmités acquises par ce genre de travail, pourront jouir du secours de 160 liv., quoiqu’ils ne soient pas sexagénaires, si d’ailleurs ils ne peuvent se procurer leur existence. Art. III. Les certificats de temps de travail et d’indigence seront délivrés par la commune du lieu de résidence du cultivateur ou de l’artisan vieillard ou infirme. » L’état d’infirmité sera attesté par deux chirurgiens du district, dont l’un sera toujours l’officier de santé de l’arrondissement, qui remplira cette fonction gratuitement. >» Ces pièces, visées par l’agent national de la commune, seront par lui adressées sans délai au district. Art. IV. Le nombre des inscriptions pour les cultivateurs vieillards ou infirmes, demeure fixé à quatre cents par chaque département. » Ce nombre pourra être augmenté dans la proportion de quatre inscriptions sur mille individus pour les départemens dont la population des campagnes sera reconnue excéder 100,000 habitans. Art. V. Les villes et bourgs dont la population est de 3,000 âmes et au-dessous, seront considérés comme faisant partie de la population des campagnes. Art. VI. Les départemens seront tenus d’adresser au Comité de salut public, avant le 15 Prairial au plus tard, les états qui constatent que leur population agricole excède 100 mille âmes, et dans quelle proportion, afin qu’ils puissent jouir, le plus promptement possible, du surplus des inscriptions dont ils doivent jouir sur-le-champ. Art. VII. Chaque district adressera à l’administration du département, dans huitaine au plus tard, à compter du jour de la réception du présent décret, les demandes en inscriptions et les pièces à l’appui qu’il aura reçues des agens nationaux des communes. » Chaque administration de département, après avoir réuni tout ce qui lui aura été adressé à cet égard par les districts de son arrondissement, et après examen préalable des pièces, sera tenue de faire procéder sur-le-champ aux inscriptions sur le livre de la bienfaisance nationale, et d’en faire délivrer des expéditions aux citoyens inscrits. Art. VIII. En cas que le nombre des demandes en inscription excède le nombre des inscriptions fixées par la présent décret pour chaque 256 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE du plus abominable préjugé, et les fit élever au fort appelé Dauphin, où ils vécurent et devinrent des hommes utiles. Cet exemple fit un si grand effet sur ces peuplades ignorantes que toutes les femmes à Madagascar prièrent l’épouse de Beniowsky, assassiné par le despotisme, de venir de l’Ile-de-France, où elle était retirée, pour qu’elles pussent prêter sous ses yeux le serment de ne plus distinguer les jours heureux et malheureux. L’épouse de Beniowsky parut, et aussitôt toutes les mères, en présence de la nature, tenant leurs enfants dans leurs bras élevés vers le ciel, jurèrent unanimement de les nourrir tous indistinctement et avec un égal intérêt. La cérémonie fut auguste et touchante, et le serment le plus pur qui se soit jamais élevé vers l’Auteur de la nature est celui des femmes de Madagascar dans cette circonstance, digne d’être citée dans les annales de l’humanité. Combien plus touchante et plus auguste sera la cérémonie dans laquelle le malheur sera honoré, puisque les deux extrémités de la vie y seront réunies avec le sexe qui en est la force ! Vous y serez, vieillards agricoles, artisans invalides, et à côté d’eux vous y serez aussi, mères et veuves infortunées chargées d’enfants ! et ce spectacle est le plus beau que la politique puisse présenter à la nature, et que la terre fertilisée puisse offrir au ciel consolateur. Représentants du peuple français, voilà les premiers pas vers la destruction de la misère et l’amélioration du sort de l’espèce humaine. Jurons, nous aussi, de ne plus reconnaître des classes d’hommes vouées à l’infortune ou abandonnées à l’indigence; jurons l’abolition de cette mendicité honteuse qui blesse la dignité de l’homme, offense la nature et l’humanité, flétrit l’âme des citoyens, déshonore toutes les administrations, et est incompatible avec le gouvernement républicain. Ce serment des représentants du peuple français sera aussi saint que celui des mères de Madagascar, et votre récompense sera dans les cœurs des habitants des campagnes et dans le bonheur du peuple. Voici le projet de décret : [adopté tel quel, sauf quelques variantes dans la rédaction] (1) . De nombreux applaudissements ont souvent interrompu le rapport de Bar ère. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport [de BARERE, au nom] du Comité de salut public, décrète : Article unique. » Il sera ouvert dans chaque département un registre qui aura pour dénomination : Livre de la bienfaisance nationale. » Le premier titre sera intitulé : Cultivateurs vieillards ou infirmes. » Le second : Artisans vieillards ou infirmes. » Le troisième sera consacré aux mères et aux veuves ayant des enfans dans les campagnes. (1) Rapport imp. par ordre de la Conv. Broch. in-8°, 54 p. (A.N. ADXVIIIA4). TITRE 1er Des cultivateurs vieillards ou infirmes. Art. I. L’inscription sur ce livre, de laquelle il sera délivré un extrait par l’administration du département au cultivateur vieillard ou infirme qui l’aura obtenue, lui servira de titre pour percevoir annuellement un secours de 160 livres payable en deux termes, de six mois en six mois, et par avance. Art. II. Pour être inscrit, il faudra être indigent, âgé de 60 ans, et muni d’un certificat qui atteste que, pendant l’espace de vingt ans, il a été employé, sous tel rapport que ce soit, au travail de la terre. Ceux qui auront des infirmités acquises par ce genre de travail, pourront jouir du secours de 160 liv., quoiqu’ils ne soient pas sexagénaires, si d’ailleurs ils ne peuvent se procurer leur existence. Art. III. Les certificats de temps de travail et d’indigence seront délivrés par la commune du lieu de résidence du cultivateur ou de l’artisan vieillard ou infirme. » L’état d’infirmité sera attesté par deux chirurgiens du district, dont l’un sera toujours l’officier de santé de l’arrondissement, qui remplira cette fonction gratuitement. >» Ces pièces, visées par l’agent national de la commune, seront par lui adressées sans délai au district. Art. IV. Le nombre des inscriptions pour les cultivateurs vieillards ou infirmes, demeure fixé à quatre cents par chaque département. » Ce nombre pourra être augmenté dans la proportion de quatre inscriptions sur mille individus pour les départemens dont la population des campagnes sera reconnue excéder 100,000 habitans. Art. V. Les villes et bourgs dont la population est de 3,000 âmes et au-dessous, seront considérés comme faisant partie de la population des campagnes. Art. VI. Les départemens seront tenus d’adresser au Comité de salut public, avant le 15 Prairial au plus tard, les états qui constatent que leur population agricole excède 100 mille âmes, et dans quelle proportion, afin qu’ils puissent jouir, le plus promptement possible, du surplus des inscriptions dont ils doivent jouir sur-le-champ. Art. VII. Chaque district adressera à l’administration du département, dans huitaine au plus tard, à compter du jour de la réception du présent décret, les demandes en inscriptions et les pièces à l’appui qu’il aura reçues des agens nationaux des communes. » Chaque administration de département, après avoir réuni tout ce qui lui aura été adressé à cet égard par les districts de son arrondissement, et après examen préalable des pièces, sera tenue de faire procéder sur-le-champ aux inscriptions sur le livre de la bienfaisance nationale, et d’en faire délivrer des expéditions aux citoyens inscrits. Art. VIII. En cas que le nombre des demandes en inscription excède le nombre des inscriptions fixées par la présent décret pour chaque