493 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 décembre 1789.] en délégations, à toucher sur le receveur général des domaines et bois de la généralité de Champagne. M. Lesure demande, en outre, que la liste des dons patriotiques soit imprimée, ainsi que l’Assemblée l’a ordonné le 20 novembre, lors de l’offre du don patriotique de la même ville. L’Assemblée décide que l’impression aura lieu. M. Lemercier. L’imprimeur de l’Assemblée a reçu depuis plus d’un mois la seconde section de l’état des pensions, je demande quel est le motif qui l’empêche de faire paraître cet état. M. Camus. L’Assemblée devrait être renseignée également sur les démarches qui ont été faites relativement aux livres rouges de divers départements. M. Lebrun. MM. de Lablache et Perrier sont chargés de cet objet, et mettront incessamment le comité des finances à même de répondre à ce sujet à l’Assemblée. M. le marquis d’Ambly. Je fais la motion de décréter que toutes les pensions non mentionnées dans la liste soient censées supprimées. M. le comte Charles de Lameth. Nous ne conserverons sur l’état des dépenses à faire annuellement que celles qui auront été éxaminées et jugées indispensables. 11 est inutile de dire que ce qui ne sera pas connu ne sera pas payé; nous aurions l’air d’être disposés à laisser aux ministres le droit de faire des dépenses secrètes et non autorisées. M. ©basset. L’Assemblée avait confié à MM. Mounier et Camus le soin de rédiger les procès-verbaux des séances, depuis le 5 mai jusqu’au moment où l’Assemblée nationale s’est constituée. M. Mounier a emporté les notes nécessaires à ce travail, qu’il est cependant indispensable de terminer. L’Assemblée décrète que MM. Salomon de La Saugerie, Camus et Emmery, seront tous les trois chargés de ce travail. M. Chasset, l'un de MM. les secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la veille. 11 ne s’élève aucune réclamation. M. le Président. M. le garde des sceaux me prie de rappeler à l’Assemblée le mémoire qu’il lui a adressé et qui concerne des emprunts que diverses municipalités se proposent de contracter, ce mémoire mérite toute l’attention de l’Assemblée, sous le double rapport de la subsistance des citoyens et des moyens de fournir de l’ouvrage aux pauvres. Un membre du comité des finances répond que le comité n’a pas eu connaissance de ce mémoire; que les villes de Besançon, Langres et Lille sont les seules qui demandent à faire des emprunts; que le comité a renvoyé la demande de la ville de Langres au comité ecclésiastique parce qu’il s’agit de fonds à prendre sur les biens du clergé. L’Assemblée ajourne cette affaireà samedi soir. M. le Président. J’ai reçu hier la visite de M. Tortt, Brabançon, envoyé par M. Vandernoolt 11 m’a dit qu’il devait exister dans les bureaux un paquet adressé à l’Assemblée nationale. Ce paquet vient en effet de m’être remis. Je reçois en même temps une lettre de M. le comte de Montmorin, conçue en ces termes : « Monsieur le président, « Le sieur Vandernoolt, se disant agent plénipotentiaire des Brabançons, vient de m’adresser pour le Roi un paquet qu’il m’annonce renfermer le manifeste par lequel ils se déclarent indépendants. « Sa Majesté a jugé qu’il n’était ni de sa justice, ni de sa dignité, ni de sa prudence d’accueillir une semblable démarche ; elle a pensé que le seul parti convenable à prendre était de renvoyer ce paquet au sieur Vandernoolt sans l’avoir ouvert, et c’est ce que j’ai fait en exécution de ses ordres. « Le Roi informé que la même démarche a été ou doit être faite auprès de l’Assemblée nationale, a trouvé convenable de lui faire connaître le parti qu’il a pris, et il m’a ordonné, monsieur le président, d’avoir l’honneur de vous le mander « J’ai l’honneur d’être avec respect, « Monsieur le président, « Votretrès-humbleet très-obéissant serviteur, « Comte de Montmorin. » Après cette lecture, l’Assemblée décide qu’elle mettra à son ordre du jour : 1° l’affaire qui regarde le peuple Brabançon, samedi à l’ordre de deux heures ; 2° la discussion du rapport fait par le comité militaire, lundi àl’ordrede deuxheures ; 3° le rapport des subsistances des colonies et les moyens à prendre pour arrêter les désordres qui se commettent dans les bois, mardi, séance du soir M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour et reprend la suite de la discussion sur l'organisation des municipalités. M. Target donne lecture ainsi qu’il suit de dix articles nouveaux qui doivent compléter le travail du comité sur les municipalités. « Art 1er. Dans les assemblées primaires et dans celles des électeurs, il sera fait choix d’abord d’un président et d’un secrétaire; jusque-là le doyen d’âge tiendra la séance et les scrutins seront recueillis et dépouillés par les trois plus anciens d’âge, en présence de l’Assemblée. » M. Gaultier de Biauzat. Je propose par amendement de mettre après les mots plus anciens d’âge, ceux de sachant lire et écrire. M. Martineau, ce serait déshonorer notre constitution que d’y introduire une disposition pareille. J’en demande le rejet. M. Gaultier de Biauzat. Mon amendement avait pour but de répandre l’instruction élémentaire. Puisqu’il n’est pas ici à sa place, je n’insiste point et je le retire. L’article du comité est adopté. « Art. 2. Il sera procédé ensuite, en un seul scrutin de liste, recueilli par les mêmes, à la nomination de trois scrutateurs, pour recevoir et dépouiller les scrutins d’élection tant de3 membres de l’Assemblée nationale que de ceux des Assemblées administratives. » Cet article est adopté sans discussion. « Art 3. Les administrateurs de département nomment dès leur première séance, un président et un secrétaire, en un scrutin individuel et à la 494 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 décembre 1*789.] pluralité absolue des suffrages. Le président, tant qu’il sera en fonctions, aura droit de présider l’assemblée du directoire, qui pourra néanmoins se choisir un vice-président. » M. Prieur. Je propose de modifier l’article et de dire que les administrations de département choisiront leur président tous les quinze jours et les secrétaires tous les mois. M. le Président consulte l’Assemblée qui rejette l’amendement. L’article 3 est adopté. « Art. 4. Dans les villes de 4,000 âmes et au-dessous, il n’y aura qu’une assemblée primaire ; il y en aura deux dans celles qui auront plus de 4,000 âmes jusqu’à 8,000; il y en aura trois dans les villes qui contiendront plus de 8,000 âmes jusqu’à 12,000 et ainsi de suite. Les sections se formeront par quartier. Cet article est adopté sans discussion. M. Target. Les articles que vous venez de voter étaient imprimés sous les nos 18, 19, 20, 21 et 22, il reste à statuer maintenant sur quelques articles qui ont été indiqués au comité de constitution par plusieurs membres de l’Assem-Ijlée. Je vais en faire lecture. « Art. 5. Les membres des corps municipaux, durant leur exercice, ne pourront être en même temps membres des administrations de district ou de département. Ceux des administrations de district ne pourront être en même temps membres de celles de département. » L’article 5 est adopté sans discussion. « Art. 6. Chaque assemblée de citoyens actifs, d’électeurs, d’administrations de département, d’administration de district et de municipalité, sera juge de la validité des titres de ceux qui se présenteront pour y être admis. » M. TepelIetierdeSaint-Fargeau. Je trouve de la difficulté à faire juger ainsi des titres par ceux mêmes dont les titres ne seront pas jugés : j e propose de faire examiner ceux de l’assemblée entrante par l’assemblée sortante. M. le curé de ***. Je demande que les municipalités renvoient ces contestations par-devant les assemblées de district, et les districts par-devant les départements. M. Rœderer. Vous avez décidé que beaucoup de places sont incompatibles avec les fonctions municipales. Ne peut-il pas arriver que, parmi les membres élus pour une municipalité, le plus grand nombre soit pourvu de ces sortes de places? Alors, condescendant aux vues les uns des autres, respecteront-ils vos décrets? Il faut, en consacrant un principe précieux, autoriser une surveillance supérieure ou concomitante, pour faire rentrer dans la règle. Je propose en conséquence que le procureur de la commune ait le droit d’interjeter appel de la vérification des titres des nouveaux officiers municipaux, par-devant le district ou le département. M. le Président consulte l’Assemblée qui adopte l’article 6 tel qu’il est proposé par le comité. « Art. 7. Toutes les places dans les municipalités et dans les assemblées administratives devant être purement électives, les droits de nomination, présentation ou confirmation, les droits de présence ou de présidence aux assemblées municipales ou administratives, prétendus réclamés ou exercés, comme attachés à la possession de certaines terres, aux fonctions de commandant de ville ou de province, aux évêchés ou archevêchés, ou à tel autre titre que ce puisse être, sont entièrement abolis. » M. Villoutreix de Faye, évêque d'Oléron. Un souverain du Béarn, après avoir envahi les propriétés de l’église d’Oléron, reconnut son injustice; Dieu lui fit la grâce de rentrer en lui-même, et il céda à cette église tous ses droits de souveraineté. Je demande à ce titre une exception pour la ville d’Oléron et je prie l’Assemblée de décréter que l’ancien droit de souveraineté de l’évêque et du chapitre de Sainte-Marie d’Oléron, en vertu duquel les officiers municipaux étaient à leur nomination, sera maintenu. M. Bracq, député du Cambrésis, fait une semblable réclamation pour l’archevêque de Cambrai, en disant qu’elle est formellement stipulée dans son cahier. M. Target. Quelques fortes et fondées que puissent paraître à ceux qui les font, les réclamations que vous venez d’entendre, elles ne sauraient cependant entrer en parallèle avec les droits du Roi de nommer aux places municipales; partout ces droits se trouvent anéantis par les articles que vous avez décrétés. Les amendements sont mis aux voix et rejetés. L’article 7 est adopté. « Art. 8. Lorsque les administrations de département et de district seront en activité, les états provinciaux, les assemblées provinciales et les assemblées inférieures qui existent actuellement, demeureront supprimés, et cesseront entièrement leurs fonctions. » L’article 8 est adopté sans discussion. '< Art. 9. Dans les provinces de la France qui ont eu jusqu’à présent une administration commune et qui sont divisées en plusieurs départements, chaque administration de département nommera deux commissaires qui se réuniront pour faire ensemble la liquidation des dettes contractées sous le régime précédent, en régler la répartition entre les différentes parties de ces provinces, et mettre à fin les anciennes affaires communes. Le compte des travaux de ces commissaires sera rendu à une assemblée formée de quatre autres commissaires qui seront choisis à cet effet par. chaque administration de département. » L’article 9 est adopté. « Art. 10. Il n’y aura aucune autorité intermédiaire entre les administrations de département et le pouvoir exécutif suprême. Les commissaires départis , intendants et subdélégués, cesseront toutes fonctions aussitôt que les administrations de département seront entrées en activité. » (L’article 10 fait éclater les témoignagnes de joie les plus vifs de la part des représentants. U est pourtant mis en discussion.) M. le comte de Custine observe que l’article est insuffisant en ne portant que la cessation des fonctions des intendants ; il dit qu’il faut prononcer expressément leur suppression ainsi que celle des subdélégués. D'autres membres croient inutile de nommeî [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 décembre 1789.] 495 les subdélégués dont les fonctions subalternes et dépendantes s’évanouissent avec celles des commissaires départis dont ils tiennent leur pouvoir. M. Target. Je réponds que les commissaires départis, dont la présence a fait tant de sensation dans les provinces, n’avaient ni titre, ni office, mais seulement de simples commissions du conseil ; qu’il y avait aussi de pareilles commissions du conseil données à des subdélégués généraux, qu’ainsi il est aussi nécessaire de faire mention des subdélégués, qu’inutile d’appliquer le mot suppression pour les intendants. M. Hébrard. En supprimant les intendants vous n’avez sans doute pas entendu, Messieurs, les dispenser de l’obligation bien pressante de rendre compte ; mais ce serait inutilement que vous l’ordonneriez s’ils restaient les maîtres des titres et documents qui établissent leur administration; je propose donc par addition qu’il soit décrété que dès l’instant qu’ils cesseront leurs fonctions, ils seront tenues de remettre au procureur général syndic de département ou procureur syndic de district, tous les titres, papiers et documents concernant les différentes parties de leur administration ; qu’il en soit dressé état et procès-verbal en leur présence ou eux appelés et le tout remis au secrétariat desdits départements ou districts. M. Démeunier fait remarquer que la motion est un article de règlement et non un article de constitution. L’addition proposée par M. Hébrard, du consentement de son auteur, est renvoyée à l’époque du règlement particulier qui suivra les articles constitutifs des municipalités. M. le Président consulte l’Assemblée et l’article 10 proposé par le comité est décrété à l’unanimité. M. Target. Le travail sur les municipalités est fini. Le comité va mettre en ordre tous les articles et en fera la lecture lundi. Il y a de plus une instruction pour les provinces qui a été rédigée par M. Tbouret et que nous vous proposerons comme une utile addition à l’important travail que vous avez accompli. (On demande l’impression de tous les articles décrétés.) M. Démeunier observe qu’il faut préalablement que l’Assemblée arrête l’ordre dans lequel ces articles seront placés. L’Assemblée, par des applaudissements réitérés, témoigne au comité de constitution combien elle est satisfaite de ses travaux et de son zèle. Les spectateurs joignent leurs applaudissements à ceux de l'Assemblée. M. le Président. M. le comte de Mirabeau demande à présenter un décret additionnel. Je lui donne la parole. M. le comte de Mirabeau. La proposition que j’ai l’honneur de vous soumettre me paraît renfermer une sauvegarde essentielle de la constitution que nous travaillons à établir. L’accueil que vous avez fait à des vues morales me persuade que l’on peut toujours obtenir votre attention, en vous présentant les matières de législation sous cet aspect. 11 s’agit, dans la motion que je vous propose, d’examiner s’il convient d’assujettir à une marche graduelle les membres de nos différentes administrations. Vous voyez, Messieurs, que je n’ai point eu l’ambition des idées nouvelles : c’est dans la pratique des républiques les mieux ordonnées, les mieux affermies, que j’ai trouvé la trace de cette loi ; mais ni son antiquité ni sa simplicité ne seront à vos yeux des titres de réprobation. Il me semble qu’elle s’adapte admirablement à la constitution que nous avons faite, et qu’elle en cimente toutes les parties. Si nous n’avions pas posé l’égalité comme une loi fondamentale, on dirait peut-être qu’il est contraire aux préjugés de quelques individus de commencer la carrière des affaires publiques par des commissions subalternes ; mais cette égalité, dont nous avons fait une loi, il nous importe, Messieurs, qu’elle ne soit pas une chimère ; il nous importe qu’elle soit retracée dans toute la constitution, qu’elle en devienne le principe indestructible, et que, par une suite de nos établissements politiques, les mœurs, les habitudes les sentiments se rapportent aux lois, comme les lois se rapportent au modèle de la raison et à la nature des choses. Si nous négligeons les secrets de cet accord, si nous ne mettons pas l’homme en harmonie avec les lois, nous aurons fait un beau songe philosophique, nous n’aurons pas fait une constitution. Les règles fondamentales d’un bon gouvernement sont faciles à connaître; mais lier si bien ces règles à l’exécution, que l’obéissance de la loi découle de la loi même ; enchaîner les citoyens par toutes les habitudes au joug de la loi, c’est aller au delà du philosophe, c’est atteindre le but du législateur. Une marche graduelle n’est-elle pas indiquée par la nature elle-même dans toutes ses opérations, par l’esprit humain dans tousses procédés, par l’expérience dans tous ses résultats, comme la marche à laquelle a voulu nous assujettir l’au ¬ teur éternel des êtres? La politique est une science ; l’administration est une science et un art ; le gouvernement embrasse tout ce qu’il y a de grand dans l’humanité; la science qui fait le destin des Etats est une seconde religion, et par son importance et par ses profondeurs. L’art le plus difficile serait-il donc le seul qu’il ne faudrait point étudier? Le regarderions-nous comme les jeux de hasard que l’on n’apprend point, parce qu’ils dépendent de combinaisons qui surpassent notre portée? Raisonnerions-nous sur la politique autrement que sur tous les objets de la vie ? Si l’expérience ne se forme que par degrés, si elle étend sa sphère peu à peu, si sa marche naturelle est de s’élever graduellement du simple au composé, la nature et la raison veulent que l’on passe par les fonctions les plus simples de l’administration, avant que de parvenir aux plus compliquées ; qu’on étudie les lois dans leurs effets, dans leur action même, avant que d’être admis à les réformer, et à en dicter de nouvelles ; qu’on ait subi enfin un genre d’épreuves qui écarte l’incapacité ou la corruption, avant que d’arriver a l’Assemblée nationale. Je vais présenter à l’appui de ce système quelques observations plus particulières, et résoudre une objection spécieuse. Si vous décrétiez, Messieurs, qu’il faudrait avoir réuni deux fois les suffrages du peuple, comme membre de quelque assemblée administrative, ou de quelque tribunal, avant que d’être éligible à l’Assemblée nationale, vous donneriez une double valeur à toutes les élections, vous mettriez ceux