SÉANCE DU 15 VENDÉMIAIRE AN III (6 OCTOBRE 1794) - N08 52-55 353 52 Une députation des élèves de l’institut du Mont-Blanc présente leurs regrets à la Convention nationale de n’avoir que des voeux stériles à lui offrir, tandis qu’un de leurs camarades va déjà cueillir des lauriers dans la Vendée : en attendant que leurs forces secondent leur ardeur, ils travaillent à acquérir les connoissances dont ils ont besoin pour servir leur patrie. Mention honorable, insertion au bulletin (88). Représentons du Peuple, Les élèves de l’Institut du Mont-Blanc, qui nous ont députés vers vous, ont cru devoir saisir avec empressement cette circonstance pour vous faire hommage de leur dévouement. Ils regrettent de n’avoir à vous offrir que des voeux stériles ; tandis qu’un de leurs camarades (Charles-Amable Le Pauvre, âgé de 17 ans, parti pour la Vendée le 4 fructidor) va déjà cueillir les lauriers au champ de la gloire. Mais en attendant que leurs forces secondent leur ardeur, ils travaillent avec zèle, l’assiduité et l’application dont ils sont susceptibles, à se mettre en état de servir utilement la patrie, tant dans l’état civil, que dans l’état militaire (89). 53 On réclame l’appel nominal pour le complément des comités de Salut public et de Sûreté générale. La Convention nationale décrète qu’il aura lieu dans cette séance pour compléter le premier de ces comités, et ce soir dans une séance extraordinaire pour compléter le second (90). 54 Des mères, des épouses, des enfans de patriotes opprimés sont introduits à la barre, et demandent en leur nom qu’ils soient promptement jugés. Renvoyé au comité de Sûreté générale, pour statuer incessamment. Ces pétitionnaires sont admis à la séance, de même que ceux qui les ont précédés à la barre (91). (88) P.-V., XL VI, 332. (89) C 322, pl. 1351, p. 33. (90) P.-V., XL VI, 332. (91) P.-V., XL VI, 332. 55 Un membre a donné lecture d’une lettre écrite à la Convention nationale par le citoyen Dentzel, représentant détenu, tendante à obtenir sa translation dans son domicile en cette commune, avec sa famille : à cette lettre étoit jointe un certificat d’officier de santé. Et sur la motion d’un autre membre [COUTURIER], La Convention nationale a décrété que le représentant Dentzel sera transféré dans son domicile à Paris, où il restera dans le sein de sa famille, jusqu’à ce que le comité de Salut public ait fait un rapport sur la question de savoir si ce citoyen fait partie intégrante de la République, et le comité de Salut public sera tenu de faire ce rapport dans la huitaine (92). [Le représentant Dentzel à la Convention nationale, de la maison d’arrêt des Ecossais, le 14 vendémiaire an III] (93) Liberté Egalité Citoyens représentans mes collègues, Enfermé depuis cinq mois à Landau, pendant le blocus et le bombardement de cette place, ayant soutenu toutes les horreurs de la guerre intérieure et extérieure, assassiné par des scélérats, calomnié par ces mêmes hommes auprès de la Convention nationale, provisoirement arrêté par elle depuis neuf mois, trainé de prison en prison, j’ai contracté une maladie grave, dont l’état est constaté par les certificats ci-joints. Mon honneur et ma réputation, conservée sans tache depuis ma naissance, est flétrie et le soupçon plane sur ma tête. Citoyens représentans, mes collègues, certes dans ces circonstances la mort n’est rien, elle est même à désirer, mais aurais-je donc la douleur de descendre au tombreau sans que mon innocence soit reconnue de mes collègues. Non la Convention nationale est juste, elle se fera rendre compte de cette affaire, elle fixera un jour pour déchirer le voile d’intrigues et de cabales, qui ont sacrifié un de ses membres pur et loyal. En fixant ce terme elle ajoutera encore à la bonté qu’elle a eu d’ordonner plusieurs fois un prompt rapport de cette affaire importante. En attendant cette justice, j’implore l’humanité de la Convention nationale de m’accorder la faveur, qu’elle n’a pas refusé à deux de mes collègues, de me retirer avec un gendarme chez moi pour y être traité et soigné pendant ma maladie. Salut et fraternité. Dentzel, député du Bas-Rhin à la Convention nationale. (92) P.-V., XLVI, 333. C 321, pl. 1331, p. 54, minute de la main de Merlin (de Thionville), rapporteur. Moniteur, XXII, 172 ; J. Fr., n° 742; Gazette Fr., n 1009; M. U., XLIV, 247-248. (93) C 321, pl. 1343, p. 18. 354 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE [ Certificat médical du 14 vendémiaire an 77/1(94) Je sousigné chef des officiers de santé des prisons et maisons d’arrêt du département de Paris, certifie avoir vu et visité dans la maison d’arrêt des Ecossois rue Victor, le citoyen Georges Frédéric Dentzel, député du Bas-Rhin, pour constater son état maladif, l’ayant interrogé, et examiné avec la plus scrupuleuse attention, il nous a déclaré que depuis huit jours il avoit un dévoyement disenterique, que les urines couloit très mal et étoit sédimenteuse, ou mêlée de glaires, qu’il avoit la région de l’estomac gonflée, pesanteur à la tête, la respiration très courte, ne pouvant se coucher que la tête très élevée; l’ayant examiné, nous lui avons trouvé le pouls petit et concentré, le grand et petit lobbe du foye engorgé, la région de l’esthomac timpouisée (?). Les urines nous ont paru bourbeuses et rares, d’après tous ces désordres que nous attribuons à la maladie du tube intestinal, ainsi qu’aux engorgements des vicères du bas ventre, nous estimons que le citoyen Dentzel a le plus grand besoin de tous les secours qu’exige son état, tant par les boissons diurétiques, adoucissantes et fondantes, affin de prévenir de plus grands désordres qui pourroient lui faire naitre une hy-dropisie du bas ventre, mais tous les secours dont il a besoin ne peuvent lui être administrés utilement dans la maison où il est. Guilbert, Rufin. 56 Un membre, au nom du comité de Salut public, annonce que l’armée de Sambre-et-Meuse vient de remporter une victoire signalée sur les bords de la Roër, et que la prise de la forteresse de Juliers en est le fruit. Il ajoute que cet événement est le plus important de tous ceux qui ont eu lieu dans le cours de cette campagne, sans même en excepter la bataille de Fleurus; que soixante pièces de canon, beaucoup de munitions, plus de cinquante milliers de poudre sont tombés au pouvoir de la République ; que l’ennemi, qui avoit rallié toutes ses forces sur ce point, étoit au nombre de près de quatre-vingt mille hommes, et qu’il avoit pour lui tous les avantages de la nature et de l’art. Cette heureuse nouvelle est reçue au milieu des plus vifs applaudissemens, plusieurs fois renouvelés et long-temps prolongés (95). CARNOT, au nom du comité de Salut public : Citoyens, une victoire signalée vient de mettre le comble à la gloire de l’armée de Sambre-et-Meuse. (Vifs applaudissements) L’en-(94) C 321, pl. 1343, p. 19. (95) P.V., XLVI, 333. Ann. Patr., n° 644; C. Eg., n" 779, 780; F. de la Républ., n° 17; J. Paris, n* 16; Gazette Fr., n° 1010; J. Fr., n" 741. nemi, retranché sur les bords de la Roër, sous la protection et la forteresse de Jubers, vient d’être complètement battu, et la forteresse de Jubers est prise. ( Vifs applaudissements) Cet événement est le plus important de tous ceux qui ont encore eu beu dans le cours de cette campagne, sans même en excepter la bataille de Fleurus (les applaudissements se renouvellent)', il coupe tout espoir de secours à Maëstricht, assure un point d’appui près des bords du Rhin, relègue l’ennemi au-delà de ce fleuve, ouvre la HoUande, assure nos quartiers d’hiver, et nous rend maîtres de toutes les ressources des pays de Limbourg, Colognes, Trêves, Luxembourg et Jubers. (L’assemblée se lève tout entière, aux cris de vive la République ! La salle retentit d’applaudissements, à trois reprises) L’opération étoit aussi la plus difficile qui eût encore été faite. L’ennemi avoit ralbé toutes ses forces; il étoit au nombre de 80 000 hommes; tous les avantages de la nature et de l’art étoient pour lin; mais nous avions pour nous le courage, la confiance, le souvenir de notre gloire. Et que sont tous les obstacles de l’art et de la nature près du génie de la hberté et de l’amour de la patrie! (Applaudissements) Citoyens, vous n’avez donc plus au dehors que des ennemis humihés et fuyans. C’est ainsi que les armées ont accompli leur tâche les premières : c’est à nous d’accomplir la nôtre ; (vifs applaudissements) elles nous ont imposé le devoir d’écraser les ennemis au dedans. Citoyens, les armées triomphantes sont dociles à votre voix, et vous souffririez que quelques intrigans vinssent ici vous dicter des lois? Non! (Tous les membres s’écrient : non, non) MERLIN (de Thionville) : Ecrasons l’Autriche au-dehors; nous saurons aussi l’écraser au-dedans. On applaudit. CARNOT continue : Il est temps que la représentation nationale, de ses bras de géant, sacrifie toutes les factions; qu’en les frappant l’une contre l’autre, elle les réduise en poudre et qu’elle annonce enfin qu’elle seule veut rester dépositaire des droits du peuple, et qu’elle anéantira quiconque osera porter une main hypocrite ou furieuse, n’importe, au coeur de la révolution. Vifs applaudissements. CARNOT lit les lettres officielles qui excitent le même enthousiasme que le rapport (96). [Gillet, représentant du peuple près l’armée de Sambre-et-Meuse, au comité de Salut public, du quartier général de Juliers, le 12 vendémiaire an III] (97) (96) Débats, n” 745, 252-253; Moniteur, XXII, 167; Bull., 15 vend. ; Ann. R. F., n° 15; Ann. Patr., n“ 644; F. de la Républ., n° 16; Gazette Fr., n' 1009; J. Fr., n” 741; J. Mont., n° 160; J. Perlet, n° 743; J. Univ., n” 1777; Mess. Soir, n° 779; M. U., XLIV, 235; Rép., n° 16. (97) Débats, n” 747, 281-284; Bull., 15 vend.; Moniteur, XXII, 167-168; Ann. Patr., n° 644; C. Eg., n 780; J. Fr., n" 742; J. Mont., n” 162; J. Paris, n“ 17; J. Perlet, n° 744; Mess. Soir, n” 779; M. U., XLIV, 242-246.