295 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.1 des amis de la Constitution au comité des rapports, pour en rendre compte incessamment.) M. le Président. Le comité des rapports a la parole, au sujet de la non-exécution du décret concernant les membres de la chambre des vacations du parlement de Toulouse. M. de Broglie, rapporteur. Vous vous rappelez sans doute que, le 8 octobre dernier, sur le compte que j’eus l'honneur de vous rendre au nom des comités des rapports et de Constitution des arrêtés pris les 25 et 27 septembre précédent par les membres de la ci-devant chambre des vacations du parlement de Toulouse, vous rendîtes un décret qui, en attribuant le jugement de ces magistrats au tribunal qui serait incessamment formé pour juger les crimes de lèse-na-tion, portait que le roi serait supplié de donner des ordres pour s’assurer de leurs personnes, ainsi que tous antres ordres nécessaires pour l’exécution de ce décret. Le jour même, ce décret fut porté à la sanction du roi; une lettre de M. Guignard, ministre du département, nous apprend qu’il fut sanctionné le 12, et qu’il fut adressé le 14 à la municipalité de Toulouse avec une proclamation du roi. Cependant nous sommes forcés de vous dire ue ce décret n’a point reçu son exécution. C’est e ce fait que votre comité m’a chargé de vous rendre compte. Je vais vous en développer les motifs, et vous donner lecture de la lettre qui a été adressée à l’Assemblée nationale par la municipalité de Toulouse; elle est datée du 27 octobre dernier. M. le rapporteur fait lecture de cette lettre : « Nous nous trouvons dans la situation la plus critique; exposés aux efforts des mécontents de notre ville, ayant à lutter sans cesse contre leurs intrigues, leur acharnement, nous sommes dans la plus grande perplexité par le défaut d’instructions. Le ministre s’est contenté de nous envoyer le décret que vous avez rendu contre les ci-devant magistrats du parlement de Toulouse, tandis que ce décret portait expressément que le roi serait supplié de faire donner des ordres pour son exécution et d’en déterminer les mesures. N’ayant point de troupes à notre disposition, nos gardes nationales n’étant point armées, nous n’avons pu exiger de la part des ci-devant magistrats que des déclarations de ne pas s’éloigner. Il se fait à Toulouse des envois d’armes qui nous inquiètent; depuis huit mois nous en demandons en vain au ministre pour notre garde nationale; il ne nous a pas même répondu. Voici la lettre d’envoi dont il a accompagné la proclamation du roi .« Je vous envoie, ci-joint, la proclamation du roi sur le décret do l’Assemblée nationale. Je vous prie de m’en accuser la réception et de m’instruire des mesures que vous aurez prises pour assurer son exécution. » Voici une autre pièce : « Les officiers municipaux étant assemblés le 10 octobre dans le consistoire de la maison commune, le sieur Ferrny a apporté un paquet adressé à son père, attendu qu’il ignorait absolument où il était. Sur ce que nous lui avons observé qu’il devait se donner quelques soins pour découvrir son père, il a répondu qu’il lui était impossible de le trouver, qu’il n’était ni à Toulouse, ni à sa maison de campagne; et il a déposé le paquet sur le; bureau. Le corps municipal envoya ensuite sou secrétaire-greffier chez M. Marivaux, ci-devant président de la chambré des vacations. Celui-ci ne s’était point enfui : mais il a déclaré qu'il n’avait depuis longtemps assistéaux séances de sa chambre... Voici la déclaration dont nous avons dressé le modèle, et que nous avons fait signer par dix magistrats • « Je soussigné, etc., certifie et m’oblige, sur ma parole d’honneur, de me représenter sur le réquisitoire de la municipalité, et, en conséquence, si je m’absente, soit pour aller à ma maison de campagne ou ailleurs, j’en demanderai la permission à la municipalité. » M. de Broglie continue. Il résulte des faits énoncés dans cette lettre, ainsi que dans les pièces qui y étaient jointes, que la municipalité de Toulouse n’ayant à sa disposition ni troupes réglées, ni milice nationale armée, n’ayant reçu du ministre du département qu’une simple lettre d’envoi, n’étant, d’après les principes constitutionnels, nullement destinée a remplir les fonctions exclusivement attribuées au pouvoir exécutif ou à ses agents, n’a pu ni dû se conduire autrement qu’elle ne l’a fait, et néanmoins que les personnes dont la détention avait été ordonnée sont en pleine liberté; qu’elles peuvent, d’un moment à l’autre, échapper par la faite aux dispositions du décret prononcé contre elles, et que la forme même de l’espèce d’engagement qu’elles ont souscrit de se représenter toutes les fois qu’elles en seraient requises renferme évidemment des moyens faciles d’évasion. Enfin il est certain que M. Ferrny, un des prévenus, s’est déjà mis à l’abri de la poursuite de la loi. Votre comité, après avoir lu la lettre de la municipalité de Toulouse, n’a pu se persuader que le ministre du département eût apporté une telle négligence dans l’accomplissement de ses devoirs ; il a cru devoir écrire à ce ministre pour le prier de lui donner connaissance des ordres que le roi l’avait chargé de donner pour procurer à Toulouse l’exécution du décret du 8 octobre dernier. Le ministre a répondu la lettre suivante, et y a joint des pièces dont il est aussi de mon devoir de vous donner lecture. (On fait lecture de ces pièces : ) « Je m’empresse d’envoyer au comité une copie des lettres patentes et des lettres particulières que j’ai adressées au département de Lot-et-Garonne et à la municipalité, et de la réponse de la municipalité. » Lettre de M. Guignard au directoire. . . « L’Assemblée nationale a rendu le décret ci-joint. J’en ai envoyé une copie à la municipalité J’ai l’honneur d’être, etc. » Copie de la proclamation. . . « Vu par le roi le décret de l’Assemblée nationale dont la teneur suit, etc. ; le roi a sanctionné et sanctionne ledit décret; en conséquence, a ordonné et ordonne aux officiers municipaux de Toulouse de le faire exécuter en sa forme et teneur. » M. de Broglie. Vous voyez qu’il résulte delà réponse même du ministre que l’exposé de la municipalité de Toulouse est parfaitement exact ; que, par une attribution illégale et contraire à l’esprit de la Constitution, M. Guignard a abandonné à des corps administratifs le soin de procurer l’exécution du décret de l’Assemblée nationale sanctionné par le roi, tandis que cette fonction est exclusivement attribuée au pouvoir exécutif et à ses agents, lesquels sont personnellement responsables de l’insuffisance des moyens employés par eux pour l’exécution exacte des décrets; que le ministre du département n’a 296 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (6 novembre 1790.] pu ignorer que la ville de Toulouse ne renfermait ni troupes réglées, ni garde nationale armée, et que cependant il n’a pris aucun moyen pour suppléer à ce dénûment de force publique ; qu’il n’a donné à. la municipalité de Toulouse ni instruction sur la conduite qu'elle avait à tenir, ni ordres quelconques ; qu’il ne Ta pas même prévenue de l’avis qu’il donnait au directoire du département de la Haute-Garonne; qu’enfin l’inexécution du décret du 8 octobre ne peut être attribuée qu’à la nullité des ordres donnés par le ministre du roi, ou à des intentions déjà trop souvent manifestées pour qu’il ne vous soit pas facile de les qualifier. Dans cette situation, votre comité a pensé qu’ici les faits parlaient d’eux-mêmes. Assuré qu’aucune des réflexions qu’ils présentent ne pouvait vous échapper, votre comité ne vous rappellera pas l’audace avec laquelle quelques ministres ont résisté, en dernier lieu, aux marques les plus authentiques de la méfiance nationale. Il ne vous rappellera pas que, depuis cette époque où leurs défenseurs, même les plus zélés, leur ont prodigué dans cette Assemblée les témoignages d’une profonde mésestime, les ministres, satisfaits d’avoir conservé leurs places par une si humiliante victoire, ont cessé de dissimuler leurs intentions coupables, et qu’ils ont même semblé trouver une nouvelle force, une nouvelle confiance dans le triomphe honteux qui les a mis momentanément au-dessus de l’opinion publique. Votre comité ne vous rappellera pas les malheurs successifs qui ont été le fruit, tantôt de l’inertie affectée des agents supérieurs du pouvoir exécutif, tantôt de la complaisance empressée avec laquelle ils exagèrent, dans leurs récits, des événements déjà trop déplorables, tantôt du silence perfide qu’ils observent sur des circonstances heureuses, propres à soutenir et à ranimer l’espérance des bons citoyens. Enfin, votre comité ne vous rappellera pas que la Constitution, pour l’établissement de laquelle nous avons fait de si grands sacrifices, sera dans un continuel danger tant que des ministres suspects au peuple, .inhabiles et mal intentionnés, ne cesseront d’en tasser les obstacles autour des représentants de la nation, et d’opposer aux efforts constants et courageux du patriotisme les ressources honteuses et toujours renaissantes de l’intrigue et de la malveillance. Votre comité, se renfermant dans l’objet particulier de son rapport actuel, se borne à vous prier de porter un instant vos regards sur la forme dérisoire des lettres écrites par M. Guignard à la municipalité de Toulouse, sur l’extraordinaire confiance avec laquelle ce ministre ne cherche pas, même dans sa réponse au comité des rapports, à excuser, à expliquer l’insuffisance évidente des ordres qu’il a donnés pour l’exécution du décret du 8 octobre; enfiD, sur la néèessité de pourvoir à l’avenir d’une manière efficace à l’accomplissement prompt et assuré des volontés nationales, sanctionnées par le roi. Votre comité, s’en repoâant sur votre "sagesse pour les déterminations ultérieures qu’il pourra être convenable de prendre sur ces différents objets, se borne dans ce moment à requérir l’exécution du décret du 8 octobre dernier. Il m’a chargé, en conséquence, de vous proposer un projet de décret. M. Voidel. Je propose de décréter que la municipalité de Toulouse sera maudée à la barre pour n’avoir pas rempli les intentions et les ordres du ministre qui s’était reposé sur elle spécialement de l'exécution du décret de l’Assemblée nationale. Un membre : C’est le ministre qu’il faut traduire à la barre ! M. de Montlosier (1). Je ne doute pas que ce ne soit un agréable délassement pour plusieurs membres de cette Assemblée de voir un ministre du roi, mandé à la barre ..... (On rit.) Je ne doute pas non plus que si l’on voulait mettre de côté le secret plaisir d’exercer une petite domination individuelle sur des hommes à qui Ton a tant reproché d’abuser de la leur, ( Des murmures) on serait tout à la fois, et plus juste envers eux, et plus conséquent aux reproches dont on ne cesse de les accabler. (Interruption de toutes parts.) Mais il existe depuis longtemps deux classes d’hommes qu’on se plaît à nourrir de couleuvres et de cailloux, les ministres du roi et les membres de la minorité. (Grands murmures qui durent une demi-heure.) (2) Oui, Messieurs, les membres de la .minorité, qu’on encourage à insulter chaque jour sur leur siège, au milieu de leurs fonctions et auxquels des hommes sans pudeur ne craignent pas de venir apporter publiquement et au milieu des applaudissements les plus dérisoires, le tribut de leurs injures et de leur insolence ..... ( Nouveaux murmures.) Oui, Messieurs, des ministres que nous nous plaisons à vouer à l’ignominie, dont nous nous efforçons d’énerver les moyens, et dont nous venons ensuite accuser l’impuissance qui est notre ouvrage. (Nouvelles interruptions.) Messieurs, si je' me livre en ce moment à la décourageante fonction de défendre des hommes que la lâcheté attâque aujourd’hui de la même manière que le courage les attaquaitautrefois,jedéclare qu’aucun sentiment personnel ne peut m’attacher à leur cause, car je ne les connais pas; nec bene/îcio, nec injuriâ cogniti. (De toutes parts on crie : Aux voix !) Mais il est de mon devoir de dire à l’égard de M. deSaint-Priest,que le blâme que l’Assemblée paraît vouloir lui infliger ne peut avoir aucun motif. (Murmures.) Et si Ton en excepte les haines ou les ambitions particulières, toujours ingénieuses à s’armer de tout, sa conduite, dans l’affaire présente, me paraît évidemment hors de tout reproche. Qu’a fait M. de Saint-Priest? Que devait-il faire? — Que devait-il faire ! Il devait exécuter rigoureusement et mathématiquement votre décret ..... (On crie de tous côtés : Des raisons , des raisons !) il devait exécuter votre décret dans ses propres termes ; il devait l’exécuter encore aux termes de la sanction royale; c’était là son double titre, c’était là son devoir; il ne pouvait s’écarter ni de l’un, ni de l’autre. (Toujours un bruit effroyable de toutes les parties de la salle.) Or, le décret portait que le roi prendrait des mesures pour s’assurer de la personne des membres de la chambre .des vacations. La sanction du décret portait que ce môme décret serait envoyé à la municipalité de Toulouse, et aux corps administratifs, pour être mis en exécution. (1) Ce discours n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Les envoyés extraordinaires de Corse ont jugé à ropos de venir à la barre insulter leurs députés, aussi ien que tout le côté droit, de la manière la plus indécente, mais depuis longtemps nous sommes accoutumés à des scènes de cette espèce; celle d’hier fut un peu plus violente que de coutume, et M. de Lachèze , fit la motion de les faire arrêter sur-le-champ.