ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 026 [Assemblée nationale. mation de M. de Moreton, contre sa destitution du 24 juin 1788. » M. Alexandre de Ijameth. Comme il ne se présente aucun accusateur, je demande que l’Assemblée déclare queM.de Moreton n’a pu être destitué de son emploi sans un jugement préalable; qu’en conséquence, il doit être rétabli dans les fonctions qu’il exerçait au moment où il en a été privé par une ordonnance arbitraire, sauf à être jugé par un conseil de guerre. M. de Cazalès. Je demande que, si l’on prononce sur la réclamation de M. de Moreton, le décret soit rendu général pour tous les officiers victimes des ordres arbitraires. M. Dupont (de Nemours ). Ce n’est pas un principe que l’Assemblée doit prononcer, c’est une demande qu’elle doit juger : je demande donc qu’il soit dit que M. de Moreton sera jugé par un conseil de guerre sur sa demande. M. de Mirabeau l'aîné. Le préopinant a commencé son opinion par ces mots : Ce n'est pas un principe que l’Assemblée doit prononcer, c’est une demande qu'elle doit juger ; je commencerai la mienne par le sens inverse. L’Assemblée n’a pas à prononcer sur une demande, mais à établir la maxime par laquelle cette demande doit être jugée. Dès qu’il n’y a ni accusation, ni instruction, ni jugement, il n’y a pas lieu à accusation ; en déclarant ce principe, vous ne sortez pas de vos fonctions ; vous ne tombez pas dans l’inconvénient de donner l’effet d’une destitution à une destitution que vous ne connaissez pas. Il n’est pas de votre compétence de renvoyer un chef à la tête de son régiment, mais de proscrire un régime arbitraire. Il n’y a pas. eu d’accusation; il n’v a pas eu d’instruction ; il n’y a pas eu de jugement : je n’étais point à la séance lorsque le comité a présenté son décret. S’il n’est que la déclaration de ce principe, je m’y joins, et je demande la question préalable sur tous les autres décrets proposés. M. de Cazalès. Puisque M. de Mirabeau est entré dans la discussion de la question, il doit être permis à un autre membre de parler aussi dans la question : je demande la parole. (On demande vivement à aller aux voix.) M. Gaultier de Biauzat donne une nouvelle lecture de son projet de décret, qui est adopté ainsi qu’il suit : <« L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, décrète que son Président se retirera devers le roi, pour le prier de faire prononcer par un conseil de guerre, composé conformément aux ordonnances, sur la réclamation du sieur Jacques-Henri More-ton de Chabrillan contre sa destitution, en date du 24 juin 1788. » (La séance est levée à neuf heures et demie du soir.) [6 août 1790.] ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du, vendredi 6 août 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin . M. Coster, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d’hier au soir ; il est adopté sans réclamation. Il est fait lecture d’une lettre et d’une adresse de la commune de Versailles. L’adresse a pour objet de demander, pour la ville de Versailles, des établissements qui assurent la subsistance de ce grand nombre de citoyens, que le départ de la cour réduit à l’indigence. (Cette pétition est renvoyée au comité de mendicité.) M. Pétion présente une adresse de la société des amis des noirs. Elle est renvoyée au comité des colonies. (Voyez ce document annexé à la séance de ce jour.) M. le Président. J’ai reçu de M. de La Luzerne, ministre de la marine, une lettre qui appelle l’attention de l’Assemblée sur des actes d’insurrection qui se produisent dans nos escadres. Un de MM. les secrétaires va en donner lecture. « Paris, le 5 août 1790. « Monsieur le Président. « J’ai instruit l’Assemblée nationale, dans la lettre que j’ai eu l’honneur d’écrire à votre prédécesseur, le 25 juillet dernier, de l’esprit d’insubordination et d'indiscipline qui s’est manifesté dans les troupes de presque toutes nos colonies et du parti (utile peut-être dans le premier moment, mais bien dangereux par ses conséquences), du parti, dis-je, que prenaient dans ces possessions éloignées, les chefs militaires, de renvoyer en France les sujets suspects. J’ai rendu compte au roi, et il m’ordonne de faire part à l’Assemblée nationale, d’une fermentation à peu près semblable qui s’est dénotée, en même temps, dans nos forces navales, quoique stationnées dans des mers très différentes et à des points de l’univers fort distants l’un de l’autre. Il importe, soit pour la protection de notre commerce, soit pour la sûreté de nos possessions éloignées, et il est d’ailleurs rigoureusement prescrit que les bâtiments ne quittent les stations qu’a-près avoir été relevés : il est d’usage qu’ils le soient dans l’automne, en sorte qu’ils rentrent dans les ports de l’Europe vers la fin du mois de novembre. Des considérations importantes avaient engagé le roi à ne point faire armer encore les escadres qu’on destinera à remplacer les stations occidentales et celles de la Méditerranée. Il suffisait, en effet qu’elles le fussent, les unes dans les premiers jours de septembre, les autres au commencement d’octobre, et il convenait de connaître quelles suites auraient les grands préparatifs que font les autres puissances maritimes, pour déterminer ce que nous devions faire nous-mêmes. Mais des lettres de M. de Thy, chef de division, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 627 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1790.] m’apprennent que les équipages de presque tous les bâtiments de la station du Levant, qu’il commande, se sont soulevés, et l’ont obligé à leur promettre qu’il partirait, le 10 août au plus tard, pour rentrer dans les ports du royaume. Cet officier, après avoir fait la plus grande résistance, a été obligé de souscrire à la condition qu’on lui a imposée. D’un autre côté, M. Pontevès-Gien me mande, de la Martinique, que le même esprit règne dans la station des Les du Vent dont il est chef, qu’il se verra obligé d’appareiller pour revenir en France dans le mois de juillet, et qu’une insurec-tion générale serait l’effet certain du moindre retard contraire au vœu et à la demande des équipages. Il est de mon devoir, non seulement d’exposer à l’Assemblée nationale les faits qui me sont connus, mais de ne point lui dissimuler l’unanimité, pour ainsi dire, de volonté qui s’est manifestée, parmi les matelots, dans deux parties aussi différentes du globe, et qui leur a fait exiger impérieusement de quitter leurs postes à la même époque. Le retour des deux stations est d’autant plus fâcheux, qu’à cette même époque, trente cinq vaisseaux de guerre espagnols à peu près, et plus de cinquante vaisseaux de ligne anglais, sans compter les hollandais, se trouvent complètement armés ou en commission. Le ministre des affaires étrangères vous a fait pressentir les précautions et les armements ultérieurs que les efforts des autres nations nécessiteront peut-être de notre part. Il est aisé de discerner qu’au milieu des préparatifs considérables qui se font de tous côtés, le seul moyen efficace d’assurer la paix au royaume, est de se mettre et de se conserver en état de ne point craindre la guerre; mais la protection seule de notre commerce dans le Levant, contre beaucoup de corsaires qui, portant le pavillon turc ou russe, ne respectent pas néanmoins notre neutralité, la conservation et la surveillance des riches possessions que nous avons dans le golfe du Mexique requièrent évidemment, dès aujourd’hui, qu’on remplace promptement les stations occidentales et celles du Levant. Il a paru, d’ailleurs, nécessaire au roi que les bâtiments qu’on y destinera ne soient pas inférieurs par le nombre de leurs équipages aux bâtiments de même force qu’ils rencontreront et que notre faiblesse n’invite pas les nations, maintenant armées, à manquer d’égard pour notre pavillon. Sa Majesté a, par cette raison, ordonné que les bâtiments affectés à nos stations fussent mis sur le pied de guerre, comme le sont, en ce moment, les vaisseaux de toutes les puissances maritimes de l’Europe. Je rends compte à l’Assemblée nationale de l’augmentation annuelle de dépense qui résultera de cette mesure. D'autres actes d’insubordination, ou même des commencements d’insurrection, ont eu lieu dans divers ports du royaume. Instruit que le comité de marine s’occupait de la rédaction de lois tendant à réprimer les délits, je lui ai fait part de plusieurs faits récents qui en démontraient la nécessité urgente : Je neconnais point son travail; mais il m’a mandé, depuis quelque jours, qu'il était fini, livré à la presse et qu’il serait bientôt soumis à l’Assemblée nationale. Qu’il me soivpermis de saisir l’occasion naturelle qui se présente pour l’inviter à s’en occuper aussitôt qu’il lui sera communiqué. Il n’est point de département où il importe plus de rétablir promptement la discipline et l’ordre. En ce mo-mont où les forces navales de toutes les puissances européennes sont déployées, nos ports, nos vaisseaux rassemblent sans cesse, dans un petit espace, une multitude d’hommes précédemment épars et qui se connaissent à peine; le seul frein des lois peut les y contenir et prévenir des délits nombreux, que cette réunion même occasionnerait sans cesse. Nos arsenaux maritimes, ces dépôts les plus précieux de tous pour l’Etat, et en même temps les plus susceptibles d’être rapidement détruits, requièrent une surveillance constante pour leur conservation ; et, en cas de dangers imprévus et imminents, la plus grande célérité, le plus grand ordre dans les secours qui y sont portés. Comment espérer l’un ou l’autre si l’on ne maintient une subordination habituelle et exacte? Au milieu des mers, l’obéissance instantanée est encore plus indispensable. Quel navigateur n’attestera pas que, sur un vaisseau, l’esprit d’indiscipline et l’insurrection, que la désuétude d’obéir, que dis-je? que la négligence seule de quelques individus, ou même leur inattention au commandement peuvent souvent compromettre le salut de tous! C’est donc pour assurer celui de l’Etat, mais c’est aussi par d’autres motifs peut-être non moins puissants, c’est par des principes et des vues d’humanité que j’ose invoquer l’at-teniion de l’Assemblée nationale, la presser d’avance de considérer le projet qui lui sera incessamment soumis par son comité et de substituer sans délai un régime nouveau (ne fût-il pas même exempt de quelques imperfections) à celui qui se trouve, par le fait, anéanti. Car la police salutaire qui contenait les hommes de mer réunis est énervée; les lois militaires qui la constituaient sont devenues absolument inefficaces, parce que les conseils de guerre, destinés à en maintenir l’exécution, ne peuvent plu3 être convoqués. Il faut cependant, contre la licence, des règles qui ne soient pas impunément éludées. Le laps de temps qui s’écoulera sans qu’une législation; sans que des tribunaux quelconques fassent cesser le désordre qui s’accroît fous les jours dans le département qui m'est confié peut engendrer des malheurs irréparables pour la Frauce et je crois qu’il est de mon devoir de ne le point dissimuler. Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre, etc. M. de Bonnay. Je demande l’impression de cette lettre. M. Paul Mairac. J’en demande le renvoi, en original, au comité de la marine, et pour cause; M. LanjHfnaig. On ne peut ordonner l’impression d’une lettre que contredisent les nouvelles parvenues à tous les négociants. M. Alquler. 11 est inutile d’imprimer cette lettre ; mais il est nécessaire d’en faire une secondé lecture dans un moment où l’Assemblée sera plus nombreuse. (La lettre est renvoyée au comité de la marine qui est, en même temps, autorisé à se faire remettre les lettres originales des gouverneurs et commandants de la Martinique et des forts du Levant.) M. de Calron, député de Cauxy demande et obtient la permission de s’absenter, pour ses af-i faires, pendant quinze jours ou trois semaines.