64 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] J’en appelle maintenant à la justice et à l’impartialité des membies de cette Assemblée. Un décret tel que celui que vos comités vous proposent, qui dépouillerait la maison de Condé du Glermontois, ne serait-il pas un trouble manifeste à cette possession pleine et réelle, qui est assurée par le traité des Pyrénées? Ne serait-ce pas une atteinte directe portée à l’obligation que le roi a contractée de mettre cette possession sous la garantie et la protection successive et immédiate de l’autorité nationale? Si vous exercez aujourd’hui, Messieurs, au nom de la nation, la plénitude des droits dont les rois étaient dépositaires, si vous êtes tenus des engagements qu’ils avaient formés comme administrateurs suprêmes de l’Empire, si vous voulez être fidèles à la foi des serments qui lient les nations, pouvez-vous consacrer, par vos suffrages, une violation manifeste du droit des gens, une infraction formelle aux conventions les plussacrées? Pouvez-vous accueillirdes sophismes et des arguties pour étouffer le cri de la justice et de la raison? Ne serait-ce pas outrager la majesté de la nation elle-même que de se servir de son nom pour se jouer impunément de toutes les règles de la politique et de tous les principes du droit naturel et du droit public? Car enfin, Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que les stipulations précises que j’invoque ont été arrêtées avec le roi d’Espagne et que, si vous devez être justes envers vos concitoyens, vous ne pouvez pas être juges des traités qui vous lient avec les nations. Mais, disent vos comités, cette garantie authentique d’une possession et jouissance vraie et réelle ne porte point sur le Glermontois et ses dépendances, mais sur tous les autres biens patrimoniaux de la maison de Gondé, qui avaient été réunis et confisqués par un arrêt du parlement. Je dirai, à mon tour, à voscomités : Est-ce par une supposition gratuite et une interprétation forcée que vous parviendrez à démentir le texte formel du traité des Pyrénées? Lisez l’article 86 et vous verrez qu’il y est dit que le prince de Condé sera réintégré réellement et de fait dans la vraie et réelle possession et jouissance de tous les biens de quelque qualité qu’ils soient, dont il jouissait avant sa sortie de France. Parmi ces biens, le traité rappelle positivement Clermont, Stenay, Dun et Jametz, ce sont les seuls qu’il nomme et ce sont les seuls que vous voulez excepter, parce que, sans cela, votre système est détruit. Si l’on reconnaît comme un principe de droit que l’exception déroge à la règle, n’est-il pas également vrai que la disposition de la loi ne peut être restreinte, lorsqu’elle ne renferme aucune exception? N’est-il pas certain que tous les biens patrimoniaux du prince, même le Cler-montois et ses dépendances, lui seront restitués réellement et de fait, qu’il sera réintégré dans une vraie et réelle possession, qui ne pourra jamais être troublée ni directement, ni indirectement, et cependant vous voulez vous refuser à l’évidence, à l’appui d’une exception qui est votre ouvrage? Vous voulez méconnaître la stipulation la mieux caractérisée et substituer à l’expression claire et simple du texte des hypothèses et des hyperboles. Ce serait, Messieurs, abuser de vos moments que d’insister plus longtemps à combattre un système dont les parties incohérentes sont inconciliables avec les monuments de l’histoire, le texte forme! des traités, les règles de la politique et les maximes du droit public et du droit des gens. Je me bornerai à vous observer que le duc de Lorraine, par un traité passé à Paris, le 28 février 1661, donna au roi l’acte valable et authentique de sa cession du Glermontois et ratifia les stipulations qui le concernaient, dans le traité des Pyrénées. Pour mettre sous vos yeux le tableau de tout ce que j’ai avancé, je me résume en peu de mots et je dis : que la France n’a point soumis le Glermontois par la force des armes; qu’ainsi le droit de conquête n’a pas imprimé sur cette contrée un premier caractère de domanialité; que le traité de 1641 a été l’ouvrage de Parti tice et de la fraude, de la force et de la violence ; que le traité de 1644, qui a formellement dérogé à celui de 1641, est revêtu de tous les caractères qui distinguent un rescrit diplomatique, que, au surplus, le duc Charles qui a passé ces traités n’était pas propriétaire de la Lorraine; que la souveraineté appartenait à la princesse Nicolle, son épouse; qu’ainsi, sous aucun aspect, le traité de 1641 n’a pu imprimer sur le Glermontois un second caractère de domanialité. Je dis que la donation de 1648 n’a conféré au prince de Condé qu’une jouissance précaire; que la propriété ou l’équivalent lui avaient seulement été assurés par un brevet de garantie; que le roi, par le traité des Pyrénées et celui de 1661, ayant obtenu, dans une forme valable et authentique un titre, par lequel il a réuni la propriéié à la jouissance du Glermontois, il a, par le même traité, validé les effets de la donation de 1648 et assuré au prince de Gondé une propriété incommutable qui repose sous la garantie immédiate de l’Espagne, et sous la protection successive de l’autorité nationale. En un mot, par la donation de 1648, il avait obtenu la jouissance et, par le traité des Pyrénées, il a acquis la propriété du Glermontois. D’après cela, j’ai eu raison de vous dire eu commençant que l’époque de la désobéissance et de la révolte du Grand Gondé est devenue la base et le garant de sa fortune et de sa propriété. Mais je dois vous dire, en finissant, avec Louis XIV, je ne me souviens de ses erreurs que pour par ler de la manière dont il les a réparées. D’après cela, je conclus qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le premier article du projet de décret, présenté par votre comité des domaines, portant révocation de la cession du Glermontois et de ses dépendances, et je demande la question préalable sur le premier ariicle, sauf à examiner ensuite le contrat passé en 1784, entre le roi et le prince de Gondé, et, lorsqu’il en sera temps, je demande la parole sur cette seconde question. M. de Ocnnont-liodève entre dans les mêmes développements que le préopinant et se réfère à scs conclusions. Plusieurs membres demandent que la suite de la discussion soit renvoyée à la séance de mardi soir. (Ge renvoi est décrété.) M. le Président lève la séance à dix heures.