4 4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril! 790.1 corporation, ne serait-ce pas plutôt les dépositaires, les tuteurs, les curateurs, les régisseurs de cette grande succession, qui se trouveraient, qui se diraient du moins obligés de communiquer, de correspondre, de se réunir et de s'entendre pour veiller en commun sur le précieux dépôt qui leur serait confié, et qui aviseraient peut-être à tous les moyens de se débarrasser le plus tard qu’ils pourraient de ces pénibles soins dont on leur propose de soulager les ministres du culte ? ils ne manqueraient pas de prétextes plausibles pour se constituer, s’organiser, adopter des règlements, des statuts, des formes, une jurisprudence particulière, et de ces utiles travaux nous verrions bientôt naître une tactique raison-née à l’abri de laquelle reposerait et prospérerait un intérêt commun, mais pourtant bien différent de l’intérêt général ; bientôt ces hommes, mieux placés que le prêtre pour vivre de l’autel, seraient accusés de n’y pas laisser de quoi nourrir le prêtre, et bientôt une nouvelle corporation, un clergé laïque, prendrait la place du clergé ecclésiastique. Mais pourquoi répéter encore ces mots presque oubliés d’ordres et de corporations? Pourquoi rappeler ces longs débats, ces nuisibles animosités dont les foyers resteront à jamais étouffés sous les ruines qui ne se relèveront plus ? Et quand le zèle de-la chose publique n’aurait point consumé tous le intérêts personnels, est-ce que du moins les projets n’auraient point cessé avec l’espoir, et l’espoir avec la possibilité? Non, Messieurs, la Révolution est faite : elle est faite dans les idées, comme dans les choses. L’esprit de corps n’est plus; il n’y a plus qu’un ordre dans l’Etat; tous l’ont dit, tous l’ont juré, tous le répètent ici d’un commun accord : et ceux mêmes à qui trop longtemps, sans doute, on a supposé de si vains regrets, éclairés par l’exemple du roi lui-même, sont heureux, sont fiers d’être citoyens, et ne demandent plus à leurs concitoyens qu’un retour égal pour des sentiments qu’ils leur offrent du fond de leur cœur. Malheur à celui qui, instruit par votre sagesse, ne placerait point ses plus douces jouissances dans le honneur commun ! malheur à celui qui hésiterait encore, qui regarderait encore en arrière dans la route du bien public, et que l’avenir ne consolerait point du passé! Mais nou, la division a fait tout le mal, l’union fera tout le bien. De loin il est aisé de se méconnaître ; eh bien ! qu’on se rapproche, l’on se verra tel qu’on est, et l’on conviendra sans peine qu’on s’était mutuellement prêté des torts qui n’étaient à personne, et peut-être même avouera-t-on que, de part et d’autre, il existait des vertus que chacun ne voyait que de son côté. Alors tous les partis, s’il est vrai qu’il y en ait encore, s’enchaîneront librement à la Révolution ; les uns s’applaudiront de l’avoir conçue, les autres de l’avoir suivie; alors la bienveillance achèvera l’œuvre du génie : elle fécondera le champ de la liberté, elle en écartera les épines, elle en mûrira les fruits. Alors l’égalité, devenue fraternelle, paraîtra vraiment préférable à tous les rangs, et la victoire même aura moins de charmes que la paix, parce que la victoire n’est que le bien de quelques-uns et que la paix est le bien de tous. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. Séance du jeudi 15 avril 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Rœderer, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de là séance d’hier. M. Millon de Montherlan. Hier, j’ai demandé la parole pour présenter quelques observations sur les dîmes dites inféodées , mais je n'ai pu l’obtenir ; je demande à les produire aujourd’hui, afin qu’il en soit fait mention au procès-verbal. (L’Assemblée décide que M. Millon de Montherlan soumettra ses observations au comité des dîmes.) Un membre propose d’insérer dans le procès-ver" bal que l’offre que lit M. de Boisgelin, archevêque d’Aix, dans la séance de dimanche dernier, de fournir 400 millions, a été renouvelée hier par M. de Cazalès, au nom du clergé, et qu’elle a été repoussée. M. Devlllas fait remarquer que M. l’archevêque d’Aix n’a pas pu faire d’offre au nom d’une corporation qui n’existe plus. M� l’abbé Colaud de lia Salcette demande qu'il ne 'soit pas fait mention de cette affaire jusqu’à ce que M. l’archevêque d’Aix ait prouvé que le clergé l’a autorisé à offrir les 400 millions. M. Rœderer relit le passage du procès-verbal contesté, afin d’en démontrer l’exactitude. Plusieurs ecclésiastiques soutiennent que l’offre n’était pas illusoire, et persistent à demander qu’il en soit fait une mention explicite dans le procès-verbal. M. l’abbé Varelles. M. l’archevêque d’Aix a fait son offre, non seulement sans consulter le clergé de France, mais sans prendre l’avis dea ecclésiastiques de l’Assemblée. Par conséquent, sa motion était illusoire. ( S’adressant à ses collègues ecclésiastiques.) Avons-nous oublié la confiance que nous devons avoir en la Providence? ne devons-nous pas tout sacrifier aux besoins de la patrie? jetons-nous entre les bras de la nation; elle est loyale et généreuse ; espérons tout de sa justice. M. de Choiseul-Praslin. Je crois que le procès-verbal est exact, et je demande qu’il soit mis aux voix. M. le Président consulte l’Assemblée qui adopte le procès-verbal. M. Gossin, membre du comité de constitution, expose que, suivant le décret du 26 janvier dernier, les électeurs du département de l’Aisne doivent s’assembler à Ghauny pour délibérer sur le choix de l’une des deux villes de Laon ou Sois-sons pour être chef-lieu du département ; que pour (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [15 avril 1790.] 45 accélérer l’organisation du département, il serait convenable que les électeurs, sans attendre que l’Assemblée nationale ait prononcé sur la fixation du chef-lieu, pussent procéder, à Chauny, à l’élection des membres qui composeront le corps administratif du département, et il propose un projet de décret en conséquence. Ce projet de décret, mis aux voix, est décrété ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationnale décrète que les électeurs du département de l’Aisne, qui s’assembleront à Chauny pour indiquer laquelle des deux villes, de Soissons ou de Laon, doit être chef-lieu de département, pourront, après avoir délibéré sur cet objet, et en attendant qu’il y soit définitivement statué par l’Assemblée nationale, procéder à l’élection des membres qui composeront le corps administratif du département, lesquels se rendront ensuite dans la ville qui aura été désignée pour chef-lieu, pour procéder aux opérations prescrites par les décrets aux assemblées générales de département. » M. Grégoire, membre du comité des rapports. Messieurs, votre comité des rapports a reçu de M. le garde des sceaux la lettre suivante : « Les forçats du port de Toulon ont eu connaissance du projet annoncé par l’Assemblée nationale de supprimer les justices prévôtales, et ils se sont persuadés que cela s’étendait jusques aux prévôts de la marine, seule juridiction sous l’empire de laquelle ils vivent, à laquelle ils soient soumis et qui soit propre à les contenir par sa surveillance et son activité. L’indiscipline est dans le bagne et les forçats parlent de briser leurs fers. Si l’on ne laisse pas aux prévôts de la marine , au moins provisoirement, toute leur autorité, et si l’exécution de leurs jugements était suspendue, il en pourrait résulter les inconvénients les plus graves et les plus fâcheux. « Le garde des sceaux ne pense pas que le décret de l’Assemblée nationale , qui n’a eu en vue que les juridictions des maréchaussées, frappe sur celle des prévôts de la marine; cependant il n’a pas voulu prendre sur lui de donner à cet égard de décision sans se concerter avec MM. du comité des rapports. 11 les prie de vouloir bien lui faire incessamment connaître la véritable application du décret et le mettre à portée de faire une réponse qui devient urgente. « Signé : Champion DE CicÉ, « archevêque de Bordeaux. » Le comité des rapports, après avoir délibéré sur la demande du garde des sceaux, propose à l’Assemblée nationale de rendre le décret suivant : « L’Assemblée nationale déclare que son décret du 6 mars, concernant les jugements définitifs émanés des juridictions prévôtales , ne s’étend point aux prévôts de la marine, dont la juridiction et les fonctions sont conservées jusqu’à ce que l’Assemblée nationale en ait ordonné autrement. » M. Ricard de Séalt propose, par amendement, de restreindre l’autorité des prévôts de la marine aux seuls forçats. M. d’André soutient que les fonctions des prévôts de la marine comportent la surveillance entière des ports, et qu’il convient de leur laisser les moyens nécessaires pour effectuer cette surveillance. On demande la question préalable sur l'amendement. L’Assemblée décide qu’il n’y a lieu à délibérer sur la proposition de M. Ricard de Séalt et adopte ensuite le décret proposé par son comité des rapports. M. le Président annonce que le rapport que devait faire le comité militaire n’étant pas en état, il y a lieu de passer à l’ordre du jour. Un membre de ce comité dit que ce rapport a été annoncé à l’insu du comité, qui n’en a aucun à faire actuellement ; qu’il est occupé du travail qu’a rendu nécessaire l’augmentation de 32 deniers de paye décrétée en faveur des soldats, travail dont il sera incessamment rendu compte à l’Assemblée. U?i autre membre du même comité répond que dans le rapport qui a été annoncé il ne s’agit que de soumettre à l’Assemblée un décret qu’elle a adopté au fond, mais dont elle a renvoyé la rédaction aux comités militaires et de constitution réunis ; de sorte qu’il n’est question que de voir si le décret est rédigé conformément à l’intention de l’Assemblée, ce qui probablement ne souffrira aucune discussion. Un membre réplique à cette observation, que le projet de décret dont il s’agit, n’ayant rapport qu’aux cas pour lesquels les officiers de l’armée pourraient encourir la destitution, et aux formes qu’il faudrait observer pour la prononcer, il est moins intéressant de s’en occuper que de fixer les moyens de faire jouir les soldats du bienfait de l’accroissement de leur paye. L’Assemblée, approuvant cette observation, charge le comité militaire de faire son rapport, à cet égard, le plus tôt possible. M. Bouche. Quand vous rendez un décret, ce n’est pas pour qu’il dorme éternellement : celui du 5 janvier s’est réveillé hier, et nous avons appris qu’il avait été sanctionné. Il porte que « les revenus des bénéfices, dont les titulaires français sont absents du royaume, et le seront encore trois mois après lapublication du présent décret, sans une mission du gouvernement, antérieure à ce jour, seront mis en séquestre. » Je demande que ce décret soit mis à exécution, et que le comité des pensions présente dimanche prochain un projet de loi à ce sujet. La motion de M. Bouche est mise aux voix et décrétée ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que dimanche prochain, après la lecture du procès-verbal, son comité des pensions lui proposera un projet de loi pour faire exécuter le décret du 5 janvier, qui ordonne que les revenus des bénéfices dont les titulaires français sont absents du royaume, et le seront encore trois mois après la publication dudit décret, sans une mission du gouvernement, antérieure à ce jour, seront mis en séquestre. » M. le marquis de AaudreuII, au nom du comité de la marine, fait un rapport sur les classes de la marine, dont l’Assemblée ordonne l’impression et la distribution. Ce rapport est aussi conçu : 'Messieurs, jaloux de se montrer digne par son zèle de la confiance dont vous l’avez honoré, votre comité s’est occupé à préparer les éléments d’une