SÉANCE DU 14 VENTÔSE AN H (4 MARS 1794) - N° 58 73 Si trop de précautions decelent la fraude, des faux multipliés lui donnent un corps , elle devient palpable. Malgré tous les efforts du sieur de Moyria pour rendre inexplicables les différences de l’extrait et des minutes de l’acte de baptême de son père, ce fait, que le nom du château de Châtillon avoit été retranché de toutes les minutes, fut pour elle un trait de lumière. C’est au château de Châtillon, s’est-elle dit, que Claude Moyria a été baptisé ; deux minutes, en dépit de plusieurs altérations, l’attestent ; c’est dans les registres de la paroisse de Châtillon, c’est là, ce n’est que là que doit se retrouver son véritable baptistaire. Je ne m’occupe plus de la fable de l’ondoiement mise à la place d’un baptême réel par une surcharge ; l’acte de ce baptême doit exister à Châtillon pour confondre mon adversaire, pour mettre en évidence les faux qu’il a commis ; cet acte existe, je le trouverai, il expliquera tout. Le parti auquel s’arrêtoit la citoyenne Roche, et dont elle avoit été si long-temps distraite par les alibis forains, mais adroits, du sieur de Moyria, produisit tout l’effet qu’elle s’en étoit promis. Elle fait feuilleter le registre paroissial de Châtillon, annexe de St-Jérôme en Bugey ; le curé de l’endroit y découvre enfin et lui délivre la pièce tant désirée d’une part, et tant cachée de l’autre, le véritable acte de baptême de Claude de Moyria. Cet acte lui donnoit pour père et mère, non comme on l’avait prétendu, Jean-Pierre de Moyria et Balthasarde Millet, mais bien Claude de Moyria et Damia Jeanne Lavandin ; et ce Claude de Moyria, quoiqu’il fût dit marié n’a pas signé sur le registre en qualité de père. Ainsi tomboient la fausse généalogie du sieur de Moyria, la filiation menteuse, son prétendu cousinage avec l’absent par Balthasarde Millet, et les droits à la succession réclamée par la citoyenne Roche. Plus d’énigmes, plus d’imbroglio, l’intrigue se dénouoit, le faux et les accessoires s’expliquoient au mieux. H étoit vraisemblable, ou plutôt constant, que Claude de Moyria, père du ci-devant comte, avec qui plaidoit la citoyenne Roche, fils de Jeanne Lavandin et non de Balthasarde Millet, avoit été déplacé de Châtillon, son pays natal, et transporté à quarante lieues de là, à Au-xonne ; que, grâces à un curé crédule ou complaisant, on lui avoit suppléé les cérémonies de l’église en 1677, quoiqu’il eût été déjà baptisé à Châtillon en 1672 ; qu’on lui donna pour mère dans le second acte de baptême, démenti par le premier, Balthasarde Millet, épouse légitime de son père, tandis que sa vraie mère étoit Jeanne Lavandin. Tout cela s’est fait, peut-être, par le consentement de son père naturel, mais à coup sûr à l’insu de Balthasarde Millet, sa mère supposée, dont la signature ne se trouve pas yplus au bas de l’acte de baptême sur le registre d’Auxonne, que celle de son mari sur le registre de Châtillon. R étoit vraisemblable que Claude de Moyria, muni de son faux extrait de baptême dAuxonne, alla se marier à Lyon en 1697, et fit insérer dans son contrat de mariage tout ce quil voulut, d’autant plus aisément qu’aucun de ses parens n’étoit là pour le contredire. La découverte du véritable extrait de baptême de Claude de Moyria étoit donc, comme on l’a dit, le trait de lumière de l’affaire. Concevez-vous citoyens, qu’à la vue d’une pareille pièce, le ci-devant Parlement de Besançon ait eu l’impudeur de rejetter une seconde fois les inscriptions de faux de la citoyenne Roche, et le ci-devant conseil la lâcheté de ne pas casser un pareil jugement, lorsque lui-même avoit témoigné, en indiquant à cette citoyenne la voie de la requête civile, en la relevant du laps de temps, le désir de réparer l’injustice qu’elle avait essuyée ? Votre comité n’a pu voir dans cette affaire qu’un exemple frappant des anciennes vexations judiciaires, qu’une preuve de l’impossibilité où étoit le pauvre sans-culotte de faire valoir ses droits comme l’homme riche, surnommé comme il faut ; quoiqu’il fût tout le contraire de ce qu’il falloit. R n’a pu y voir que la prévarication la plus criante, le déni de justice le plus formel. R a senti qu’il étoit impossible de considérer les arrêts du ci-devant parlement de Besançon comme un simple mal-jugé, et parce que les formes, qui se confondoient ici avec le fond, ont été décidément violées, et parce qu’avec le mot mal-jugé, si on lui donnoit une pareille signification, on pourrait excuser le jugement le plus inique et le plus extravagant, prétendre qu’il étoit permis à des juges de froisser toutes les loix et tous les principes, d’abjurer les premières notions de justice, de juger même contre le témoignage de leur sens. Ces idées affreuses ont dû s’effacer avec le préjugé qui, d’une faculté prudentielle et discrétionnaire, fit long-tems le plus arbitraire et le plus redoutable de tous les pouvoirs. La justice révolutionnaire exercée au nom d’un grand peuple, n’admet point ces distinctions subtiles, dangereuses, même en tems et en législation ordinaires ; elle ne connoit d’autres bornes que la réparation de tous les grands scandales, de tous les torts éclatans, de toutes les monstrueuses injustices qui lui sont dénoncées. Une révolution comme la nôtre est un jubilé universel politique pour tous les opprimés. La citoyenne Roche est de ce nombre. Avancée en âge, réduite à un état de misère profonde, elle est mère de quatre enfants qui versent leur sang aux frontières pour la liberté et l’égalité, il est juste qu’elle en recueille les fruits. Votre comité me charge, en conséquence, de vous proposer le décret suivant, que Lepelletier lui avoit fait adopter (1). Il est adopté en ces termes. « La Convennon nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la pétition d’Ursule Jaillon, femme Roche; » Considérant que le ci-devant parlement de Besançon n’a pas pu, par ses arrêts des 14 et 18 mars 1777, priver la pétitionnaire de la voie légale de l’inscription de faux, au mépris des articles I, II, VII et VIII du titre du faux incident de l’ordonnance de 1737, et de l’article VII (1) Broch. impr., in-8°, 20 p. (ADxvmA 56, B. N., 8o Le38 722). Reproduit en partie dans M.U., XXXVII, 234-238. Mention ou extraits dans J. Mont., n° 112; Audit, nat., n° 528, Ann. patr., n° 428; J. Sablier, n° 1178. 74 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE du titre IX de l’ordonnance de 1670, sur-tout lorsqu’elle étoit dirigée contre des pièces d’où dépendoit uniquement la décision du procès ; » Considérant que ce refus est d’autant plus répréhensible, qu’il paroît certain que la pétitionnaire auroit administré des preuves incontestables de la fausseté des pièces que lui oppo-soit Joseph de Moyria ; » Considérant que par son arrêt du 27 juillet 1778, le ci-devant conseil privé n’a rejeté la demande en cassation des arrêts des 14 et 18 mars 1777, que parce qu’il a décidé qu’Ursule Jaillon devoit se pourvoir par requête civile ; et qu’il l’a jugée tellement fondée à prendre cette voie, qu’il lui a accordé, le 11 février 1779, des lettres de relief de laps de temps, ce qui n’avoit lieu que lorsque les moyens de requête civile étoient évidens ; que le ci-devant parlement de Besançon, au lieu de réparer ses injustices, a persisté dans sa désobéissance à la loi, en refusant d’entériner des lettres de requête civile ; qu’alors le ci-devant conseil devoit au moins casser l’arrêt du 16 décembre 1779 ; mais que, par son arrêt du 11 mai 1781, il a débouté de sa demande en cassation la pétitionnaire, lorsqu’il lui avoit lui-même indiqué la voie de la requête civile, en sorte qu’il semble s’être joué de sa bonne foi et de ses malheurs ; » Considérant, enfin, que la conduite de ces deux anciens tribunaux présente, non-seulement l’oubli des devoirs du magistrat et le mépris des lois, mais encore l’abus de pouvoir et le déni de justice les plus caractérisés, objets constamment soumis à la répression et à la vigilance des législateurs ; que leurs décisions portent une atteinte scandaleuse aux bonnes mœurs et à l’ordre public : » Décrète ce qui suit : Art. I. » Les arrêts du ci-devant parlement de Besançon, des 14 et 18 mars 1777, et 16 décembre 1779 ; ceux du ci-devant conseil-privé, des 27 juillet 1778 et 11 mai 1781, sont déclarés nuis et comme non-avenus. Art. II. «Ursule Jaillon est renvoyée, tant pour la poursuite de ses droits, que pour la prise à partie, s’il y échet, pardevant les juges qui en doivent connoître, conformément aux lois sur l’organisation judiciaire. » Le présent décret ne sera point imprimé. Il sera adressé aux juges qui en doivent connoître, par le ministre de la justice » (1) . 59 Le même membre [PONS (de Verdun)] fait un autre rapport au nom du même comité, et le projet de décret qu’il propose est ainsi adopté (2). (1) P.V., XXXIII, 17-18. Ce dernier § a été ajouté par Pons (C 293, pl. 953, p. 13). Décret n° 8301. Reproduit dans Mon., XIX, 632; Débats, n° 531, p. 193; C. Eg., n° 564; J. Paris, n° 429. (2) Le 2' § du projet a été supprimé par la Conv.: « Considérant que les certificats donnés aux cit. de Terves par les Conseils généraux des commîmes, comités de surveillance des lieux de leur domicile et notamment par le directoire du district de Château-« La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, sur la pétition des citoyens de Terves (1), tendants à obtenir leur radiation de la liste supplétive des émigrés, arrêtée par le directoire du département de Mayenne-et-Loire, le premier octobre dernier. » Décrète qu’il sera sursis à la vente de leurs biens, et renvoie leur pétition au représentant du peuple en commission dans le département de Mayenne-et-Loire, pour qu’il y statue défi-nitivement. « Le présent décret ne sera pas imprimé (2). 60 Un autre membre [BARÈRE] présente un projet, au nom du comité de salut public. BARÈRE, au nom du comité de salut public; Citoyens, une bonne administration dans le service des transports militaires est aussi essentielle aux armée de terre et de mer que la bonne organisation militaire ou navale. A quoi servent des armées victorieuses et des escadres républicaines si nous ne perfectionnons pas ce mécanisme immense et étonnant qui suit leurs mouvements et prépare leurs succès, qui approvisionne les camps et les flottes, qui porte les vivres et les canons, qui secourt les hôpitaux et les batteries, et qui forme, pour ainsi dire, les canaux nourriciers de la république guerrière. Le comité vous a déjà fait plusieurs rapports sur la création des commissions nationales rattachées au gouvernement national, afin qu’elles fussent révolutionnaires comme la Convention qui les créa, actives comme nos besoins, et étendues comme les terribles moyens que nous devons employer dans cette campagne. C’est par les commissions que le ministère sera désobstrué dans ses travaux, démonarchisé dans ses formes, et rendu à la direction du mouvement ainsi qu’à sa simplicité morale et responsable. La commission des travaux publics vous sera présentée sextidi ; aujourd’hui il s’agit de la commission des transports militaires. C’est au moment où les armées vont recevoir un mouvement nouveau qu’il faut refondre les institutions usées, réformer les abus invétérés et réunir les moyens trop disséminés. Il faut établir une commission centrale composée de de trois membres ; il faut l’établir sur les débris de plusieurs compagnies, régies et administrations dont le régime est plein de vices et dont les parties sont toutes désunies. Vous savez combien d’abus s’étaient glissés dans la partie des charrois; vous avez appris que la contre-révolution s’était déguisée sous le costume des conducteurs de chevaux, et que tels barons, tels neuf-sur-Sarthe, ne laissent aucun doute sur l’erreur que les a fait comprendre au nombre ds émigrés, néanmoins comme les faits ne sont pas encore assez éclaircis », Décrète, etc... (D On trouve des de Terves à l’Armée des Princes (O3 2652, doss. 1). (2) P.V., XXXm, 18-19. Minute signée Pons (de Verdun) (C 293, pl. 953, p. 14). Décret n° 8303. Mention dans J. Sablier, n° 1178.