370 [Assemblée nationale.] Il faudra ordonner l’instruction d’un fait nouveau; le temps s’écoulera, la session finira sans que le jugement soit rendu, et une année se passera sans que le débiteur soit forcé de payer son créancier. Non, des juges ambulants ne nous conviennent pas, et ne sauraient convenir à une société où la chicane et l’intrigue feront jouer tous leurs ressorts : l’ambulance serait un fléau dont vous auriez accablé la France. Je finis par une observation de quelque poids : la majorité des départements ne demande pas des juges ambulants; si vous les établissez, et qu’ils ne réussissent pas, vous en serez responsables, et vous ne le serez pas du peu de succès que pourraient avoir des juges sédentaires. (On demande à aller aux voix.— La discussion est fermée.) Après quelques débats sur la manière de poser la question, elle est posée dans les termes suivants : « Les juges d’appel seront-ils sédentaires? Oui ou non. » M. Mewbcll propose par amendement qu’on ajoute le mot tous à la motion. La question préalable est invoquée sur l’amendement, et elle est rejetée. L’ Assemblée , consultée , adopte l’amendement. La motion principale avec l’amendement, est ensuite décrétée ainsi qu’il suit : « Tous les juges d’appel seront sédentaires. » On passe à la discussion de la question suivante : « Les juges seront-ils établis à vie, ou seront-ils élus pour un temps déterminé ? » M. Brochcton. Il faut établir de? juges qui réunissent les lumières et l’intégrité : pourra-t-on trouver ces juges dans tous les temps? On craint le pouvoir des juges à vie. La liberté des citoyens ne sera-t-elle pas assurée par les bons choix qu’ils auront faits?... On pourrait, en déclarant inamovibles les membres des cours supérieures, les soumettre, tons les six ans, à un scrutin d’épreuve, par lequel la destitution des juges s’opérerait à une majorité des deux tiers des voix. Je penserais cependant que les membres du tribunal de révision ne devraient être en fonction que pendant six ans, sauf à être continués. M. d’André, conseiller au parlement d'Aix. Je n’entrerai pas dans de grands détails; il n’est pas douteux que des hommes qui seraient juges pour la vie regarderaient leurs offices comme des propriétés et chercheraient à étendre leurs prérogatives : il n’est pas douteux qu’à la longue l’esprit de corps attaquerait la liberté. La seule objection qui puisse d’abord paraître raisonnable est celle-ci : des juges à temps ne seraient pas de bons juges; je crois, au contraire, que des juges à vie seraient de mauvais juges. Il est certain qu’un magistrat assuré de conserver son état toute sa vie se fait une routine et n’étudie plus: on peut, sur ce point, en croire mon expérience. Les juges honorés du choix du peuple croiront n’avoir plus rien à apprendre, et n’avoir plus qu’à juger; ainsi l’inamovibilité est un moyen sûr d’avoir de mauvais juges. Le magistrat à temps, désirant se faire continuer, travaillera et rendra bonne justice. Vous exciterez encore les gens de loi à se conduire avec désintéressement et probité pour obtenir les suffrages [3 mai 1790.] du peuple... Sans entrer dans de plus grands détails, je conclus à ce que les juges ne restent en fonction que pendant cinq ans et puissent cependant être réélus. (On demande à aller aux voix.) L’Assemblée, consultée, décide que’la discussion ne sera pas fermée. M. lîuzot. Mettre en question si les juges seront amovibles, c’est supposer que des juges pourront abuser de leur pouvoir et devenir incapables de remplir leurs fonctions. Il y a plusieurs sortes d’incapacités : l’incapacité naturelle, dont personne ne peut se garantir, je veux dire les infirmités qu’amène l’âge. Il est une autre incapacité moins ordinaire, mais plus funeste; la négligence qu’on apporte à s’instruire, quand on ne peut rien perdre par cette négligence... Le peuple peut être trompé, séduit; et si les juges étaient inamovibles, vous le puniriez de sa faiblesse et de son erreur, ou plutôt de l’erreur de ceux qu’il aurait chargés de ses intérêts; car il ne peut élire que par des représentants... Je ne suis pas rassuré par la responsabilité des juges, car cette responsabilité doitavoirdes bornes :ilfautque les jugesn’abusentpasdeleur ministère ; mais il ne faut pas les empêcher d’en user... En examinant la question sous les rapports de la liberté publique, j’entrevois les plus grands dangers; l’inamovibilité dégénérerait en un traité entre le monarque qui voudraitgouverner arbitrairement et les juges qui asserviraient leur conscience aux vues du monarque. Vous avez déjà adopté une partie des principes du comité ; Userait possible que vous crussiez devoir en adopter l’application : combien ces juges n’auront-ils pas de créatures qui s’attacheront aux magistrats, et les appelleront aussi les pères de la patrie! Ces juges exerceront un grand empire sur les esprits; ils auront, dans les élections, une influence directe ou indirecte, mais qui n’en sera pas moins dangereuse. Si les magistrats inamovibles se coalisent avec le pouvoir ministériel, ils s’empareraient des législatures ; nulle réforme dans l’ordre judiciaire ne serait possible, et le pouvoir ministériel, avec cet appui, prendrait des accroissements funestes... Je demande que vous décrétiez l’amovibilité et la faculté de réélire. M. Fanlcon. J’adopte l’inamovibilité des juges avec des modifications. II y aura tous les six ans une assemblée pour confirmer ou pour révoquer les magistrats. Nulle révocation ne se pourra faire qu’à la majorité des quatre cinquièmes des électeurs; mais comme il est un terme où la vertu doit cesser d’être éprouvée, les juges ne seront plus soumis à ce scrutin épuratoire après avoir triomphé dans trois épreuves. M. Roederer, conseiller au parlement de Metz. Vousavez, dès le premier moment de cette discussion, témoigné beaucoup d’empressement à aller aux voix, après avoir entendu contre l’inamovibilité des juges un magistrat qui avait le droit de la faire absoudre. Je demande, comme lui, que les jug es soient temporaires : je le demande pour l’intérêt des juges, pour l’intérêt de lajustice, pour l’intérêt politique national ; quant à l’intérêt de lajustice, je n’ajouterai rien à ce qu’a dit M. d’André : il est clair à mes yeux que des juges élus pour trois ans, qui pourront être éliminés du tribunal, s’ils se conduisent mal, et conservés s’ils se conduisent bien, assureront au ministère de lajustice ce respect et cette majesté que l’opinion publique seule confère. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.] [Assemblée nationale.] Quant à l’intérêt des juges, les déclarer inamovibles, ce serait travailler uniquement pour l’intérêt des mauvais juges ; déterminer la durée de leurs fonctions et autoriser les réélections, c’est s’occuper de l’intérêt des bons juges: la confiance publique conservera ceux qui se seront montrés dignes de cette confiance; la réélection donnera aux bons juges la faculté d’entrer dans les assemblées administratives, si des intrigues et des cabales les avaient fait descendre du tribunal. Le dernier effet de cette amovibilité serait défaire rentrer des magistrats estimables dans l’ordre des avocats, dont la plupart seront nécessairement tirés, et c’est une vue très saine que celui qui, après avoir éclairé la justice, est devenu juge, ne se croie pas dégradé en rentrant dans l’état d’où il est sorti. D’autres intérêts plus pressants et plus sensibles vous demandent que les juges soient temporaires : le pouvoir de substituer la jurisprudence du tribunal à la jurisprudence nationale serait vraiment dangereux; des juges qui seraient toujours juges, les mêmes juges qui jugeraient toujours ensemble, et ne seraient remplacés que d’une manière lente et successive, auraient au plus haut degré ce pouvoir. Ils pourront mettre un code extra-législatif à côté du code des législateurs. Ils auraient donc une très grande autorité politique. Ce n’est pas tout : vous avez institué des corps administratifs dont les membres n’exerceront que pendant trois ans; si, auprès de ces administrations, vous placez des corps inamovibles, vous romprez l’équilibre de l’ordre politique... Je conclus à ce que les juges soient amovibles, et à ce que les élections pour les tribunaux se fassent en même temps que celles des assemblées administratives. (On demande à aller aux voix. — La discussion est fermée.) M. îe Président met la proposition aux voix. Elle est adoptée ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que les juges seront élus pour un temps déterminé. » M. le Président, sur la demande de plusieurs membres, propose alors de mettre d’abord en discussion la question de savoir pour combien d’années les juges seront élus. M. Rewbell demande qu’avant tout on décide si les juges pourront être réélus à chaque élection, ou s’ils seront obligés de vaquer pendant un temps. Cette question est mise à la discussion; après quoi elle est posée en ces termes ; « Les juges pourront-ils être réélus sans intervalle ? » M. Garai, l'aîné. Le décret que vous avez rendu vous donnera des juges sans fermeté et sans courage. Si vous décidez la possibilité des réélections, vous aurez des juges accessibles à l’intérêt personnel; ils chercheront à se concilier les hommes qui pourront avoir de l’influence dans les élections; ces hommes ne perdront jamais leurs procès : cet inconvénient, qui me paraît très alarmant, ne serait pas à craindre si, à l’expiration du terme de ses fonctions, le magistrat rentrait dans la société. Vous avez déjà décrété, pour les assemblées administratives, que la réélection était impossible. M. Barnave. Sans doute, l’influence des juges pour les grands serait très dangereuse, mais dans un sens différent. Au moment où le juge rentrera 371 dans la société, il sera exposé à la vengeance de ceux contre lesquels il aura fait parler la loi; en le réélisant on pourra le soustraire à cette oppression; on assurera la liberté du citoyen et l’impartialité du juge. Vous avez interdit les réélections pour les assemblées administratives, et vous avez dû le faire, car il était dangereux de confier longtemps à un citoyen le maniement de la fortune publique. L’hypocrisie peut, au premier choix, se concilier des suffrages; l’honneur du second choix ne tombera jamais que sur des citoyens vraiment dignes de confiance. Si les magistrats ne peuvent être réélus, vous n’aurez ni liberté publique, ni juges éclairés, ni même des juges pour la première élection . M. le comte de Vlrteu. J’avoue que j’ai vu avec étonnement un ami aussi connu de la liberté parler d’une manière aussi peu différente des gens puissants; j’avoue que je ne sais pas ce qu’on appelle homme puissant dans un gouvernement libre; je ne puis entendre que celui qui influe le plus sur l’opinion publique, que l’homme dont le suffrage est pour ainsi dire une loi, parce qu’il a gagné la confiance publique; tel est l’homme dont M. Garat a présenté le tableau. (On ferme la discussion.) Après quelques débats sur la manière de poser la question, on délibère : « L’Assemblée nationale décrète que les juges peuvent être réélus sans intervalle. » (La séance est levée à trois heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-L’ABBÉ GOUTTES. Séance du lundi 3 mai 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures précises. Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses suivantes : Adresses des nouvelles municipalités des communautés de la Noailles, renfermant un bourg et vingt-quatre villages ; de Prigny-en-Retz ; de la ville du Palais à Belle-Isle-en-Mer ; De la ville de Mareuil et de la communauté de la Neuville, Sire-Bernard, district de Mondidier ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-devant privilégiés ; Des communautés d’Onge, de la Colle, de Phil londen, de Longe-Combe en Bugey, de Saint-Vincent-Sous-Sonpech, département de Lot-et-Garonne; de Saint-Sulpice en Bazadais; de La-meyze, département de la Haute-Vienne, district de Saint-Yrieux; et du bourg d’Oisemont. Toutes ces nouvelles municipalités, comme toutes celles qui les ont précédées, après avoir prêté, de concert avec les habitants, le serment civique, présentent à l’Assemblée nationale le tribut de leur admiralion et de leur dévouement. Adresses des communautésdeChandon, district de Roanne, et de l’Enclave-de-ia-Pallu, près de Cognac ; elles font le don patriotique du produit des impositions sur les ci-dèvant privilégiés. La communauté de l’Enclave sollicite de l’Assemblée un ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur .