SÉANCE DU 30 FRUCTIDOR AN II (MARDI 16 SEPTEMBRE 1794) - N° 45-46 223 45 La section Chalier [Paris] présente le citoyen et la citoyenne Demau, celle-ci ayant accouché naguère de trois enfans jumaux mâles, en faveur duquel événement la Convention avoit décrété un secours de 600 L; mais ces deux époux étant réunis avec trois enfans, dont deux sont en nourrice, réclament un nouveau secours. Renvoi au comité des Secours publics (77). 46 Le citoyen Leblanc, secrétaire de légation et l’un des quatre commissaires de la République près les Etats-Unis, instruit la Convention qu’il a donné des ren-seignemens importans sur des intrigans qui assiègent les comités et la Convention pour obtenir l’élargissement de deux ou trois de leurs pareils. Il invite la Convention de surseoir à toute détermination sur les colons et colonies, jusqu’à ce qu’il ait été entendu. Renvoi aux comités de Salut public, de Sûreté générale et des Colonies (78). On fait lecture d’une lettre adressée à la Convention nationale par LEBLANC, secrétaire de légation, et l’un des quatre commissaires de la République près les Etats-Unis. « J’apprends que des intrigants, sous le nom de colons, assiègent chaque jour les comités et la Convention nationale pour obtenir l’élargissement de deux ou trois de leurs pareils, envoyés par les Français d’Amérique, se disant réfugiés à Philadelphie, Charlestown, Baltimore et New-York. J’ai à donner sur ces hommes les renseignements les plus importants. Envoyés par le ministre pour dénoncer au comité de Salut public leurs manœuvres criminelles et leurs intelligences avec les agents de l’infâiîie cabinet de Saint-James, j’apporte ici les preuves de grands crimes. L’ouverture des paquets de la légation doit jeter le jour le plus décisif sur l’affaire de Saint-Domingue. Ceux qui connaissent les colons émigrés au continent américain ne doivent pas être peu surpris de les entendre se dire réfugiés. Oui, citoyens, ils sont réfugiés aux Etats-Unis, à peu près comme la noblesse et le clergé de France sont réfugiés à Coblentz ; comme ceux de l’Allemagne, ils intriguent avec les ennemis de la France pour livrer le territoire de la République aux Anglais et aux Espagnols ; comme ceux d’Allemagne, ils foulent aux pieds la cocarde tricolore, ils insultent à outrance les (77) P.-V, XLV, 293. (78) P.-V., XLV, 293. patriotes de France et les assassinent dans les rues et places publiques. Je demande donc, au nom du bien public, au nom des intérêts de la France et de ses colonies traîtreusement livrées par les colons, propriétaires d’hommes qui valent infiniment mieux que leurs maîtres, qu’il soit sursis à toute détermination sur les colons et les colonies, jusqu’à ce que j’aie été entendu par le comité de Salut public, et même, s’il le faut, à la barre de la Convention nationale. Signé Leblanc. Renvoyé aux comités de Salut public, de Sûreté générale et des Colonies réunis (79). Un membre observe que le 3 fructidor, la connoissance de l’affaire des colonies a été renvoyée à trois comités qui ont nommé entre eux une commission chargée particulièrement de cette affaire importante. Dès hier soir, cette commission s’est assemblée ajoute le membre ; et le premier objet dont elle s’est occupée est relatif à la pétition qui vient de vous être présentée ; ils ont pris à cet égard une mesure essentielle dans la position des choses ; mais je ne puis la faire connoître sans avoir auparavant consulté le comité de Salut public. L’opinant demande l’ajournement de toute décision relative aux colonies (80). DUFAY : Mon intention n’est pas de combattre la demande des pétitionnaires; je ne m’attacherai pas dans ce moment à vous démontrer que c’est une voie indirecte pour vous surprendre, un piège tendu pour induire en erreur la Convention nationale ; que c’est un brevet d’émigration qu’on sollicite auprès de vous, afin de soustraire à la République deux milliards au moins de propriétés qui lui appartiennent. Je vous dirai que les comités de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des Colonies, ont nommé une commission pour s’occuper de la grande affaire de Saint-Domingue. Ainsi la vérité ne tardera pas à être éclaircie sur cette grande conspiration qui existe depuis cinq ans [quatre ans] (81) contre la Souveraineté nationale exercée par tout corps de représentants. Si les pétitionnaires n’avaient parlé que du grand intérêt national, je demanderais la parole pour répondre, ou plutôt pour éclairer la Convention. Ce serait mon devoir ; mais comme ils parlent d’individus je n’ai rien à dire. Je parlerai quand il sera temps de porter le flambeau de la vérité dans la caverne où la trahison voudrait l’obscurcir ; mais je déclare, en mon nom et au nom de mes collègues qui pensent comme moi, que nous ne voulons ni alimenter, ni combattre, ni servir, ni défendre aucune passion, aucun intérêt particulier. Je ne connais qu’une passion, l’amour de la patrie ; qu’un intérêt, celui de la République, non de la République de Saint-Domingue sous (79) Moniteur, XXI, 781-782. (80) Débats, n° 726, 493-494. (81) Débats, n° 726, 493-494. 224 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE la protection des puissances étrangères, non de cette république de ces messieurs, fédéra-lisée, aristocratisée, royalisée, c’est à dire invisible ; mais de la République française une et indivisible (82). [On applaudit. Un membre demande la parole pour demain midi, et promet de donner des éclaircissements sur les colonies. PELET demande qu’il soit nommé une commission chargée de lever les scellés apposés chez les commissaires des colons ; que cette commission ne puisse pas faire de rapports sans avoir entendu les accusés et les accusateurs ; il demande enfin que les commissaires soient élargis, à la charge de se représenter toutes les fois qu’ils en seront requis. La Convention qui a laissé les accusés en liberté, dit-il ne peut pas refuser la même faveur aux accusateurs.] (83) BREARD : Les comités de Salut public, de Marine et des Colonies, ont nommé parmi leurs membres une commission chargée de s’occuper de l’affaire des colonies. Merlin (de Douai), qui en fait partie, nous a assurés que ce rapport sera fait incessamment. [J’observe d’ailleurs que les commissaires des colons, ont été incarcérés en vertu du décret de la Convention nationale, et qu’il n’est au pouvoir d’aucun comité de prononcer sur leur sort.] (84) Je demande que la Convention ne statue rien avant d’avoir entendu ce rapport (85). [L’assemblée passe à l’ordre du jour.] (86) 47 Des citoyennes, toutes femmes ou filles d’agriculteurs de la campagne, ou ouvriers pauvres et indigens, détenus dans la maison du Plessis [Paris], bâtiment neuf, réclament leur liberté et des secours. Renvoyé aux comités de Sûreté générale et des Secours publics (87). 48 La société populaire séante en la salle électorale [Paris], se plaint d’avoir été calomniée dans le sein de la Convention, tandis qu’elle peut prouver qu’elle s’est montrée toujours et sur tout, dans les circonstances périlleuses le ferme appui de la révolution. Renvoyé au comité de Sûreté générale (88). (82) Moniteur, XXI, 782. (83) Débats, n° 726, 494. (84) Débats, n° 726, 494. (85) Moniteur, XXI, 782. J. Paris, n° 625. (86) Débats, n° 726, 494. (87) P.-V., XLV, 293-294. (88) P.-V., XLV, 294. Une députation du club électoral se présente à la barre [(elle) est venue répondre aux accusations faites contre elle par Billaud-Va-renne, dans la séance du décadi dernier] (89) ; Elle expose à la Convention les services que ce club a rendus à la chose publique dans des circonstances les plus difficiles de la révolution; elle proteste du civisme et de l’énergie révolutionnaire de chacun de ses membres. [Le club électoral se plaint d’avoir été calomnié. Pour toute réponse à ses détracteurs, il oppose le détail de ses travaux pour la révolution, qu’il divise en six époques. En juin 1791, les électeurs assemblés pour discuter le choix des candidats qu’ils avoient à nommer, détrui-soient le club de la Sainte-Chapelle, colonie des Feuillants. En 1792, la société fit adopter la fête de Château-Vieux, [qui fut le triomphe du peuple et le tombeau des aristocrates] (90) en dépit des intrigans. La même année, les événemens du 20 juin furent préparés dans cette société ; elle coopéra de tout son pouvoir à la glorieuse journée du 10 août. En mai 1793, des commissaires pris dans son sein, et d’accord avec la commune, sauvèrent la France du fédéralisme. Dans ce moment ajoute l’orateur, malgré les ennemis de la liberté, la société est déterminée à braver la mort, plutôt que de laisser violer les droits de l’homme.] (91) [C’est nous qu’on dit être un foyer de contre-révolution ! Une pareille inculpation n’a pu être faite que par celui qui vient en botte, fouet à la main, en pleine société, prendre la défense de Dumouriez nous dire qu’il ne pourroit jamais trahir la patrie] (92). Les pétitionnaires observent que celui qui les a accusés est le même homme qui, en novembre 1792, se rendit l’apologiste de Dumouriez. Ils terminent par réclamer la liberté de leurs membres Bodson et Varlet, [qui ont rédigé la dernière pétition] (93) arrêtés par ordre du comité de Sûreté générale. Le président : Maintenir le gouvernement révolutionnaire, basé sur la justice, exterminateur des mauvais citoyens, protecteur des hommes vertueux qui veulent sincèrement la République, voilà le devoir des réprésentants du peuple; rien ne les arrêtera; et l’intrigue, et ces hommes qui osent professer la doctrine perverse, par laquelle ils se déclarent ennemis du peuple et de la Convention nationale, passeront devant la puissance du peuple, comme sont passés tous les aristocrates de tous les temps. La Convention nationale fera examiner votre pétition ; si elle est conforme aux principes, si votre demande est fondée, comptez sur la justice; je vous invite en son nom à assister à la séance. BILLAUD -VARENNE : [observe que les pétitionnaires ont oublié une époque dans l’éta-(89) Mess. Soir, n° 759. (90) Mess. Soir, n° 759. (91) J. Mont., n° 140. (92) J. Fr., n° 722. (93) Mess. Soir, n° 759.