[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 septembre 1789. | 010 Une nouvelle rédaction est présentée en ces termes : La sanction royale est-elle nécessaire pour la promulgation de la loi? Elle donne encore lieu à des débats. M. le comte de Mirabeau. Je propose de délibérer successivement sur les questions suivantes : 1° La sanction royale sera-t-elle nécessaire pour la validité des actes du Corps législatif? J’observe que celte première rédaction a le double avantage d’embrasser toutes les opérations du Corps législatif, les impôts aussi bien que les projets de lois, et de ne point donner le nom de loi à des actes qui n’ont pas reçu leur complément; d’ailleurs on évite de se servir du mot loi, et si la loi est réellement loi, du moment où elle est proposée par le Corps législatif, elle n’aura besoin du consentement de personne pour exister dans toute sa force. Enfin ma rédaction sépare très-distinctement la Constitution de la législation. Voici les autres questions : 2° Le Roi sera-t-il libre de refuser la sanction royale aux actes à la validité desquels elle est nécessaire? 3° Lorsque le Roi aura refusé sa sanction, pourra-t-il être contraint à l’accorder sur la proposition d’une autre législature? 4° Cette législature, qui aura le droit de contraindre le Roi à la sanction, sera-t-elle la seconde législature, ou la troisième, ou la quatrième? M. de Lally-Tollendal. J’appuie la motion de M. le comte de Mirabeau : le veto n’est pas pour le Roi, mais pour l’intérêt de la nation ; le veto est la sauvegarde de nos droits, de notre liberté, et je pense, comme M. de Mirabeau, que quand même le Roi le refuserait, la nation le lui devrait accorder. Je pense comme lui que si on lit le mémoire, il faut en continuer la discussion. M. 1© Berthon. Je défends les mêmes principes. Comme Français, comme citoyen, comme magistrat, j’appuie de toutes mes forces la motion de M. le comte de Mirabeau ; je ne crois pas qu’une question aussi délicate puisse être jugée sans avoir repris la discussion sur la lecture du mémoire. Quelques membres insistent sur la lecture sans vouloir la discussion. D’un côté, l’on dit que si le Roi venait dans cette Assemblée, on ne refuserait pas de l’entendre; de l’autre, que la partie principale doit toujours être entendue : on oppose que ce sera lui donner l’initiative, mais qu’on ne peut la lui refuser, puisque la Constitution n’est pas encore faite. M. le comte de Mirabeau. Si le Roi, en venant dans cette Assemblée, n’était chargé que d’un message, il n’aurait pas le droit d’étre entendu; la nation n’est pas une partie, mais elle est le tout ; et, ainsi, Messieurs, les opinants ont mal saisi ma motion, puisque je m’oppose à la lecture. M. Mounier. Vous ne contesterez pas au Roi le droit de donner son avis; mais ce serait lui accorder l’initiative que de l’écouter lorsque la discussion est fermée. 11 n’a pas de consentement à donner sur la Constitution, et il ne peut ni demander ni refuser le veto. C’est à vous à examiner ce qui convient au Roi, ce qui convient au peuple; le Roi ne peut ni exiger le veto, ni le refuser ; je le répète encore, c’est à vous de décider si c’est un droit de la royauté; il est par conséquent inutile de lire ce mémoire. Plusieurs autres membres parlent sur ces questions; mais ils ne répètent que les raisons des préopinants. Les débats sont vifs, l’ordre est souvent interrompu ; enfin on va aux voix, et il est décidé que le mémoire ne sera pas lu. M. de Clermont-Tonnerre avertit l’Assemblée qu’elle a à décider les deux questions suivantes : 1° La sanction royale aura-t-elle lieu, ou non? 2° Sera-t-elle suspensive ou indéfinie? Le désordre recommence; à peine les deux propositions sont-elles lues, que plusieurs membres veulent faire des amendements. Le plus intéressant est de savoir si on ajouterait aux mots : la sanction royale , les mots : sur les lois. M. Camus. Tout le monde reconnaît que la Constitution n’est pas soumise au veto, qu’il n’y a que les lois; il est donc inutile d’énoncer une vérité incontestable. M. le comte de Mirabeau. Faut-il ou ne faut-il pas une sanction ? c’est-à-dire, en d’autres termes, la loi doit-elle être promulguée et exécutée ou non ? et je n’entends pas comment on a occupé vos moments d’une manière si niaise ; sans doute elle doit être exécutée, car il est de toute évidence qu’il faut une sanction. Le Roi aura-t-il ou n’aura-t-il pas le droit d’arrêter l’exécution et la promulgation de la loi ? Voilà ce qui vous agite actuellement, et c’est ainsi que je poserais la question. Un autre membre élève une question qui déjà a été débattue ; celle de la distinction entre le veto et la sanction. Selon lui, la sanction est le droit de défendre cette promulgation. Il prie l’Assemblée nationale de décider ce qu’elle entend parle mot sanction. Ici s’élève une grande et importante question ; elle ne contribue pas peu à embarrasser l’Assemblée : c’est la signitication du mot sanction. ün demande à M. de Glermont-Tonnerre ce qu’il entend en posant ainsi la question : La sanction royale aura-t-elle lieu? M. de Clermont-Tonnerre. Le président contracte l’engagement de répondre aux questions qu’il pose ; mais, n’ayant pas posé celle-ci, je ne suis pas obligé de l’exprimer : tout ce que je puis faire, c'est de chercher à l’entendre. Ici on commence à interpréter le mot sanction. M Babaud de Saint-Etienne. Ce n’est que l’acte matériel par lequel le Roi scelle la loi ; ce n’est que la signature royale. Le même membre parle avec beaucoup de clarté sur.la difficulté présente. Les uns, par sanction, entendent le veto; les autres, au contraire, entendent le sceau donné à la loi, et c’est dans ce sens que l’on doit l’entendre. Si donc nous entendons par sanction le sceau à la loi, il n’y a pas lieu à délibérer : le Roi, dans tous les cas, est forcé de l’apposer; mais s’il signifie consentement, U s’élève la question de savoir si le Roi [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 septembre 1789.J 611 peut le refuser oui ou non, et si, ensuite, ce refus n'est pas suspensif ou absolu. M. Prieur. Je suis de l’avis du préopinant. H faut expliquer les mots avant d'expliquer les choses ; ainsi il y a une première question à décider : Qu’est-ce que la sanction ? M. Rabaud de Saint-Etieune reprend sa motion. Il est évident, dit-il, que l’on n’est pas d’accord sur le mot sanction ; il devient donc indispensable de connaître ce que l’on entend par sanction. M. Tronchet fait également sentir l’amphibologie du mot sanction. Si tout le monde, dit-il, pensait comme l’auteur delà motion, on saurait que sanction est le sceau donné à la loi; mais ceux qui l’interprètent comme signifiant consentement lui donnent la force du veto. Dans le premier cas, nulle difficulté; dans le second, même difficulté que pour le veto. L’Assemblée avait décrété qu’il ne serait fait aucun amendement aux trois questions proposées par M. Camus ; mais l’insignifiance du terme sanction l’a forcée de se départir de ses principes, et elle a décrété qu’il pourra être fait des amendements à la motion de M. Camus. Premier amendement de M. de Mirabeau : Le Roi aura-t-il ou n’aura-t-il pas le droit d’arrêter la promulgation et l’exécution de la loi? Ce droit aura-t-il un effet absolu ou suspensif? Si l’exercice de droit est absolu, pour combien de législatures le sera-t-il? Second amendement : Le Roi aura-t-il le droit de sanction, c’est-à-dire le droit de promulguer les lois? Le Roi aura-t-il le droit de veto, c’est-à-dire de refuser cette sanction? Sera-t-il absolu ou momentané ? S’il est momentané, pendant combien d’années le sera-t-il ? Il y a eu encore plusieurs amendements ; mais comme le premier avait fait plus de sensation, M. de Clermont-Tonnerre propose de le rédiger ainsi : La sanction royale est-elle nécessaire pour la promulgation des lois ? Le Roi aura-t-il ou n’aura-t-il pas le droit d’arrêter la promulgation et l’exécution de la loi par le fétus de la sanction ? Ce droit aura-t-il un effet absolu ou suspensif, etc ? Cette rédaction est applaudie et désapprouvée ; à peine est-elle lue, qu’un membre propose de mettre indéfini au lieu d’absolu, pour ne pas rappeler l’idée du pouvoir absolu. M. Target demande qu’on raye le mot lois, pour le remplacer par les actes du pouvoir législatif. D'autres objectent qu’en parlant encore du mot sanction, c’est retomber dans l’inconvénient où l’on était tout à l’heure sur la signification de ce terme; que ce mot pris à la rigueur, la sanction, est alors nécessaire à la Constitution, puisque ce n’est que le sceau de la loi ; et que si on entend par sanction consentement, elle est inutile à la Constitution. Ils pensent qu’il faut poser ainsi la question : Le consentement du Roi est-il nécessaire à la Çonstitutioù ? M. le comte de Mirabeau, Il me semble qu’il y a des inconvénients à demander si la sanction royale est nécessaire à la promulgation de la loi. IL y a de la contradiction dans ces termes. La loi "est déjà loi, et alors toute sanction lui devient inutile. Je désirerais donc que l’on suppléât aux mots lois par ceux-ci : les actes du pouvoir législatif. J’y vois l’avantage de résoudre une grande difficulté : c’est de marquer la ligne qui sépare la Constitution et la législation ; il en est de même pour les impôts, ils ne sont pas lois. M. Tronchet demande qu’au lieu de sanction l’on mette consentement royal. M. Chasset rappelle la motion de M. le vicomte de Noailles qui, dans sa première disposition, demande : qu’est-ce que la sanction royale ? M. Eanjuinais demande que l’on pose ainsi la question : Est-il nécessaire que le Roi ait sanctionné les actes du pouvoir législatif pour en commander l’exécution? M. de Eally-Tollendal demande la rédaction proposée par M. le comte de Mirabeau. M. Ouillotin propose ces autres questions : 1° Le Roi peut-il refuser son consentement à la Constitution? 2° Le Roi peut -il refuser son consentement au pouvoir législatif ? 3° Dans le cas où le Roi refusera son consentement, ce refus sera-t-il suspensif ou indéfini? 4° Dans le cas où le refus du Roi serait suspensif, pendant combien de temps pourra-t-il durer? Sera-ce pendant une ou plusieurs législatures ? M. Mounicr. Le Roi n’a pas de consentement à donner à la Constitution ; il est antérieur à la monarchie. M. Tréteau expose le danger d’examiner cette question, il craint qu’en demandant au Roi son consentement surlaConstitulion, leRoine réponde qu’il ne peut la refuser, mais qu’il ne l’accordera que quand elle sera ratifiée par le peuple ; qu’a-lors les commettants deviendraient juges de la Constitution, et qu’il en pourrait résulter de grands maux. On décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur le premier article. On propose différents amendements sur les autres, mais ils sont rejetés. M. Ilébrard, d'Aurillac. La nation ne doit reconnaître d’autre maître que la loi qu’elle s’est faite, d’autre chef que le Roi qu’elle a choisi ; le Roi est le premier sujet de la loi, et la reçoit de la main qui l’a élevé à la royauté. Il fait serment de ne vivre et de ne régner que par elle ; ainsi, faire la loi est dans la nation qui a aussi fait les Rois ; la faire respecter est dans le Roi qu’elle a chargé. De là cette distinction de pouvoirs, l’un législatif, essentiel, et principe de toutes choses ; l’autre exécutif, mais secondaire. L’on voudrait en élever un troisième en faveur du Roi, veto contre toute espèce de loi que ferait la nation; inais les créateurs de ce droit vraiment extraordinaire ont-ils remarqué que son. premier effet serait d’anéantir et le législatif et l’exécutif, qui cependant, soit qu’on les exerce cumulativement , soit qu’on les exerce séparément, [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [H septembre 1789.J 612 sont l’essence constitutive de tout Etat? Dans le fait, si nous demeurons d’accord que le Roi ne puisse faire seul la loi ; que d’nn autre côté, nous lui accordions le droit d’annuler celle que ferait la nation, nous n’aurons donc plus de pouvoir législatif, et par cela même de pouvoir exécutif à défaut de lois ? Que nous resterait-il donc de notre ancienne monarchie ? Un peuple sans lois, ou un peuple sans Roi; car ne serait-il pas à craindre, disons plutôt ne serait-il même pas juste que la nation cessât de regarder pour son Roi le Roi qui cesserait de rendre à la nation ce qu’il lui doit? et voilà par quelle affreuse gradation nous parviendrions bientôt à une dissolution totale, et où nous aurait conduit le veto intolérable que le Roi n’a jamais eu, qu’il ne demande point, mais que des gens inconsidérés veulent absolument lui attribuer. Un grand peuple, un grand Etat comme la France, doit, nous dit-on, donner à son Roi de grands droits. Sans doute ; mais quel autre plus précieux (et dont tout souverain serait jaloux), quel autre, dirons-nous, plus grand, plus beau, plus digne d’un Roi, que celui de ne pouvoir jamais faire le mal, de partager la gloire ou les erreurs de son peuple! Nous avons un Roi, vrai présent des cieux ; fassent-ils que la sagesse, l'humanité, cet accord si parfait et si rare des plus belles vertus qui décorent son trône, puissent être le domaine de ses successeurs, être héréditaires comme sa couronne 1 Nous n’aurions besoin ni de lois, ni de Constitution ; nous u’aurions qu'à jouir du bonheur que nous procurerait sa tendre sollicitude ! Mais s’il est des Rois qui honorent leur siècle, il en est aussi qui en font la honte et le tourment. La loi seule est alors le soulagement du peuple ; chacun peut y être ramené tour à tour ; il nous faut donc des lois, et ce serait eu détruire jusqu’à l’idée que de les confondre dans la personne à qui l’exécution en est confiée. Il faut que ces deux pouvoirs soients distincts et toujours en mesure; que nul ne puisse se prévaloir de l’absence de l’autre. Le désordre s’introduit encore dans l’Assem-bléé. M. Chasset fait la motion que l’Assemblée ne se sépare pas qu’elle n’ait jugé les deux questions du veto et de sa nature. Cette motion passe par acclamation. Sur la première question, c’est-à-dire sur le veto, il a été résolu d’abord, à la grande majorité, qu’on irait aux voix par assis et levé ; mais les réclamations ont forcé l’Assemblée à revenir sur ce décret et à le révoquer. Il était quatre heures lorsque les débats se sont terminés, et quand on a commencé le premier appel nominal. Le veto a passé à la très-grande majorité. Sur l’autre question, c’est-àdire : Le refus du Roi sera-t-il suspensif? la majorité a été pour l'affirmative de 573 voix contre 325, et 11 voix perdues. Ainsi le veto suspensif a passé. La séance est levée à huit heures et demie du soir. M. le président a indiqué la séance à demain, et l’ordre sera d’examiner la quatrième question proposée par M. Guillotiu ainsi qu’il suit : Pendant combien de temps durera la suspension? si ce sera pendant une ou plusieurs législatures ? ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 11 septembre 1789. RAPPORT fait au Roi, dans son Conseil , par le premier ministre des finances. Votre Majesté connaît les débats qui ont lieu depuis quelque temps à l’Assemblée nationale sur la sanction royale. La division de sentiments à cet égard semble annoncer que la supériorité de suffrages en faveur du veto indéfini entre les mains du Roi est au moins fort incertaine. Cependant la chaleur contre un semblable résultat est telle, qu’une grande scission parait à craindre, si le veto absolu ne l’emporte que faiblement sur l’opinion contraire, et il en résulterait peut-être une commotion dangereuse. La plus petite majorité dans une délibération nationale suffit avec raison pour faire loi, mais elle n’assure pas la tranquillité publique lorsqu’elle décide des questions auxquelles tous les sentiments, tous les intérêts et toutes les passions s'associent. On ne doit pas non plus se dissimuler que ce mot vague le veto, le veto absolu peut devenir une arme entre les mains des gens mal intentionnés ; car auprès de la multitude, il ne serait pas difficile de présenter ce droit d’opposition comme un moyen ménagé au gouvernement pour tout arrêter, et pour détruire en un jour les espérances de la nation et le fruit de ses efforts. 11 n’est rien de si propre à échauffer les esprits du vulgaire qu’une expression susceptible de diverses interprétations , lorsque cette expression est destinée à rappeler une idée qui n’est pas encore familière ; et il serait à désirer que la controverse dont les esprits sont occupés eût toujours été présentée dans le public sous cette forme simple : Le consentement du Souverain aux lois qu’il doit faire exécuter , est-il ou non nécessaire ? Quoi qu’il en soit, c’est sous l’aspect général et commun, c’est d’après le cours des opinions que les ministres de Votre Majesté ont dû fixer leur attention sur la question du veto absolu et du veto suspensif ; et d’abord ils ont été frappés d’une grande et malheureuse vérité : c’est qu’en ce moment la tranquillité du royaume doit être le principal objet de la sollicitude du gouvernement ; car, au milieu des circonstances qui nous environnent, il faudrait peu de choses pour amener un trouble dont les funestes effets seraient incalculables. L’espèce de calme qui subsiste encore avec tant de moyens d’insurrections, ce calme si nécessaire, si difficile à maintenir, n’est dû qu’à la puissance de la raison, de la morale et de l’espérance, et il faut soigner cette puissance avec le plus extrême ménagement, si l’un ne veut pas mettre en péril le salut de l’empire français. Je ne déterminerai point l’étendue des sacrifices qu’il faudrait faire à ces grandes considérations ; on peut supposer un terme où ils devraient s’arrêter ; mais j’espère, pour le bonheur de la France, que Votre Majesté ne sera jamais appelée à le fixer. Conduit par ces réflexions, j’ai été entraîné à considérer s’il ne pouvait pas exister un veto suspensif propre à concilier les diverses opinions qui agitent l’Assemblée nationale ; et voici celui