[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1790.] M. dfe Richier prétend que, depuis trois jours de discussion, la matière n’est point encore éclaircie, et qu’il ne se présente aucun résultat. M. de Fumel demande que le mémoire de M. de Montesquiou soit renvoyé au comité des finances pour servir de plan de travail, et qu’au surplus la motion de M. Camus soit adoptée. M. l’abbé ilaury se borne à demander la création d’un comité pour l’examen et le rapport des pensions. M. Camus présente le projet de décret suivant qui résume les projets de M. Prieur, du baron de 'Wimpfen et le sien : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète: « Art. 1er. Que les arrérages échus jusqu’au 1er janvier présent mois, de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles, qui n’excéderont pas la somme de 3,000 livres, seront payés conformément aux réglements existants , et que sur ceux qui excéderont ladite somme de 3,000 livres, il sera payé provisoirement pareille somme de 3,000 livres seulement. « Art. 2. A compter du 1er janvier 1790, le paiement de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles à échoir en la présente année, sera différé jusqu’au 1er juillet prochain, pour être effectué à ladite époque d’après ce qui aura été décrété par l’Assemblée. « Art. 3. Il sera nommé un comité de douze personnes, qui présenteront incessamment à l’Assemblée un plan, d’après lequel les pensions, traitements et gratifications, dons, etc., actuellement existants, devront être réduits, supprimés ou augmentés, et proposeront les règles d’après lesquelles les pensions devront être accordées à l’avenir. « Art. 4. 11 ne sera payé, même provisoirement, aucunes pensions, dons et gratifications, aux Français habituellement domiciliés dans le royaume, et actuellement absents sans mission expresse du gouvernement antérieure à ce jour. » La discussion s’ouvre sur ce projet de décret. M. Rœderer propose d’amender l’article 1er en y ajoutant que le premier ministre des finances se fera représenter l’état des pensions au dessus de 3,000 livres qui auraient pu être payées depuis le 1er janvier jusqu’au sanctionnement du décret, atin qu’il pût s’assurer de la vérité desdits états afin que le décret ne fût pas illusoire. Cet amendement est adopté. M. le marquis «PEstourmel propose d’excepter les septuagénaires des dispositions de l’article 1er. M. Teiller adopte l’amendement, mais en réduisant à 12,000 livres les pensions des septuagénaires. L’amendement de M. d’Estourmel, modifié par M. Tellier, est mis aux voix et adopté. L’article 1er avec les changements qu’il vient de subir est adopté. Les articles 2 et 3 sont également adoptés. M. Duport critique l’article 4 et propose de substituer au mot pensions ceux de traitements et appointements attribués à quelques fonctions publiques. M. Clezem. Les mots que M. Duport propose de substituer doivent être introduits dans l’article, mais sans entraîner lasuppressiondu motpensions. (La séance devient très orageuse; M. Bouchotte demande au président de lever la séance; M. le marquis de Foucault réclame la division; M. Du-val d’Epréménii invoque le règlement. — Le president parvient enfin à triompher de toutes les résistances et à ramener le calme.) M. Eieyris-Desponchez, évêque de Perpignan. L’article 4, tel qu’on vous le propose, est attentatoire à la liberté individuelle, puisque vous voulez empêcher les citoyens de se déplacer, et il est contraire à vos décrets qui garantissent cette liberté. M. le baron de Menou. L’Assemblée n’empêche nullement les Français expatriés d’aller et de venir comme il leur plait, mais l’ Assemblée est bien maîtresse de ne pas leur accorder de grâces. M. de Cazalès. L’Assemblée peut bien ne pas accorder de grâces pour l’avenir, mais ses décrets doivent respecter les droits acquis et ne pas avoir d’effet rétroactif. iN’est-ce pas priver de la liberté les Français absents du royaume que de leur ôter les moyens d’exercice de cette liberté? Les deux tiers de la salle crient : Aux voix? aux voix? M. le Président parvient à mettre aux voix l’article 4 qui est adopté. En conséquence le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : Article 1er. « Que les arrérages échus jusqu’au lep janvier présent mois, de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles qui n’excéderont pas la somme de 3,000 livres, seront payés conformément aux réglements existants, et que sur ceux qui excéderont ladite somme de 3,000 livres il sera payé provisoirement, pareille sommede 3,000 livres seulement, excepté toutefois à l’égard des septuagénaires, dont les pensions, dons et gratifications seront payés provisoirement jusqu’à 12,000 livres, et sera le premier ministre des finances chargé, le jour de la sanction du présent décret, de se faire apporter l’état desdites pensions , dons et gratifications au-dessus de 3,000 ou de 12,000 livres, qui auraient pu être payés dans l’intervalle du 1er janvier au jour de la sanction, pour arrêter ledit état. Article?. « A compter du 1er janvier 1790, le paiement de toutes pensions, traitements conservés, dons et gratifications annuelles à écheoir en la présente année, sera différé jusqu’au 1er juillet prochain, pour être payés à ladite époque, d’après ce qui aura été décrété par l’Assemblée. » Article 3. « Il sera nommé un comité de douze personnes, qui présenteront incessamment à l'Assemblée un plan, d’après lequel les pensions, traitements et ratifications, dons, etc., actuellement existants, evront être réduits, supprimés ou augmentés, et proposeront les règles d’après lesquelles les pensions devront être accordées à l’avenir. » 75 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i janvier 4790.] Article 4. 1 de la partie des décrets du 4 du môme mois, qui était relative à l’abolition des dîmes et au rem-« Il ne sera payé, même provisoirement, aucunes pensions, dons, gratifications, ni anciens traitements et appointements attribués à quelques fonctions publiques, aux Français habituellement domiciliés dans le royaume, et actuellement absents sans mission expresse du gouvernement antérieure à ce jour. » M. le Président lève la séance à sept heures du soir, et l’indique à demain mardi, neuf heures et demie du matin . PREMIÈRE ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 4 janvier 1790. Développement de la motion de M. Camus, relativement à l'Ordre de Malte (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée.) Les déterminations que l’Assemblée nationale prendra sur l’Ordre de Malte, sont extrêmement importantes. D’une part, on ne doit ni manquer à la justice due à un ordre qu’un grand nombre de guerriers célèbres ont illustré, ni porter atteinte au commerce du Levant, commerce très-avantageux à la France. D’autre part, il est impossible, lorsque la nation se donne une nouvelle constitution, de laisser subsister des usages, des lois ou des privilèges essentiellement contraires à la constitution. Tous les particuliers, tous les établissements, tous les corps qui existeront dans la nouvelle confusion, doivent être d’une nature homogène. Une différence, admise dans le moment présent, serait, pour l’avenir, un germe de constitution, de désordre et de destruction. L’Assemblée nationale sera en état de statuer sur les établissements de l’Ordre de Malte, lorsqu’on lui aura rappelé ce qui s’est déjà passé dans ses séances par rapport à cet ordre; qu’on lui aura présenté un tableau fidèle de l’étal de l’Ordre de Malte et de ses établissements en France ; qu’on lui aura mis sous les yeux le résultat des titres qui forment la constitution de l’Ordre de Malte et de ses établissements; qu’on aura balancé les avantages que l’Ordre procure à la France avec les oppositions qui peuvent se trouver entre sa constitution et la constitution française. 11 ne restera alors qu’à chercher les moyens de concilier les intérêts du royaume avec les principes de sa constitution. article 1er. Récit abrégé de ce qui s’est passé dans l'Assemblée, relativement à l’Ordre de Malte. Plusieurs provinces et bailliages, dans leurs assemblées particulières, avaient réclamé contre les privilèges de l’Ordre de Malte (1). Cet Ordre a été nommé pour la première fois dans l’Assemblée nationale, le 11 août 1789, lors de la rédaction (1) La motion de M. Camus n'a pas été insérée au Moniteur. (2) Cahiers du clergé de Nemours, du clergé de Sézanne, du clergé de Rbodez, etc. boursement des rentes foncières. On avait décidé d’abolir les dîmes appartenantes aux corps ecclésiastiques séculiers et réguliers, et d’autoriser le rachat des rentes qui leur étaient dues. Il fut question de savoir si ces dispositions seraient appliquées aux dîmes et aux rentes appartenantes à l’Ordre de Malte. L’Assemblée décréta que les dîmes possédées par les corps séculiers et réguliers... même par l'Ordre de Malte et autres ordres religieux et militaires, étaient abolies. File décréta que toutes les rentes foncières, à quelques personnes qu’elles fussent dues, même à l'Ordre de Malte, seraient rachetables. Le Roi a ordonné la publication de ces articles le 22 septembre; le 3 novembre il en a ordonné l’envoi à tous les tribunaux. La mention expresse de l’Ordre de Malte, dans le décret de l’abolition des dîmes, avait occasionné quelques réflexions sur son état et sur ses privilèges. Le 17 août, M. le vicomte de Mirabeau présenta à l’Assemblée, des Considérations pour l'Ordre de Malte, dans lesquelles, après avoir relevé les avantages que la France tire de cet Ordre, il avertit que « l’Ordre était sollicité depuis longtemps de faire la cession de son île à une puissance ennemie de nos anciens alliés, et jalouse de posséder cet établissement (pag. 5 et 6.) ». Il ajouta que a cet abandon était la seule manière dont l’Ordre pût se récupérer de la perte énorme qu’on lui faisait éprouver par la suppression des dîmes (pag. 6) ». M. le vicomte s’étend ensuite, dans le même écrit, sur la protection que la marine maltaise donne à notre commerce; sur les avantages que son hôpital nous procure. Il expose le droit que chaque Français a sur les biens de l’Ordre de Malte; le noble, en entrant parmi les chevaliers ; le bourgeois, parmi les servants d’armes ; celui qui se destine à l’état ecclésiastique, parmi les Diacos; il rend compte des avances d’argent indispensables pour parvenir aux commanderies , et il en conclut qu’après ces avances faites, on a un droit réel qui ne saurait être enlevé à ceux qui l’ont acquis. Le 21 août, M. le comte de Montmorin, ministre des affaires étrangères, fit parvenir, par M. le garde des sceaux, à l’Assemblée nationale, un mémoire de M. Bailli de la Ërillanne, ambassadeur de Malte (1). L’Ordre y déclare d'avance , qu'il se soumet entièrement à tout ce que les Etats généraux décideront , après qu’ils auront bien voulu approfondir sa constitution. Ce mémoire contient des détails sur la constitution de l’ordre, ses revenus, ses privilèges. On y insiste (pag. 19) sur le concours de * la possession la plus entière et la plus authentique, avec les titres les plus solennels d’une franchise absolue de toutes imposition réelles et foncières. » On soutient (pag. 54) « qu’on ne peut diminuer les revenus de la r eligion dont les dîmes sont la plus grande partie, qu’elle ne devienne à charge aux autres puissances chrétiennes, et singulièrement à la France » . On y demande (pag. 28) que l’Ordre soit maintenu, relativ ement aux impositions, dans ses formes, au moyen d’un abonnement compatible avec les besoins actuels de l’Etat et les charges particulières que supportent les commandeurs. )ans un supplément à son mémoire, M. l'ambassadeur propose quelques réllexions sur ce (1) Il est intitulé Mémoire de l’Ordre de Malte, 35 pages.