742 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790. jouira de la plénitude des droits de citoyen actif, et est dispensé des conditions relatives à la propriété et à la contribution, sous la réserve exprimée dans l’article précédent, qu’il ue peut exercer son droit, s’il est en garnison dans le canton où est son domicile. « 8. Chaque année, le 14 juillet, il sera prêté individuellement dans les lieux où les troupes seront en garnison, en présence des officiers municipaux, des citoyens rassemblés et de la troupe entière sous les armes, le serment qui suit : « Savoir, par les officiers de rester fidèles à la Nation, à la loi, au Roi et à la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le roi; de prêter la main forte requise par les corps administratifs et les officiers civils ou municipaux, et de n’employer jamais ceux qui sont sous leurs ordres contre aucun citoyen, si ce n’est sur cette réquisition, laquelle sera toujours lue aux troupes assemblées ; « Et par les soldats, entre les mains de leurs officiers, d’être fidèles à la nation, à la loi, au roi et à la Constitution, de n’abandonner jamais leurs drapeaux, et d’observer exactement les régies de la discipline militaire. « Les formules de ces serments seront lues à haute voix par le commandant, qui jurera le premier, et recevra le serment que chaque officier, et ensuite chaque soldat, prononcera en levant la main, et disant : Je le jure. « 9. Toute vénalité des emplois et charges militaires est supprimée. « 10. Le ministre ayant le département de la guerre, et tous les agents militaires, quels qu’ils soient, sont sujets à la responsabilité dans les cas et de la manière qui sont et seront déterminées par lp Constitution, « 11. A chaque législature appartient le pouvoir de statuer: u 1° Sur les sommes à voter annuellement pour l’entretien de l’armée, et autres dépenses militaires ; « 2° Sur le nombre d’hommes dont l’armée sera composée; « 3° Sur la solde de chaque grade ; « 4° Sur les règles d’admission au service, et d’avancement dans les grades; « 5° Sur la forme des enrôlements et les conditions de dégagement; « 6° Sur l’admission des troupes étrangères au service de la nation ; « 7° Sur les lois relatives aux délits et aux peines militaires; « 8° Sur le traitement des troupes dans le cas où elles seraient licenciées. « L’Assemblée nationale a décrété et décrète en outre que le comité de constitution et le comité militaire se concerteront pour lui présenter le pins tôt possible des projets de loi : « 1° Relativement à l’emploi des forces militaires dans l’intérieur du royaume, et sur les rapports de l’armée, soit avec le pouvoir civil, soit avec les gardes nationales; «i 2° Sur l’organisation des tribunaux et les formes des jugements militaires; « 3° Sur les moyens de recruter et d’augmenter les forces militaires en temps de guerre, en supprimant le tirage de la milice, « L’Assemblée nationale a décrété et décrète de plus que le roi sera supplié de faire incessamment présenter à l’Assemblée nationale Un plan d’organisation de l’armée* pour mettre les représentants de la nation en état de délibérer et de statuer sans retard sur les divers objets qui sont du ressort du pouvoir législatif. « L'Assemblée nationale a décrété et décrète enfin qu’à commencer du 1er mai prochain, la paye de tous les soldats français sera augmentée de 32 deniers par jour, en oBservant la progression graduelle entre les differentes armes et les différents grades; et l’emploi de cette paye sera incessamment déterminé par des ordonnances militaires. » M. le Président annonce qu’il a reçu du ministre de la marine une lettre et des pièces concernant l’affaire des colonies. M. Alexandre de Lameth demande que la lettre et les pièces en question soient remises au. comité des rapports et que le président de ce comité soit autorisé à se faire représenter les originaux par le ministre de la Marine, à l’effet de constater si ces pièees sont des copies collationnées où de simples extraits, même à prendre, s’il le croit nécessaire, les pièces originales en communication sous son récépissé. La motion est mise aux voix et adoptée. M. le Président annonce à l’Assemblée qu’elle vient de perdre un de ses tnémbres, M. le marquis de Lavalette-Parisot, député du Quercy, et que Son convoi, auquel il invite les membres à assister, partira ce soir à huit heures, de l’hôtel Gaston, rue Traversière, n° 57. M. le Président Jève la séance à 5 heures du soir, après avoir annoncé que l’ affaire des colonies serait à l’ordre du jour de demain. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 28 fé* vrier 1790. Rapport en défense dans ta cause du peuplé des Baux, en Provence, contre le prévôt général de la maréchaussée de cette province. (1), par M. Durand dé Maillarie, député â' ries. Messieurs, il sera prouvé authentiqüement que la généralité, ou tout au moins La grande majorité des habitants de la ville et du terroir de Baux (ce qui comprend le hameau et le bourg très peuplés de Mauriès et Maussanne) a témoigné le plus vivement, depuis le 22 août dernier, le désir d’uiie assemblée de tous chefs de famille, pour y prendre à l’exemple de toutes les municipalités du royaume les délibérations convenables dans les circonstances heureusès de la nouvelle constitution. Cette municipalité particulière des Baux avait aussi des raisons à elle propres, pour désirer plus ardemment qu’une autre un conseil général : elle avait d’abord à délibérer sôn adhésion aux rapports de l’ Assemblée nationale, et une renonciation locale pour ses privilèges, comme terre adjacente de la Provence. L’abolition du régime féodal l’avait mise, d’autte part, dans le cas de pfbcürëf au Trésor public un grand profit, par la rentrée (1) Ce document n’a par été inséré au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] 743 de sa seigneurie très considérable, dans les possessions domaniales; et enfin il lui importait essentiellement de faire cesser des abus et des déprédations, tant de la part des administrateurs municipaux que de la part de l'agent du seigneur. Il est bien certain que des administrateurs amis du nouvel ordre dans la forme des administrations municipales ou désintéressés aux réclamations, d’un peuple qui n’y voyait que son bonheur, les auraient prévenues d’eux-mêmes, ces réclamations, par la plus prompte convocation de rassemblée que ce peuple demandait. C’est ainsi que sé sont comportés tous les bons citoyens en place, dans les municipalités du royaume à l’époque des décrets de l’Assemblée, qui y ont annoncé les plus heureux changements, dans toutes les parties de l’ancien gouvernement. Les officiers municipaux* ni les citoyens eux-mêmes n’ont pas été chercher des permissions qu’on leur aurait refusé pour des assemblées que le patriotisme inspirait et qü’il légitimait ; il a aussi vaincu tout seul dans les provinces comme dans l’Assemblée nationale, les ennemis du bien public et de la nouvelle constitution. Combien de preuves n’en a pas notre assemblée dans ses procès-verbaux ? Elle ne peut aussi par là même que trouver très coupable le refus obstiné que le premier consul de la ville des Baux a fait de se rendre à un vœu si raisonnable et si général dans sa communauté. Vous le savez, Messieurs, aujourd’hui moins que jamais le peuple né saurait souffrir des injustices et des caprices des agents du pouvoir public. Notre assemblée elle-même a consacré ce principe : « Qu’on ne saurait attenter aux droits des citoyens, les priver dé s’assembler dans la formé légale, pour consulter sur la chose publique et pour demander le redressement de leurs griefs. i> Ainsi le peuple de la ville des Baux qui n’a fait qu’user de son droit en demandant la Convocation d’un consëil général, l’a peut-être blessé en s’abstenant de s’assembler pour en demander la permission. Rien qui lui fût moins nécessaire dans les circonstances nouvelles quând ils n’avaient à délibérer que : 1° pour témoigner leur reconnaissance à l’Assemblée nationale; 2° pour renoncer à leurs privilèges; 3° pour faire profiter le Trésor public du bénéfice de la rentrée de leür terre datis le domaine de la couronne ; 4b etenfin pour secouer le joug d’une double tyrannie qu’il exerçait impunément sur eux depuis bien des années. Tels sont, Messieurs, les objets sur lesquels le peuple des Baux avait envie et besoin de délibérer; dans le conseil général dont la convocation lui à été constamment refusée par le premier de ses consuls. Ces objets de délibération ne doivent jamais être perdus de vüe, dans toute la suite des instructions contradictoires que l’Assemblée recevra dans Cette affaire, parce qu’en justifiant satts cesse le peuple des Baux, ces objets condamnent et détruisent d’avance les Calomnies dont on a voulu leS noircir. On ne saurait comparer la première et noble origine de cette affaire, avec ses derniers et déplorables effets, sans être saisi d’étonnement et d’ün étonnement si grànd, qu’il n’est pas possible de reconnaître dans les rigueurs et l’extension des rigueurs du prévôt de la maréchaussée de Provence que le simple exercice de fonctions officielles et nécessaires. 11 n’est pas possible de Concevoir qü’un juge retranché dans un fort, et environné d’une nombreuse garnison qui l’appUie et le soutient, fasse tomber au loin comme auprès de son effrayant tribunal des décrets de prise de corps sur les meilleurs citoyens, sur les amis les plus chauds de l’Assemblée nationale, de ses décrets, de la constitution et pour des actes louables sans, en même temps, demeurer convaincu que la révolution qui fait le bonheur de la nation et celui du roi, dont elle a consolidé les droits et la puissance n’a pas de plus grand ennemi que M. de Bour-nissac, prévôt général de la maréchaussée de Provence, siégeant sur son tribunal prévôtal et militaire, dans le fort Saint-Jean de la ville de Marseille. Un décret de l’Assemblée à déjà renvoyé cet officier au tribunal du Châtelet; et ce décret n’a rien produit. Que dis-je? il a produit l’impünité et tout ce qui s’ensuit, de nouveaux excès qu’ôn a osé couronner d’üne apologie dans cette assemblée même, c’est-à-dire dans l’Assemblée nationale dont M. de Bournissac, mieux connu par ses procédures que par ses belles paroles dans les lettres qu’il lui a adressées, brave ouvertement la justice et la souveraineté. , Est-il, peut-il y avoir, Messieurs, rien de plus conséquent pour la nation assemblée? Qu’ëlle y fasse bién attention. Vainement elle ferait de bonnes lois, si le pouvoir exécutif ne se prête pas à leur exécution. Allons sans mystère à la Source du mal dont nous nous plaignons et pensons sérieusement au remède. Si les procédures du prévôt de Marseille n’étaient pas visiblement dirigées contré les amis de la Révolution; si elles n’avaient pour objet de contenir passagèrement Un peuple aveugle, que les circonstances rendent plus audacieux ou rebelle aux. meilleures et nouvelles lois; si enfin, le prévôt ne venait qu’en supplément des tribunaux tombés dans l’inertie pour montrer à chacun qu’il est encore des lois à suivre et une justice à craindre, l’Assemblée nationale ne ferait elle-même que gagner aux actes d’un pareil tribunal, pour le succès dè ses grands travaux, mais ins-; truite, comme elle l’est en ce moment, de toutes tes procédures contre les citoyens de Marseille, de la manière qu’elles se prennent, contre qui et à qui elles tendent ; instruite assez de toutes les circonstances de l’affaire de toülon, où rieii n’a paru être l’effet du hasard, il ne lui reste plus qu’à réunir les connaissances qu’elle a déjà à celles que va lui fournir la procédure dont nous allons liii rendre compte süù bonnes pièces, pour avoir tout lieu de croire que les ennemis de la Constitution ont pensé et pensent même encore à faire de la Provence, province reculée où les esprits ont toujours été plus comprimés par les intermédiaires, le boulevard de ce qu’on appelle à présent la contre-révolution. Ce dessein est sans doute èn ce moment de tous le plus insensé, le plus contraire au bien public; mais si, à l’exemple du prévôtde Marseille, chaque prévôtdanslesautresprovincèsavaittraité d’émeutes les assemblées municipales et populaires, Qü d’insurrection criminelle la vigilance mêmé de la milice bourgeoise poUr en écarter lé désordre, où en serions-nous? La partie la plus saine du royaume gémirait à cette heure dans les fers comme les habitants des Baux, comme un très grand nombre des citoyens de Marseille. Heureusemént.le terme de cette étrange vexation est arrivé. Les municipalités vont s’assembler à leür gré, et bientôt les justices prévôtales n’effraieront plus les bons citoyens : bientôt, ét déjà même il ne tiendra plus aux officiers municipaux d’éluder ou d’arrêter les effets d’une pétition populaire qüand elle sera juste , et formée par un bien moindre nombre que ne 744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] l’était celui des habitants des Baux, que leurs consuls ont éconduits pendant quatre mois , et qui, pour la plus belle œuvre de leur vie, gémissent en ce moment dans l'exil ou dans les prisons. Plus heureusement encore, Messieurs, le roi est venu le 4 de ce mois au milieu de nous ; le roi que la France adore, et qui, après avoir fait le bonheur de son peuple par ses vertus, fera le bonheur du genre humain par son exemple, est venu nous prononcer un discours qui nous a fait tressaillir d’amour et de joie : ce discours affligera sans doute les ennemis de la Constitution , et préviendra certainement les coups qu’ils nous préparaient, mais réparera-t-il ceux qu’ils ont déjà portés? Le dernier trait de la sagesse et de la bonté du roi, met comme le sceau à la possession inappréciable de notre liberté; il nous comble ici d’allégresse, mais, le dirai-je, il ne fera qu’accroître la douleur de nos frères que l’aristocratie a choisis pour ses victimes. Pensez-y , Messieurs, et accourez à leur secours, peut-être devons-nous, nous-mêmes, notre salut au patriotisme dont on cherche à les punir; et ils n’ont besoin pour le leur que de votre justice, la refuserez-vous ? Non. Vous la rendrez, cette justice, après les instructions qui vont éclairer votre jugement, et pour les habitants de la ville des Baux, et pour ceux de la ville de Marseille. Vous la rendrez aces infortunés d’une manière digne de votre souveraineté que leur cause intéresse et que leur situation déshonore I INSTRUCTION. Il paraît d’abord, par un acte du 31 août 1789, que plus de 60 citoyens, parmi lesquels était le curé de la paroisse, demandèrent aux consuls des Baux, la convocation d’un conseil général de tous les chefs de famille pour le 6 du mois de septembre, dans l’église paroissiale de Maus-sanne , à l’effet , porte cet acte : « d’y délibérer sur les événements qui occupent la nation depuis le 17 juin dernier , et sur d’autres objets relatifs au bien public; autrement et à défaut , qu’ils s’assembleraient eux -mêmes, pour manifester leurs vœux et leurs sentiments patriotiques. # C’est ainsi qu’est conçu le premier acte que la résistance de ces consuls obligea les citoyens des Baux de leur faire signer, par un exploit d’huissier, au bas duquel le sieur Aymé, avocat, premier consul, répondit en ces termes, tant pour lui que pour son collègue ; « que sans entrer dans des détails superflus, ils ne peuvent ni ne doivent se rendre au désir que témoignent les soixante-huit signataires du comparant ci-dessus, de faire convoquer un conseil de tous les chefs de famille, c’est-à-dire de quatorze ou quinze cents personnes qui ne sont pour rien dans le comparant ; et le refus de la part du ré-Îondant et de son collègue a pour fondement : ° que la demande qui leur est faite est illégale ; 2° qu'ils ont des ordres pour ne pas convoquer de pareilles assemblées dans les circonstances actuelles, au moyen de quoi ils espèrent que la jactance des signataires de s’assembler, là où les consuls ne feraient pas droit à leur demande, ne sera point effectuée. Le répondant exhorte , au contraire, tous les susdits signataires de se contenir dans les justes bornes du devoir. Ce n’est pas dans un moment où la régénération de l’Etat va s'effectuer , qu’on doit se permettre des entreprises si contraires à l’ordre public. » Sur cette réponse qui annonce assez clairement la résolution prise par le premier consul, de ne pas céder aux instances de tout un peuple, M. Le Blanc de Servane, ancien conseiller au parlement d’Aix, s’est cru fondé, et avec raison, de demander à ce consul l’exhibition des ordres supérieurs dont il avait parlé, ce qu’il fit par un exploit d’huissier du 3 septembre, au bas duquel ledit sieur Aymé, premier consul, répondit encore ainsi qu’il suit : « Lequel a répondu, tant pour lui que pour son collègue, que la modération et la douceur doivent être les premières qualités des officiers municipaux; ils se garderont bien de suivre l’exemple qui leur est donné dans l’acte interpellatif que le sieur Le Blanc de Servaneafait signifier aujourd’hui, au nom des prétendus notables, dont la majeure partie venait du titre qu’on leur a accordé si libéralement; ils lui feront, au contraire, observer avec tous les égards dus à un des principaux membres du conseil des Baux : 1° Que, d’après la rigueur des règles dont il ne leur est pas permis de se départir, ils ne peuvent regarder cet acte interpellatif que comme présenté en son seul et propre nom, puisqu’il ne montre aucun pouvoir de la part des autres signataires du premier comparant, signifié aux consuls le 31 août dernier, et qu’il ne paraît nullement qu’ils n’aient pas été satisfaits de la réponse qu’il y fut fournie; 2° qu’en admettant même un mandat de leur part, il n’est pas possible, à moins que de vouloir renverser toutes les idées, que cette réponse ait dû exciter toute leur indignation, comme le dit ledit sieur de Servane, puisqu’il n’en fut jamais de plus réservé et de plus conforme aux règles, aux principes de toute association municipale; 3° qu’il est bien (sic) que des consuls qui n’ont eu constamment en vue que le bien public, soient accusés par le sieur de Servane d’être entièrement dévoués au parti de l’aristocratie, sans même que le sieur de Servane daigne expliquer ce que c’est que ce prétendu parti, que les répondants n’ont jamais connu; 4° que cette imputation de sa part doit paraître d’autant plus étrange que, loin d’avoir jamais rien fait de leur propre chef, il n’a été aucune de leurs démarches qui n’ait été délibérée par le conseil municipal, composé de membres de tous les états de la ville et même du dernier en plus grande partie, ce qui certainement est fort éloigné de l’aristocratie ; 5° que les abus des mots deviennent encore plus saillants lorsque tous les habitants de cette ville et son terrain, sans excepter même le sieur de Servane, ont vu avec quelle sollicitude les consuls ont tendu constamment depuis leur entrée au consulat, à soulager le peuple en faisant réduire l’hiver dernier le prix du pain à 2 sols 6 deniers la livre pour les plus pauvres ; en faisant ensuite un approvisionnement de trois cents charges de blé distribué à crédit à ceux qui n’étaient pas en état de payer comptant, et en convoquant un conseil général, le 15 août dernier, pour un autre approvisionnement pour l’hiver prochain de quatre cents charges de blé et au delà s’il le faut; approvisionnement pour lequel il a été nommé des commissaires. Sur quoi donc fondé ledit sieur de Servane accuse-t-il les consuls d’être les partisans de l’aristocratie? C’est parce qu’ils n’ont pu ni dû lui accorder une assemblée générale de tout chef de famille, non pas même dans la ville, mais dans une église de campagne; ils ne l’ont pas pu parce que ces sortes d’assem- 745 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] blées extraordinaires ont besoin d’une permission que les consuls ne sauraient donner eux-mêmes; ils ne l’ont pas dû parce qu’ils sont liés par des ordres supérieurs, comme ils l’ont avancé dans leur réponse au premier comparant. Le sieur de Servane veut voir ces ordres ; il somme les consuls de les lui exhiber sur-le-champ en annonçant pourtant qu’il ne les suivra pas. Eh bien, on va lui donner satisfaction ; et à l’instant, le sieur Aymé nous a représenté une lettre de monseigneur de Claraman, commandant de la province, dont la teneur suit : « A Marseille, le 22 août 1789. « Il m’est revenu, Messieurs, que plusieurs habitants de la ville des Baux ont le projet de demander un conseil général de tout chef de famille : je ne vois pas la nécessité d’assembler un conseil aussi nombreux dans les circonstances présentes; il pourrait devenir tumultueux et troubler la tranquillité dont notre communauté a joui jusqu’à présent ; je pense qu’un conseil général tel qu’il est prescrit par le règlement de la communauté, doit suffire pour délibérer sur les objets essentiels qu’elle peut avoir à traiter, etc. Signé : le comte de Caraman. » Que cette lettre de M. de Caraman ait été provoquée, il n’y a pas à en douter, quand on entend dire à ce commandant qu’un conseil général, tel qu’il est prescrit par le règlement de la communauté, et que ce soit le même consul, dont on vient de voir la répoDse qui ait voulu s’armer de cette pièce pour se défendre avec un titre contre les vœux et les cris redoublés de tout le peuple, à l’époque des décrets du mois d’août dernier, la chose est assez vraisemblable; mais elle est inutile ici pour s’assurer des sentiments dont ce consul faisait profession dans ce même temps. Il paraît, par ses raisonnements dans sa longue réponse, qu’il était alors comme il l’est peut-être encore à quatre cents ans loin de notre ère, et peu satisfait des mêmes décrets du 4 août, dont il ne dit pas un mot, tandis qu’ils ont transporté de joie tout le royaume, et singulièrement tous les habitants dans les fiefs. Ce consul, après avoir ri de l’application du mot notable, se défend dans l’ancien langage, par la supériorité du dernier état en nombre dans les conseils municipaux pour prouver deux assertions : l’une qu’il n’est pas aristocrate, et l'autre qu’il ne s’est conduit que comme le peuple a voulu; et il dit cela au peuple lui-même, que l’injustice et l’obstination de ses refus mettait comme au désespoir. Quant à M. de Caraman, il est assez surprenant qu’il défende à des citoyens qui jouissent de la paix, comme il le dit lui-même dans sa lettre, et qui, dans cette paix demandent une assemblée de tout chef de famille dans une église qui puisse les contenir, il est, dis-je, bien impolitique, dans les temps où nous sommes, de refuser au peuple une permission qu’il demande légalement et avec soumission, tandis qu’il pourrait très bien s’en passer pour s’assembler, et que M. de Caraman n’avait ni le droit de leur accorder ni celui de leur refuser, puisqu’il ne s’agissait de militaire en aucune sorte dans cette pétition ; mais très éloigné de la révolution, il ne se prêtait qu’aux moyens de l’écarter ; voilà par où ceux qui ne l’aimaient pas îlus que lui, unis de sentiments, en obtenaient : ’acilement tous les ordres qui les unissaient dans leurs vues. Ainsi le premier consul des Baux ne se refusait pas un conseil ordinaire, et M. de Caraman le permet; mais ce dernier n’en savait peut-être pas tant à cet égard que le consul ; et c’est ici que commence l’explication de tous nos mystères ; c’est ici comme la clef qui va nous ouvrir les voies pour parvenir à dissiper tous les nuages dont on a cherché à couvrir l’innocence des zélés patriotes que la justice prévôtale et antinationale a frappés de ses décrets. M. de Caraman dit dans sa lettre, qu’un conseil ordinaire pouvait suffire aux désirs et aux intérêts des citoyens des Baux, et le sieur Aymé, premier consul, en a dit autant après ; mais le premier ignorait et ignore peut-être encore, ce que le second sait très bien, que, dans un conseil ordinaire et même général tel que le prescrit le règlement de la communauté, il n’était pas possible de mettre en délibération les trois objets sur lesquels le conseil général du 26 décembre a délibéré. Peut-être que l'adhésion même aux décrets de l’Assemblée nationale y aurait souffert des contradictions ; mais il était comme sûr que jamais, dans ce conseil, on n’aurait pu traiter de la réunion de la terre des Baux, ou du bénéfice de son rachat au profit du domaine du roi, parce que le sieur Mansou, agent du seigneur qui la possédait, était lui-même dans la possession de diriger toutes les délibérations municipales de ce pays, où il était parvenu, tout agent qu’il était ou co-agent, à se faire précédemment nommer premier consul. Or, personne n’ignore que l’agent d’un seigneur qui tient tous les habitants d’un fief sous sa main par les redevances dont il est le percepteur annuel, en impose nécessairement à tous les délibérants, ses débiteurs ; mais en supposant que le conseil ordinaire n’eût été composé que de citoyens qui, quoique censitaires du seigneur, auraient été ou assez riches ou assez zélés pour braver tout ressentiment injuste de l’agent, comme du seigneur lui-même, il s’agissait de plus dans les circonstances d’une réforme et d’une recherche rigoureuse dans les abus et les vices de la double administration municipale et fiscale du lieu; comment s’en flatter dans un conseil où dominent les consuls et les agents fiscaux, qui ne sont jamais sans partisans. Il n’y avait donc qu’un conseil de tous chefs de famille qui convînt à la nature des affaires sur lesquelles on avait à délibérer, et à la circonstance du temps après la déclaration des droits de l’homme terminée et publiée dès avant la fin du mois d’août, c’est-à-dire lorsqu’un seul citoyen actif comptait plus dans l’administration que vingt-cinq millions d’hommes qui, ci-devant, n’y comptaient tous pour rien. De là aussi ce combat de réquisition et de refus entre les habitants des Baux et leurs administrateurs; ceux-ci étaient d’autant plus obstinés à éloigner le conseil général, qu’ils voyaient les autres plus empressés de l’obtenir, et’ ceux-ci ne demandaient rien que de juste, si bien que plus de quarante d’entre eux résolurent de se rendre à Marseille pour en rapporter un ordre de M. d’André faisant les fonctions de commissaire départi, pour contraindre les consuls de remplir leur devoir. Cette résolution fut consiguée dans un acte par-devant deux notaires, dont l’acte est joint aux pièces, sous la date du 25 du mois d’octobre 1789. On ne saurait s’empêcher, à la teneur de cet acte, qui contient une adhésion formelle à tous les précédents actes, et qui est pris par de nouveaux citoyens qui n’avaient pas signé ceux-ci ; on ne saurait, dis-je, s’empêcher de participer à 746 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février ltUO.] la juste sensibilité qu’on y témoigne contre la résistance opiniâtre des consuls; où ne saurait aussi tie pas admirer la patience, la sagesse même de tous les honnêtes citoyens qui, réunis en armes alors, comme toute la France l’était depuis la fin de juillet, ne marehent qu'à pas mesurés, ne procèdent que par des actes légitimes, et poussent même la réservé envers l’autorité jusqu’au delà de ce qu’elle exigeait d’eux dans les circonstances où ils se trouvaient ; car, Messieurs, vous le savez, combien d’exemples et de preuves n’avions-nous pas eues dans nos séances, que dans la plupart des municipalités du royaume, on s’ëst partout cru suffisamment autorisé par nos décrets polir s’assembler à bon escient et sans autre vue que celle de coopérer à l’établissement d’un meilleur ordre dans les administrations municipales. Quiconque ne voit que 10 mal, que l'anarchie, qtie l’insurrection coupable dans cés procédés, fait tort à son jugement s’il est de bonne foi, et il est lui-même seul coupable s’il convertit en Un crime ce qui, étant attaché à la ùature même dé la chose, n’est aü fond que l’inspibâtion, la disposition même de nos décrets. Mais ceux dont ces décrets menaçaient alors ou le despotisme ou l’égoïsme si funeste aù bien général, tous gens en place op privilégiés, se sont réunis pour crier a vëc affectation au Scandale de là nouveauté, à l’injustice du retour à l’ancien ou meilleur ordre, enfin âü crime dé la rébellion et en Provence plus qu’ailleurs, parce que cette province étant plus éloignée de nous, le patriotisme ÿ à été plus calomnié et moins heureux dans ses efforts; efforts, au surplus, toüjoüfs|louablës dans leurs excès mêmes, quand ils ne tendent qu’à donner la mort à la tyrannie, sans touche!* ni à la personne ni aüx biens des tyrans. Mais les habitants des Baux ne se sont pas même permis les plus légères entreprises de leur chef; ils ont soupiré pendant quatre mois après un conseil général ; et par les motifs les plus sages et dans les vues les plus utiles, et ils n’ont pas osé prendre sur eux de se le donner sur l’injuste et constant refus de leur consul, même sans l’autorisation du juge dü lieu, qui s’y serait prêté volontiers et très à propos, si on l’en avait requis; cependant ils S’associent, ils ne s’attroupent, tout armés u’ils sont, que pour se fendre a Marseille, auprès e celui qu’ils regardaient comme leür supérieur et qui peut-être lui-même ne lës regardait pas commë ses subordonnés ; ils fié l’étaient pas certainement dans cette partie de M. de Caraman, et néanmoins sa lettre dont lës consuls se rempa-raient semble leur en avoir imposé; ils ne veulent pas S’en écarter et ils cherchent à s’en défendre par un ordre de M. d’Andfé, dont ils auraient pu ehcOre üùe foiS très bien së passer ; ils le lui demandent et se lient cinquante comme il a été dit, pouf l’obtenir plüs facilement en Se fendant eUx-- mêmes à Marseille, où, en effet, ils l'ont obtenu. Le B novembre, M, d'André ordonne au consul des Baux de convoquer rassemblée que le peuple lui demandait vainement depuis trois mois ; il ébrit eù même temps à M. deServane pour le prier d’ëcartef de ce consëil le troublé ët les motions incendiaires. Parcësderüiers iùots,on comprend que M. d’ André était prévenu des craintes que les parties intéressées avaient pour elles-mêmes sur les suites de cette assemblée, car par motions incendiàires , ce commissaire connu par Soù amour pouf la justice, ne pouvait entendrë lës mutions que le bien public, l’intérêt général de la nouvelle Constitution et l’intérêt particulier de la communauté des Baux rendaient justes et nécessaires ; mais ceux que ces motions alarmaient, parce qu’elles devaient tomber sur des abus dontelles profitaient, les lui présentaient comme un fantôme pour faire prendre le changé à son zèle. Cependant plus nous avançons dans le délit, plus la résistance des consuls des Baux devient répréhensible, si elle ne devient pas criminelle, car, arrivé heureusement en un temps Où rien n’est et ne doit être plus respecté que le vœu du peuple, l’on a peine à concevoir qü’il ait fallu trois mois de temps pour obtenir là permission d’une assemblée que les supérieurs eux-mêmes auraient dû commander, qü’on aurait pu même, je le répète, tenir sans eux sous les, auspices de r Assemblée nationale, et sur l’autorité de ses décrets : il y a là certainement de quoi surprendre, mais voudra-t-on le croire ? Cet ordre même de M. d’André n’ébranla pas le premier consul des Baux résidant à Arles; on ie signifia au second consul résidant aux Baux, éloigné d’Arles de trois lieues, le 10 novembre, et le 11, le second consul répondit au bas de l’exploit « qu’il avait remis la lettre de M. d’André à M. Àyme, maire et premier consul, son collègpe, et qu’il n’avait point reçu de nouvelles ; que d’ailleurs, ce n’était pas au second consul à convoquer les conseils. » C’est ainsi que les consuls des Baux se jouaient des supérieurs comme du peuple. Au lieu d’obéir à l’ordre de M. d’André, ils mirent tout en œuvre pour le faire révoquer et ils parvinrent à le faire suspendre; car, sur la recharge du peuple, ce commissaire annonça qu’il devait se rendre lui-même sur les lieux, et que là, jugeant de tout, il verrait aussi de tout concilier par lui-même. Sa lettre est du 16 décembre. Le peuple des Baux l’attendait donc avec la même patience, dont le prix augmentait en raison de ses nouvelles et plus rudes épreuves, mais inutilement; le parti consulaire ou fiscal était encore parvenu à surprendre M. d’André, jusqu’à lui persuader que cette demande répétée d’un conseil de tous chefs de famille, n’était que le vœu de quelques individus malveillants ou inquiets, et nullement celui de tout le peuple ou de sa plus grande partie; cela fut rendu à ce peuple même, qui commença d’abord par adresser Une lettre directement aux consuls et conçue en ces termes : À MM. les consuls des Baux. « Messieurs, nous venons pour vous témoigner notre sensibilité sur l’honnêteté que vous venez de nous faire en nous envoyant les clefs de l’HÔ-tel-de-Ville. Nos intentions sont pures ; nous né nous sommes rendus ici qu’en qualité de citoyens animés d’uO zèle patriotique pour le bien public; noüs n’avons porté que des paroles de paix, c’est le vœu le plus cher à notre cœur : nous pensons que vous mettrez un jour en usage, Messieurs, les moyens les plus efficaces pour ramener cette paix si salutaire dans les circonstances désastreuses où se trouve cette communauté; il n’y a pas d’autre moyen pour y parvenir que de nous accorder un conseil général de tout chef de famllle? allivrés au cadastré de cette communauté, ce qui intéresse essentiellement l’universalité doit être sanctionné par l’universalité. Nous noüs étions adressés, pour demander un conseil général, à M. le commissaire du roi; il paraît qu’il a bien voulu adhérer à notre demande par la lettre qü’il nous écrivit en date du 3 novembre dernier, et qui fut remise à M. Bassac, second consul, par M. de Servàhe ; nous pensons quë Si cet ordre n’a 747 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] pas eu son effet, c’est parce que vous vous y êtes opposés pour des raisons que nous ne connaissons pas. Nous espérons que l’amour du bien public, le désir de la paix et le vœu général de tous les citoyens vous feront désister d’une opposition qui, si elle durait davantage, serait capable d’opérer les plus grands maux ; et que vous voudrez bien vous-mêmes, Messieurs, en solliciter l’ordre auprès de M. le commissaire du roi, pour ledit conseil général à convoquer le dimanche le plus prochain en la forme ordinaire. Nous vous supplions et requerrons, Messieurs, de vouloir bien faire inscrire dans le cahier des délibérations de la communauté, le conseil tenant aujourd’hui le présent comparant, et de nous en faire expédier extrait par le greffier de ladite communauté. Aux Baux, le 7 décembre 1789. » Suivent plus de soixante signatures de pères de famille, tous allivrés dans le cadastre et de la qualité de tous ceux dont ils désiraient que le conseil général à tenir fut composé ; cequi évidemment ne pouvait être qu’une assemblée utile et très bien ordonnée. Cette adresse louchante et respectueuse n’ayant rien opéré, et le même peuple voulant toujours agir et vaincre par le seul empire de la vérité et de la raison, se réunit au nombre de plus de trois cents pères de famille, pour achever de détruire le plus solennellement la fausse assertion dont le premier consul se défendait, même auprès des supérieurs, savoir que le conseil qu’on lui demandait n’était que le vœu de quelques individus, ils se portèrent tous devant deux notaires pour y faire la déclaration suivante : « L’an 1789 et le 20 du mois de décembre après midi, par-devant nous, notaires royaux de cette ville des Baux, soussignés, ont été en leurs personnes, les sous-nommés habitants de cette ville et son terroir, lesquels soupirent depuis longtemps, et entre autres depuis le 22 août dernier, après la tenue d’un conseil général de tous chefs de famille, à l’effet : 1° de noter une adresse de remercîments et d’adhésion à l’auguste assemblée des représentants de la nation, pour tous les décrets généralement quelconques qu’elle a déjà rendus et pour tous ceux qu’elle rendra dans la suite; 2° de faire connaître notre vœu à la même Assemblée nationale, pour la réunion de cette ville et marquisat des Baux, au domaine de la couronne d’où elle a été démembrée en faveur du seigneur, prince de Monaco* qui Ja possède indûment, soit par lui, soit par ses ancêtres depuis et au delà d’un siècle ; 3° enfin de substituer au régime vicieux de cette communauté un autre régime moins susceptible de favoriser les abus qui s’y sont glissés jusqu’à aujourd’hui, et essentiellement pour pourvoir aux moyens de subsistance; mais d’autant que les sieurs consuls de cette communauté se sont constamment refusés à la convocation de ce conseil général, et même qu’ils ont affecté de surprendre la religion de M. d’André, commissaire du roi, ou en lui disant ou en lui faisant dire que ce conseil général n’était que le vœu de quelques individus de la paroisse dé Mau-riès, et non de tout le terrain, c’est la cause que les dits habitants sous-nommés sont comparus par devant nous pour requérir solidairement acte de la demande qu’ils font du susdit conseil général, à l’effet d’être tenu dans l’église paroissiale de Maussaone, comme le lieu le plus propre par sâ situation et par sa vaste enceinte, lesquels habitants sont, etc., etc. > Ici sont écrits les noms de tous les pères dé famille, au nombre d’environ trois cents, au bas desquels est la signature des deux notaires, Me* De-rez et Blanc, qui ont reçu l’acte, dont l’extrait a été envoyé en formé et dûment légalisé. On voit donc dans cet acte, assurément non suspect, les divers objets sur lesquels le peuple des Baux désirait délibérer dans l’universalité des habitants, parce que les habitants y étaient intéressés singulièrement, singuli et singuli. Ce sont néanmoins les mêmes que les consuls avaient représentés aux supérieurs comme dès moteurs incendiaires; en quoi ces consuls ont eu d’autant plus de torts que, n’ayant eux-mêmes personnellement rien à se reprocher dans leur propre administration, comme ou l’assure et comme le député soussigné, qui connaît les administrateurs, n’a pas de peine à le croire, ils se rendaient volontairement responsables des dommages publics que causait l’injustice de leur refus, lequel, encore Une fois, s’il pouvait être excusable, au commencement, par leurs bonnes intentions, les a entachés dans la continuité d’une résistance tout à fait condamnable. Aussi le peuple des Baux, beaucoup trop justifié par tous ses actes, par tous ses procédés, rie voyant poiDt paraître M. d’André, comme il l’avait promis, et son premier ordre dûment signifié au second consul, tenant encore après un simple avis de suspension jusqu’à l’ac-cedit, qui n’a pas eu lieu au terme donné, a pris très sagement et très régulièrement le parti de se rendre à la maison du second consul établi à Mauriès, dans la terre des Baux, pour le sommer de vouloir bien convoquer le conseil général, tant et si vainement demandé depuis le 22 août. Les honnêtes et généreux patriotes se firent accompagner d’une partie de la garde nationale, et tous ensemble arrivés chez lé second consul, lui représentèrent dans les termes les plus mesurés et les plus justes, que puisque son collègue le premier consul ne résidait point aux Baux, le consulat étant indivisible entré eux, le peuple ne devait pas Souffrir de l’absence de l’un ou de l’autre; à quoi le second consul, d’ailleurs bien intentionné, et mené jusque-là par le premier, n’eut pas de peine à se rendre, d’autant qu’on usât envers lui des plus grands égards, comme il l’atteste lui-même dans une lettre qu’il a cru devoir nous adresser, à nous, députés de la sénéchaussée d’Arles, et dont on verra ci-après la teneur. Voilà donc enfin le peuple des Baux arrivé par des motifs et dés moyens dignes de nos éloges, au conseil général où il attachait son bonheur. Le second consul le convoque librement en la forme ordinaire pour le 26 décembre, seconde fête de Noël, et le juge du lieu qui siège dans un tribunal d’appeaux avec une certaine représentation, se fait Un mérite d’apprôuver le patriotisme de ses concitoyens, et d’autoriser leur très légitime assemblée dans l’église paroissiale de Maussanne, seul endroit propre à la réunion de tant de délibérants. Quant aux délibérations qui s’y sont prises, c’est au seul procès-verbal qu’oü nous a envoyé, à en rendre un compte fidèle à l’Assemblée nationale ; le Voici : « L’an mil sept cent quatre-vingt neuf, le vingt-six du mois de décembre à trois heures de relevée, dâns l’église Saint-Croix de Maussanne, jour de samedi à l’issue des vêpres de ladite paroisse, ci-dévant M0 Jean Rouehon, conseiller du roi, juge, capitaine viguier, et lieutenant des soumissions aü siège de cette ville, le conseil général a été assemblé après avoir été convoqué par lettres circulâmes du 22 du èdürant, à la forme du règlement, aûcjtiël cdnseîl ont assisté M. Bas- 748 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] sac, M. Le Blanc de Servane, M. Manson de Saint-Roman, M. Laugeiret, M. Blanc, M. Derrès, et autres, au nombre en tout de trois cent quatre-vingt-deux, etc., etc. » Le conseil général assemblé, M. Le Blanc de Servane, ayant demandé et obtenu la parole, a dit : Messieurs,* à l’époque du 22 août dernier, trois considérations puissantes rendaient le conseil général nécessaire. La première, c’était le désir patriotique de tous les bons citoyens de ce terroir, à l’exemple de presque toutes les villes et communautés privilégiées du royaume, d’offrir à l’auguste assemblée des représentants de la nation, comme un faible témoignage de leur vive reconnaissance et de leur adhésion sincère et respectueuse à tous les décrets qu’elle avait déjà rendus et qu’elle rendrait dans la suite, le sacrifice volontaire des privilèges dont jouissait cette ville et son terroir en qualité de terres adjacentes. La seconde, c’était de faire connaître à l’Assemblée nationale notre désir et notre droit de retourner sous la domination des rois de France, nos anciens et seuls légitimes maîtres. Vous savez, en effet, Messieurs, que cette ville et son territoire faisaient autrefois partie du domaine de la couronne ; elle en fut démembrée par lettres patentes des mois de mai 1642 et février 1643, données par Louis XIII, alors roi régnant, en faveur de Monseigneur Hercule Grimaldy, fils d’Honoré, prince de Monaco. Les motifs et les conditions de ce démembrement sont consignés dans l’article IX du traité fait à Péronne, le 14 septembre 1641, entre le monarque et ledit seigneur prince de Monaco. Cet article porte: « Et d’autant que les Espagnols privèrent le prince de tout ce qu’il possède dans le royaume de Naples, l’état de Milan et ailleurs dans'leurs terres, ce qui rapporte au prince vingt-cinq mille écus divers temps de rente annuelle en fonds de terres féodales, sa Majesté lui donnera autant de revenu annuel en France, en pareille nature de terre et fief érigeant partie d’icelles en titre de duché et pairie de France, l’autre en marquisat pour son fils et une en titre de comté lui faisant délivrer toutes lettres et expéditions sur ce nécessaire ; bonne partie des fiefs sera en Provence et le reste ou il plaira à sa Majesté, pourvu que ce soit en France et en attendant qu’on ait trouvé des terres propres au prince, ses soixante-quinze mille livres lui seront payées effectivement par chacun an, dont le premier payement commencera à partir du jour que la garnison du roi entrera à Manaco ; que si la paix se faisant, les Espagnols rendaient <. au prince les terres qui lui appartiennent dans leur pays, sa Majesté demeurera déchargée à proportion de ce qu’ils lui restitueront du remplacement qu’elle devait faire en terres ; et en cas que demeurant attaché au parti du roi, il soit contraint de rendre les terres qu'il a dans le pays des Espagnols, moins que ce qu’elles violent, le roi le dédommagera raisonnablement et lui donnera le moyen d’employer son argent en d’autres terres en France. » D’après ces lettres-patentes, le dédommagement ne devait avoir lieu qu’autant que le prince de Monaco serait privé de ses possessions en Espagne ou jusqu’à ce qu’il fût réintégré. L’événement prévu de la restitution arriva. L’article 104 du traité des Pyrénées conclu en 1659, entre la France et l’Espagne, publié à Aix, en Provence le 2 février 1667 et enregistré au parlement dans le même mois, porte : « M. le prince de Monaco sera remis sans délai en la paisible possession de tous les biens droits et revenus qui lui appartiennent et dont il jouissait avant la guerre dans le royaume de Naples, duché de Milan et autres pays de l’obéissance de sa Majesté catholique, avec liberté de les aliéner comme bon lui semblera, par remise, donation ou autrement, sans qu’il puisse être troublé ni inquiété en la jouissance d’iceux, pour s’être mis sous la protection de la couronne de France, ni pour quelque autre prétexte ou sujet que ce soit. » La restitution à M. le prince de Monaco des biens dont il avait été dépossédé dans le royaume de Naples, fut confirmée par deux autres traités conclus à Aix-la-Chapelle, par les mêmes monarques, les 2 mai 1668 et 17 septembre 1678, puisque par l’article VIII du premier et par l’article XXVI du second, il fut convenu, accordé et déclaré qu’on n’entendait rien changer au traité des Pyrénées, à l’exception de ce qui regardait le Portugal. Il résulte de là que le prince de Monaco a été réintégré dans les biens qu’il possédait dans les Etats du roi d’Espagne et que depuis cette réintégration, il a été sans titre et sans prétexte pour posséder en France les biens qu’il reçut en indemnité de la générosité de nos rois. Il est donc juste que ces terres retournent à la couronne, dont elles n’ont été que trop longtemps séparées. S’il est une époque où la reprise des terres, juste en elle-même, ne doive exciter aucun murmure, c’est sans doute lorsqu’elle est nécessitée par les besoins de l’Etat, et par l’ordre à jamais invariable qu’on veut établir dans toutes les parties de l’administration. Nous sommes Français : à ce titre, nous devons sans doute préférer d’appartenir à notre souverain plutôt qu’à tout autre seigneur ; il nous importe du moins de remplir notre devoir, en instruisant les respectables représentants de la nation, d’une aliénation que rien ne peut légitimer. La troisième considération enfin, c’était la nécessité de mettre un terme aux dilapidations, qui, depuis longtemps, se commettent des deniers de cette communauté. Je pourrais vous en citer de plusieurs espèces, comme la plupart vous sont connues, parce qu’elles frappent visiblement nos sens, je me bornerai à vous; en faire connaître une seule qui est révoltante par son excès, et qui, cependant, est ignorée du plus grand nombre ; et elle a pour cause l’administration de l’hôpital et charité de cette ville. Je dois vous observer à ce sujet que, par l’article XXXI du règlement municipal, qui régit cette communauté en date du 2 février 1785 , il est dit « qu’elle est obligée de fournir à la caisse de l’hôpital quand elle manquera de fonds. » Eh bien, Messieurs, les administrateurs mettent tellement à profit cette obligation, que l’hôpital, qui n’a environ que deux mille quatre cents livres de revenu, a néanmoins dépensé, dans le courant de cette année, une somme à peu près de sept à huit mille livres, qui a été fournie, quant à l’excédant, par la caisse de la communauté. Ce tableau vous inspire de l’étonnement, Messieurs, je n’en suis nullement surpris, surtout étant instruits comme vous l’êtes, que l’hôpital et la charité ne reçoivent et ne peuvent recevoir aucuns pauvres ni malades étrangers ; j’ose vous assurer néanmoins que ce que j’avance est plutôt en dessous qu’en dessus de la vérité, et vous n’aurez pas de la peine à vous en convaincre, lorsque [28 février 1790.] 749 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. vous serez instruits que le rôle du sieur Pecaul, chirurgien, se monte, pour les seuls médicaments ar lui fournis, à la somme exhorbitante de trois quatre mille livres. Aussi, Messieurs, l’hôpital qui avait, il y a quelques années, environ quatre mille livres d’épargnes, après les avoir confondues, après avoir absorbé ses revenus annuels, se trouve encore arriéré envers la communauté d’une somme de plus de dix mille livres. Accumulez à présent ce genre de déprédation avec ceux qui étaient déjà en votre connaissance, et dès lors vous n’aurez plus lieu d’être surpris de l’augmentation progressive et considérable qu’on nous fait éprouver depuis quelques années dans le taux des impositions. La crainte d’un examen scrupuleux des comptes de cette année peut, je l’avoue, avoir contribué pour quelque chose à la résistance opiniâtre que nous a opposée M. Aymé, durant quatre mois consécutifs; mais, soyez-en persuadés, Messieurs, nous n’aurions pas eu à lutter si longtemps contre le despotisme consulaire, si parmi les membres de notre administration municipale, il ne s’y était rencontré quelques citoyens aristocrates, et surtout le sieur Manson, agent général de M.le prince de Monaco. Par les faits, on juge des intentions. Or, depuis le 22 août dernier, l’Assemblée nationale a principalement rendu quatre décrets, qui ont été sanctionnés par le monarque, et dont l’exécution a été renvoyée aux municipalités. Ces décrets sont : 1° l’encadastrement des biens féodaux et des revenus ecclésiastiques; 2° la contribution patriotique du quart des revenus; 3° l’invitation pour les dons des argenteries des églises qui ne sont pas nécessaires au culte divin ; et 4° la nouvelle loi criminelle. Aucun de ces décrets n’a été promulgué dans cette communauté, tandis que dans les moindres villages voisins, ils ont, depuis longtemps, reçu leur exécution. Par les papiers publics, nous apprenons encore que toutes les municipalités du royaume sont à la veille de recevoir une nouvelle organisation, d’après le règlement uniforme qui vient d’être décrété par PAssemblée nationale. Quelque prochaine qu’on nous annonce cette nouvelle organisation, j’ose vous assurer, Messieurs, que si vous ne prenez des précautions utiles pour en assurer la prompte exécution, elle subira le même sort que les quatre décrets précédents, ou du moins qu’on nous fera soupirer après elle autant de temps que vous avez langui après le terme de ce présent conseil général. DÉLIBÉRATION. Le présent conseil général, délibérant ensuite sur l’exposé fait par M. de Servane, et sur les divers projets de délibérations qu’il a présentés à l’Assemblée, considérant combien est répréhensible la conduite que M. Aymé, maire et ancien consul de celte ville et communauté, a tenu jusqu’à ce jour, et de laquelle il n’a pas même voulu se départir en refusant opiniâtrement, malgré les instantes sollicitations de la majeure partie des citoyens actifs de ce terroir, à la convocation et à la tenue d’un conseil général de tous chefs de famille. Considérant encore combien il est répréhensible de n’avoir fait publier aucun décret de l'Assemblée nationale, qui préparent à la France le bonheur le plus parfait et le plus constant, appréciant en outre l’illégitimité avec laquelle M. le prince de Monaco a joui de cette terre jusqu’aujourd’hui, et désirant donner à la nation et au roi une marque de notre dévouement et de notre attachement aux principes de la Constitution française, qui, depuis l’établissement de la monarchie, ont déclaré les biens du domaine de la commune inaliénables, ont arrêté et délibéré, soit par acclamations, soit à la pluralité des suffrages : 1° D’adhérer de cœur et d'âme à tous les décrets généralement quelconques que l’Assemblée nationale a rendus jusqu’aujourd’hui et à ceux qu’elle rendra à l’avenir, et notamment à celui du 4 août dernier, qui supprime tous les privilèges et remet dans une parfaite égalité, tant les provinces que toutes les villes et communautés du royaume, et en conséquence de lui offrir, comme un faible tribut de la reconnaissance de cette communauté, le sacrifice des minces privilèges dont jouissait cette ville [des Baux et son territoire en sa qualité de terres adjacentes; 2° Qu’attendu que M. le prince de Monaco n’a aucun titre légitime pour posséder cette ville et son terrain, puisque depuis les traités de Paris conclus entre la France et l’Espagne, en 1659, il est entré dans ses possessions du royaume de Naples et de Milan, désirant appartenir au roi de France, de préférence à un prince étranger, son vœu est que cette ville et son territoire retournent au roi, pour faire partie comme auparavant, des domaines de la couronne et être à la disposition de l’Etat, conformément au décret de l’Assemblée nationale; il a été délibéré, en outre, que pour remplir ces deux premiers objets par M. Le Blanc de Servane et M. Manson de Saint-Roman, il serait minuté UDe adresse pour être envoyée à l’Assemblée nationale; 3° Qu’en attendant la décision de l’Assemblée nationale, eu à égard à la situation particulière où nous nous trouvons, par laquelle M. le prince de Monaco n’est ni échangiste ni engagiste, il sera sursis dans le moment à l’acquittement de tous les droits féodaux quelconques et arrérages d’iceux, jusqu’après l’avènement de la décision de l’assemblée de la nation, pour alors être versés, si le cas y échéait, dans la caisse du Trésor royal; et dans le cas que, dans l’intervalle, les électeurs actuels du prince de Monaco se permettraient des exécutions contre aucun des redevables, il sera permis à ceux-ci de réclamer la protection de la garde nationale de ce terrain pour s’opposer aux-dites exécutions, laquelle garde nationale sera suffisamment autorisée à cela faire par la présente délibération ; 4° Que pour assurer dorénavant la promulgation et l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale, tant ceux déjà rendus que ceux qu’elle rendra à l’avenir, il est établi un comité permanent composé de trente-six membres, qui, de concert avec M. Bassac, second consul, exercera, sous l’autorisation de M. le juge et viguier de cette ville, toutes les affaires de cette communauté jusqu’au moment de la réorganisation nouvelle et entière des communautés, conformément au décret rendu à cet égard par l’auguste Assemblée nationale, lequel comité permanent remplacera dès ce moment l’ancien corps municipal de cette communauté; 5° Et attendu que M. Aymé, maire et premier consul actuel, par sa résistance opiniâtre à convoquer le conseil général, objet des vœux de tous les habitants et instamment parce qu’il est attaché au parti de l’aristocratie, en ce qu’il n’a fait promulguer aucun décret de l'Assemblée nationale, il s’est rendu indigne de conserver la place qu’il occupe ; dès ce moment, il demeure suspendu, et 750 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.} il lui est interdit d’exercer dans cette communauté aucune des fonctions consulaires jusqu’à ce qu’il ait été autrement ordonné par l’Assemblée nationale, et en conséquence, tous les pouvoirs de consulat résideront pendant ce temps, en la personne de M. Bassae, second consul. 6° Ledit sieur Bassae, consul, est expressément chargé, conjointement avec le comité permanent, par la présente délibération, d'écrire incessamment à M. d’André, commissaire du roi, pour le prier de faire parvenir le plus tôt possible au comité permanent qui vient d’être établi dans cette communauté, tous les décrets rendus jusqu’aujourd’hui par l’Assemblée nationale, ainsi que ceux dont l’exécution a été ou sera attribuée aux municipalités, et qu’à cet effet, ledit sieur Bassae, consul, et le comité permanent lui enverront copie authentique de la présente délibération. 7° Que pour nous justifier envers l’Assemblée nationale, et pour lui donner connaissance que le silence que les citoyens de cette ville et son terroir ont gardé jusqu’à ce jour sur les événements qui occupent la France et l’Europe entière n’est que l’effet des mauvaises intentions dudit sieur Aymé, consul, et non des citoyens à la diligence dudit sieur Bassae et du comité permanent, il sera envoyé à l’Assemblée nationale un extrait en forme de la présente délibération, ainsi que l’extrait des pièces justificatives de toutes les démarches inutiles, que la majeure partie des citoyens actifs de ce terroir n’ont cessé de faire depuis le 22 août dernier envers ledit M. Aymé, pour obtenir la convocation du présent conseil général, lesquels seront collationnés par deux notaires royaux, les premiers requis de ce terroir et légalisés par M. le juge de cette ville. 8“ Attendu que les présentes dispositions ne sont faites que pour la plus prompte et entière exécution des décrets de l’Assemblée nationale, elle sera très humblement suppliée de vouloir bien y accorder sa sanction. 9» Enfin, il a délibéré que la nomination des membres qui devront composer le comité permanent et provisoirement ci-dessus établi, est ajournée à la séance de demain. Et attendu l’heure tarde, la continuation du présent conseil a été renvoyée à dimanche 27 du courant, à deux heures de relevée dans la dite église de Maussanne. Je n’ai pas cru devoir transcrire ici la teneur entière du procès-verbal des séances tenues après celle où fut prise la délibération en neuf articles qu’on vient de lire ; il me suffit dans l’objet de mon instruction en défense de tous les citoyens des Baux, qui ont été poursuivis parM. le prévôt de Marseille, pour raison des délibérations prises dans ce conseil général, il me suffit de rapporter, après la principale délibération, les parties essentielles des autres pour arriver plus tôt à la procédure prévôtale et inouïe sur laquelle l’Assemblée nationale doit prononcer le plus prochainement, laissant à M. le rapporteur le soin de lire au besoin les pièces de ce procès, dans toute leur étendue quand il parlera dans l’Assemblée; au surplus comme ce qui me reste à dire est intimement lié à l’instruction et ne peut y être omis, je déclare, comme j’ai déclaré déjà dans l’Assemblée, que c’est avec regret que je me vois obligé de remplir, dans ma députation, un si triste devoir, intéressant à la fois l’Assemblée elle-même et ses principes, et sa constitution et son autorité, comme l’intérêt de mes commettants en général, et l’intérêt plus précieux encore de l’innocence et du patriotisme des citoyens sur qui M. le prévôt de Marseille a fait tomber ses foudres ; je déclare donc que je m’acquitte de ce devoir avec peine à cause des personnalités qui ont été et vont être rappelées contre des gens de ma connaissance, mais néanmoins avec le zèle, l’impartialité, la franchise et tout le courage dont je suis comptable dans mes fonctions à la vérité pour la justice, et à la nation pour l’avancement et le succès d’une révolution qui doit faire son bonheur ; au surplus, j’aurai l’avantage et je suis sûr de ne rien avancer dans ce rapport que de vrai, parce que je n’y parie que d’après Jes pièces les plus authentiques, comme il est facile de le voir. Si donc il existait d’autres faits étrangers à ces pièces, m’étant inconnus, ils seraient dès lors étrangers à mon devoir dans ma députation, mais tels qu’ils puissent être, ils ne le seraient jamais à l’oppression et à la nullité de la procédure prévôtale dont il s’agit ici. Dans la séance du même conseil général renvoyée au lendemain 27 décembre, M. de Servane y dénonça pour de3 faits et des torts très graves et très nombreux le sieur Pierre Manson, ci-devant agent général de M. de Grimaldy, prince de Monaco, demandant pour raison de ce que le conseil général donnât un ordre signé du consul, au major général de la garde nationale du terroir des Baux, pour se transporter sur-le-champ avec un détachement de cinquante hommes, à la maison dudit sieur Manson, dans le bourg de Mauriès, pour s’en saisir et le traduire aux prisons royales de la ville des Baux, où il serait établi une garde de quinze hommes, qu’en même temps, ledit sieur major de la garde nationale apposera lés scellés sur tous les papiers dudit sieur Manson, qu’il dressera procès-verbal du tout, pour être joint au cahier des délibérations du présent conseil, et envoyés l’un et l’autre à l’Assemblée nationale, pour, par elle être ce qu’il appartiendra, sur le renvoi et la forme du procès qui sera fait au prévenu. Après cette dénonciation, il s’éleva dans cette assemb ée diverses plaintes contre le dénoncé, et l’assemblée les entendit on les écrivit dans le procès-verbal tout comme la dénonciation de M. de Servane, à laquelle le sieur Jean Disnard en proposa une autre relative à la sûreté des papiers de lq �commune, déposés dans les archives municipales; il demanda que l’adjudant du major fut envoyé avec quelques hommes de la garde nationale, chez le greffier de la communauté pour en obtenir un des clefs des archives, pour la garder jusqu'à ce qu’elle fût remise à M. le juge. Sur ces plaintes et dénonciations, le conseil général délibéra : 1° que les papiers et pièces des plaignants seraient déposés entre les mains du consul et quelques personnes dénommées, après avoir été paraphées par M. le juge; 2° que le sieur Béraud, adjudant du major, remplirait la commission proposée pour la sûreté des archives ; 3° que, recevant les dénonciations et plaintes contre le sieur Manson, le conseil en donne acte aux dénonçants-, mais délibérant sur la motion de Servane, il a arrêté que le sieur Manson était sons la sauvegarde de la nation et de la loi, et néanmoins qu’aux dépens de cette communauté, ledit sieur Manson serait poursuivi extraordinairement par-devant qui de droit, et à la diligence du procureur syndic de la commune qui sera nommé; et, en attendant, il est à présumer que parmi les papiers dudit sieur Manson, il s’en trouvera qui seront capables d’opérer la conviction, et entre autres beaucoup de papiers essentiels à la paroisse de Mauriès ; il est donné ordre à M. Jacques-Trophime Isoard, major général de la garde na- [Assemblée, natipns�e.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [28 février 1790). 754 tionale de ce terroir le plus tôt que faire se pourra, et demain matin, de se transporter à Mau-riès, dans la maison du sieur Manson, à la tête d’un détachement de cinquante hommes, où étant, il fera une perquisition exacte de tous les papiers qu’il y trouvera, les remettra dans un seul appartement qu’il fermera à clef, laquelle clef il gardera entre ses mains, . et ne se retirera qu’après avoir apposé le scellé sur la serrure de toutes les portes qui conduiront devant ledit appartement ainsi que sur la serrure de tous les placards, bureaux, commodes et autres meubles dont il ne pourra se procurer la clef et dans le cas qu’il trouvera les portes d’entrée fermées, il s’adressera au sieur Peyre du Mas de Jacquet, pour le prier et requérir de remettre les clefs des portes d’entrée dudit appartement, placards, bureaux, commodes et autres meubles, et dans le cas qu’il déclare n’avoir aucune desdites clefs et que personne autre ne vienne les représenter, il est permis audit sieur major général d?appeler sur-le-champ le premier serrurier requis pour faire ouvrir, uue aesdites portes d’entrée, laquelle une fois ouverte, ledit sieur major général ne pourra y entrer qu’en présence :de six témoins autres que les soldats du détachement, lesquels mêmes six témoins seront également présents à l’apposition desdits scellés, de tout quoi ledit sieur major dressera procès-verbal signé par lui et les six témoins pour raison de quoi, il lui sera expédié un ordre par écrit signé par M. Bassac consul, lequel sieur Jacques-Tro-phime Isoard, major ici présent, a prêté serment de bien et fidèlement remplir sa commission, et icelle venue à son terme lé procès-verbal dudit sieur major général sera le plus tôt possible envoyé au sieur Bassac, consul, qui sera chargé eu vertu de la présente délibération de faire présenter tout de suite requête à M. le juge et viguier de cette ville à l’effet de faire la levée des scellés et inventaires après des assignations données audit sieur Manson qui contiendra au moins un délai de trois jours et attendu que le dit sieur Manson a pris la fuite et qu’on ne sait où il est, ladite assignation lui sera donnée par affiche et cris publics dans les quatre paroisses de ce terroir aux portes des églises, et notamment au-deyantde la porte de sa maison. Le conseil délibère encore d’après la motion dudit M. de Servane que la dénonciation contre ledit sieur Manson, les différentes plaintes qui l’ont suivie ainsi que la présente délibération seront à la diligence du conseil permanent envoyées à l’Assemblée nationale pour qu’elle statue ce qu’elle avisera et d’autant qu’un grand nombre de particuliers se sont présentés dans cette séance pour former de nouvelles plaintes contre 1 edit sieur Manson, ce qui aurait fait traîner trop loin la tenue de ce présent conseil général, il est délibéré qu’il sera sur-le-champ nommé quatre commissaires pour recevoir les plaintes contre ledit sieur Manson, moyennant qu’elles soient signées ; et à défaut qu’il sera fait mention de la réquisition par eux faite et de la déclaration qu’ils sont illettrés. Pour raison de quoi, les-dits commissaires prêteront tout de suite serment en exécution de la présente déclaration ; le conseil général a arrêté de nommer pour procureur syndic de la commune, pour la commune, pouf la plainte relative au dit sieur Manson, M? Jacques Blanc, notaire royal de cette ville lequel ici présent a prêté serment dont il lui a été concédé acte. Le conseil général a encore nommé pour commissaire chargé de recevoir les plaintes contre ledit sieur Manson : sieur Barthélemy Bartaignon père, sieur Charles Tassy, sieur Laurent Armand, et sieur Jean André Deviez, tous de cette ville, lesdits sieurs Bartaignon, Tassy et Deviez ici présents ont tout de suite prêté serment en cette qualité dont il leur a été concédé acte par M. le juge. Après cette délibération, M. de Servane a fait une autre dénonciation contre le sieur Peyre, notaire et procureur juridictionnel dans le marquisat des Baux. U a dit que cet officier ne pouvait rester procureur juridictionnel, pour être parent d’abord dudit sieur Manson, et ensuite parce qu’étant notaire, il n’avait pu surprendre la religion de M. le prince de Monaco,, pour être fait un procureur juridictionnel, ep. lui laissant sa qualité de notaire et ne s’étant qualifié dans ses lettres que de praticien ; ce qui les a rendues obreptices et subrepHces ; sur quoi : « Le conseil général, après avoir concédé acte audit sieur de Seryaue, de la dénonciation par lui ci-devant faite, et en la recevant, a délibéré qu’infiihitiong et défenses seront faites au sieur Peyre de s’immiscer à l’avenir dans les fonctions de procureur juridictionnel, dont il est pourvu attendu pue ses provisions sont contraires à l’édit de 1771, rendu sur l’incomptabilité des offices de notaire et de procureur, ce qu’il a si bien reconnu lui-même, qu’il a déguisé sa qualité de notaire lors de l’obtention desdites proviT sions, laquelle délibération sera signifiée audit sieur Peyre, par le ministère d’un huissier, et qu’incessamment à la requête des consuls de cette communauté, il sera présenté par-devant qui de droit, requise pour obtenir ja subrogation générale, d’un procureur juridictionnel dans toutes les causes. » Par continuation du même conseil général, il a été assigné une autre séance au 28 décembre, et dans celle-ci, il a été fait une npuvelle dénonciation par M-de Servane et Pierre Qùenin, contre le sieur abbé Margaiilan, prêtre, vicaire de lp paroisse, sur laquelle dénonciation le conseil a délibéré que Je causes en seraient portées au conseil permanent qui en déciderait, ce qui étant revenu à la séance suivante du 1er janvier, il y fut délibéré que « M* Bassac, consul, écrirait aù nom de la commune à monseigneur l’archevêque d’Arles, et eu son absence à MM. ses grands vir caires, pour les prier de retirer ledit sieur abbé Margaiilan de la paroisse des Baux et de tout le territoire. » Dans la même séance du 28 décembre fut remis sur le bureau le procès-verbal de l’expédition confiée, par délibération du 26, à M. Isoard, major général de la garde nationale, avec la clef eje l’appartement qui contient les papiers trouves dans la maison du sieur Manson. Après cela M-de Servane, a dit que la milice nationale de ce terroir des Baux, n’ayapt été formée que d’après l’ordre individuel de MM. les consuls, elle devait être remplacée par une autre ce qu’il a demandé au consul séant, sur quoi, ledit conseil, * considérant qu’en effet, la milice nationale actuelle n’a eu pour principe que le vœu individuel de MM. les consuls, et que sa formation irrégulière a été cause qu’elle n’a jamais fait aucun service; considérant combien il est nécessaire, d’après le désir de l’Assemblée nationale, qu’il y ait dans le terroir une garde nationale qui soit toujours régulièrement eu activité, a arrêté et délibéré que l’ancienne garde nationale serait supprimée pour être remplacée 752 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] dimanche prochain 3 janvier, conformément au règlement ci-après, qui a été délibéré par les articles proposés par M. de Servane, et les divers amendements auxquels ils ont donné lieu. » Suit la teneur de ce règlement en vingt-quatre articles, après lesquels le conseil général s’exprime ainsi : « 11 est délibéré que le présent règlement sera exécuté selon sa forme et teneur ; qu’il sera affiché aux principales portes de tout le terroir, et qu’il en sera imprimé divers exemplaires, pour en être remis un à chacun des officiers principaux, et un aux capitaines de chaque compagnie ; « Et attendu l’heure tarde, il a été délibéré de renvoyer la continuation du présent conseil général à vendredi, premier janvier. » Dans cette séance, M. Blanc, notaire royal, a déféré au conseil sa plainte de ce que les salutaires décrets de l’Assemblée nationale, sur la nouvelle forme de procéder en matière criminelle n’ont été ni publiés ni exécutés, non plus qu’aucun autre de l’Assemblée nationale, par MM. les consuls; s’en est suivi un désordre universel dans l’inaction de la justice criminelle ; ce qui lui fait demander audit conseil, qu’il soit enjoint au greffier de la juridiction, d’apporter sur-le-champ sur le bureau lesdits décrets afin qu’il soit procédé le plus tôt possible à la nomination des adjoints nécessaires à la nouvelle forme des procédures criminelles. Le conseil a fait droit à cette motion, l’une des plus justes, et il a, en conséquence, nommé les adjoints prescrits par ces décrets. A cette plainte en a succédé une autre de la part des officiers employés dans les procédures criminelles prises ci-devant, à la requête et aux frais du fisc, lesquels ont exposé qu’ils n’avaient pas été payés de leurs droits par le sieur Manson, chargé de cette dépense; et comme cette plainte où l’on inculpait aussi le sieur Peyre, procureur juridictionnel était portée par M. de Servane et non par les plaignants eux-mêmes, le conseil a délibéré fort sagement « que sur les deux plaintes du sieur Picard, et Mense, huissier, elles seraient signées et certifiées par eux véritables, pour alors être délibéré par le conseil permanent, ce qu’il avisera, faute de laquelle signature et certification, elles seront comme non observées. Enfin ce conseil général a fini par la lecture de l’adresse délibérée dans la séance du 26 décembre, pour être présentée à l’Assemblée nationale, et a nommé pour la signer au nom de la commune, M. Roucbon, juge ; M. Bassac, consul; M. Vincent, curé de la paroisse Sainte-Croix de Maussanne; M. Le Blanc de Servane; M. Manson de Saint-Roman et M.Laugeiret, avocat, et il a été délibéré en outre qu’il serait joint à la dite adresse un mémoire contenant les motifs par lesquels les habitants de la ville des Baux et son terroir croient être en droit de demander de retourner au domaine de la couronne. Ici finissent donc toutes les délibérations prises dans le conseil général de la ville des Baux et son terroir; elles ont été adressées avec les pièces justificatives, à Messieurs Pelissier et Durand de Maillane , députés de la sénéchaussée d’Arles, dans l’étendue de laquelle la ville des Baux et son terroir se trouvent situés. Après avoir pris lecture de toutes ces pièces, ces deux députés n’y ont vu que le plus pur et le plus louable patriotisme ; ainsi, bien éloignés de penser quand ils onf eu ces pièces en main, que les démarches des habitants des Baux, pour arriver à un conseil général de tous pères de famille, dus-sent-être déférées et prises pour des émeutes, pour des séditions dans le caractère de cas pré-vôtaux ; plus éloignés encore de croire que la teneur du procès-verbal, des délibérations prises dans ledit conseil général, fût capable d’autoriser M. le prévôt résidant à Marseille, d’en poursuivre prévôtalement les auteurs, enfin séparant dans leur jugement sur l’ensemble de tous ces actes, les deux premières parties desdites délibérations concernant l’adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale, et la réunion de la terre des Baux au domaine, ce qui était d’un intérêt national et directement du ressort et des devoirs de leur députation, séparant dis-je, ces deux premières parties de la troisième qui ne concernait que des dénonciations particulières et des dispositions toutes locales, ces deux députés ont fidèlement rempli la charge qui avait un objet réellement utile à la nation même, en remettant, il y a plus de quinze jours, à M. le président du comité des domaines, un duplicata de la délibération concernant la réunion de la terre des Baux au domaine de la couronne ; et pour tout le reste, ils ont attendu et dû attendre, soit de nouveaux éclaircissements, soit que le cours des affaires générales et majeures dans les séances de l’Assemblée pût lui permettre de s’occuper de la sanction que les habitants de la ville des Baux et de son terroir demandaient pour toutes leurs délibérations. Chacun de nous, Messieurs, sait combien l’Assemblée nationale, que les plus grands objets intéressent, est avare du temps que réclament les affaires particulières ; elles sont innombrables dans le comité des rapports. Or, avec connaissance, nous n’avions que faire d’importuner ni l’Assemblée ni son comité, pour les délibérations locales de la ville des Baux, dans lesquelles, d’ailleurs trouvant tout assez en règle, eu égard à l’esprit et aux décrets de l’Assemblée, aux exemples communs dans le royaume, (exemples si utiles et si nécessaires au succès et à la défense de la constitution); eu égard à cela, nous ne devions pas provoquer une sanction qui n’aurait pas été accordée sans discussion, si elle pouvait l’être; car touchant déjà depuis plusieurs jours au terme si désiré d’un nouvel ordre, dans les municipalités et dans les tribunaux, cette demande n’aurait pas même été accueillie. Cependant il n’est pas moins vrai que par là même, par cette sanction dont le peuple des Baux parle dans ses délibérations, dont il se flattait, et qu’il charge ses administrateurs de poursuivre auprès de l’Assemblée nationale, par là même il serait tout justifié, quand il aurait excédé les formes de son pouvoir ; et il n’a fait que son devoir, il n’a fait, pensé et voulu faire que le bien, tant de la nation en général que de sa communauté particulière. Qu’on le suive dans toute sa conduite, on la connaît maintenant tout entière ; on sait comme il s’est comporté pendant les quatre mois que son premier consul lui a refusé constamment le conseil général qu’il demandait et dont il avait tant de besoin. Parvenu enfin à ce conseil tant désiré, comment se forme-t-il? De la manière la plus régulière. Trois cent quatre-vingt-deux pères de famille s’y rassemblent dans l’église paroissiale de Maussanne, sur la convocation publique d’un consul qui y assiste et y délibère librement et sans l’autorisation du juge du lieu, avec l’assistance aussi du curé même delà paroisse; et l’on y ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] [Assemblée nationale.] parle, l’on y procède avec tout le mérite du zèle le plus convenable dans les circonstances nouvelles et heureuses de la régénération nationale. On y adhère aux décrets de l’Assemblée ; on y renonce à des privilèges ; on y décide la réunion de la terre des Baux au domaine de la couronne ; et enfin rassemblés comme la nation elle-même, pour son salut, ces honnêtes pères de famille pensent, comme nous, à faire le bien solidement: ils déclarent la guerre, mais à qui, mais à quoi? aux abus de l’administration, aux oppressions du fisc et de ses agents ; et dans quels termes ? Si M. de Servane va trop loin dans sa dénonciation, on l’arrête. Il a demandé la capture mêraede l’agent et le conseil général le déclare intact sous lasauve-garde de la nation et de la loi. Elle accorde le scellé sur ses papiers parce qu’ils étaient conséquents à ses délibérations et nécessaires pour l’intérêt même du domaine, comme pour celui du peuple des Baux. D’autre part, rien de plus nécessaire que de s’assurer des papiers de la commune dans ses archives, comme d’en éloigner le premier consul ennemi trop connu de la première forme d’administration. La milice bourgeoise est employée pour ces opérations; mais avec quelles sages mesures, pour que rien ni personne n’en soit lésé? Si on l’envoie dans la maison de l’agent, ce n’est que pour l’exécution du scellé, qui pouvait très bien être apposé en sa présence, sans aucune sorte de dommage ni pour lui ni pour ses biens. Dans son absence, l’officier lui-même avait ordre de ne pas mettre le pied dans la maison, sans la surveillance de six [témoins qui doivent l’accompagner. La milice elle-même est réformée dans ce conseil général, où il se fait à ce sujet un règlement provisoire, nécessaire et très utile dans la conjoncture. Qui d’entre nous après toutes les preuves que la garde nationale nous a fournies, dans toutes les parties du royaume, et de son zèle et de son attachement à la constitution et de ses secours, peut ne pas applaudir à l’usage qu’a fait de sa milice le peuple des Baux, alors instruit et comme témoin oculaire des services que la garde nationale de Toulon avait rendus et rendait encore tant à la nation qu’à sa municipalité. Sera-ce les réclamations de tout un peuple, composé de 6,UOO âmes, qui se plaint de ne connaître aucun des décrets de l’Assemblée nationale, qui ont fait la joie de toutes les municipalités, de ne pas même connaître ceux de ces décrets qui touchent à l’ordre public, aux besoins mêmes de l’Etat, c’est-à-dire ni la loi martiale, ni le nouveau règlement sur la forme des procédures criminelles, ni enfin les décrets et les lois concernant la contribution patriotique du quart des revenus ? Sera-ce donc ces réclamations qui auront rendu le peuple des Baux coupable d’avoir mis le second consul à la place du premier, qui l’entraînait par son mauvais exemple? Sera-ce la délibération qui porte de surseoir aux droits féodaux? Mais qu’on prenne la peine de lire le second article de la première délibération, rapportée ci-devant, et qu’on en. pèse les termes; on trouvera dans leur sens, non pas de quoi condamner le petfple des Baux, mais de quoi porter l’Assemblée nationale à lui en témoigner sa reconnaissance pour les avantages, pour les profits qu’il a eu uniquement en vue de procurer au Trésor public; car, pour avoir sursi au payement, le conseil des Baux n’a pas détruit la dette, il a voulu seulement qu’elle fût acquittée à son lre Série, T. XI. 733 véritable créancier, qui est la nation, aujourd’hui dans les droits du roi pour tous ses biens domaniaux ; de là aussi les scellés, les dénonciations contre les agents de M. le prince de Monaco ; de là l’empressement du peuple des Baux à se réunir au domaine, pour ne plus vivre que sous la main du roi, son premier et véritable maître; de là enfin ce patriotisme que tant de raisons justes et particulières échauffaient, et qui néanmoins n’a éclaté que par la constance du peuple et une patience dont l’exemple est peut-être unique dans toute la France, et c’est néanmoins, faut-il le dire, voudra-t-on même le croire, c’est ce peuple généreux, fidèle, honnête, modéré et conséquent avec lui-même dans toute sa conduite, que M. le prévôt de la maréchaussée de Provence a cru devoir punir comme un peuple séditieux et rebelle; il a fait tout à coup pleuvoir une grêle de décrets sur presque tous les pères de famille, qui composaient le conseil général tenu dans l’église paroissiale de Maussanne; il n’a pas même fait grâce au juge pas plus peut-être qu’au curé, mais plus sobre dans l’execution, il l’a bornée à trois pour la capture, M. de Seroane père, ancien conseiller au parlement d’Aix, M. de Servane , son fils, et M. Deviez, notaire royal. On a vu comment et par qui était composée la milice bourgeoise des Baux, surtout la nouvelle, dont l’établissement avait été réglé et solennellement et légitimement par le peuple lui-même, réuni dans la forme la plus légale en l’église de Maussanne ; eh bien, les ennemis de la Constitution soit les parties lésées dans les réformes générales ou particulières, faites ou à faire, soit les affidés, les mêmes qui savent si bien remplir dans ces sortes d’affaires le saint office de témoins, tous ces gens publiaient avec affectation que M, de Servane étant aux Baux, à la tête de six cents brigands ou séditieux, on ne parviendrait jamais à s’en saisir qu’à main armée. En conséquence, M. le prévôt qui, siégeant à Marseille, dans le fort Saint-Jean, a sons sa main le commandement militaire de la province, a disposé si bien les choses pour la capture de ces trois messieurs, que dans la nuit du 23 au 24 janvier, ils ont été enlevés sans bruit et sans résistance, mais non sans horreur pour quiconque saura comment cette exécution s’est faite; en voici le récit fidèle qui nous en a été envoyé par un homme dont le caractère, à nous bien connu, garantit la vérité de son instruction. Parlant d’abord comme nous venons de parler nous-mêmes des pères de famille qui composaient le conseil général dans l’église de Maussanne, il ajoute : « Ces citoyens honnêtes étaient bien loin de soupçonner que l’on pût prendre contre eux une procédure criminelle dans ces entrefaites; mais le crime veille quand la justice, la probité et la candeur reposent sur de bonnes intentions. Le prévôt de MM. les maréchaux de France prend à Marseille, dans le fort Saint-Jean, dans le tumulte des manœuvres militaires, entouré de sabres, de baïonnettes et de canons, uneprocédure en émeute et en sédition à la requête des gens du roi; on entend des témoins et la profonde sécurité des habitants de Baux est troublée par des proscriptions et des décrets. On emploie des troupes de ligne, la milice nationale et neuf brigades de maréchaussée pour l’exécution des décrets prévô-taux, et cette milice fait un dégât affreux dans le château de Servane; on enfonce les portes et les fenêtres , on brise , on casse les vitres , les lustres, les glaces. Mme de Servane fait une fausse couche, Mlle de Servane, qui se présente 48 754 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [28 février 1790.1 à une porte intérieure de sa maison, où l’on frappait rudement, voit une baïonnette à deux doigts de sa poitrine et court le plus grand danger pour la vie. On saisit M. Derrès, notaire royal à Maus-sanne; on arrête MM. de Servane père et fils à deux heures du matin, dans la nuit du 23 au 24 janvier, en vertu des décrets prévôtaux, et on les conduit en triomphe, et en passant dans le village, que l’on aurait pu et même dû éviter pour prévenir des troubles, jusqu’à Salon, et de cette ville à Marseille. Le 25 du même mois, on distribue à droite et à gauche des décrets de prise de corps à M. Rouchon, juge des Baux, à M. Blanc, notaire, à M. Isoard, ancien gendarme, et à plusieurs autres ; les ajournements moins cruels auront leur tour, et nous n’aurons que la malheureuse perspective de voir tout le pays en décret. Il y en a déjà vingt-cinq, à ce qu’on m’assure. « Dans cet état des choses, on a assemblé dimanche dernier un Conseil général de tous chefs de famille, présidé par le second consul, qui y rendit compte d’un acte extra-judiciaire, signifié à M. le prévôt de MM. les maréchaux de France quelques jours auparavant, information tenante et dans lequel, après avoir fait l’exposé du calme et de la tranquillité qui avaient régné dans les différentes séances de comité permanent, il assura que sa personne avait été constamment respectée et qu’on avait rendu à sa place tous les îonneurs qui lui étaient dus; cette conduite ’ranche et nonnête fut unanimement applaudie et il fut délibéré de députer auprès de l’Assemblée nationale, MM. Enevani et Manson de Saint-Roman, pour y solliciter l’apport d’une procédure illégale et insolite, ou pour demander qu’elle fût renvoyée à tout autre tribunal. « Votre étonnement redoublera et nos jurisconsultes frémiront en apprenant que le prévôt de MM. les maréchaux de France, qui n’est pas seulement gradué, qui n’est qu’un juge d’attribution dans les cas militaires et royaux, s’attribue aujourd’hui toutes les matières: bientôt toutes les soumissions, les substitutions seront de sa com-étence, et nous serons tous jugés par ce tri-unal au mépris d’un de nos décrets sanctionnés, qui rend les juges ordinaires et locaux compétents pour toutes les causes, hors les crimes de lèse-nation que vous avez référés au Châtelet. Les décrets au corps mis à exécution contre nos bons patriotes les ont dispensés, et il est à craindre que le gouvernement de la communauté ne se perpétue dans les mêmes mains. JNos anciens administrateurs veulent avoir un maire de leur choix, c’est pourquoi il serait bien important que cette nomination fut différée à des temps plus heureux. Si nous sommes forcés pour obéir à nos décrets d’exécuter le règlement à la lettre, notre communauté, déjà appauvrie par la mortalité des oliviers, est perdue sans ressource. » Cette relation dit tout ce que j’aurais pu dire moi-même sur les faits dont elle rend compte; on y voit premièrement que le second consul rend lui-même et authentiquement témoignage des égards que la milice bourgeoise et tous les membres de l’assemblée générale des Baux ont eu pour lui. Il en avait déjà expédié un certificat que nous tenons de lui et qui est conçu en ces termes : « Je soussigné déclare la présente relation véritable en tout son contenu, et que l’on nous a traité lorsque nous nous rendîmes dans la ville des Baux, le 22 du mois dernier, avec tous les honneurs dus à notre place ; que nous n’avons qu’à nous louer de la garde nationale, de l’accueil et des honnêtetés des officiers qui la commandaient : En foi de quoi, nous avons fait le présent. A Mauriès-les-Baux, le 3 janvier 1790. « Signé : BàSSAC, second consul. » Le prévôt de Marseille n’a point été excité à cette procédure, par un pur amour de l’ordre et de la paix, puisque, prévenu avant ses décrets, par l’acte extra-judiciaire du second consul des Baux, que tout y avait été et y était encore dans le plus grand calme, il a voulu sciemment lùi-même y mettre le trouble par sa procédure. hncore même si cette procédure était compétente; mais la relation parle fort à propos d’un décret que vous connaissez tous, Messieurs, c’est le décret de l’Assemblée nationale du 12 janvier sanctionné par le roi le 16 du même mois, conçu en ces termes : « Nonobstant toute attribution, tous juges ordinaires peuvent et doivent informer de tout crime, de quelque nature qu’il soit et quelle que soit la qualité des accusés et prévenus, même décréter sur l’information et interroger les accusés, sauf ensuite le renvoi au Châtelet, de ceux dont la connaissance lui est particulièrement et provisoirement accordée. » Faudrait-il joindre ici les dispositions des ordonnances de 1670 et 1731, pour faire sentir que quelle que soit l’attribution nouvelle dont le prévôt de Marseille s’autorise, si étendue qu’elle puisse être, il en abuse nécessairement lorsqu’il applique la rigueur odieuse de son tribunal à des assemblées municipales, aux fonctions légitimes d’une garde nationale. Si jamais ce prévôt s’est écarté du respect et de la soumission qu’il doit aux décrets et aux sentiments de l’Assemblée nationale, c’est en foulant les municipalités, en calomniant par ses procédures les gardes nationales qui toutes émanent d'elle, et la représentent et la défendent, et l’honorent même dans tout le royaume. Eh! pourquoi le peuple des Baux n’aurait-il pu, comme toutes les autres villes du royaume, se donner une de ces gardes sous les auspices et en vertu même des décrets de l’Assemblée nationale ? Je sais très bien que M. le commandant de Provence ne voit comme tant d’autres qu’avec une nouvelle extrême peine cette nouvelle force armée s’élever contre les abus meurtriers du despotisme. 11 avait fait écrire ici à la députation de Provence que lui seul devait avoir le commandement de la milice bourgeoise en Provence, mais, nous, députés provençaux, réunis, tous assemblés et instruits, comme nous le sommes, des vues de l’Assemblée nationale dans l’établissement de cette nouvelle milice, délibérâmes et arrêtâmes de répondre : « que la garde nationale cesserait d’être ce que l’Assemblée veut qu’elle soit, si au lieu de recevoir les ordres des officiers municipaux, elle dépendait des officiers militaires, et qu’en attendant que l’Assemblée nationale y eût pourvu par une loi générale, chaque municipalité pourrait sagement régler la formation et l’usage de la sienne. » M. de Garaman ne s’est point rendu apparemment à ces bonnes raisons, puisqu’il a écrit en dernier lieu lui-même aux consuls de Grignan, pour leur faire des reproches de ce que la milice de ce comté, situé dans la Provence, s’était jointe, sans son ordre ou sa participation, aux deux milices bourgeoises du Dauphiné et du Vivarois, pour faire sous les murs de Montélimart, tous au nombre de plus de six mille, ce beau serment [Assemblée nationale.] archives parlementaires. 128 février 1790.] 755 auquel nous avons tant applaudi dans la séance de l’Assemblée, où cet événement fut rappelé dans l’ordre des adresses. Les consuls de Grignan répondirent aussi à M. de Garaman qu’ils avaient d’autant plus lieu d’être surpris de ses reproches que leur démarche patriotique avait reçu les applaudissements de l’Assemblée nationale. Ce n’est donc pas sans fondement que je n’ai vu qu’avec la plus grande peine la garde nationale de Tarascon employée avec les dragons de Lorraine et des cavaliers de maréchaussée à la capture des trois patriotes que cette garde aurait dû plutôt sauver et défendre seule de tout son pouvoir. C’est ainsi que la Provence est en ce moment, comme je l’ai dit, de toutes les provinces du royaume la plus subjuguée encore , par l’ancien régime par lesanciens préjugés etpeut-être par quelque nouvelle trame. Quoique porteurs de cahiers certainement très rigoureux, contre tous les genres d’oppressions, mes commettants ont tant l’air de se laisser encore mener par leurs oppresseurs, que je sais très bien qu’ils détestent, mais qu’ils craignent, et plus ou moins dans un lieu que dans un autre. Ici le peuple a su marcher du même pas que l’ Assemblée nationale, et c’est le plus sage; là, il est encore incertain, et plus loin on l’endort ou on l’elfraie. Enfin l’on a vu avec combien de peine le peuple des Baux s’est assemblé et ce qui leur arrive pour l’avoir fait le plus légitimement, le plus utilement. Le quart du revenu n’y avait pas même été proposé, et cet exemple a infecté quelques lieux voisins où le plus vil intérêt, si ce n’est quelque autre sentiment plus odieux encore, étouffe le patriotisme non seulement des nobles, mais des bourgeois mêmes, à qui le vice tant proscrit de l’aristocratie est peut-être moins étranger, dans ce retour heureux à l’ancienne et imprescriptible égalité de l’homme en société. On remarquera aussi que la Révolution n’a pas d’ennemis plus acharnésqueles parvenus fraîchement à une hauteur d’où il faut que soudain ils se précipitent. 11 en est par gradation autant des riches bourgeois, gâtés par certaines prééminences populaires, il leur en coûte plus qu’à personne de les perdre. Ils ne montrent aussi dans les environs des Baux que les dispositions les moins patriotiques, ne fût-ce que celle qui a porté la garde nationale de Tarascon, à se prêter aux ordres soit du commandant, soit du prévôt de Provence, pour la capture des trois citoyens, qui, au lieu d’avoir mérité ses insultes, auraient dû recevoir de ses mains la couronne civique : mais excusons celte milice, elle est enchaînée peut-être par les derniers efforts d’une noblesse que nos efforts effarouchent. Ah ! que les nobles, les bourgeois memes de Provence ne voient-ils pas comme nous ces belles et grandes âmes, qui, se passionnant ici pour le bonheur du genre humain, pour sa liberté qui est le sel de ses vertus. comme la servitude en est la corruption, ne montrent constamment dans notre assemblée que des sentiments vraiment dignes des titres qui les décorent ! Mais revenons à notre prévôt. Dira-t-on qu’à l’époque où il a rendu ses décrets contre les citoyens des Baux, cette loi ne lui était pas connue au moins dans la forme légale ou officielle? Mais, Messieurs, c’est ici où tout notre zèle doit s’éveiller, je l’ai déjà dit, le même prévôt a été déjà renvoyé au Châtelet par un de vos décrets; qu’en est-il arrivé ? De nouvelles et plus grandes rigueurs contre un plus grand nombre de citoyens dévoués à la défense et au maintien de la Constitution , que nous construisons ici do-puis dix mois, dans les périls et dans les sueurs. Est-ce donc après l’avoir tant avancée cette belle et heureuse Constitution, qu’on peut se permettre d’insulter encore au vœu public, à la volonté expresse d’une nation entière ? Serait-il donc supportable que lorsque tout ce qui tenait à l’ancien despotisme, a déjà rendu hommage à la révolution qui s’opère sous les auspices mêmes du monarque et dans les purs termes de la raison, plus forte elle seule dans un peuple libre que toutes les armées ; serait-il, dis-je, supportable que le prévôt de Marseille pût lui seul manquer à cette assemblée en bravant ses décrets parce qu’il n’a pas plu au pouvoir exécutif de les accréditer? Non, Messieurs, cet exemple est trop conséquent, les torts de ce prévôt sont trop grands, trop répétés envers nous, et trop criants envers le peuple, envers les bons citoyens, nos amis et nos défenseurs, pour que vous ne preniez, cette fois, dans votre sagesse, une délibération qui sauve de l’avilissement et de l’abus, l’honneur de vos décrets et surtout l’autorité des lois que vous faites contre les oppresseurs de l’innocence et les ennemis de la liberté publique ! Que dans ce temps où tous les actes d’autorité arbitraire ou inquisitoire sont proscrits à jamais, on fasse donc un décret contre le prévôt de Marseille, qui, pour sa justice et sa nécessité, force à son exécution tous les agents du pouvoir exécutif! Inutilement et captieusement, l’on dirait que c’est en ce moment le seul débris de la force judiciaire nécessaire à la tranquillité publique, dès que ce tribunal ne tourne qu’au trouble et à la consternation des villes et des campagnes, dès qu’il n’est dirigé que vers ceux d’entre les citoyens qui professent nos décrets, ce n’est plus qu’un fléau et plus terrible encore sous le masque des lois que l’anarchie même qui les viole! Sous ce prétexte, le prévôt de Marseille trouve partout des criminels, et nulle part son incompétence ; il flatte ou favorise impunément les hauts partisans de l’ancien régime , c’est-à-dire tous ceux qui ont un intérêt personnel à en perpétuer les abus , comme on l’a très bien observé dans la relation, et comme cette assemblée en a plus d’une preuve, dans les causes qui y ont été portées; car, Messieurs, vous y avez vu à peu près les mêmes efforts, en quelques endroits les mêmes injustices, soit sous la forme de procédures ou autrement, pour écarter des administrations nouvelles les amis de la Constitution, et tous ceux dont elle attend du secours pour son maintien et son exécution. Nous avons vu aussi dans la cause du procureur du roi de Falaise, avec quel intérêt cette assemblée a condamné les oppresseurs de la liberté, dans les opinions et les suffrages plus nécessaires encore dans les assemblées élémentaires que dans l’assemblée même de la nation ; c’est donc le cas et bien plus favorable des citoyens des Baux, qu’on a voulu empêcher , par tous les moyens, de s’assembler, et que l’on cherche maintenant à punir, parce qu’ils l’ont fait, et de la manière la plus sage, la plus raisonnable et la pins utile pour lanationmême: elle leur doit donc plus de justice encore, et ils nous la demandent, ces bons et honnêtes citoyens, tous pères de famille, tous possesseurs de biens en cadastrés et taillables ; iis nous la demandent , cette justice, les uns du fond de leurs cachots, les autres du fond de leur exil, et moi, 756 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] leur représentant, j’ose, après notre décret du 2 de ce mois, vous en supplier dans la forme d’un décret nouveau, dont voici le projet : « L’Assemblée nationale, considérant que le conseil général de tous pères de famille, tenu dans l’Eglise de Maussanne au terroir des Baux en Provence, le 26 décembre et jours suivants, n’a rien eu que de légitime dans sa forme et dans ses causes; elle a ajourné la demande de sa sanction pour les délibérations qui y ont été prises, au temps où le comité des domaines sera prêt de faire son rapport à l’Assemblée sur la réunion au domaine du roi ou de la nation, de la ville des Baux et de son territoire, les choses demeurant jusqu’alors en l'état. « Et pour les nouveaux attentats commis par le même prévôt, et le procureur du roi en son tribunal, envers les décrets de l’Assemblée nationale, contre son vœu à eux bien connu, contre la liberté des citoyens de la ville des Baux et son terrain, qui, au lieu de devenir ses justiciables par leur conduite, n’ont fait que mériter par elle de la patrie. L’Assemblée nationale en déclarant à cet égard la procédure dudit prévôt, nulle et sans effet, a décrété que cette procédure serait déférée au Châtelet, pour y être donné contre ledit prévôt et le procureur du roi en son tribunal, toutes les suites justes et nécessaires; et attendu l’urgence du cas, l’Assemblée nationale ordonne que son président se retirera, dès après la présente séance devers le roi pour qu’il donne les ordres nécessaires pour la plus prompte exécution du présent décret, d’autant que s’agissant du cours de la justice contre les tribunaux, valablement constitués par l’Assemblée nationale, l’intention de Sa Majesté ne sera jamais qu’elle soit ni qu’elle puisse être, sous aucun prétexte interrompue; et à cet effet ledit sieur Durand de Maillane demande à l’Assemblée qu’elle veuille bien ainsi le décréter ou renvoyer le décret pour cet objet à tel jour qu’il lui plaira de fixer. » Addition ou rapport en défense dans la cause du peuple des Baux contre le prévôt de Marseille, par M. Durand de Maillane, député de la sénéchaussée d'Arles. Dans le cours et sur la fin de l’impression du rapport en défense sont survenues de nouvelles pièces et de nouvelles instructions, elles achèvent de convaincre que de toutes les procédures du prévôt, il n’en est point qui le mettra plus à découvert que la procédure des Baux. L’incompétence notoire est le moindre de ses torts; on en jugera par les actes qui ont suivi les captures scandaleuses du 28 au 24 janvier. On a appris que cette capture qui aurait pu être empêchée, au moins en recausse par un seul mot de M.deSer-vane dont un peuple de six mille âmes n’attendait que les ordres, s’est faite et s’est exécutée contre les lois, et toute bienséance en présence des parties civiles et des dénonciateurs. La milice nationale de Tarascon, fière de sa honteuse victoire et appuyée des dragons de Lorraine, n’a cessé après cette capture d’insulter à la garde nationale des Baux, jusqu’à lui faire mettre à bas le pouf ou à l’exiger, ce qui dans un pays moins bien conduit, et il ne l’était que par les décrétés du fort Saint-Jean, aurait été le signal d’une guerre civile; mais quand un peuple n’est que vertueux, il n’oppose aux excès que sa surprise et sa douleur sans oublier les voies de la justice, qui, heureusement sont aujourd’hui très favorables aux opprimés dans l’Assemblée nationale. S’il en est aussi qui soit digne de sa protection et de son zèle pour Je règne de la justice et de la liberté, qu’on ne doit jamais séparer, c’est le peuple qui se comporte et qui parle comme on va l’entendre dans la pièce suivante déjà connue par celles qui précèdent. Extrait des registres des délibérations des conseils de cette communauté des Baux. L’an mil-sept-cent-quatre-vingt-dix et le vingt-quatre du mois de janvier, jour de saint dimanche à l’issue des vêpres de la paroisse Sainte-Croix de Maussanne, terroir de la ville des Baux, par-devant nous Jean Bassac, consul de la communauté de cette ville, le présent conseil général a été assemblé, après avoir été convoqué par lettre circulaire, son de trompe, affiches et cris publics par tous les lieux et carrefours accoutumés de cette dite ville et son terroir; MM. Jean Vauchon, conseiller du Roi, juge capitaine Viguier et lieutenant des soumissions au siège de cette dite ville, autorisant; auquel conseil ont assisté, M. Bassac, Consul, et les sieurs, etc. etc., au nombre de plus de trois cents. Le conseil général ainsi assemblé, M. Bassac, consul, portant la parole a dit : « Messieurs, les motifs les plus intéressants m’ont engagé à vous rassembler aujourd’hui, et à donner à ce conseil, par la présence de la commune entière réunie, la plus grande force qu’il puisse avoir. Il s’agit de deux objets majeurs; le premier intéresse la France entière dont nous faisons partie, il s’agit de donner dans ces circonstances critiques et fâcheuses, des marques de notre zèle envers les augustes représentants de la nation et envers un roi restaurateur de la liberté française, et digne de notre amour. Tirons un rideau sur nos infortunes, ne regardons la perte entière de nos oliviers, seul et unique produit de nos terres, que comme un malheur personnel et non pas comme un prétexte qui doive retenir le zèle sans bornes dont tout cœur vraiment français doit être animé pour le bonheur de la patrie; vous ne pouvez donner la déclaration du quart de vos revenus, puisque ces revenus entiers pour cette ville n’existent plus et peut-être pour longues années, puisque vous êtes obligés d’avoir recours à des secours étrangers, n’en pouvant pas tirer de vos propres fonds, pour faire valoir les fonds mêmes. En faisant cette déclaration sur laquelle il nous est impossible de départir une quotité fixe, ne calculez plus vos revenus, faites des offrandes volontaires, et donnez à connaître que vous oubliez vos propres malheurs pour ne songer qu’aux besoins de l’Etat. En conséquence, mon avis est qu’il soit nommé des commissaires dans les différents districts de la ville des Baux et son terroir, pour recevoir la déclaration de chaque citoyen possédant biens, ainsi que de ceux à qui le commerce ou d’autres professions industrieuses procure des moyens pour que, conformément aux décrets de l’Assemblée nationale, concernant la déclaration du quart des revenus, et à la lettre qui nous a été adressée à ce sujet, par MM. les procureurs syndics de la commune de Provence, ladite imposition soit payée par chaque classe de citoyen formant la commune de la ville des Baux et des différents villages et districts de ce terroir. Le second motif, Messieurs, qui nous rassemble, n’est pas moins intéressant que le premier. Mon 757 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] cœur est pénétré de tristesse et toutes les facultés de mou âme sont comme démenties en voyant à quel degré d’horreur et de méchanceté la perversité du cœur humain est capable de se porter. Vous savez que les ennemis du bien public et de la révolution qui s’est opérée dans cette communauté sous notre consultât, nous poursuivent avec un acharnement qui n’a pas d’exemple depuis le jour que nous eûmes égard à la juste réclamation que les habitants des quatre paroisses du terroir de cette ville des Baux nous faisaient depuis quatre mois, et que nous convoquâmes le conseil général qui était l’unique objet de leur dessein et de leurs besoins les plus urgents. Eh bien, Messieurs, des ennemis de l'Etat n’ont pas cessé un instant de nous dénigrer et de nous calomnier dans toutes les villes voisines ; ils ont pris à tâche de noircir les démarches Jes plus pures, et de substituer des émeutes et des séditions, là où il n’y a eu que du calme, de la tranquillité et des délibérations prises légalement sous notre présidence et sous l’autorisation de M. le juge viguier de cette ville. Ils ont osé avancer en fait, que dans cette contrée tout était dans la plus grande désolation, qu’une division intestine souffle de toutes parts la rage et le carnage, et que les habitants n’avaient que des idées de feu et de sang, tandis que tous les jours, depuis cette époque heureuse, ont été des jours sereins, de paix, d’union et de concorde. Enfin, Messieurs, les calomniateurs ont mis tant d’art et tant d’intrigues en débitant leurs horreurs, ils ont joué si bien et si fréquemment le rôle d’opprimés, qu’ils sont parvenus à en imposer à beaucoup de gens dans les villes voisines, Arles, Tarascon, Saint-Remy, Eyguierel, Salon. Mais ils ne se sont pas bornés là. Dès qu’ils ont vu un certain nombre de voix se joindre aux leurs pour propager leur mauvais dessein, ils ont employé tout ce qu’il leur restait de force pour pousser leurs cris et se faire entendre de monseigneur le comte de Garaman, commandant de cette province, auprès de qui ils ont employé tous les moyens imaginables pour surprendre et obtenir de lui un ordre pour faire marcher des dragons et autres troupes à ses ordres dans cette ville des Baux et son terroir, à l’effet sans doute de troubler la paix qui régnait, et de faire souffler de tous côtés le feu de la discorde. Je n’exagère rien, Messieurs ; l’ordre demandé fut obtenu, et déjà des boulangers du district de Manniès ayant été prévenus, avaient fait cuire une quantité de pain suffisante pour les troupes qu’on attendait tous les jours dans ce terroir; mais cependant, mieux réfléchis, les ennemis du bien public sentant combien ils resteraient à découvert, d’avoir demandé et obtenu un ordre pour apaiser des séditions qui étaient encore dans le néant, et qu’ils seraient peut-être responsables de tous les fâcheux événements que ce même ordre pouvait occasionner, ils ont eu recours et sont parvenus à force d’intrigues et de machines à exciter MM. les gens du roi de la prévôté de Marseille pour rendre plainte sur des êtres de raison, sur des émeutes et des séditions; fantômes qui n’ont jamais existé dans cette ville des Baux et son territoire, que sur les lèvres de ces vils imposteurs. Et déjà un grand nombre de témoins affidés, la plupart soudoyés et ayant presque tous refusé de se faire inscrire dans la garde nationale, formée par la délibération du Conseil général de la commune de cette ville des Baux, ont été entendus; déjà plusieurs décrets sont intervenus, même des décrets de prise au corps contre des citoyens honnêtes et patriotes de cette ville, décrets qui ont déjà eu leur exécution, et encore plusieurs décrets d’ajournement entre M. le juge et viguier de cette ville qui lui a été signifié, dans la séance du présent conseil général et icelle tenant dans l’église paroissiale du dit Manssaune, par Vauis cavalier de ladite maréchaussée de résidence à Arles. Les décrétés de prise au corps sont MM. Le Blanc deServane et Jean-André Deviez, notaire. Ces deux décrets ont été exécutés ce matin avec tout l’appareil militaire des cavaliers de maréchaussée, détachement de dragons, milice nationale de Tarascon, tout a été mis en jeu. C’était environ trois heures du matin, les décrétés n’ont fait aucune résistance, et cependant l’on s’est permis des dégâts affreux dans le château de Servane : la plupart des portes et des fenêtres ont été brisées. Pareil dégât a été commis dans l’intérieur de la maison, où l’on a pillé ce qui est tombé sous la main des troupes qui ont pu s’introduire dans ledit château. Tant de manœuvres, toutes plus révoltantes les unes que le3 autres, nous ont tout à la fois causé la plus grande sollicitude et la plus grande indignation. Plusieurs soldats de la garde nationale de la ville de ;;Tarascon, qui composait le détachement qui est venu mettre à exécution les deux décrets de prise au corps, contre MM. de Servane et Deviez, se sont portés à des excès contre divers particuliers de Manniès; ils ont exigé, les armes à la main, qu’ils missent à bas leurs poufs , à quoi ils ont satisfait dans la seule vue d’éviter une émeute, quoique lesdites personnes eussent le droit de le porter étant de la garde nationale dudit Mauviès. J’oubliais de vous dire, Messieurs, que pour prévenir les sinistres effets de procédure criminelle qui se prend à Marseille par-devant M. le prévôt, et dont j’ai fait mention ci-devant, j'avais cru qu’il était de mon devoir, en ma qualité de consul, et de ma conscience de déclarer au tribunal de la prévôté qu’il n’y avait jamais eu l’ombre d’émeute et de sédition dans la ville des Baux et son territoire; que tout ce qui s’était passé y avait été fait de mon pur mouvement, fondé sur la seule justice des réclamations à nous faites; que le calme, laconcorde et l’union n’avaient cessé de régner; et que d’ailleurs le procès-verbal des délibérations prises dans les diverses séances du conseil général avait été envoyé à l'auguste Assemblée nationale, et qu’elle seule doit délibérer de leur mérite et de tout ce qui peut y avoir rapport directement ou indirectement. Aujourd’hui, Messieurs, nous venons renouveler au milieu de vous, en présence du conseil général ici assemblé, la déclaration qui a été signifiée en notre nom, au tribunal de la justice prévôtale séant àMarseille, à laquelle déclaration nous ajoutons, en tant que de besoin, que nous n’aurions pas manqué de faire publier la loi martiale et arboré le drapeau rouge, si nous nous étions aperçu du moindre mouvement qui pût tendre à quelque attroupement séditieux, que nous aurions préféré de prendre ce parti comme plus conforme au décret de l’Assemblée nationale, et bien plus propre et plus prompt à dissiper l’orage qui nous aurait menacé, que d’aller recourir aux marches d’une procédure prise à quatorze heures de distance de la ville où le prétendu délit a été commis. La première proposition, le conseil l’a adoptée et a nommé pour commissaires pour recevoir les déclarations ; savoir pour la ville des Baux 7o8 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] Me Jacques Porcellet, greffier ; pour la paroisse de Maüviès, M* Bassac, consul, et sieur Jean Disnard, pour la paroisse de Maussanne, sieur Barthélemy Bartagnon, et Me Jacques Blanc, notaire; et pour la paroisse du Paradon, sieurs Antoine Poulet, Ménager, üls à feu Honnoré et Jean Boyer. Sur la seconde proposition, le conseil a unanimement approuvé la conduite de M. Bassac, consul, au sujet de la démarche qu’il a faite auprès de la prévôté de Marseille, attendu qu’il n’a jamais existé et qu’il n’existe pas encore dans le moment actuel aucune émeute ni sédition dans la ville des Baux et son terroir ; que ce ne peut être que des ennemis du bien public qui aient pu ourdir une trame aussi odieuse. En conséquence, il a été unanimement délibéré que M. Manson de Saint-Roman et Meraut seraient priés de partir incessamment pour Paris, et se rendre auprès de l’auguste Assemblée nationale, pour lui rendre compte de ce qui s’esi passé, soit avant, soit après les diverses séances du conseil général de cette communauté, et les motifs qui ont porté les habitants à en solliciter la tenue, et notamment instruire ladite Assemblée nationale de la procédure qui se prend devant la prévôté de Marseille, contre des citoyens honnêtes qui se sont sacrifiés pour la patrie et pour le bien public, et dans le cas où l’un de ces dits Messieurs de Saint-Roman et Meraut fussent malades ou empêchés, l’un des deux fera pour tous. Les frais de ladite députation seront payés par cette communauté, sur le rôle que fourniront lesdits sieurs députés. Arrêté de plus que la commune prendra le fait et cause des accusés, et qu’elle interviendra dans le procès devant tel tribunal qu'il soit porté, lequel arrêté a été ainsi pris unanimement. Arrêté de plus, à l’unanimité des suffrages, que dès aujourd’hui tous les honoraires que la communauté paie aux différents maîtres d’école de la ville des Baux et son territoire seront et demeureront supprimés et abolis. Arrêté encore que le conseil permanent sera ajourné à mardi prochain 26 du courant, à dix heures du matin, dans la maison curiale Sainte-Croix de Maussanne. Et plus n’a été procédé, s’étant M. Bassard, consul, soussigné, avec tous ceux qui ont su ou voulu signer, et nous secrétaire subrogé, M. le juge n’ayant pas signé, attendu la signification dii décret d'ajournement, qui lui a été signifié dans la présente séance, ayant dès lors cessé d’autoriser ledit conseil, fil. Bassard, consul l’ayânt présidé et autorisé à sa place, à la réquisition de la commune, lecture faite de tout ce dessus par ledit secrétaire subrogé, Bassac , consul , Manson de Saint-Roman , Gay , Armand Louis Allaise , etc. etc., et Parcellet greffier subrogé. Ainsi signé à l’original, collationné sur l’original par moi greffier subrogé de cette communauté. Soussigné Parcellet, greffier subrogé. Nous, François Louis Pittoye, seigneur de Mail-lane, conseiller du roi, juge royal et ordinaire de cette ville de Saint Reray, premier capitaine viguier, certifions que Me Parcellet, greffier subrogé de la communauté de la ville des Baux, est tel qu’il se qualifie et que la signature qu’il a apposée, en expédiant l’extrait ci-devant, est véritablement la sienne et que foi doit y être ajoutée, en cette qualité, tant en jugement que dehors ; ce que nous attestons comme le plus prochain juge royal attendu l’empêcheméht dü juge des Baux. En foi de quoi nous avons expédié le présent que nousavons signé et fait contresigner par notre greffier, qui y a apposé le sceau et armes de cette jurisdition. A Saint-Remy, ce 25 janvier 17y0; signé Pittoye de Maillane : par nous dit sieur juge royal, Lëfranc, greffier. On n’aurait su envoyer de la ville des Baux, pour l’instruction de l’Assemblée nationale, une pièce plus digne d’elle. C’est là, Messieurs, que vous voyez, dans la forme la moins suspecte la vérité des faits sur lesquels vous avez à prononcer. Rien, ce semble, ne nous reste à savoir pour reconnaître toute l’iniquité de la procédure prévôtale qui s’est prise, et qui continue à se prendre contre l’une des communes de France les plus sages et les mieux remplies de notre esprit, de cet esprit de sagesse et d’ordre qui a toujours accompagné notre patriotisme et qui éclate singulièrement dans tous nos décrets. Celui qui vient d’être proclamé par le roi, le 3 de ce mois, paraît en ce moment fort à propos pour rassurer d’une part les habitants de la ville et du terrain des Baux sur l’établissement de leur comité substitué à l’administration du sieur Aymé, premier consul, toute dévouée aux ennemis de la constitution, ou toute contraire à ses principes ; et de l’autre cette loi va ôter au prévôt de Marseille jusqu’à la couleur même des anciennes irrégularités dont le prétexte lui suffisait pour justifier, que dis-je, pour fonder ses barbares procédures. Il est bien certain que quand même l’éloignement du premier consul, ordonné par le conseil général du 26 décembre et jours suivants, pourrait être encore allégué comme irrégulier, jamais le prévôt de Marseille, si étendue que fût son attribution, n’en aurait nu légalement connaître; jamais un pareil acte ne" saurait être pris pour un cas prévôtal, et il a été canonisé par l’Assemblée nationale, jusqu’à confier à tous les comités des communes, établis par le vœu général, l’exécution de ses plus précieux décrets concernant la nouvelle organisation. En voici les termes : « Dans tous les cas où les comités librement élus par la commune, remplissent les fonctions municipales, conjointement avec les anciennes municipalités, les opérations relatives à l’exécution du décret de l’Assemblée sur la formation des municipaliiés nouvelles, par nous accepté, seront faites par les officiers municipaux et les comités conjointement dans les lieux où d’anciennes municipalités électives et non électives sont restées en possession des fonctions municipales, quoique des comités élus librement s’v soient établis ; elles procéderont aussi à l’exécution de nos lettres patentes, concernant les nouvelles municipalités, conjointement avec les comités librement élus. Dans tout autre cas, les comités élus librement seront chargés seuls de l’exécution de nos lettres patentes relatives aux municipalités. » Les prochaines assemblées et élections municipales ne peuvent, aux termes de cette loi, se faire que par l’organe ou le concours des comités permanents. Or, après l’instruction qu’on vient de lire, on demande s’il peut se trouver dans le royaume un de ces comités plus digne, plus capable de cette importante opération? Si l’on peut même douter que le comité de la ville des Baux ne soit dans le cas d’y procéder seul avec le second consul, à l’exclusion du premier, que le peuple lui-même a écarté, et qui, dans ce moment, s’il he peut être compté parmi les dénonciateurs de tant [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] de décrétés prévôtalement, il ne saurait manquer d’être leur partisan ou leur conseil. D’autre part, le décret que nous avons déjà rapporté et qui renvoie aux juges des lieux la connaissance de toutes les espèces de cas et de délits quelconques, sauf à renvoyer les crimes de lèse-nation au Châtelet de Paris ; ce décret, dis-je, permet-il encore de douter que le prévôt de Marseille n’ait attenté tout à la fois et à l’autorité de la nation et aux droits du juge des Baux ? Ce magistrat, vraiment digne de ce nom, par son patriotisme et sa modération, reçoit la signification de son décret d’ajournement personnel dans l’exercice même de ses fonctions : sedente pro tribunali, dans une église, il aurait pu sans doute, lui-même et lui seul, venger et punir sur l’heure le violateur du temple doublement sacré, où il a osé affronter tout à la fois le peuple et son juge, et son consul et son Dieu même : il en sort triomphant et il triomphe encore, puisque M. Rouchon, juge des Baux, n’a pas même osé prendre sur lui de signer les délibérations du conseil qu’il présidait, ni même en légaliser l’expédition. Et M. Je prévôt poursuit et veut punir le peuple d.es Baux comme un peuple rebelle ! En vérité, sa procédure destinée dans ses vues étranges à punir des séditieux, ne montre dans tous ses actes, comme dans son caractère, que le dessein d’en faire naître, en provoquant elle-même les séditions. Car à quoi tenait le massacre de cet audacieux cavalier au milieu d’une pareille assemblée? Ces 400 pères de famille, tous possédant, biens encadastrés, se bornent à faire leur devoir et préfèrent d’être poursuivis par M. le prévôt comme des brigands ! Une garde nationale qui met bas sa double cocarde devant la milice de Tarascon, environnée de dragons, on la traite et on la poursuit prévôtalement cornme un ramaq de brigands I Cette garde nationale de Mauviès étoit aux ordres de M. de Servane, qui, par un seul mot, ou un seul billet, l’aurait mise en fureur; il se tait, il souffre la capture de son fils et la sienne, le pillage de son château, la fausse-couche de sa femme, les effrois mortels de sa demoiselle qu’on aurait dû respecter, et qu’on touche par des baïonnettes ; il n’use enfin d’aucune défense, ce qui est pour tout un peuple de 6000 âmes une loi, par l’exemple ; et M. le prévôt de Marseille traite cet ancien magistrat au parlement d’Aix, animé du plus beau, du plus pur patriotisme, de mauvais citoyen, de fauteur de troubles, de boutefeux, etc. etc. Ah ! Messieurs, je regarde comme inutile d’ajouter à ces récits, et je crois devoir ménager votre sensibilité, pour ne pas troubler votre justice, mais je ne puis ne pas joindre à ce tableau un tableau que la nature et l’innocence concourent à rendre attendrissant pour des juges qui sont pères. C’est l’adresse envoyée par M. de Servane fils, du fond de sa prison à MM. les prévôts et au procureur du roi en sa prévôté. « A Messieurs les grand prévôt et procureur du roi delà prévôté de la maréchaussée de Provence. « Messieurs, qu’il me soit permis de mettre sous vos yeux que je suis sous la puissance paternelle, que je ne possède aucuns biens, ni charges dans la communauté des Baux, que par conséquent toutes les affaires me sont étrangères. « J’ai été admis dans la garde nationale, lors de sa formation, , par MM. les consuls; je n’ai voulu accepter aucun grade que celui de simple soldat ; j’ai toujours été commandé par mes offi-759 ciers. Quant aux dépositions que je viens d’entendre par la lecture du procès-verbal de la procédure faite contre moi, je les nie toutes, les déclarant fausses et calomnieuses, me réservant d’en tirer une juste vengeance et de prendre à partie mes dénonciateurs. Je m’en rapporte, Messieurs, entièrement à la déclaration que M. Bassac, consul en chef, vous fit signifier il y a eu mardi huit jours, elle seule doit faire tomber toutes prétendues émeutes et séditions qu’on prétend avoir eu lieu dans la ville des Baux et son terroir ; elles n’ont jamais existé que dans la bouche de mes dénonciateurs. Je vous déclare, Messieurs, que je ne connais d’autre tribunal que celui de l’auguste Assemblée nationale; que je proteste contre tout ce qui pourra se faire dans tout autre que celui des représentants de la nation, comme étant nanti depuis longtemps de toutes les pièces justificatives qui ont rapport aux affaires de la ville des Baux et son terroir, et a signé Le Blanc de Servane. « Le soussigné requiert Messieurs le grand prévôt et le procureur du roi de la prévôté de faire transcrire son dire et protestation dans le procès-verbal de la procédure qui sera paraphé par eux et les deux adjoints. » Voici la déclaration du conseil des Baux signifié au Prévôt avant l’époque de ses décrets ou de leur exécution, et à laquelle se réfère l’adresse de M. de Servane fils. « Nous, Jean Bassac, consul de la ville des Baux disons que le vingt-deux décembre dernier, devant y avoir un conseil ordinaire aux Baux, où est l’Hôtel-de-Ville, M. Le Blanc de Servane vint m’inviter d'y monter, sous l’offre de m’escorter avec sa compagnie de garde nationale, à laquelle se joignirent d’autres compagnies des districts de Maussanne et du Panadau, et qu’ayant accepté son offre, je me rendis aux Baux où n’ayant pas trouvé M. Aymé mon collègue, ni aucun autre conseiller, je me bornai à convoquer le conseil général de tous chefs de famille de ce terroir, qui depuis quatre mois était le noeud de la majeure partie des habitants, conformément aux ordres de M. d’André, commissaire du roi, par sa lettre à nous écrite en date du 3 novembre dernier. Cette opération finie, je me remis en marche pour retourner chez moi à Mauviès où je fus encore es-? corté par la même garde nationalerqui en sortant de la ville, lui fit un signe d’honneur, une salve de coups de fusil, et qui me rendit des honneurs qui n’eussent pas même été dus à maplace. Le 26 du mois de décembre, que j’avais fixé pour la tenue du conseil général étant arrivé, je me rendis sous l’escorte de toute la garde nationale du terroir, et en cérémonie, dans l’église Sainte-Croix de Maussane, lieu destiné par la lettre circulaire, pour la tenue dudit conseil général, qui eut lieu sous ma présidence et sous l’autorisation de M. le juge et viguier au siège de cette ville ; mais comme il m’est revenu que des personnes mal intentionnées, avaient qualifié de sédition, ce qui se passa tant dans la tenue dudit conseil gé� néral, qui a paisiblement été tenu durant quatre séances, que le jour que je montai aux Baux pour en faire la convocation, et même que l’on informe devant la juridiction prévôtale de cette province contre les prétendus auteurs, fauteurs et complices de ladite sédition, qui n’a jamais existé* nous croyons qu’il est du devoir de notre place et de notre conscience de détruire par la présente déclaration, les calomnies qui se sont répandues mal à propos et sans doute par des personnes mal intentionnées au sujet de ces événements et des 760 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] postérieurs, qui tous se sont passés à notre satisfaction. Et, en conséquence, nous donnons pouvoir à tout officier public de mettre ce que dessus en nature et en notre nom à tous qu’il appartiendra et de leur déclarer que le procès-verbal du conseil général, ensuite de la délibération d’i-celui, a été mis sous les yeux de l’Assemblée nationale, qui au moyen de ce, se trouve nantie de de la décision de tout ce qui a trait au susdit conseil général. En foi de ce, et pour la vérité être telle, nous nous sommes soussignés à Mau-viès-Ies-Baux, le 16 janvier 1790. Signé: Bassac, consul. « L’an 1790 et 19 janvier, nous, huissier royal au siège et sénéchaussée de cette ville de Marseille, y demeurant, soussigné, à la requête de sieur Jean Bassac, consul de la ville des Baux, qui fait élection de domicile en cette ville de Marseille, pour le temps de l’ordonnance seulement au bureau de nous, huissier dans le Palais-Royal, avons intimé et signifié le verbal ci-dessus et tout soutenu à M. de Bournissac, chevalier de l’Ordre royal et militaire de Saint-Louis, grand prévôt de la maréchaussée de Provence, actuellement en cette ville, en la personne de son greffier et à M. Laget, avocat en la cour et procureur dudit M. de Bournissac, grand Prévôt, aux fins qu’ils n’en ignorent avec due communication, nous leur avons donné à chacun copie dudit verbal et du présent exploit en parlant pour ledit M. de Bournissac, à la personne du sieur Dubout, son greffier, et à la personne dudit M« Laget, en leurs domiciles en cette ville après-midi. Signé Gravier. Contrôlé à Marseille, le 20 janvier 1790. Signé: Tuchet. » Deux jours après, M. de Servane père fit signifier auxdits sieurs grand-prévôt et procureur du roi, un pareil acte en explication et déclaration des circonstances dans lesquelles la garde nationale des Baux fut employée à la mise de scellés aux papiers du sieur Manson, agent du seigneur, pour prévenir, s’il était encore possible, toute méprise à cet égard; mais n’est pire sourd que qui ne veut pas entendre. Get acte fut signifié à ces officiers le 21 janvier, dans la nuit du 23 au 24. M. de Servane et son fils furent enlevés de la manière dont on est trop. instruit; on sait aussi par la première partie de ce rapport par quel titre et en quelle forme légitime la garde nationale investit la maison du sieur Manson, agent du seigneur ; ce ne fut point pour attenter à sa personne ni à ses propriétés que le conseil général iui-même avait dit être sous la sauvegarde de la loi, ce fut pour s’assurer des papiers nécessaires aux vues sages et utiles, même pour le Trésor public, que ce conseil a eues dans ses élibérations Des lettres particulières nous ont appris que M. le prévôt de Marseille nomme ledit sieur Manson, agent du seigneur, pour un desdits dénonciateurs et moteurs de la procédure. Elles portent aussi que M. de Servane père a profité des facilités qu’on lui a données, avec ou sans dessein, pour son évasion dans sa traduction des Baux à Marseille ; et certainement ce bon patriote n’a pas plus abusé de sa liberté que de celle qu’il jouissait avant sa capture, pour exciter ses amis ni la garde nationale contre ses persécuteurs. Il attend toute justice et toute suffisante réparation de l’Assemblée nationale, investie de sa cause en qui il a dù mettre une entière confiance. M. son fils est, dit-on, traité dans le fort Saint-Jean avec distinction de ses concitoyens emprisonnés comme lui dans le même lieu. Certainement on ne saurait trop adoucir, trop honorer même la détention de ce jeune défenseur de la liberté française; mais je le voudrais par un motif qui fît plus d’honneur au zèle de son juge pour la nouvelle constitution et particulièrement pour ceux de ses décrets, qui ordonnent de laisser désormais à la porte du palais toutes les distinctions entre ceux qui y sont mis ou attirés pour y demander ou recevoir par les mêmes droits, par les mêmes lois, la même justice. Au surplus, voici comment s’expriment aussi les mêmes lettres sur la forme publique de la justice prévôtale : « La justice de ce prévôt n’a que le nom de public; il tient les audiences dans une très petite chambre du fort Saint-Jean; entouré lui-même de sentinelles, la chambre est pleine de fusiliers et de cavaliers, de sorte que très peu de spectateurs s’y rendent, à cause des diverses sentinelles qui se trouvent à chaque pas dans le fort. Les prisonniers sont traités avec une inhumanité révoltante; ils sont confondus avec une foule de pouilleux et de mauvais sujets, à l’exception de M. de Servane, qui est seul dans son appartement. » Il serait digne de M. de Servane fils et de la noble cause de son emprisonnement d’en partager les incommodités avec des concitoyens; des incommodités pareilles à celles dont il vient d'être parlé peuvent aujourd’hui, après les nouveaux décrets de cette Assemblée, concourir avec la sûreté des prisonniers présumés innocents jusqu’à leur condamnation ; il aurait été aussi, pour la même raison, plus digne pour M. de Servane père, de ne pas opposer, en s’évadant tout seul, la résistance à l’oppression; il est souverainement digne de l’Assemblée nationale de faire triompher au plus tôt les uns et les autres de leurs oppresseurs, parmi lesquels je me vois obligé de comprendre la garde nationale de Tarascon. Les intérêts suprêmes de la nation imposent à tous ses représentants le devoir rigoureux de s’élever, même contre leurs commettants, s’ils ont le malheur de les combattre ou de les blesser; et je ne puis me dissimuler que la garde nationale de Tarascon n’ait participé aux torts du prévôt de Marseille, en se prêtant à l’exécution de ses décrets, et de quelle manière ! envers des citoyens qui avaient bien mérité de leur patrie et qui leur étaient étrangers 1 Ce qui est remarquable, car rien ne démontre comme cette histoire que les ennemis de la Révolution trouvent en Provence plus de faveur que nulle part dans les machinations qu’ils forment contre elle; ils sont parvenus à prévenir contre le peuple des Baux, contre ce peuple sage dans tout ce qu’il a dit, dans tout ce qu’il a fait pendant quatre mois, d’une patience admirable, le peuple même des villes voisines, où l’on ne soupire en général qu’après le succès de nos efforts; c’est un témoignage que je dois en particulier aux deux villes de Tarascon et de Saint-Remy, voisines des Baux; elles ont été les premières à envoyer, dès le commencement du mois de juillet, leur adhésion à nos heureux décrets des 17, 20 et 23 juin; et cependant voilà que la milice bourgeoise, non de Saint-Remy, mais de Tarascon, se prête elle-même à la vexation envers les citoyens des Baux, et de que) ordre et par quel pouvoir? J’ai établi que la garde nationale n’étant sous aucun commandement militaire ni judiciaire, celle de Tarascon n’avait eu aucun ordre à recevoir ou à exécuter sur le terroir des Baux, ni de la part de M. de Garaman, ni de la part de M. de Bournissac; elle n’est qu’aux ordres de sa propre mu-| nicipalité, et celle-ci n’a pas pu certainement [Ier mars 1790.] 761 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’envoyer au delà de son territoire, et bien moins pour faire les fonctions de recors et de satellites envers d’honorables et excellents citoyens. Ceux-ci ne manqueront pas certainement d’en avoir satisfaction sans coup férir et avec leur sagesse ordinaire, par qui de droit. C’est leur affaire ; mais c’est la mienne de demander à l’Assemblée un décret qui prévienne ün pareil abus de pouvoir armé pour la nation et jamais contre elle ; voilà le projet de ce décret, et par lequel je terminerai cette longue, mais nécessaire instruction : c L’Assemblée nationale, considérant que la garde nationale n’a été établie et ne doit être conservée que pour la défense des citoyens de la nation, d’après ses principes et ses décrets, en attendant qu’elle ait fixé par une loi générale et uniforme le régime de cette force nouvelle dans l’Etat, elle a décrété et décrète que dans toutes les municipalités du royaume, la garde nationale ne recevra des ordres que des officiers municipaux des lieux, à qui il est défendu de l’employer ailleurs que dans leur propre territoire.» ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU. Séance du lundi 1er mars 1790 (1). M. Guillotin, V un des anciens secrétaires, fait lecture du procès-verbal de la séance du samedi soir 27 février. M. Guillaume, l'un des secrétaires, lit le procès-verbal de la séance d’hier dimanche, 28 février. Le premier de ces procès-verbaux est adopté sans réclamation. Au sujet du procès-verbal d’hier, des doutes se produisent pour savoir si, dans l’article 8 du décret militaire, on doit lire le 14 juillet ou si c’est au 15 juillet que l’Assemblée a entendu fixer le serment annuel des troupes. M. le Président met la question aux voix. Le procès-verbal est adopté avec la date du 14 juillet. M. Delahaye-Delaunaye, député d'Orléans, qui ne s’était pas trouvé à la séance du 4 février, est admis à prêter le serment civique. M. le Président. L’ordre du jour appelle la discussion de l'affaire des colonies. M. l’abbé Grégoire, président du comité des rapports. Vous avez ajourné à cette séance le rapport de l’affaire de Saint-Domingue et de la Martinique. On nous a remis hier soir, très tard, les pièces que M. de la Luzerne avait annoncées et envoyées. Malgré notre zèle et notre activité, nous n’avons pu en achever le dépouillement, et nous demandons l’ajournement à demain. M. le chevalier de Cocherel demande qu’on fasse sur-le-champ la lecture de ces pièces. Cette demande est rejetée. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. le Président. La pétition des négociants de Bordeaux , relative à la traite des noirs, se trouve à l’ordre du jour de la séance d’aujourd’hui. M. le baron d’EIbhecq, député de Lille(l). Mesi sieurs, les députés de toutes les villes maritimes du royaume et ceux de Bordeaux en particulier, vous demandent ; 1° Le rétablissement du régime prohibitif dans nos colonies, sans restriction ni modification. Ils vous demandent en second lieu, qu’il ne soit rien changé dans les habitudes du commerce et des colonies relativement à la traite des noirs et à leur état dans nos îles. Le premier objet a été profondément discuté en 1765, sous le ministère de M. le duc de Clioiseul ; et après avoir épuisé le pour et le contre, il y eut arrêt en juillet 1767, sous le ministère de M. le duc de Praslin, et il fut prononcé que l’étranger serait admis pour la fourniture de diverses denrées, sous la condition cependant que cette fourniture serait faite pour Saint-Domingue, dans le seul port du môle Saint-Nicolas, et pour les îles du Vent, dans celui du Carénage, à Sainte-Lucie. La même question a reparu sous le ministère de M. de Sartine. On ne fit que répéter ce qui avait été dit dans la discussion de 1767; et le 30 juillet 1784, sous le ministère de M. le maréchal de Castries, le prononcé fut le même, avec cette seule différence que le nombre des articles permis ci-devant fut alors augmenté, avec la commodité pour les colons, d’un port désigné dans chaque île, pour les colonies du Vent, et de plusieurs ports dans l’île de Saint-Domingue. La décision de 1767 n’avait contenté ni les colons ni les planteurs ; et celle de 1784 n’eut pas meilleurs succès. Les négociants invoquaient les fameuses lettres-patentes de 1727 ; les planteurs réclamaient la loi plus impérieuse de la nécessité, démontrée par l’impossibilité évidente où était le commerce de la France, de leur fournir à prix raisonnable les denrées dont il s’agissait. Les négociants objectaient le danger de la contrebande, et les planteurs se plaignaient de la très dispendieuse obligation d’aller chercher plus loin ce qu’il eût été si naturel et si juste de leur accorder, dans tous les ports où le roi entretenait des bureaux montés pour la police du commerce dans nos îles ; et c’est ainsi que s’est perpétué le procès qui reparaît aujourd’hui dans cette assemblée. Je ne me permettrai pas d’examiner si les juges qui vous ont précédés, Messieurs, ont manqué de lumière ou de courage nécessaire contre les cris de l’intérêt particulier ; mais dans l’un et dans l’autre cas, j’aperçois d’autant mieux le prix de la circonstance qui soumet la question dont il s’agit au tribunal le plus éclairé et le plus important qui puisse exister dans le royaume ; et puisque ce procès est déjà tout instruit, par l’abondance des raisons employées de part et d’autre depuis 25 ans, je crois devoir vous proposer le renvoi de cette grande affaire à un comité, dans lequel deux ou trois planteurs et autant de négociants ayant été entendus pour la dernière fois, et le rapport du comité fait à l’assemblée, elle pourra prononcer définitivement sur une question que, sans ces grands moyens, il faudrait tenir pour insoluble et interminable. Quant à la seconde question relative à la traite des noirs et à leur état dans nos îles, les colons (1) Le discours de M. le baron d’Elbhecq n’a pas été inséré au Moniteur.