[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1789.] 41 nation ; vous les avez renvoyés au tribunal que vous avez commis pour rendre ces jugements. Jusque-là vous avez rempli strictement les fonctions qui vous appartiennent. Vous êtes (passez-moi l’expression, je n’en connais point d’autre pour rendre cette idée), vous êtes les procureurs généraux de la nation. Obligés de poursuivre en son nom ceux qui se rendent coupables envers elle, votre devoir est de nommer un tribunal pour examiner leur délit, et de les y poursuivre. On vous demande aujourd’hui de leur faire grâce; vous ne le pouvez point. Ministres rigoureux de la loi, vous devez la faire exécuter dans sa sévérité, et la natio i entière réclamerait contre une clémence nuisible à ses intéièts. D’ailleurs, il faut le dire, personne n’a le droit d’user d’indulgence pour les criminels de lèse-nation . Le pouvoir exécutif n'en a pas la faculté ; et vous-mêmes, Messieurs, ne l’avez pas davantage. La nation entière, si elle pouvait s’assembler, aurait seule le droit suprême de pardonner les injures qui lui sont faites. Ce raisonnement me paraît tellement évident, qu’il me semble impossible de l’éluder. Un honorable membre nous a dit qu’au mois de juillet dernier l’Assemblée avait demandé grâce au Roi pour quelques coupables; que celle grâce avait été accordée; que dans ce moment il était juste que l’Assemblée accordât celle que demandait le Roi. Ce raisonnement me paraît plus spécieux que solide. Pour s’en convaincre, il faut se rappeler les faits. L’Assemblée nationale demanda, au mois de juillet dernier, au Roi la grâce de quelques citoyens qui avaient forcé les prisons de l’abbaye Saint-Germain. Je n’examine point si cette démarche de l’Assemblée, dictée par son humanité, était conforme aux principes austères qui doivent guider sa conduite; mais enfin, le crime de cette insurrection populaire ne fut point considéré comme un crime de lèse-nation ; et, soit que vous attribuiez ou non, à l’avenir, au pouvoir exécutif le droit de faire grâce sur les délits ordinaires, certainement le Roi en avait alors le pouvoir. Dans ce moment il s’agit d’un forfait national; et, dans mon opinion, il me semble que ni Sa Majesté, ni l’Assemblée nationale, ne peuvent user d’indulgence. L’évidence de ces faits, étayée de raisons qui me paraissent invincibles, me déterminent à répéter que l’argument par lequel on a cherché à émouvoir votre sensibilité, me semble plus spécieux que solide. Il me reste encore à entretenir l’Assemblée d’une considération bien importante. Le peuple a toujours dit, pendant que l’aristocratie pesait sur sa tête, que les petits coupables étaient seuls punis, et que les grands échappaient à la rigueur des lois. 11 a bé«ni la sagesse de vos décrets, qui rétablissaient parmi les hommes cette heureuse égalité de droits que Je despotisme des monarques, l’ascendant de leurs ministres, la puissance des corps privilégiés, l’abus de pouvoir des corps de magistrats, avaient anéantie. Rendez donc au peuple cette justice impartiale, que vous lui devez : qu’aucun rang, qu’aucune place ne dérobent un coupable à la sévérité des lois, et affermissez, par un grand exemple, la plus sage, la plus consolante de vos résolutions, celle qui décrète la précieuse égalité des droits de tous les hommes. Enfin, Messieurs, il faut le dire, prenons garde que les ennemis du bien public n’essayent en ce moment, en voulant ravir à la classe la plus nombreuse des citoyens, la consolation de voir que la justice est rendue à tous sans distinction, n’essayent dis-je, de l’indisposer contre vos résolutions. Rien n’est aussi important que cette réflexion, et je prie l’Assemblée nationale d’y apporter l’attention la plus sérieuse. On nous parle toujours, Messieurs, de complots contre la félicité publique. Aucune preuve ne nous est encore offerte; mais il est difficile de nier la vraisemblance de pareils attentats. Peut-être l’affaire que vous avez renvoyée avant-hier au tribunal chargé des crimes de lèse-nation, portera quelque lumière dans ce labyrinthe inextricable de complots, de forfaits et d’atrocités? Je l’ignore; mais cette supposition peut se présenter à l’esprit de tout homme raisonnable, et vous ne devez pas, ce me semble, laisser échapper un des fils qui peuvent guider votre comité des recherches, dans les poursuites que vous lui avez ordonné de faire. Je ne répondrai point, Messieurs, à l’objection qui vous a été soumise, que l’arrêté de la Chambre des vacations de Rouen n’avait aucune publicité. Il est vrai qu’il n’a point été envoyé dans les bailliages du ressort de ce parlement, mais il a été lu deux fois dans l’Assemblée nationale ; la France entière en a connaissance, elle n’ignore pas combien ses expression sont coupables, sout incendiaires : elle sait qu’il a été marqué du sceau de votre réprobation ; ainsi l’on ne peut avancer que cet arrêté n’a aucune publicité. N’usons pas d’un subterfugeaussi vain. Employons toujours les lumières de la raison, et non les fausses lueurs des sophismes, Je me résume donc, Messieurs : il me semble (et c’est avec regret, mais la sévérité des principes m’en fait une loi), il me semble que vous ne pouvez point user d’indulgence dans cette occasion, sans manquer à ce que vous prescrit l’intérêt de la nation ; que vous ne pouvez point exercer l’acte de clémence qui vous est demandé, sans manquer à vos devoirs; enfin, que vous n’avez ni ne pouvez avoir le droit de faire grâce pour les crimes de lèse-nation. En conséquence, je suis d’avis que M. le président se retire par-devers le Roi, pour assurer Sa Majesté du regret de l’Assemblée nationale, de ne pouvoir obéir à la voix bienfaisante du monarque, et accorder la grâce qu’il sollicite ; mais que la rigueur des devoirs, la sévérité des principes des représentants de la nation, les empêchent de se livrer à l’indulgence, et les forcent de n’écouter que la justice. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du vendredi 13 novembre 1789 (1). La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal de la veille. M. Bouche. Je demandeque ma motion tendant à faire écouter les députés des provinces sur la division du royaume, soit mentionnée au procès-verbal. Un membre : La motion ne doit pas être insérée au procès-verbal parce qu’elle a été rejetée. M. Boy. Je réclame contre le procès-verbal en (1) Cette séance est fort incomplète au Moniteur.., 42 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1789.] ce qui concerne l’affaire de Rouen. On y dit que la discussion a été ouverte sur la motion principale à laquelle la lettre du Roi a donné naissance. Le fait est qu’il n’y a pas eu de discussion sur la motion, malgré les plus vives réclamations ; mais il y a eu discussion sur l’ajournement. L’Assemblée délibère et décide que le procès-verbal est exactement et convenablement rédigé sur ce point. On fait lecture ainsi qu’il suit de plusieurs adresses relatives aux décrets de l’Assemblée nationale : Adresse de la ville d’Arzacq, où elle adhère avec dévouement à tous les décrets de l’Assemblée nationale et renonce en conséquence à tous ses privilèges particuliers. Adresse de félicitations, remercîments et adhésion du comité général et permanent de la ville de Vire. 11 supplie l'Assemblée nationale de ne pas se séparer qu’elle n’ait fait jouir la nation de ces lois sages et nécessaires que sollicite son honneur, et de croire qu’il adoptera toujours avec zèle tout sacrifice auquel il n’aura été qu’invité. Délibération du comité permanent de la ville de Lectoure, sur les moyens de maintenir l’ordre et la tranquillité publique, en exécution des décrets de l’Assemblée nationale. Adresse du comité permanent de la ville de Goutances, où il adhère de nouveau aux décrets de l’Assemblée nationale, et la supplie de s’occuper sans cesse de l’organisation des assemblées provinciales et des municipalités. Procès-verbal de prestation de serment de la milice nationale de Montpellier, auquel est jointe une lettre des représentants de la commune de la même ville, pm laquelle ils expriment leur respect pour l’Assemblée nationale, et leur empressement à se conformer à ses décrets Délibération de la ville de Sain t-Hippoly te en Languedoc, par laquelle les habitants déclarent qu’ils adhèrent de cœur et d’esprit au décret de l’Assemblée relatif à la contribution patriotique, dans l’espoir que les arrêtés du 4 août auront, le plus tôt possible, leur plein et entier effet. Adresse de félicitations, remercîmenl s et adhésion du comité municipal de la ville d’Argentan en Normandie. Arrêté des officiers du bailliage de Saiut-Paul-Trois-Châteaux en Dauphiné, de rendre la justice gratuitement; ils présentent à l’Assemblée l’hommage de leur respect et de leur dévouement. Délibération de la ville et communauté de Malestroit en Bretagne, par laquelle elle dénonce à l’Assemblée nationale les excès et violences commis envers plusieurs citoyens, et notamment les officiers municipaux, au mépris des décrets de l’Assemblée nationale, et notamment de la loi martiale, pour lesquels la communauté est pénétrée de respect et de vénération ; elle supplie l’Assemblée de faire punir les auteurs de ces délits. Adresse du comité permanent et des habitants de la ville de Confolens, où ils adoptent avec transport la contribution patriotique du quart des revenus, quoique la disette des grains et la chute de leur commerce les aient plongés dans l’inlor-tune. Réclamations du clergé du bailliage de Douay et Orchies, contre la vente des biens ecclésiastiques. Il déclare qu’il a toujours concouru, comme les autres citoyens, au payement de tous les impôts réels; renonce à toutes exemptions, et offre de venir, de tout son pouvoir, au secours des finances et de la chose publique. Deux membres du comité de vérification ayant successivement annoncé que M. Henryot, député du bailliage de Langres, et M Rabin, député du clergé d’Anjou/avaient donné leur démission, et que les pouvoirs de M. Devron, en qualité de suppléant du premier, et ceux de M. Pilastre, nommé premier suppléant des communes d’Anjou, et présenté pour remplacer le second, avaient paru en règle ; ils ont été admis l’un et l’autre. Les soldats de la milice parisienne du district des Jacobins Saint-Honoré se sont présentés pour offrir un don patriotique tant en argent comptant qu’en argenterie et la députation ayant été admise à la barre, M. le président leur a dit que l’Assemblée voyait avec satisfaction cette marque de leur patriotisme. — Une députation des commis des fermes aux entrées de Paris est également admise. Son orateur représente qu’il se prélève annuellement sur les appointements des commis une somme qui est versée dans une caisse destinée à payer les pensions des employés qui ont vingt ans de service. Il se fait aussi, dans beaucoup de circonstances, telles que les cas d’absence et de maladie, des prélèvements qui sont encore destinés à la caisse des pensions. Depuis vingt-huit ans, la compagnie des fermes, qui administre cette caisse, a touché pour ces objets une somme qui s’élève au-dessus de 4,600,000 livres, et elle n’a payé en pensions qu’environ 1 million. Les commis des fermes n’ont jamais pu obtenir qu’il leur fût rendu compte de l’état de cette caisse. Us supplient l’Assemblée de les autoriser à l’exiger, et ils font hommage à la nation du tiers de la somme dont les fermiers généraux se sont reconnus leurs débiteurs. (L’Assemblée accorde la séance à ces deux députations.) M. le Président. Le premier objet qui se trouve à l’ordre du jour est la suite de la motion de M. Treilhard relative aux biens ecclésiastiques. L’article par lequel la discussion doit commencer est ainsi conçu : « Ceux qui seront pourvus à l’avenir de quelque bénéfice, de quelque nature qu’il puisse être, ne pourront jouir des revenus qui y sont actuellement attachés, que jusqu’à concurrence des sommes qui seront incessamment déterminées par l’Assemblée nationale. » M. Germain. Je demande que l’exception s’étende à tous les hôpitaux en général. M. Bigot de dernière. Il n’est pas besoin d’un long discours pour faire apprécier à l’Assemblée nationale les motifs de justice qui doivent faire respecter la jouissance des titulaires vivants qui, étant mis en possession de leurs revenus au nom de la toi, sont des possesseurs respectables. Je demande que la motion soit ajournée, jusqu’à ce que vous ayez statué sur le plan général à suivre pour les biens du clergé. M. Legrand. Je pourrais vous annoncer que dans ma province plusieurs corps ecclésiastiques déprèdent non-seulement leurs mobiliers, mais encore leurs fonds. On sait qu’en Berry les cheptels sont une propriété très-fort en usage. Les ecclésiastiques vendent à présent ces cheptels; mais mon observation principale porte sur les bois. Les bénéficiers possèdent une très-grande