259 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1791.] clés constitutionnels, pour les colonies, ce qui suit : « Art. 1er. L’Assemblée nationale législative statueia exclusivement, avec la sanction du roi, sur le régime extérieur des colonies. En conséquence, elle fera : 1° les lois qui règlent les relations commerciales des colonies, celles qui en assurent le maintien par l’établissement des moyens de surveillance, la poursuite, le jugement et la punition des contraventions, et celles qui garantissent l’exécution des engagements entre le commerce et les habitants des colonies ; 2° les lois qui concernent la défense des colonies, les parties militaire et administrative de la guerre et de la marine. « Art. 2. Les acsemblées coloniales pourront faire, sur les mêmes objets, toutes demandes et représentations; mais elles ne seront comiderées que comme de simples pétitions, et ne pourront êire converties dans les colonies en règlements provisoires, sauf néanmoins les exceptions extraordinaires et momentanées relatives à l’introduction des subsistances, lesquelles pourront avoir lieu à raison d’nn besoin pressant légale - mentconstüté, et d’après un arrêté ctes assemblées coloniales appiouvé par les gouverneurs. « Art. 3. Les lois concernant l’etat des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, seront laites parles assemblées coloniales, s’exécuteront provisoirement avec l’approbation des gouverneurs des colonies, et seront portées directement à la sanction du roi, sans qu’aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. « Art. 4. Quant aux formes à suivre pour la confection des lois du régime intérieur qui ne concernent pas l’état des personnes désignées dans l'article ci-dessus, elles seront déterminées par le pouvoir législatif, ainsi que le surplus de l’organisation des colonies, après avoir reçu le vreu que les assemblées coloniales ont été autorisées à exprimer sur leur constiiuuon. » J’observerai, Messieurs, que, bien que l’Assemblée ait achevé son travail de la Constitution, et qu’elle n’y puisse rien changer, cependant elle peut encore statuer constitutionnellement à l’égard des colonies, parce qu’il a été formellement décrété quelles n’étaient pas comprises dans la Constitution. (La discussion est ouverte sur le projet de décret des comités.) M. de Tracy. Messieurs, c’est avec une répugnance infinie que je reparais dans une discussion qui a pris le caractère de la querelle la plus vio'eme. J’aime à chercher la vérité dans le calme de la méditation, mais je hais d’être contraint de la poursuivre à travers les orages des passions et des haines. Cependant, regardant comme un devoir d’exposer mon opinion sur une question qui a été plus disputée, que discutée jusqu’à présent, je vais dire sans fard et sans fiel ce que je crois la vérité et je la dirai tout entière. J’entre en matière. La question qui occupe l’Assemblée a certainement en elle-même de grandes difficultés qui sont encore bien augmentées et bien aggravées par les circonstances antérieures. Vous venez d’entendre la quantité de maux qu’on vous prédit, et qui, certes, seraient infini lient effrayants, s’il était vrai que ce projet de décret en fût le remède; je le crois infiniment incapable de remédier à rien. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Dans l’état actuel des choses, je vois de grandes menaces que l’on nous fait, je vois un remède qu’on nous propose : examinons d’abord les menaces, nous viendrons ensuite au remède. (. Applaudissements à l'extrême gauche.) Cet examen nécessite à reprendre quelques faits antérieurs; car il s’agit, ici, non pas seulement d’un décret partiel, comme le dit M. le rapporteur; en cela je suis de son avis. Notre malheur est d’en avoir trop fait de partiels. Il s’agit d’adopter un système de relation entre les colonies et la métropole. Il s’agit donc de repasser rapidement ce que nous avons fait jusqu’à cet instant. Je maintiens que le décret du 15 mai 1791 n’est que la traduction littérale de c* lui du 28 mars 1790, purgée d’équivoques ( Exclamations au centre); et je supplie qu’on les lise, cela me suffit. Ainsi tout le mal que mes adversaires disent du décret du 15 mai doit s’appliquer à celui du 28 mars, dont ils sont les auteurs; à moins qu’ils ne soutiennent que son mérite ne consiste que dans son ambiguïié. Mais je reviendrai sur ce point, et je me flatte de le porter à l’évidence. Dans ce moment, mon projet n’est pas de discuter partiellement tel ou tel décret; cela ne nous conduirait à aucun résultat, et pourrait nous faire prendre de fausses mesures. 11 est un examen préalable, indispensablement nécessaire pour ne pas tomber dans des contradictions perpétuelles; c’est de voir si l’Assemblée nationale a eu, jusqu’à présent, un plan de conduile suivi et combiné vis-à-vis de ses colonies, et notamment de Saint-Domingue, et quel système elle doit enfin embrasser. Je dis que l’Assemblée n’a pas eu de plan, et n’a pas pu en avoir, et que le comûéen aun très suivi, et très opposé aux principes de la justice, de la saine politique et de la Constitution; et de là sont venus tous nos maux. J’écarie toute personnalité; mais, comme c’est le système du comité en masse que j’atiaque, qu’il me soit permis de dire un mot sur le devoir des comités en général. (. Exclamations au centre et interruptions.) Ce que j’ai à dire, Messieurs, est moins long que vos interruptions. Je pense qu’un comité est l’œil et le bras de l’Assemblée qui l’a nommé; il doit recueillir les connaissances positives, éclaircir et discuter les faits, poser les principes et proposer un plan. Ce plan agréé, il doit proposer toutes les mesures de détail propres à le faire réussir. S’il est rejeté, le comité doit se pénétrer des idées qui ont eu la préférence, et les servir loyalement; ou, ce qui est beaucoup plus sûr, donner sa démission, comme on fait nos deux premiers comités de Constitution, quand leurs systèmes ont été renversés. Dans tous les cas, les intéressés à une affaire doivent être appelés au comité qui la traite, mais doivent rarement en être membres, encore moins y dominer absolument. D’après ces principes, que je ne crois pas qu’on me conteste, jetons un coup d’œil rapide sur ha malheureuse histoire de nos colonies. (Interruptions.) Je vous supplie, Messieurs, de me prêter quet-quesinstants d attention; au moins me permettrez-vous d’exposer succinctement la marche de nos délibérations sur les colonies. Dans un moment éternellement honorable pour les membres de cette Assemblée qui ont eu le 260 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 septembre 1791.) bonheur d’y avoir part, à la porte du célèbre Jeu de paume, berceau de la liberté française,... ( Interruptions au centre.) Un membre : Passez au déluge ! M. de Tracy... se présente une foule innombrable de députés des colonies dont plusieurs inconnus même au pays qu’ils disent représenter. On voit en enx des amis, on les admet; ce n’était pas là le moment de discuter. Quelquetemps après, on vérifie leurs pouvoirs; la reconnaissance ne permet pas d’examiner s’ils sont bien en règle; si ces hommes veulent et peuvent être soumis à noire Constitution; si par conséquent ils doivent y participer. On les croit patriotes, tout est dit. On se borne à en diminuer le nombre, et cependant on laisse toutes les questions entières, et elles le sont encore dans l'acte constitutionnel. Voilà parmi nous une nombreuse députation de colons blancs de Saint-Domingue. Je ne conteste pas leur mission; ce n’est pas de mon sujet : mais il est permis de dire qu’elle n’est pas régulière. Vient la déclaration des droits. Ici, la scène commence à changer, et ces députés commencent à ne plus regarder comme un miracle de sagesse cette Assemblée dans laquelle ils avaient un si grand désir d entrer ; ils manifestent même les plus grandes craintes qu’elle ne veuille tout d’un coup, par une conséquence de ses principes, affranchir tous les noirs. C’est sur ce point seul que se portent leurs justes alarmes. Cependant ils ne se retirent pas. Il est à remarquer que, dans ce temps, MM. les colons de Saint-Domingue avaient une querelle avec le commerce de France, relativement à l’approvisionnement des colonies, qu’ils voulaient tirer de l’étranger; querelle très vive, à en juger par les écrits de part et d’autre; et dont l’Assemblée n’a plus entendu parler. Il serait bon desavoir comment elle s’est terminée, pour juger si elle n’est pas prête à renaître. Quoi qu’il en soit, à cette époque, on n’espérait pas nous en imposer par des menaces, et on patienta. Au mois de décembre 1789, les conditions exigées pour les citoyens actifs et éligibles sont décrétées. Rien ne disait encore que ce n’était pas pour toutes les parties de l’Empire français. Nos collègues créoles opinent avec nous, et ne font assurément nulle mention de la distinction de la couleur de la peau. Dans l’intervalle se forme un comité des colonies, et il est rempli de députés des colons blancs. Il est plusieurs mois sans rien faire ostensiblement ; enfin, le 8 mars 1790, paraît un projetée décret qui ne décide rien clairement, si ce n’est que l’Assemblée n’a jamais entendu soumettre les colonies à la Constitution française. Je crois cette disposition fort sage; mais, cela étant, pourquoi leurs députés votaient-ils avec nous pour la faire? Le premier article autorise chaque colonie à faire connaître son vœu sur la Constitution, la législation et l’administration, à la charge de se conformer aux princiues généraux qui lient les colonies à la métropole; et ces principes ne sont pas posés. Le troisième renvoie à une instruction pour la ormation des assemblées coloniales et les bases générales auxquelles elles doivent se conformer dans leurs plans de constitution. Le cinquième dit que nos décrets sur les assemblées municipales et administratives leur seront envoyés, pour s’y conformer dans ce qui pourra s’adapter aux convenances locales, sauf la décision définitive de l’Assemblée nationale et du roi sur les modifications. L’article sixième s’exprime de même sur les relations commerciales, et finit par une garantie vague des propriétés des colons. Enfin, toutes ces dispositions sont autant de pierres d’attente, auxquelles chacun peutappuv-r son édifice. Cependant on y maintient partout la suprématie de la métropole, au moins dans les mots : on n’espérait pas encore faire dévier l'Assemblée de ses principes et on ne croyait pas pouvoir la braver. On voulait qu’elle ne décidât r en. Toutefois, tant de précautions étaient superflues; car ce décret, qui aurait mérité un long examen, et à propos duquel on aurait dû prendre des partis décidés, sur les rapports des diverses colonies avec la métropole, sur le sort des gens de couleur, sur la traite, sur l’esclavage mêmp, puisqu’il est encore nécessaire; ce décret, dis-je, a passé sans nulle discussion. On dit qu'on craignait de vaines réclamations ; mais est-il un danger comparable à celui d’étrangler une pareille délibération? Cependant on savait si bien qu’il était très arrête, dans les esprits des membres de cette Assemblée, de ne pas abandonner les droits des gens de couleur à la décision des blancs, que, dans l’instruction annoncée le 8, et décrétée le 28, on dit bien formellement, pages 4 et 20, que tout homme remplissant telle ou telle condition est citoyen actif, et se rendra à l’assemblée de paroisse, et assurément on ne parle pas de distinction de peau, et à cette époque on n’y eût pas été admis; et s’il se pouvait que ce fût là la cause des malheurs de Saint-Domingue, ce serait bien certainement de cette époque qu’il faudrait les dater, et non pas d’un décret bien postérieur, assez inutile en soi, puisqu’il ne dit que la même chose, et même un peu moins, et quVncore il est précédé d’un autre fait po r ras-urer formellement sur le sort des esclaves, qui est véritablement le grand intérêt, et le seul qu’on eût mis en avant dans l’origine. Mais, me dira-t-on, s’il est ainsi, pourquoi le décret du 28 mars a-t-il été bien reçu par les blancs de Saint-Domingue, et celui du 15 mai y fait-il tant de sensation? Je réponds que c’est à ceux qui écrivent dans ce pays, à ceux qui peuvent y avoir eu plus ou moins de crédit à diverses époques, à ceux enfin qui se sont retirés lors du dernier décret, et qui sont demeurés lors du premier, à m’expliquer ces faits. Je ne les inculperai pas. Mais, je leur dirai franchement : Vous saviez parfaitement, lors du décret du 28 mars, que l’Assemblée nationale, en disant « tout homme » entendait comprendre les gens de couleur libres. Si vous avez mandé à Saint-Domingue, qu’en ne les nommant pas elle entendait les exclure, vous êtes des politiques imprudents, de fonder la paix des Empires sur un malentendu et vous deviez vous-mêmes requérir de l’Assemblée une explication plus formelle. Si, malgré la connaissance des principes de l’Ass mblée, vous avez toujours nourri dans votre âme l’espérance de vous asservir les gens de couleur, pour être plus puissants et seuls puissants à Saint-Domingue, et que, dans ce système, vous ayez mieux aimé être condamnés tacitement qu’expressément, dans l’espérance de trouver quelque moment plus favorable pour arracher à l’Assemblée nationale un décret contra- [â3 septembre 1791.] 261 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dictoire; si vous avez entretenu cette idée dans l’e prit de vos compatriotes, je ne suis plus surpris de votre calme le 28 mars, et de votre colère ie 15 mai, et que la colonie ait suivi votre impulsion ; mais, dans ce cas, je trouve que vous a ez tort; car la persévérance, même juste, doit avoir des bornes ; et celle-ci, qui au fond est injuste, peut attirer de grands maux sur votre patrie, qui vous criera un jour que vos conseils l’ont perdue. Ge qui rn’induirait à croire que vous aviez ce projei, c’est la prédilection avec laquelle vous argumentez du préambule du décret du 12 octobre 1790. Que dit-il? Voici ces mots : « Considérant que l’Assemblée nationale a annoncé la ferme volonté d’éiablir comme article constitutionnel, dans leur organisation, qu’aucun; s lois sur l’état des personnes ne seront décrétées pour les colonies, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales; « Qu’il est pressant de réaliser ces conditions pour la colonie de Saint-Domingue, par l’exécution des décrets des 8 et 28 mars dernier. » Mais, Messieurs, j’en appelle à vou -mêmes, vous savez que ce décret du 12 octobre n’avait d’autre motif que de casser l’assemblée rebelle de Saint-Marc, et que ce n’est point ainsi par occasion qu’on pose un principe constitutionnel. Vous savez qu’un considérant n’est pas même une loi ; vous savez enfin que ce mot, l’état des personnes, ne se rapporte qu’aux esclaves que nous ne voulions pas même nommer alors (vous nous avez fait faire bien du chemin depuis !) ; et une preuve qu’il ne se rapportait qu’aux esclaves, c’est que la même phrase dit qu’il faut exécuter les décrets des 8 et 28 mars, qui, comme nous l’avons vu, décident le sort des hommes libres de couleur. Ce n’est donc pas à leur égard que l’on dit que l’on veut attendre une demande formelle. Mais allons plus loin : que faisait donc cette assemblée de Saint-Marc, que nous avons traitée si sévèrement par ce décret du 12 octobre que vous invoquez ? Elle ne faisait ptécisément que ce que vous faites aujourd’hui. Elle avait très bien entendu le travail du 28 mars; elle ne voulait pas y obéir. Celui du 15 mai dit la même chose, vous n’en voulez pas. Comment venez-vous donc nous vanter une fidélité prolongée seulement de quelques mois et due à vos divisions. Les uns et les autres, vous voulez être les maîtres des colons de couleur. Les uns se sont montrés plus tôt, les autres plus tard; voilà toute la différence. Dans les événements subséquents, je trouve de nouvelles preuves que les députés des colons blancs n’ont d’autre projet que de faire revenir l’Assemblée sur son décret du 28 mars ; celui du 12 octobre ne suffisant pas à leurs desseins, on annonce une nouvelle instruction (les instructions sont aussi utiles pour embrouiller que pour éclaircir); puis on reste 4 mois en silence. Le 1er février, on fait décréter un envoi de commissaires à Saint-Domingue, et dans le décret on dit qu’il faut attendre l’arrivée d’une instruction. Puis un long silence ; enfin, au mois de mai, on se présente. On a fait [tour les colonies tout un plan de Constitution, ce qui est bien formellement contraire à tous les décrets qui leur laisse l’initiative. L’Assemblée le sent ; pour la première fois on obtient de discuter. La délibération, éclairée par les débats, prend un autre tour, et se termine par rassurer positivement les coions de toutes co * leurs sur leurs esclaves, et par confirmer, éclaircir, et même restreindre ce qui a été dit le 28 mars sur les gens de couleur libres. Là le plan du comité et des colons blancs (c’est la même chose) devait être renversé. Mais on ne se décourage pas ; on dit qu’il faut des instructions ; des membres du parti de la majorité les rédigent, et 15 jours après les font décréter non -ans peine. On ne s’en contente pas; on retarde le départ, et du décret et des commissaires, et des instructions; on soutient qu’il en faut d’autres, et le 15 juin on fait décréter à l’Assemblée, lasse de lutter, tout un plan de constitution coloniale que personne n’avait seulement lu et qu’on nous préparait depuis 6 mois. A la vérité, on lui donne le ti re modeste d’instructions ; mais on y trouve que Sai it-Domingue aura 18 députés au Corps législatif de France, ce qui est au moins u ie question que notre Constitution laisse entière, et que le décret du 8 mars paraît juger en sens contraire, en disant que les colonies ne sont pas comprises dans la Constitution décrétée pour la France; enfin on y trouve (titre III, art. 1er) : « Les qualités requises pour être admis dans les assemblées paroissiales et coloniales, et les conditions d’éligibilité seront proposées par les assemblées coloniales actuellement existantes; » ce qui est formellement contraire aux décrets du 28 mars et du 15 mai, qui fixent ces conditions. Et qu’est-ce donc que de prétendues instructions qui jugent des questions capitales non encore agité s, et contredisent des décisions formelles et solennelles ? Il me semble impossible de ne pas voir qu’elles n’étaient faites que pour détruire l’autorité du décret, en faisant tomber l’Assemblée nationale en contradiction avec elle-même. Mais, me dira-t-on, elles n’y ont pas nui, car elles ne sont pas parvenues officiellement, non plus que le décret. D’accord; mais l’esprit qui les a dictées, et qui a inspiré toutes ces démarches et tous ces retards, a passé la mer; et doit-on être bien surpris qu’il s’élève des oppositions contre une autorité que l’on voit flottante entre deux partis qui s’arrachent réciproquement des décrets? Est-il surprenant que les colons blancs de Saint-Domingue se flattent que leurs amis l’emporteront, eux qui, ne pouvant nous amener à leur système, combattent opiniâtrément le nôtre, gagnent tous les jours un peu de terrain, et enfin ont eu le talent de nous empêcher jusqu’à p èsent d’embrasser et de suivre un plan de conduite quelconque vis-à-vis de nos colonies. (. Applaudissements à l'extrême gauche.) Que conclure de tout cela, Messieurs? Que MM. les colons blancs de Saint-Domingue veulent à tout prix être les maîtres de l’île. Je ne dis pas que leur intention soit d’abuser, contre la métropole, du pouvoir qu’elle leur aurait laissé prendre ; mais je dis que les gens de couleur, tirés par nous de l’oppression, seront nos alliés naturels, et qu’il n’est ni juste ni politique de les abandonner. Il est constaté par les états de population, qu’en 1786 il y avait à Saint-Domingue 16,992 hommes de couleur, et 23,133 blancs; et en 1787, 19,632 des premiers et 24,192 des seconds. Ainsi, (a disproportion n’est pas si grande, que cette masse ne soit importante. Il a été depuis convenu dans la discussion que le nombre des gens de couleur était plus grand actuellement et augmentait suivant une proportion très rapide, malgré l’oppression sous laquelle ils gémissent; que serait-ce sous des lois justes? 262 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Je soutiens donc que, quand même l’honneur de l’Assemblée ne serait pas engagé à maimenir ses décrets, et à conserver à des hommes libres et propriétaires leurs droits civils et politiques, il est de notre plus pressant intérêt de le faire; que, cette base posée, il faut laisser la plus grande liberté à la colonie, pour régler son organisation intérieure, et qu’il faut arranger avec elle, équitablement et loyalement, les relations commerciales, de manière qu’elle prospère et qu’en même temps elle procure à la mère-patrie des avantages qui la dédommagent des sacrifices qu’elle lui coûte. Je pense que, ces bases posées, il faudrait donner ce travail à faire à un comité; il ne devrait pas être bien long, mais profondément médité, et surtout très clair. Mais est-ce le comité colonial actuel qui devrait en être-chargé? Je ne le pense pas; je le trouve trop livré à des opinions opposées à vos décrets, à vos principes, et aux intérêts de la France; j’ajouierais même qu’il a trop cherché à dominer l’Assemblée, et ne l’a pas assez éclairée; Si nous avions plus de temps à rester, je proposerais donc de renouveler le comité colonial ; mais, dans l’état où sont les choses, nous n’avons pas même le temps de délibérer assez mûrement un plan quelconque, fût-il tout fait. Je crois donc qu’il faut laisser à nus successeurs les choses dans l’état où elles sont ( Applaudissements à l'extrême gauche.); je pense même que c’est un grand bonheur; car, éclairés d’avance par le récit de nos déliais, de nos fautes mê iu s et des événements, la résolution qu’ils prendront aura plus d’aplomb, et vraisemblablement réunira une majorité plus imposante que celle qui pourrait exister dans cette Assemblée, qui a été si violemment et si profondément agitée sur ce sujet : et la manière d’être obéi n’est pas de vouloir avec impétuosité, mais avec calme et dignité, et avec une majorité, ou s’il est possible une presque unanimité, qui prouve que la résolution prise est celle de la masse des gens éclairés, est réellement le vœu national, et a par conséquent une stabilité telle, que toutes oppositions sont vaines et toute résistance impossible. ( Applaudissements à l'extrême gauche.) C’est alors, et alors seulement, qu’on se soumet. Les plus échauffés craignent et se modèrent, et les bien intentionnés se montrent en faveur d’une volonté qu’ils peuvent croire inébranlable. Jusque-là, la sagesse leur pre-crit de garder le silence de peur d’être la victime de la versatilité du législateur. Hé, Messieurs, soyez certains que l’espoir de celte versatilité peut seule donner aux opposants la confiance de proférer toutes les folles menaces dont cette salle, et surtout celle du comité, retentit. En effet, que peuvent donc faire ces hommes si audacieux? Es-ce bien sérieusement que 24,000 blancs établis à Saint-Domingue, haïs de 20,000 mulâtres qu’ils oppriment, embarrassés de 400,000 esclaves dont ils sont condamnés à redouter éternellement le moindre mouvement; est-ce sérieusement, dis-je, qu’ils parlent d’opposer leurs propres forces à celles de la France; de la Fra ce, qui, d’un mot, pourrait les écraser; de la France, où ils ont leurs plus chers intérêts; de la France où ils tirent leurs subsistances; de la France, enfin, qui, avec une croisière de quelques frégates, sans mettre un homme à terre, pourrait les réduire à la mendicité et à la famine �{Excla-[23 septembre 1791.] mations au centre; applaudissements à l'extrême gauche.) Ils appelleront, dit-on, les forces d’une puissance étrangère ; sera-ce de l’Amérique libre ? Elle ne peut ni ne veut les recevoir et les protég-r. Les Etats-Unis n’ont ni troupes, ni argent, ni marine, pour pouvoir nous nube, et trop de sagesse pour le vouloir. Et serait-il possible qu’on eût recours, pour le maintien de l’oppression, à des Etats qui, non seulement ont banni toute inégalité entre des hommes libres, mais qui s’occupent activement d’achever la destruction de l’esclavage, que plusieurs ont déjà proscrit? Ce n’est pas dans cette atmosphère que prospéreraient nos adversaires. S’adresseront-ils à l’Espagne notre amie, notre alliée, dont nous venons de protéger les établissements, qui en a évidemment plus qu’elle n’en peut défendre, et qui a grand intérêt que nous conservions les nôtres? Mauvaise ressource. Reste l’Angleterre. Messieurs, si l’Angleterre, oubliant, et sa dette immense, et les vrais intérêts de son commerce, et les mécontentements des Irlandais et de beaucoup d’Anglais, et enfin toutes les règles de la justice et ne la prudence; si, dis-je, elle avait la folie de vouloir courir les risques d’une guerre au moins douteuse contre nous, ce ne serait pas le stérile vœu de 24,000 colons blancs, qui ne lui apporteraient que des embarras et nulle force réelle, qui mettrait le moindre poids dans la balance. Très indépendamment d’eux, la guerre sera ou ne sera pas. Une telle détermination dépend de considérations d’un ordre supérieur; et c’est en France, c’est dans ses murs que se cimente la paix de l’univers; elle est inébranlable si elle règne parmi nous. Je finis, Messieurs ; et d’après ces considérations je pourrais, je devrais vous dire: Si quelque chose soutient les oppositions à Saint-Domingue, c’est l’espèce de vacillation et l’ambiguïté de quelques-uns de vos décrets. Vous ne perdrez pas Saint-Domingue, car Saint-Dominigue, est imperdable. Maintenez vos décrets des 28 mars 1790 et 15 mai 1791 ; l’honneur, la justice et la politi-qun vous le commandent. Veuillez et vous serez obéis. Mais quelque juste que fût ce parti, quelque certain qu’en soit le succè-, on croirait peut-être encore cette résolution l’effet de la victoire momentanée d’un des partis qui nous divisent. Vous êtes heureusement à la fin de vos glorieux travaux, VO' successeurs sont à vos portes ; ils me voient ; ils m’entendent : remettez leur la question tout entière ; faites cette espèce d’appel à la nation ; il est plus instructif sans doute que toutes ces adresses dont on nous berce, et qui seront pesées dans leur temps; et ne vous exposez pas à décréter précipitamment tout un système colonial, qui n’a pas même été agité, parmi vous, dans son ensemble. Il me paraît superflu de répondre à ceux qui disent que le trouble extrême de Saint-Domingue nécessite absolument une décision pressée. Méfiez-vous, Messieurs, de ces raisons de circonstances que dictent les pas-ions et qui se modifiant à leur gré. Le 12 octobre 1790, on vous en disait autant; et depuis nulles mesures n’ont été prises. Les décrets sur l’état nés gens de couleur ne sont pas d’une exécution actuelle, puisque vous reconnaissez les a-serablées existantes telles qu’elles sont. Qui veut tant se presser me paraît peu jaloux de l’honneur de l’Assem- 263 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMEMTAIRES. [“23 septembre 1791.] blée, et redoute les éclaircissements et même les accommodements. Si l’Assemblée n’adoptait pas le parti le plus sage, celui de renvoyer cette question à ses successeurs, qu’il me soit permis de vous le dire, ce ne serait pas le décret que l’on vient de vous proposer qui remplirait les vues de l’Assemblée. J’observe que les motifs par lesquels on nous engage à rendre actuellement un décretquelconque sur les colonies, prennent leur source dans des craintes qui pourraient prévaloir ailleurs que dans cette Assemblée. Pour cela on préteûd que nous pouvons actuellement faire des choses qu’une Assemblée suivante ne pourra faire; car, quand même on admettrait que des avis inconsidérés, ce que je ne crois pas, pourraient prévaloir parmi nos successeurs, on sent bien que ce ne serait pas une raison pour nous faire juger la question légitimement, puisque la même force qui ferait prévaloir dans une autre assemblée, une autre opinion, ferait changer la loi que nous avons faite. Il faut donc, pour remplir ce titre, dire que nous avons droit de faire des choses que nos successeurs n’ont plus droit de faire. On reprendra la qualité d’ Assemblée constituante pour décréter les articles consiitutîon-nels. {Applaudissements à l'extrême gauche.) Plusieurs membres : Nous h’avons jamais cessé d’être Assemblée constituante. M. de Tracy. On soutient cette opinion en disant que nous n’avons pas quitté la qualité d’AsSemblée constituante; je ne sais pas jusqu’à quel point nous sommes revêtus de ce ti re imposant, et qui doit être aussi court que possible, mais je sais que nous avons fait la Constitution de la France, la seule à laquelle je crois que nous fussions appelés; que nous l’avons finie; que nous avons déclaré que nous ne pouvions y rien changer, ni ajouter; que le roi l’a acceptée; et que, cet ouvrage-là heureusement terminé, je ne croyais pas qu’il pût exister en France une Assemblée constituante. (Applaudissements.) Je dis que si vous voulez encore vous déclarer Assemblée constituante, pour décréter des articles constitutionnels pour les colonies, il faut, puisque vous ne pouvez plus être l’Assemblée constituante de France, que vous vous déclariez Assemblée constituante de Saint-Domingue. (Rires.) Cette manière de poser la question me paraît tout aussi insoutenable que la première : je trouve, d'ailleurs, que ce titre-là est absolument contradictoire à l’article 2 ou 3 du même projet, à celui enfin qui dit que les colonies statueront exclusivement et seulement sur le régime extérieur. Ce régime est pour les colonies leur véritable Constitution : car, que reste-t-il après cela? Si elles étaient un Etat libre et indépendant, il ne resterait rien. Gomme elles sont colonies, il reste la relation nécessaire des colonies avec la métropole, ce que vous proposez de réserver. Je ne vois donc pas dans la relation de la métropole avec les colonies de nécessité à ce qu’il y ait une Assemblée constituante. Je ne vois là que des actes législatifs de la métropole fixant la relation de ses colonies, relativement à leur régime extérieur, et je crois qu’elle doit leur laisser beaucoup de latitude. D’après cela, Messieurs, je ne sais de quel pays on veut nous faire Assemblée constituante ; et je crois qu’il y aurait de plus un très grand danger à employer cette mesure pour lier vos successeurs. Car, si une fois il était vrai qu’une Assemblée pût se déclarer constituante, vous sentez, Messieurs, à quel malheur cela mènerait la France. ( Murmures et applaudissements.) En ce qui concerne le projet de décret lui-même, je ne vois point de difficultés à l’article premier, ni à l’article 2 pris isolément, mais je demande comment on arrangera cesdeux articles-là avec le troisième, pour lequel uniquement semble être fait le décret ; car il n’y a que celui-là de neuf; les autres sont copiés sur celui du mois de mars. Dans l’article premier, vous vous déclarez Assemblée constituante ; et cependant dans l’article 3 vous laissez à une partie de citoyens le droit de décider des droits politiques de l’autre. Il me semble que cela n’est pas constitutionnel. Il faudrait dire clairement au moins : l’Assemblée remet aux colons blancs le droit de décider l’état des gens de couleur. Je conclus à l’ajournement on à la réjection de ce projet de décret. ( Applaudissements à l’ extrême gauche.) M. Dupont (de Nemours). Si la délibération se prolongeait seulement pendant deux ou trois jours, il serait impossible que vous ne fussiez pas convaincus que le comité colonial n’a touché aucun des points d’intérêt de la colonie et de la métropole qui peuvent et doivent les unir à jamais ; que le comité colonial a éludé totalement les difficultés ; qu’il s’est attaché à une question d’amour-propre (Applaudissements); qu’il a laissé hors de la question la culturelles colonies ; qu’il a laissé entièremen t de côté, pour en réserver la décision à un temps éloigné, les relations commerciales des colonies avec la métropole, et, par conséquent, les moyens de soutenir en France, comme vous le désirez, les manufactures qui y ont des rapports si intimes. Vous savez, Messieur-, que les hommes ne sont sérieusement liés ensemble que par les avantages réciproques; que vous ne pouvez donc les unir que lorsqu’on aura bien réglé et l’intérêt de la culture qui produit les revenus des colons et l’intérêt du commerce qui fait l’avantage de la métropole. Le comité ne vous a point parlé de ces choses-là : il a engagé une querelle et une question que nous ne devions pas traiter, que vous aviez même repoussée par vos décrets antérieurs; il a fomenté la division entre la métropole et les colonies, voilà ce qu’il a fait. (Murmures au centre et applaudissements à l’extrême gauche.) Voilà, Messieurs, ce que vous jugeriez de la manière la plus évidente et la plus sage, si vous pouviez donner 3 jours à cette discussion importante; mais, quand vous demande-t-on 3 jours? C’est lorsqu'il ne vous en reste que 7. On veut consommer ces 7 jours que vous devez à la patrie. ( Murmures au centre et applaudisse-ments à l'extrême gauche.) Jesais qu’on le fait involontairement; mais on fait la fonction de tentateur qui consomme la vie pour qu’elle ne soit pas employée au bien. Vous avez à attacher à la Constitution la classe la plus indigente, en décrétant, pour ses enfants, des écoles primaires qui les rendront dignes d’être libres... Plusieurs membres : Du pain ! (Murmures.) M. Dupont (de Nemours). Les gens qui ne partageaient pas l’opinion de M. Barnave l’ont écouté en silence ; ils remplissaient alors leurs devoirs. Remplissez aussi le vôtre. Vous avez à attacher à la Constitution tous les 264 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, hommes éclairés de la France, et tous ceux qui se sont éclairés dans les sciences et les arts, en taisant une institution qui leur donne la récompense de leurs travaux; vous avez encore une infinité de choses importantes à terminer ; il vous reste 7 jours. M. La vie. Il vous reste à conclure. M. Dupont (de Nemours). Il vous reste à vous faire rendre un compte rapide des travaux de vos comités, pour transmettre ces travaux avec ordre et méthode à vos successeurs. Vous ne pouvez pas partir comme les moineaux après avoir dîné. Messieurs, il vous reste 7 jours; je crois qu’il serait très coupable d’e i consumer 3 ou 4 à une discussion dans laquelle le comité n'a pas seulement envisagé les premiers éléments qu’il avait à traiter. Je demande donc l’ajournement à la législature prochaine ; je réclame pour l’instruction publique, la mendicité, les travaux des comités, les contributions publiques et les j urés. M. BIfn. M. Dupont a oublié un article essentiel ; il a oublié 15 ou 16,000 ouvriers. M. Le Chapelier. La considération du peu de temps qui nous reste devrait écarter toutes questions incidentes qui ne servent qu’à consommer notre temps. Je m’élève contre l’ajournement (Murmures), et je demande la question préalable, eu mouvant mon opinion en peu de mots. Outre les faits qui o it été exposés, outre l’état des colonies qui vous a été représenté, qui n’est pas exagéré, quoi qu’on en dise, état nui est attesté par les relations les plus authentiques, existe l’inquiétude générale des places de commerce, qui nous menace d’une telle stagnation dans nos rapports commerciaux, que si malheureusement cette stagnation pouvait avoir lieu, un foule d’individus seraient à la charge de l’Etat, en accusant la Révolution de leurs malheurs; sans doute nous desirons tous emporter dans nos foyers la consolation d’avoir assuré la prospérité de la France sans lui présager des malheurs I Eh bien, pensez qu’en ajournant cette question, vous redoublez le désordre et l’inquiétu ;e qui régnent dans les colonies, l’inquiétude qui règne dans nos ports sur nos relations commerciales. Ima-gine-t-on que l’on fera désormais, jusqu’à la décision de cette affaire, beaucoup de spéculations pour porter nos denrées dans les colonies? (Murmures et applaudissements.) Je soutiens qu’une détermination quelconque pour les colonies vaut mieux qu’un ajournement ; je soutiens que, quelque intéressante que soit la matière que l’on vient de vous exposer, il n’y en a pas de plus importante; il n’y en a pas qui intéresse davantage les hommes disetteuxde la nation; et enfin, Messieurs, que s’il faut parler des principes de la Constitution, je soutiens que c’est encore nous seuls qui pouvons décider cette question. (Murmures.) Je demande que l’on attende ma preuve; la voici, et je défie d’y répondre. Je ne répondrai pas à l’objection futile, que nous ne sommes plus corps constituant; car il y a même dans la Constitution une exception pour les colon es; et si nous n’étions pas corps constituant, nous serions obligés de nous séparer, puisque nous ne pourrions qu<> préparer des lois. Quelle est donc la question que vous avez à décider aujourd’hui? C’est la question de savoir ce que le Corps législatif de France pourra déter-[23 septembre 1791.] miner pour les colonies, quelle part il aura dans la législation des colonies. Voilà la question tout. entière. Or, je vous demande si ce u’est pas au pouvoir constituant à décider quel pouvoir le Corps législatif aura sur les colonies ? (Murmures et applaudissements.) Laisserez-vous au Corps législatif la liberté de varier dans l’exercice de ses pouvoirs, et une législature dire, par exemple, qu’elle n’a pas le pouvoir de régler les lois extérieures, tandis que l’autre dira qu’elle a le pouvoir de régler tout le régime intérieur des colonies? Voilà cependant ce qui arrivera si vous ne décidez pas formellement ce que le Corps législatif aura le droit de faire. Et voyez-vous encore ce qui en résulte pour les colonies? C’< st que l’inquiétude augmente par cette versatilité même (Murmures.); c’est que leur inquiétude augmentera d’autant plus qu’elles ignoreront quel pouvoir le Corps législatif de France aura iur leur législation, si cela n’est pas immuablement déterminé comme les règles mêmes de votie Constitution. Attendez-vous donc à ne voir que des troubles dans les colonies; et s’il y a des inquiétudes et dans nos colonies et dans nos ports, attendez-vous à voir votre commerce détruit. (Murmures et applaudissements.) Qu’arrivera-t-il ensuite ? Si les mesures que prendra la législature prochaine augmentent ces troubles ou ne les calment pas, elle vous en accusera; elle dira que vous n’avez pas voulu finir votre ouvrage ; elle imputera ces troubles aux décrets que vous avez rendus (Applaudissements.) ; cela est évident. Ayant rempli l’engagement que j’ai pris en montant à cette tribune, et ne voulant pas employer plus longtemps à une question incidente di s moments que vous devez, comme le disait le préopinant, consacrer tous à la patrie, mais qui appartiennent à l’objet que vous traitez, à la cause que vous agitez; je dis que, constitutionnellement, vous ne pouvez faire droit sur cette question incidente; car il est impossible de laisser cette affaire à vos successeurs, parce qu’il est impossible de laisser à une législature le droit de disposer du pouvoir constituant qu’elle exercera sur les colonies. Je dis que, pour votre gloire et votre responsabilité, vous devez décider cette question. Je demande donc la question préalable sur l’ajournement, et que, sans perdre de temps, nous discutions le projet au fond. Plusieurs membres : Aux voix! aux voix ! M. Rewbell. Je demande la parole. Plusieurs membres : Non! non! Aux voix! aux voix! M. Long. Je demande que la discussion sur l’ajournement soit fermée. (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. le Président. Je vais consul ter l’Assemblée sur la question préalable qui a été opposée à la demande d'ajournement du projet de décret des comités relativement aux colonies. (L’epreuve a lieu.) M. le Président. L’Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement. (Mouvements divers.) Voix nombreuses : Il y a doute ! L’appel nominal! Un membre : Il faut faire l’appel nominal sur [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre n9i.] 265 l’ajournement au lieu de le faire sur la question préalable. ( Marques nombreuses d’assentiment.) M. le Président. Deux propositions sont faites : l’une, de procéder à l’appel nominal; l’autre, de faire porter l’appel nominal sur l’ajournement lui-même et non plus sur la question préalable. Il n’y a pas d’opposition?... (Non! non!) En conséquence, il va être procédé au vote par appel nominal sur l’ajournement; ceux qui voudront ajourner diront oui ; ceux qui seront d’un avis contraire, diront non. (Il est procédé à l’appel nominal.) M. le Président. Voici, Messieurs, le résultat de l’appel nominal : sur 498 votants, il y a 307 voix contre l’ajournement, et 191 pour; en conséquence, l’ Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à l’ajournement. (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.) M. le Président lève la séance à quatre heures un quart. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du samedi 24 septembre 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Darnandat, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance du jeudi 22 septembre, qui est adopté. M. Target observe que, tout ayant la [plus grande importance dans l’acte constitutionnel, il croit devoir relever une légère erreur qu’il a aperçuedans les exemplaires imprimés de la Constitution; qu’on y lit à l’article 4 de la section II du chapitre III : « il sera fait trois lectures du projet de décret à trois intervalles, dont chacun ne pourra être moindre de 8 jours » ; que ces mots, trois intervalles, sont une erreur, parce qu’il ne faut que deux intervalles de 8 jours chacun, pour exécuter cette loi constitutionnelle, et faire les trois lectures du projet qui sont ordonnées par elle ; qu’il est donc nécessaire de substituer ces mots : deux intervalles. (L’Assemblée, consultée, décrète que cette rectification sera faite.) M. Georges, député du département de la Meuse, et maire de la ville de Varennes en Ar-gonne, annonce qu’il dépose sur le bureau la somme de 3,000 livres eu assignats, au nom du sieur François-Justin Georges, son fils, capitaine des grenadiers volontaires de la ville de Varennes, pour être appliquée à l’entretien des gardes nationales employées sur les frontières, en exécution de la lettre qu’il a adressée à M. le président le 21 août dernier. (L’Assemblée ordonne qu’il en sera fait mention honorable dans son procès-verbal.) M. Merle demande que les sous-lieutenants de la gendarmerie nationale de la ci-devant province de Bourgogne, qui étaient lieutenants avant l’ordonnance de 1778, soient promus aux grades supérieurs avant les autres sous-lieutenants. (L’Assemblée renvoie cette motion au comité militaire.) M. Chabroud, au nom du comité militaire, rend compte à l’Assemblée de la pétition de Jacques-Henri Moreton et propose un projet de décret qui est mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, ouï son comité militaire sur la dernière pétition de Jacques-Henri Moreton, décrète que Je roi sera prié de donner des ordres pour que le décret du 5 août 1790 soit pleinement exécuté, et pour qu’en con-é-quence il soit formé une cour martiale, laquelle prendra connaissance des faits dont il s’agit, et qu’à cet effet il s it enjoint au commissaire-auditeur auprès de ladite cour martiale, d’employer comme dénonciation les mémoires des officiers du 52e régiment contre ledit Moreton. » (Ce décret est adopté.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély), au nom du comité militaire, fait un rapport sur les marchés passés par le conseil de la guerre , le 2 mai 1789, au sieur Guillaume-Augustin Baudouin , pour l'entreprise des transports des effets d’habillement, d'équipement et autres. Il propose un projet de décret qui est mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale décrète que les marchés passés par le conseil de la guerre le 2 mai 1789, au sieur Guillaume-Augustin Baudouin, pour l’entreprise des transports des effets d’habillement, d’équipement, de campement et autres du ressort du département de la guerre, pour celle des transports des effets et munitions d’artillerie, seront et demeureront résiliés, à compter du 1er janvier prochain. « Renvoie au pouvoir exécutif pour déterminer le parti le plus avantageux à prendre pour cette partie de l’administration militaire, et la mettre, suivant qu’il jugera convenable, en régie ou en entreprise. « Décrète que, soit qu’il y ait une régie, soit qu’il y ait des entrepreneurs, les règlements de la régie ou les clauses de l’entreprise seront communiqués au Corps législatif, et imprimés; « Que si les transports sont donnés en entreprise, ils le seront par adjudication publique, et au rabais, sans que, jamais et dans aucun cas, les entrepreneurs puissent réclamer d’indemnité, n’y être reçus à compter de clerc à maître. « Renvoie au pouvoir exécutif les réclamations des commissaires généraux chargés des transports militaires avant le sieur Baudouin, pour y être statué ainsi qu’il appartiendra. » (Ce décret est adopté.) M. Gaultier-Biauzat, au nom du comité ecclésiastique, propose deux articles de décret pour la circonscription de la paroisse de Sayat, district de Clermont-Ferrand, et pour celle de Marsat, district de Riom, et il demande que, pour éviter les inconvénients qui résultent de la multiplicité des sanctions et expéditions des décrets, les deux articles soient ajoutés au décret rendu, le 21 de ce mois, pour la circonscription des paroisses d’Yssoire, même département. (Cette motion est adoptée.) (1) Cette séance est incomplète an Moniteur.