405 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.J M. Brûlart de Sillery. M. d’Orléans m’a chargé de demander de sa part la parole pour demain. M. de La Luzerne, ministre de la marine , en suite des ordres du roi, écrit à M. le président pour lui faire part de trois lettres à lui adressées par M. d’Hector et M. d’Albert de Rioms , dans lesquelles ces officiers rendent compte de l’effervescence des esprits, soit à Brest, soit à bord de l’escadre. Ce ministre supplie l’Assemblée nationale de prendre en considération le contenu de ces lettres. Le comité de la marine est chargé de rendre compte incessamment de cette affaire. La séance est levée à quatre heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 2 OCTOBRE 1790. Opinion de M. l’abbé îllaury , sur le rapport de la procédure du Châtelet. Messieurs, après la lecture rapide d’un rapport qui a rempli deux longues séances, et qui ne nous a pas encore été distribué, il est bien difficile, sans doute, de saisir les assertions et les principes qui provoquent, dans ce moment, notre discussion. M. Ghabroud a développé toute la subtilité de son esprit pour analyser cette procédure, il a dirigé les faits vers le but qu’il s’était proposé. Il a poursuivi les témoins comme des accusés ; il n’a rien négligé pour découvrir des contradictions ou des faussetés dans leurs dépositions, qu’il a tâché de réfuter les unes par les autres. Quand les témoignages embarrassaient notre rapporteur etéchappaient à toutes les ruses de sa dialectique, il nous a dit que les témoins n’avaient pas vu ce qu’ils avaient cru voir, qu’ils n’avaient pas pu entendre ce qu’ils déclaraient avoir entendu. Il a suivi, dans l’examen des faits, une règlede critique qui a égaré tant d’historiens en ramenant toujours la vérité aux caractères de la vraisemblance. Il a conjecturé que tout était conjectural dans cette procédure criminelle. Au lieu du rapport impartial que nous attendions, on nous a présenté un plaidoyer ou plutôt un panégyrique en faveur des accusés. Tous les moyens d’apologiequinousontété présentés appartiennent au fond de la cause dont nous ne sommes pas juges. Il s’agiss lit d’examiner s’il y a lieu à accusation contre quelques-uns de nos collègues : .mais on nous a fait entièrement perdre de vue l’état de la question. M. le rapporteur a entrepris de prouver qu’ils n’étaient point coupables. En écoutant attentivement ce long mémoire justificatif, je croyais assister à une audience de la Tournelle, où l’on aurait plaidé en présence d’un tribunal prêt à prononcer un arrêt de mort. Pour mieux effrayer notre délicatesse, on nous a dit que tout décret en matière criminelle paralysait le citoyen dans l’ordre social. M. le rapporteur n’ignore cependant pas qu’un décret d’assigné pour être ouï, le premier de tous dans l’ordre judiciaire, oblige l’accusé de comparaître devant les tribunaux, et ne suspend l’exercice d’aucune de ses fonctions civiles. D’ailleurs, ce mot d'accusé, qu’on a si souvent répété dans la discussion, ne peut s’appliquer encore à aucun des membres de cette Assemblée qui sont compris dans la procédure du Châtelet. Il est de principe que l’état d’accusé n’est constitué légalement que par le décret : et on n’a encore rendu aucun décret dans cette affaire. M.de Mirabeau, qui est personnellement chargé dans plusieurs dépositions, n’a ouvert la bouche au commencement de cette séance, que pour inculper, avec la plus éclatante indignation, les témoins et 1rs juges. Il s’est engagé publiquement à prendre à partie, non seulement ses accusateurs, mais encore tous les magistrats qui composent le Châtelet. J’appelle de la colère de M. de Mirabeau à sa raison et je lui observe qu’il ne peut pas attaquer les témoins en récrimination, parce que rien n’est encore légalement arrêté dans leurs témoignages; ils ont la faculté de varier au récolement et à la confrontation, sans pouvoir être poursuivis comme faux témoins ; et la menace de les traduire en cause est, pour le moins, très prématurée. Quant aux juges du Châtelet, ils ont nommé un commissaire pour entendre les témoins, ils ont été purement passifs, ils ne connaissent pas même entièrement les charges, ils n’ont prononcé aucun décret, et M. de Mirabeau s’est livré à des mesures aussi puériles qu’illusoires quand il nous a déclaré qu’il allait recourir à la prise à partie contre ses juges. Je reviens à M. le rapporteur et je le prie de m’expliquer d’abord, une première difficulté qui résulte des fonctions que nous avons à remplir dans ce moment. Il nous a dit que l’Assemblée nationale était chargée du ministère des grands jurys et qu’à leur exemple elle devait déclarer s’il y avait ou s’il n’y avait pas lieu à l’accusation contre M. le duc d’Orléans et M. de Mirabeau. J’arrête M. Ghabroud dès le premier pas qu’il fait dans la longue carrière où il doit nous servir de guide. Voici les doutes qui inquiètent d’abord ma confiance et embarrassent ma décision. Je demande pardon à l’Assemblée nationale de cette courte digression, que le principe fondamental de tout le rapport rend indispensable. Lorsque la Chambre des communes du parlement d’Angleterre prononce un empêchement contre l’un de ses membres, elle se constitue accusatrice en présence de la Chambre des pairs qui doit le juger. La Chambre haute ne peut condamner à mort que les pairs et les juges du royaume; si un membre des communes était dans le cas de subir une peine capitale, son jugement serait renvoyé aux tribunaux ordinaires. Ce fut ainsi qu’en 1756, l’amiral Boscawen vint annoncer que le roi avait fait emprisonner l’amiral Bing , et qu’il allait le faire juger par une cour martiale. La condamnation de l’amiral Bing suivit de près cette communication officielle et la Chambre ne se plaignit, dans cette circonstance, ni du jugement, ni de l’exécution. Vous voyez déjà, Messieurs, qu’il n’y a rien de commun entre les fonctions de la Chambre des communes qui se déclare accusatrice quand elle prononce un empêchement , et l’Assemblée nationale qui ne prétend certainement pas accuser ses membres devant les tribunaux. Quand vous avez statué dans la cause de M. de Lautrec, que les représentants de la nation ne pourraient être décrétés par aucun juge, à moins qu’un décret du Corps législatif n’eût déclaré qu’il y avait lieu à inculpation, vous avez adopté