668 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1790.] Il est plus difficile de concevoir d’autres articles qui suiventimmédiatement celui.qui vientd’être rapporté. «Au sieur Savalette de Langes, 260,481,891 liv. 12 s. 6 d., pour employer’ aux dépenses de son exercice 1784 » . . . . « A lui, 30,000 liv. pour employer aux dépenses de son exercice 1788. » Cela signifie que l’exercice 1783 ayant une surabondance de recette, à cause de quelque opération de finance, comme un emprunt, et le compte de 1783 n’étant pas clos, on reverse l’excédent de la recette sur toutes les années soit postérieures soit antérieures qui en ont besoin. Cela vient, dit-on, de ce que la chambre des comptes exige que le compte du Trésor royal soit toujours dressé de manière que la dépense absorbe la recette. C’est un système dont il est difficile d’apercevoir l’utilité: et il est manifeste, au contraire, qu’il y a de très grands inconvénients à faire chevaucher ainsi les comptes des années les unes sur les autres : c’est là ce qui en a fait une machine très compliquée, et ce qui empêche qu’on ne puisse connaître, au moment où on le veut, avec clarté, l’état de la dépense et de la recette propres à chaque année. Voici un exemple de ce que comprend le chapitre des deniers payés par l’ordonnance : il est de l’exercice 1779, et a paru assez curieux pour être rapporté. Au vicomte de Polignac, pour gratification et pour son assistance aux Etats de Languedoc, en octobre 1778, dont le roi l’a dispensé ................. ..................... ........ 5,250 liv. Au marquis de Caslries, pour idem, ............................................. ... 5,000 A lui, pour idem ................................................................. 2,250 A M. le duc d’Uzès, pour idem ..................................................... 2,250 Au sieur comte du Roure, pour idem , en qualité de baron de Tour de Gévaudan, pour sa baronnie de Florac ............................................................ . . 2,250 A lui, pour idem , à cause de sa baronnie de Barjac ...................... . ............. 2,250 A M. le maréchal de Mouchy, pour idem ...... ................................... 2,250 A M. le comte de Roquelaure, pour idem .................................... ...... 2,250 Au sieur vicomte de Beaumont, pour idem , en novembre 1777 ...................... 2,250 Au sieur comte de la Tour-Mauhourg, pour idem , en octobre 1778 .................... 2,250 Au sieur comte de Murviel, pour idem .................................. ........... 2.250 Au sieur comte de Rochechouard, pour idem ...................... ................. 2,250 Au sieur vicomte de Bernis, pour idem .................. . ...... . ................... 2,250 Total 35,000 liv. SECOND RAPPORT DU COMITÉ DES PENSIONS-Principes fondamentaux et règles générales. Messieurs, En vous instruisant de l’énormité des abus qui se sont glissés dans la distribution des grâces créées pour la récompense des services rendus à l’Etat, votre comité des pensions a rempli le premier de ses devoirs. Pour se conformer littéralement à votre décret du 4 janvier, il devrait maintenant vous présenter le plan d’après lequel les pensions, dons, traitements et gratifications existantes, seront supprimées, réduites ou augmentées. Mais avant tout, il a jugé nécessaire de poser les bases et d’établir les principes qui doivent déterminer la concession des pensions futures. En effet, Messieurs, comment porter une décision, fondée en principe, sur les pensions actuelles ? Gomment parvenir à juger les motifs qui les ont fait accorder, si nous ne mettons pas d’abord sous vos yeux des règles générales, d’après lesquelles vous puissiez, en connaissance de cause, eu égard au temps et aux circonstances de leur concession, prononcer les suppressions, réductions et augmentations convenables ? Voici, Messieurs, quelles sont ces bases et ces principes. L’Etat a deux manières de reconnaître les services rendus au corps social, les récompenses honorifiques et les grâces pécuniaires. Les premières conviennent mieux à la fierté d’une nation libre. Les secondes ne doivent être accordées que pour le soutien honorable du citoyen qui a bien mérité de la patrie, ou pour lui tenir lieu des sacrifices faits à l’utilité publique. Les récompenses pécuniaires sont de deux espèces : les traitements annuels et viagers, connus sous le nom de pensions , et les gratifications passagères et momentanées qui s’accordent en considération d’une perte, d’une blessure, d’un accident grave, ou comme récompense d’une action distinguée, d’un service éclatant. Pour mériter les unes ou les autres, il faut avoir, ainsi qu’on l’a déjà dit, rendu service au corps social. On ne doit pas confondre ce service avec celui qu’un individu rend à un autre individu, et qui ne peut être considéré comme intéressant la société entière, qu’autant qu’il est accompagné de circonstances qui en font réfléchir l’effet sur toute la nation. Cette confusion a été la source de bien des abus, l’origine de beaucoup de pensions encore existantes. Pour qu’elle ne puisse pas, en se reproduisant, opérer le même effet, votre comité a déterminé, d’une manière précise, ce qu’on devait entendre par services rendus au corps social ; il a désigné ceux qui peuvent prétendre aux bienfaits de la nation : il a raDgé dans cette classe le guerrier, l’administrateur, le magistrat, le savant, l’artiste, il a enfin posé pour principe, que tout citoyen qui a servi, défendu, illustré ou éclairé sa patrie, ou qui a donné un grand exemple de dévouement à la chose publique, peut prétendre aux récompenses honorifiques ou pécuniaires. Après avoir ainsi distingué les différentes manières de récompenser un citoyen vertueux, les différentes espèces de services qui lui donneiP [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]2 juillet 1790.] 669 des droits à la reconnaissance de la patrie, nous avons proscrit avec sévérité tous les moyens odieux dont on s’est servi jusqu’à présent pour perpétuer les grâces dans les familles, enrichir les courtisans avides et faire passer la substance des peuples, par les canaux de la faveur et de l’intrigue, dans les mains impures des vils agents du despotisme ou de ses esclaves. Nous vous proposerons, en conséquence, de décréter, comme principe constitutionnel, qu’à l’avenir aucunes pensions ou gratifications ne pourront être accordées à titre de réversibilité, d’indemnité, de dédommagement, de prix d’aliénation et autres causes semblables. Le fonds destiné aux pensions ne peut jamais servir au payement d’une dette contractée ; et quand un citoyen se prétend porteur d’un titre sur le Trésor public, le fonds destiné au payement des dettes doit y satisfaire. Quant à la femme et aux enfants de celui qui, dans le cours des services qu’il rend à sa patrie, est enlevé par une mort précipitée au milieu de sa carrière, si sa mort les laisse sans ressource, une pension alimentaire à la veuve, une éducation publique et gratuite accordée aux enfants, suppléeront au défaut de patrimoine. La réunion de plusieurs pensions sur un même individu était encore un vice de l’administration ancienne. Nous avons également proscrit cet abus qui ne tendait qu’à se faire accorder partiellement ce qu’on aurait rougi de solliciter en masse, et à accumuler sur la tête d’un seul ce qui eût pu servir à récompenser dignement plusieurs citoyens vertueux, Nous avons jugé qu’une pareille proscription devait être prononcée contre toutes les pensions que la faveur accordait à ceux qui, employés au service de l’Etat, jouissent des traitements et appointements attachés à leurs places. Nous avons, en conséquence, établi pour principe, qu’on ne pourrait en même temps avoir traitement et pension, ni continuer à toucher ses appointements sous le titre de traitement conservé. Mais en posant cette règle, nous n’avons pu prétendre, Messieurs, imprimer à la nation une tache d’ingratitude envers ceux qu’elle emploie, et qui, par quelque action d’éclat, quelque service signalé, se rendraient dignes d’un bienfait particulier. Alors, si quelque circonstance impérieuse exige soit une récompense, soit des secours, la nation doit, suivant la nature de3 pertes ou des services, et la position de ceux qui les auront souffertes ou rendus, faire usage des récompenses honorifiques, des dons ou gratifications. Quelle que soit, dans ce cas, la grâce que l’Etat accorde, elle est toujours honorable pour celui qui la reçoit. La récompense honorifique est moins onéreuse à l’Etat ; elle rappelle d’ailleurs la loyauté de nos anciens et braves guerriers qui préféraient à tout le don d’une écharpe, d’une épée, d’une armure, d’un cheval de bataille. La nature du don, le montant de la gratification, dépendront du mérile de l’action, du genre de service, et de la situation de celui qui aura mérité la récompense ; et quand les circonstances* exigeront que cette gratification soit en argent, on en fixera la somme, de manière qu’elle soit toujours eu proportion de i’ac-tionv dm service el du besoin. Au moyen de la somme accordée au roi pour la dépense de sa maison, son service particulier n’est plus à la charge de l’Etat, et les personnes qui y ont été, ou. y sout employées, ne peuvent obtenir les récompenses destinées aux services rendus à la nation. Un article particulier, en consacrant ce principe, renvoie à la liste civile foutes les pensions de la maison du roi, tant domestique que militaire : vous le trouverez, Messieurs, au nombre de ceux dont votre comité vous offre le projet. Permettre à un pensionnaire de l’Etat, qui a reçu de la patrie une récompense proportionnée à la nature et à la durée de ses services, de ne recevoir une pension d’aucune autre personne, c’était ouvrir la porte à de nouveaux abus, et avilir eu quelque sorte le bienfait de la nation, qui doit suffire à la subsistance de celui qui le reçoit. Nous avons cru, Messieurs, qu’un peuple libre ne devait pas souffrir qu’un autre que lui prît soin de pourvoir aux besoins de ceux qui ont bien mérité de l’Etat, et nous vous proposons de décréter ce principe. Dans l’ancien état des choses, tout était arbitraire ; il n’y avait aucune somme fixe pour les pensions, aucune quotité déterminée, soit pour ie temps, la nature ou l’espèce de service, soit pour le grade ou la qualité de celui auquel elle était concédée. La somme des pensions n’était pas déterminée la faveur présidait presque toujours à la concession des grâces : aussi vans avez vu, Messieurs, par le premier rapport qui vous a été fait, à combien d’injustices ce défaut de fixation a donné lieu, et de quelle masse de charges il a grevé le Trésor public. Pour remédier à ce double inconvénient, votre comité a cru devoir vous proposer : 1° d’ordonner qu’il sera fixé une somme pour les pensions et gratifications, au delàde laquelle aucunes pensions et gratifications ne pourront être accordées ; 2° de fixer pareillement un maximum, audelàduquel aucune pension ne pourra être portée. Après avoir comparé la somme des charges avec l’état des revenus, votre comité a pensé qu’une somme de 12,000,000 livres, savoir : 10,000,000 livres poulies pensions, et 2,000,000 livres pour les dons et gratifications, était suffisante pour acquitter la nation envers ceux qui ont bien mérité d’elle; et il a porté à 12,000 livres le maximum des pensions qui seront distribuées à l’avenir.' Calculant ensuite ie nombre des années qu’au citoyen doit consacrer au service de l’Etat, avant de pouvoir eu demander ia récompense, nous avons pensé que, pour avoir des droits aux grâces de la nation, il fallait l’avoir servie pendant trente ans; et qu’à moins de blessures ou infirmités provenant des fatigues, voyages ou séjour en des lieux malsains, aucune pension ne pouvait être accordée avant trente ans de services publics et cinquante ans d’âge. En reculant ainsi de quelques années le terme fixé pour les pensions, nous avons envisagé que, si ou les accordait à des époques plus rapprochées, le public ne profiterait pas de l’expérience de ceux qui remplissent les différents emplois, outre l’augmentation de charges qui en résulterait pour le Trésor public. Cependant, Messieurs, vous savez combien l’expérience ajoute aux qualités naturelles et acquises ; et combien il importe de fixer dans les places, le plus longtemps qu’il est possible, ceux qui joignent ce mérite aux talents dont ils peuvent être pourvus. D’après ces mêmes principes, nous avons réglé au quart de ce qu’on avait pour appointements lorsqu’on était en activité, le montant de la pension qui sera accordée après trente années de services effectifs; et pour encourager, par l’espoir d’améliorer leur sort, ceux que le patriotisme déterminera à continuer leurs fonctions, nous avons établi une progression telle, qu’à cinquante ans de service on pourra obtenir la tota- 670 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 juillet 1790.] lilé de ses appointements. A l’effet de quoi, au-dessus de trente ans, chaque année augmentera d’un vingtième des trois quarts des appointements restants (1). La publicité des grâces réunissant le triple avantage d’instruire le peuple des noms de ceux qui ont bien mérité de la patrie, d’animer tous les citoyens par l’espérance de partager ses bienfaits, et d’écarter les sollicitations de ceux qui, dénués de titres pour obtenir des grâces, pourraient parvenir à les surprendre, votre comité a cru devoir vous proposer, Messieurs, de décréter : 1° que l’état des pensions, tel qu’il sera arrêté par l’Assemblée nationale, sera rendu public; 2° que tous les dix ans il sera imprimé en entier; et que, tous les ans, dans le mois de janvier, l’état des changements survenus dans le cours ue l’année précédente, et celui des concessions de nouvelles pensions, seront livrés à l’impression. Par ce moyen, le public instruit de l’usage que l’on aura fait des sommes destinées à récompenser les services rendus à la nation, sera dans le cas de juger si ses représentants se sont écartés des principes qui doivent toujours déterminer ses bienfaits. Quelque sage, quelque utile que soit une loi, une surveillance continuelle peut seule en assurer l’exécution . Sans cette surveillance, chaque jour la loi s’altère, et elle Unit bientôt par tomber en désuétude. Nous en faisons depuis longtemps la malheureuse expérience; et combien de lois ne pourrait-on pas citer, que leur sagesse et leur utilité n’ont pu sauver de l’inexécution, et même de l’oubli ! Celle que nous vous présentons, Messieurs, devant se trouver souvent en contradiction directe avec les vues personnelles des ministres, éprouvera infailliblement des atteintes dangereuses : sil œil attentif du pouvoir législatif n’est pas constamment ouvert sur son exécution, dans peu ses dispositions seront annulées, et les anciens abus renaîtront avec plus de vigueur que jamais. D’après ces réflexions, dont vous sentez, Messieurs, toute la justesse, votre comité a cherché les moyens de concilier les intérêts de la nation avec ce qu’elle doit à son auguste chef; et il a pensé qu’en conservant au roi la proposition de la liste des grâces, il devait poser des limites que les agents du pouvoir exécutif ne pussent franchir . Cette liste, à laquelle sera jointe celle des pensionnaires décédés, et celle des pensionnaires existants, sera, parSa Majesté, présentée à chaque législature. L’Assemblée examinera ces listes, et rendra un décret approbatif des pensions qu’elle croira devoir être tant accordées que conservées : le roi sanctionnera ce décret; et les pensions accordées en cette forme, seront les seules exigibles. Gomme il pourrait se faire que la religion du monarque fût trompée, et que son erreur échappât à la vigilance et à la sévérité de l’examen de l’Assemblée législative, votre comité a cru devoir poser, comme loi première et essentielle, qu’aucun citoyen ne pourrait prétendre aux grâces et aux récompenses de l’Etat, qu’autant que ses services seraient recommandés et attestés par les (1) Exemple pris pour un traitement de 2,000 livres. Pension : Au bout de trente ans de service. 500 üy. Après 31 ans .... ...... 575 Après 32 ans .......... 650 Après 50 ans .......... 2,000 départements, les officiers généraux et autres agents des pouvoirs exécutif, administratif et judiciaire, qui peuvent en avoir une pleine connaissance. Le concours de ces moyens rendra les surprises plus rares, les fraudes plus difficiles, et deviendra une barrière contre les entreprises du ministère. Telles sont, Messieurs, les bases que nous vous présentons pour la distribution des pensions et des gratifications à venir. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant que chez un peuple libre, servir l’Etat est un devoir que tout citoyen est tenu de remplir, et qu’il ne peut prétendre de récompense, qu’autant que la durée, l’éminence et la nature de ses services lui donnent des droits à une reconnaissance particulière de la nation ; que s’il est juste que, dans l’âge des infirmités, la patrie vienne au secours de celui qui lui a consacré ses talents et ses forces, lorsque sa fortune lui permet de se contenter des grâces honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de toute autre récompense, décrété ce qui suit : Art. 1er. L’Etat doit récompenser les services rendus au corps social, quand leur importance et leur durée méritent ce témoignage de reconnaissance. La nation doit aussi payer aux citoyens le prix des sacrifices qu’ils ont faits à futilité publique. Art. 2. Les services qu’il convient à l’État de récompenser sont ceux qui intéressent la société entière. Les services qu’un individu rend à un autre individu ne peuvent être rangés dans cette classe, qu’autant qu’ils sont accompagnés de circonstances qui en font réfléchir l’effet sur tout le corps social. Art. 3. Les sacrifices dont la nation doit payer le prix sont ceux qui naissent des pertes qu’on éprouve en défendant la patrie, ou des dépenses qu’on a faites pour lui procurer un avantage réel et constaté. Art. 4. Tout citoyen qui a servi, défendu, illustré, éclairé sa patrie, ou qui a donné un grand exemple de dévouement à la chose publique, a des droits à la reconnaissance de la nation, et peut, suivant sa position, la nature et la durée de ses services, prétendre aux récompenses honorifiques ou pécuniaires. Art. 5. Une médaille ou tout autre symbole de la gratitude nationale, seront la récompense la plus flatteuse et la plus distinguée. Art. 6. Il y aura deux espèces de récompenses pécuniaires : les pensions et les gratifications. Les premières seront destinées au soutien honorable du citoyen auquel ou les accorde; les secondes, à payer des pertes souffertes, des sacri-| fices faits à l’utilité publique. J Art. 7. Aucune pension ne sera accordée à qui | que ce soit, avec clause de réversibilité au profit i d’un autre; mais suivant les circonstances, et ! dans le cas de défaut absolu de patrimoine, la ! veuve d’un homme mort dans le cours de son ser-; vice public, pourra obtenir une pension alimen-| taire, et les enfants être élevés aux dépens de la ; nation, jusqu’à ce qu’elle les ait mis en état de pourvoir eux-mêmeà leur subsistance. Art. 8. IJ ne sera compris dans l’état des pensions que ce qui est accordé pour récompense de service. Tout ce qui sera prétendu à titre d’in-, demnité, de dédommagement, comme prix d’a-