[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1790.] $$$ cipe, en vous réservant les modifications sur l’application de cette institution et sur le moment de cette application. M. le Président ordonne la lecture d’une lettre qui vi-mt de lui être adressée par M. (e comte de La Luzerne, dans laquelle ce ministre expose que le roi l’a chargé de présenter, relativement aux troupes de la marine, quelques observations dignes de l’alteotion de l’Assemblée nationale, et qui ont pour objet l’augmentation de la solde des soldats ordonnée par son décret du 28 février dernier, sanctionné par Sa Majesté. Comme ces observations contiennent différents détails, l’Assemblée nationale renvoie la lettre au comité de la marine pour les prendre en considération, et lui en rendre compte. L’un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre que M. le garde des sceaux écrit à M. le président, dans laquelle il annonce que le ministre plénipotentiaire du duc de Wurtemberg vient d’adresser àM.le comte de Montmorin un mémoire relatif à des droits attachés à la terre de Franque-mont, située en Lorraine, et qu’il lui en transmet la copie pour qu’il veuille bien en donner connaissance à l’Assemblée nationale. Il est fait également lecture d’une seconde lettre de M. le garde des sceaux, à laquelle est joint l’exemplaire d’un mémoire imprimé que M. le baron de Dominique, ministre d’Êiat de l’Electeur de Trêves, a adressé à M. Je comte de Montmorin, sur la conservation des droits attachés à ses posses-. sions en Lorraine. L’Assemblée nationale renvoie ces deux mémoires au comité de féodalité. On annonce la mort de M. de Beauvais , ancien évêque de Senez, l'un des députés à l’Assemblée nationale. Ses exécuteurs testamentaires ont écrit à M. le président pour lui eu faire part, de même que de l’heure du convoi, qui aura lieu mercredi sept du présent mois, entre neuf et dix heures du matin, à Sainte-Marine, paroisse de l’Archevêché. M. le Pré «ident invite les membres de l’Assemblée a y assister. On lit une note de M. le garde des sceaux, qui porte qu’il a fait parvenir les expéditions en parchemin, pour être déposées dans les Archives de l’Assemblée nationale: 1° D'une proclamation sur le décret de l’Assemblée nationale, du 28 février dernier, concernant l’armée; 2° Des lettres-patentes sur le décret du 27 du mois dernier, qui autorise la ville de Besançon à faire un emprunt de 150,000 livres; 3° Des lettres-patentes sur le décret du même jour, qui autorise pareillement la ville de Valenciennes à faire uo emprunt de 120,000 livres. M. le Président. L’ordre du jour de demain sera un rapport du comité des pensions, un rapport du comité de liquidation et la suite de la discussion sur i’urgaiiisation judiciaire. (La séance est levée à trois heures.) ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 6 avril 17%. Motion sur le tabac par M. de Caulmîers, abbé d’Abbecourt, député de la vicomté de Paris (I). Messieurs, tout gouvernement a besoin d’un revenu public. Il est du devoir des législateurs de chercher à le procurer au Trésor national, de la manière la moins onéreuseaux peuples. Cette vérité étant gravée dans vos cœurs, je ne chercherai pas à la développer ni à l’étendre. On vous propose d’anéantir un revenu public, qui ne peut avoir contre lui qu’une opinion égarée par un raisonnement spécieux. 11 faut bien se garder d’envisager la vente exclusive du tabac comme un impôt. Elle n’est qu’une consommation libre et volontaire; c’est la vente d’une denrée de pure fantaisie, devenue habitude par usage, qui esi, par là même, avantageuse et utile à la nation. C’est une redevance enfin au profit de la chose publique garantie par.une compagnie sous certaines conditions, hypothéquée sur uoe consommation libre, qui n’attaque la propriété de personne, et pour laquelle cette compagnie s’engage de payer 30 millions environ au Trésor national. C’est enfin un revenu public assuré d’après les conditions d’un contrat à terme. Eu 1674, cette vente ne produisait pas plus de 60Ü mille livres. La compagnie des Indes en a été chargée pendant quelque temps : les progrès de cette vente ont été rapides : enfin 1 elle monte aujourd’hui à 30 millions à peu près. Un déficit énorme semble menacer notre nouvelle constitution. Une dette sacrée, puisqu’elle est sous la sauvegarde de la nation française, exige des sacrifices multipliéspour que nous puissions la faire acquitter : et on vient nous proposer d’anéantir un revenu aussi considérable ! L’on vous dit, Messieurs, que plusieurs motifs doivent vous déterminera ce nouveau sacrilice ; que d’après nos principes nous devons abolir toute espèce de privilège ; que l’intérêt de la Flandre, de l’Artois et de l’Alsace exige ce sacrilice ; qu’il faut donner à la culture la plus entière liberté. Je n’abuserai, Messieurs, ni de votre patience, ni de votre complaisance, ni de vos précieux moments, en examinant très rapidement ces difle-lents motifs. 11 faut d’abord parcourir, d’un premier coup d’œil, ce qui est supprimé, avec le désir très sincère, mais nou encore réalisé du remplacement. ; ce qui, malgré notre zèle et notre amour pour la chose publique, lui fait un tort réel. Vous avez cm devoir supprimer l’impôt de la gabelle comme odieux et vexatoire; il rapportait néanmoins an Trésor national 60 milliuns. La forme de cet impôt, les vexations qu’il occasionnait, le cri public, notre amour pour nos concitoyens, nous a déterminés à rendre ce décret. Il est porté; il ne m’est plus permis aucune réflexion à cet égard. Mais persuades de ta nécessité d’un revenu public vous avez ordonné dans (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 560 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1790.] votre sagesse le remplacement par un impôt de 40 millions. Vuus avez cru plus avantageux pour le commerce de détruire l’impôt qui pesait sur la marque des firs, sur la consommation des amidons, et d’établir un impôt commun et général que vous avez fixé à 10 millions. Conformément à vos principes vous avez décrété l’anéantissement des titres fastueux de prince, duc, comte, marquis, baron et autres ; titres qui, en flattant la vanité des hommes, rapportaient un profit réel au Trésor national par le contrôle des actes, par une capitation personnelle graduée d’après les différents titres. Ces citoyens confondus dans la classe ordinaire ne paieront plus que le quinzième de l’évaluation du loyer de leurs maisons, avec les quatre sols pour' livre; d’où il résulte une nouvelle perte pour le fisc, qui, d’après un aperçu sommaire, peut être évaluée à Graillions. Le marc d’or est supprimé de fait par l’abolition de la vénalité des charges. Ou peut l’évaluer à 150, Ü00 livres. Si par le nouvel ordre qui vous est présenté, en supprimant le produit des 30 millions, qui revient au Trésor public, sur la consommation libre et volontaire du tabuc, il en résulterait un nouveau mode de remplacement nécessaire à établir delà même somme de 30 millions. Si je n’étais pas retenu, Messieurs, par mon respect habituel pour vos décrets, je vous rappellerais le détriment fuit au Trésor national par la remise et suppression de la dtme, qui, suivant l’aperçu le plus modéré, peut être porté au moins à 80 millions. Il faut donc nécessairement envisager tous les moyens les plus simples, les plus doux, les plus avantageux au bonheur du peuple avant que de décréter l’objet qui nous est présenté. Je le demande au nom de notre chère et commune patrie, au nom de la Constitution, ne précipitons rien; examinons cette délibération avec le calme du sang froid ; pi rmettez-moi de vous représenter, afin de fixer votre opinion, le rapprochement du tableau des nouvelles charges publiques, ainsi que des revenus supprimés, dont vous avez ordonné le remplacement. TABLEAU des revenus supprimés dont le remplacement est décrété; ainsi que des nouvelles charges publiques. Remplacement de la gabelle Remplacement des droits sur les fers, cuirs et amidons. .. . Perte qui résulte au détriment du Trésor public, par la suppression de la noblesse, environ .................... Suppression du marc d’or.. Par l’abolition de la dîme, la vente des biens ecclésiastiques, les frais du culte, le traitement des titulaires actuels, l’augmentation des portions congrues, les pensions des religieux et religieuses, sont devenues à la charge de la nation; l’aperçu général de la dépense peut se porter au moins à .................... 40,000,000 liv. 10,000,000 6,000,000 1,500,000 135,000,000 Report ..... Les frais de la justice gratuite dans tout le royaume peuvent être considérés au moins comme une charge de. Les frais de toutes les tenues des assemblées de départements, districts, municipalités, peuvent être considérés comme un objet de. . . . Si on supprimait, en ce moment-ci, la vente exclusive du tabac, l’on acquerrait une nouvelle charge et un remplacement qu’il faudrait porter à ....................... 192,500,000 liv. 12,000,000 12,000,000 30,000,000 Total ............. 246,500,000 liv. Je conviens avec vous, Messieurs, que le nouvel ordre que vous croirez dans votre sagesse devoir établir dans l’administration des revenus publics, nous présentera des résultats consolants. Je n’ai pas voulu, en conséquence, chager ce tableau des dépenses de l’Assemblée nationale ou de législatures de l’augmentation de la paie du soldat et des matelots, de la nourriture, de l'entretien des pauvres dans le royaume, des ateliers de charité, des réparations des églises, des frais de régie des biens nationaux. J’ai pensé que ces nouveaux frais, quoique très considérables, pouvaient se trouver tant sur les économies que sur les bénéfices qui résulteront de la diminution des pensions. J’ai cru, néanmoins, qu’il était nécessaire de vous en présenter un aperçu. Dépenses de l’Assemblée nationale , des législatures , permanence des bureaux et autres accessoires.... ....... 8,000,000 liv. Four l’entretien des pauvres, travaux de charité, réparation des églises ................. 20,000,000 Pour l’augmentatiou de la paie des soldats et matelots, d’après les décrets .......... 8,000,000 Pour les frais de régie des biens nationaux, non-valeurs et toutes les réparations ..... 10,000,000 Pour l’intérêt du remboursement des dîmes inféodées dont le capital est de 100,000,000 fr .............. 5,000,000 Pour les rentes constituées sur le clergé ......... ....... 6,000,000 Total 57,000,000 liv. Récapitulation. Premier chapitre ....... 246,500,000 Second chapitre ........ 57,000,000 Total général ....... 303,500,000 liv. .4 reporter .... 192,500,000 liv. On nous a dit que, d’après nos principes, nous devons abolir toute espèce de privilèges. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 avril 1790.] 561 Je croirais, Messieurs, qu’il faut faire ici une distinction très essentielle. Un privilège est une prérogative accordée à un ou à plusieurs citoyens au détriment d’unesociété entière ; mais une conventiçm de la nation entière, au protit de toute société, n'est point un privilège exclusif. C’est une subvention qu’elle s’impose pour être employée aux dépenses générales et publiques; et si elle la modifie de manière que sa perception soit infiniment légère, et que, pour parvenir à ce but, elle s’attribue la vente d’une denrée qui n’est pas de première nécessité, les citoyens qui consentent a cette vente ne font du tort à aucun des individus, et la société n’a accordé à qui que ce soit le privilège exclusif, parce que ce qui produit l’avantage de tous n’est pas exclusif ; et une chose n’est exclusive que lorsqu’elle procure un avantage privé au détriment du général. Il a été démontré, après le calcul savant d’un de nos vertueux collègues (M. Dupont) que la consommation générale du tabac en France n’excédait pas 16 millions de livres pour 24 millions d’individus qui composent la France. La consommation de ceux qui usent du tabac, même modérément, n’est pas au-dessous de 6 livres par an; en sorte qu’il se trouve prouvé qu’il n’y a qu’un homme sur neuf qui use du tabac. Il faudrait donc alors imposer huit personnes pour favoriser une seule. Je doute que, malgré le patriotisme qui doit animer tous les Français, on puisse accepter volontiers un nouvel impôt, en dédommagement d’une consommation à laquelle ou ne participe pas. Je vous demande, Messieurs, si dans le vœu de huit contre un, et d’un contre huit, quel est celui qui doit emporter la balance? C’est précisément ce que vous feriez si vous détruisiez la vente nationale du tabac. Chaque citoyen supporterait sa part du remplacement des 30 millions, dont il n’y aurait qu’un neuvième qui profiterait. Vous auriez quelques cantons qui cultiveraient cette plante, quelques manufactures s’élèveraient sur les débris des nôtres. Vous sacrifieriez la majorité à la minorité, vous commettriez une des pl us grandes fautes politiques; vous rompriez un des liens qui unit le plus fortement le nord de l’Amérique avec la France. Une considération bien intéressante pour l’humanité, dont le peuple se trouverait la victime comme il l’est en tout quand il n’est pas guidé ni éclairé, c’est la mauvaise et même souvent dangereuse qualité du tabac qui serait une suite inévitable de la liberté de ce commerce, s'il était livré à la cupidité des gens sans principes, qui ne consulteraient que leur intérêt personnel. Je ne m’appesantirai pas davantage sur ces réflexions qui ne peuvent échapper à votre sagesse. L’on vous a dit que l’intérêt de la Flandre, l’Alsace et l’Artois exigeait ce sacrifice. Je pense au contraire que l’intérêt de ces provinces exige que la culture du tabac soit proscrite en France. Certainement, si la culture du tabac était libre en France, tout l’avantage serait au profit de nos provinces méridionales dont le tabac serait très supérieur et emporterait la balance. De plus, ne sommes-nous pas tous citoyens d’une même famille ? Il ne peut plus y avoir parmi les Français des intérêts de province. Mais je ne désire nuire aux intérêts ni aux jouissances d’aucune province : je demande, au contraire, qu’ils leur lre Série, T. XII. soient conservés sans aucune innovation, ni à leur avantage, ni à leur préjudice. Je pourrais néanmoins leur dire : ou la vente du tabac sera conservée avec quelques modifications, ou elle sera détruite. Si elle est conservée, les prérogatives de toute nature sont abolies sans retour, et demeurent confondues dans le droit commun de tous les Français, vous en êtes convenu le 4 août 1789. Si elle est détruite, tous les aqtres cantons de la France auront la liberté de la culture; les tabacs de meilleure qualité auront la préférence; vos provinces ne pourront pas soutenir la concurrence avec les provinces méridionales. Je leur demanderais, si elles résistaient encore au senti-ment du patriotisme et de l’équité : voulez-vous que l’Etat obéré sacrifie un revenu de 30 millions pour vous conserver un produit de 300,000 livres qu’il vous est possible de remplacer par d’autres productions ? Indépendamment de ces considérations particulières, il s’en présente d’autres générales et politiques : non seulement l’Etat perdrait 30 millions de revenu, mais le numéraire diminuerait annuellement de 4 millions, parce que la mauvaise qualité des tabacs de l’Europe avilirait nos manufactures nationales. C’est à la qualité supérieure du tabac que fournit le nord de l’Amérique, qu’elles doivent l’ascendant qu’elles obtiennent sur toutes celles de l’Europe : nos tabacs manufacturés sont recherchés partout, et cette branche de commerce produit à la France un bénéfice annuel de près de 4 millions. Proscrivez les tabacs de l’Amérique septentrionale, et vous ne pourrez faire autrement si on cultive le tabac dans toute la France, vous perdrez alors ce tribut de l’Europe. Lorsque la dernière guerre s’opposa à la facilité des convois de cette denrée, on fut obligé d’employer des tabacs du meilleur choix, que nos voisins purent nous fournir, et l’on fabrique des tabacs détestables. Ce ne serait pas la seule faute politique que nous ferions dans ce nouveau système. Nous en ferions une autre, qui, dans la position actuelle, nous porterait un coup mortel. Lorsque nous aidâmes les Etats-Unis de l’Amérique à secouer le joug, nous eûmes, j'ose le dire, une profonde intention ; non seulement nous fûmes émus par le noble motif qui leur mettait les armes à la main, mais encore nous nous sommes proposé de nous faire un ami puissant dans le nouveau monde, de détacher de l’Angleterre des colonies importantes et remettre un équilibre dans les forces maritimes, en privant nos rivaux de braves auxiliaires, dont les armateurs expérimentés ne cesseraient de désoler notre commerce dans toutes les guerres que nous avions avec la Grande-Bretagne. Ces motifs nous ont fait embrasser la querelle des Etats-Unis. Nous avons prodigué, pour obtenir ces succès, notre sang et notre numéraire; près de 3 milliards ont été consacrés pour arracher ce sceptre au despotisme, et nous acquérir des amis. Le seul lien commercial qui nous lie est l’achat des tabacs. Sûrs de nous en vendre pour près de 8 millions, les Américains tirent en retour des objets de luxe pour une somme équivalente. Je ne crains pas de le dire, Messieurs, d’après les auteurs les plus célèbres, la suppression de la vente actuelle du tabac ferait un tort aux deux États de l’Amérique (le Mariland et la Virginie) de plus de 24 millions; et pour vous le démontrer, permettez-moi de vous rappeler, en peu de mots, la forme du commerce du tabac établie dans ces 36 562 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 avril 1790.] deux Etats ; elle servira à établir mes principes. Nous achetons du tabac pour 8 millions; et par la plus sage des institutions, ces 8 millions leur représentent près de 24 millions. Il est d’usage dans ces Etats de construire de rands magasins publics, destinés à l’entrepôt e cette marchandise. Il y a des inspecteurs publics qui parcourent toutes les plantations pour vérifier la qualité des tabacs; s’ils la trouvent bonne on l’encaisse dans des boucauts. L’inspecteur donne aux planteurs des récépissés appelés Hogfeac, qui représentent nos assignats. Dès lors ce tabac est réputé vendu, et ces Hogfeac servent à l’acquisition de tous les objets mis en circulation dans le commerce. Il est constant que cette heureuse combinaison triple pour le moins les produits de l’industrie, et que l’anéantissement de 8 millions d’achat porterait un coup trop sensible à nos alliés, pour que cette opération ne rompît pas, dans le temps le plus fâcheux, notre alliance avec l’Amérique que nous avons achetée par la plus grande partie du bénéfice qui nous abîme. Ainsi nous perdrions le fruit de tant de travaux et de dépenses : cette partie de l’Amérique se détacherait de nos intérêts pour s’unir exclusivement avec son ancienne métropole. Le sang, le langage, la religion les y invitent. Peut-être cette seule considération les retient. Ce serait, il me semble, léser la patrie que de méconnaître d’aussi grands intérêts. En vain on nous objectera que les manufactures nationales qui seraient conservées tireraient toujours des tabacs de l’Amérique : cet espoir est, j’ose le croire, chimérique; il ne faut rien jeter au hasard. L’on vous propose de donner à la culture des terres la plus entière liberté. La cherté excessive du blé que nous n’avons malheureusement pas encore eu le temps de faire oublier, nous dit assez que ce serait nous exposer à de nouveaux malheurs dans ce genre, si nous livrions à la culture, du tabac, par préférence à celle du blé et autres denrées, des champs précieux. Ainsi, l’avantage politique et le bonheur du peuple exigent que l’on ne livre pas à la cupidité d’un cultivateur, qui, ne calculant que l’avantage du moment, pourrait se livrer à une spéculation qu’influerait sur le bonheur du peuple, qui doit être notre premier but. Avant que de décider cette grande question il faut examiner si la culture du tabac est aussi avantageuse que l’on pourrait le croire ; et après plusieurs recherches, permettez-moi de vous citer un passage de M. Jefferson, auteur Américain aussi recommandable par son patriotisme que par son érudition. Yous y lirez, page 324, que cet auteur estimable après avoir examiné l’exportation du tabac, et ensuite balancé les considérations particulières aux deux Etats du Mariland et delà virginie, avec le pays de l’ouest du Mississi-pi et des parties antérieures de la Géorgie, nous dit que le Mariland et la Virginie seront bientôt obligés d’abandonner la culture du tabac; événement heureux pour ces deux Etats ; que celte culture en effet est une source féconde de misère, qu’elle demande des hommes qui y sont employés à un travail si continu et en même temps si pénible, qu’il est au-dessus des forces de la nature de le supporter longtemps; qu’ils cultivent peu de productions pour leur nourriture et celle des animaux; de sorte que les cultivateurs et leurs animaux sont très mal nourris, en même temps que le sol s’appauvrit rapidement (considération remarquable). La culture du froment, ajoute-t-il, est accompagnée de circonstances toutes contraires. Outre que la terre revêtue de végétaux conserve mieux sa fertilité, qu’elle nourrit abondamment son cultivateur, elle ne demande de lui qu’un travail modéré, excepté dans la saison des moissons ; elle élève et multiplie toutes les espèces d’animaux utiles au service et à la nourriture de l’homme, répand l’abondance et le bonheur. Il trouve qu’on obtient plus aisément de la terre cent boisseaux de blé que mille livres pesant de tabac (1), que ces cent boisseaux ont plus de valeur. Nous devons donc nous en rapporter à un auteur qui parle d’après une expérience consommée. Je pense ainsi qu’avant de détruire, il faut examiner, non par un simple aperçu, mais par une réalité bien détaillée, bien analysée, bien calculée, et même d’après l’expérience, ce que produirait un impôt établi sur les entrées du tabac étranger aux frontières du royaume, sur la culture libre du tabac en France, ces deux objets devant seuls supporter le remplacement qui résulterait au profit du Trésor public, en détruisant la vente exclusive du tabac, accordée à une administration sous le nom de Ferme générale. Je conclus donc : 1° A un ajournement indéfini ; 2° A ce qu’il soit décrété que la législature prochaine s’occupera des moyens du remplacement des 30 millions perçus par le Trésor public sur la vente du tabac, d’après les bases qui seront présentées par les comités réunis de finance, d’agriculture et de commerce ; 3° Que jusqu’à cette époque, les lois relatives à la perception et à l’administration de la vente du tabac, seront observées suivant l’ancien usage, en détruisant toutefois les abus vexatoires ; 4° Que les assemblées de districts et de départements, ainsi que les municipalités, seront tenues de les faire observer, de faire même prêter main-forte dans le cas où elles en seraient requises; 5° Que les provinces à qui la culture du tabac était permise, en jouiront comme par le passé, si le patriotisme ne les détermine à faire le sacrifice libre et volontaire de la culture du tabac ; qu’ellea en jouiront non à titre de privilège, mais comme une culture d’usage, en se soumettant et observant, conformément au serment civique et fédératif, les règles et usages établis jusqu’à ce jour. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du mercredi 7 avril 1790 (2). M. le Président ouvre la séance à neuf heures du matin. On compte très peu de membres dans la salle. Un de\MM. les secrétaires donne lecture des adresses dont la teneur suit : (1) Les mille livres pesant de tabac ne sont pas manufacturées ; elles sont en vert et perdront nécessairement beaucoup de leur poids avant que d’être réduites au taux de la perfection nécessaire pour l’usage. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur.