Séance du 27 vendémiaire an III (samedi 18 octobre 1794) Présidence de CAMBACÉRÈS 1 La séance s’ouvre à 11 heures et un quart. Un membre du comité des Dépêches donne lecture de la correspondance. La société populaire de Parly [Yonne] se plaint qu’on répand sur les sociétés populaires des forfaits produits par les individus; elle fait sa profession de foi politique et morale. Elle invite la Convention nationale à rester à son poste, et à continuer ses glorieux travaux. Mention honorable, insertion au bulletin (1). [La société populaire de Parly à la Convention nationale, du 16 vendémiaire an III] (2) Liberté, égalité, fraternité ou la mort Citoyens représentans, De nombreuses adresses vous parviennent de tous points de la République, et elles ont sonné partout le tocsin de l’inquiétude et de la perplexité. Pleins de confiance dans la Convention nationale, notre opinion n’a point flotté incertaine au milieu de la tempête politique que nous voyons se former sur notre horison. Nous avons posé un principe certain et incontestable, c’est que le pilote comme les matelots du vaisseau de l’état, ont tous le même intérêt à le conduire dans le port, parceque tous périront également dans le naufrage. La Convention nationale et les sociétés populaires ne peuvent avoir d’autres vues que l’affermissement de la République une indivisible et démocratique, et ceux qui, à la Convention nationale, proposeroient l’anéantissement des sociétés populaires, et ceux qui, dans les sociétés populaires, oseroient proposer la dissolution (1) P. V., XLVII, 229. (2) C 322, pl. 1355, p. 6. de la Convention, nous paroitroient également des contrerévolutionnaires. La France est un corps environné d’ennemis puissans : il ne sufit pas pour le garantir de toute surprise d’un général habile et intrépide et d’une armée de héros, il faut que des sentinelles vigilantes placées de toutes parts, puissent observer toutes les manoeuvres de l’ennemi et donner l’éveil sur ses tentatives et ses moindres mouvemens. On parle de détruire les sociétés populaires...! La révolution seroit-elle achevée? tous les tyrans oppresseurs de la terre seroient-ils morts? tous les aristocrates seroient-ils devenus patriotes; et tous les fripons honnêtes gens? tous les préjugés ennemis de la raison et de l’égalité seroient-ils détruits? tous les hommes enfin seroient-ils instruits de leurs droits et de leurs devoirs...? Mais non, la révolution n’est pas encore achevée, car de tous côtés, ses implacables ennemis cherchent à en ébranler les colonnes et à en saper les fondemens. Tous les tyrans ne sont pas morts; car nos enfans ne nous sont point encore rendus. Les aristocrates ne sont point devenus patriotes ; car nous sommes bien sûrs que nous ne pensons pas et que nous ne penserons jamais comme tant d’individus qui se félicitent mutuellement, lorsqu’ils se rencontrent, de ce que les sociétés populaires sont menacées d’une destruction prochaine, et qui sont prêts à recevoir de nouveaux fers, pourvu que nous soyons égorgés à leurs yeux ou enchaînés à leurs pieds. Tous les fripons ne sont pas devenus honnêtes gens; car il y a encore des dilapidateurs de la fortune publique, des usuriers, des accapareurs qui sourient de pitié, lorsqu’on parle de la loi salutaire du maximum et qui dévorent impunément la substance du peuple. Tous les préjugés qui outragent la raison et l’égalité ne sont pas détruits : car nos campagnes se hérissent de nouvelles croix, et nos anciens despotes recommencent à nous molester et à nous regarder avec mépris, parceque c’est eux, disent-ils, qui nous font vivre, quoique ce soit nos sueurs qui fécondent leurs champs. 242 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Enfin tous les hommes, surtout dans nos campagnes, ne sont pas instruits de leurs droits et de leurs devoirs ; car ils rampent encore bassement devant le riche égoïste qui continue à les tenir dans une distance respectueuse, en leur expliquant que l’égalité consiste simplement à ce qu’un Monsieur qui voleroit ce dont il n’auroit pas besoin, seroit puni de la même peine que le sans culotte que la nécessité por-teroit quelque fois à commettre la même faute. En un mot, citoyens représentans, pendant que vous aurez besoin de cet enthousiasme de la liberté qui a créé tant de prodiges, de cette abnégation de soi-même qui a commnandé de si généreux sacrifices, de ce zèle ardent et infatigable qui a favorisé l’exécution des lois, de cet élan sublime qui a appellé nos enfans aux frontières, et de ces sentimens de reconnois-sance et d’amour qui font la plus douce récompense de vos glorieux travaux, vous les trouverez dans les sociétés populaires : vous y trouverez les défenseurs des droits sacrés du peuple, vos véritables amis et les ennemis implacables de toute espèce de tyrannie. Cependant la calomnie les attaque avec fureur. On leur attribue tous les maux inséparables d’une grande révolution. Parceque des scélérats, des intrigans, des dominateurs se sont glissés dans les sociétés populaires, on cherche à faire rejaillir sur elles, les forfaits de quelques individus. On empoisonne l’opinion publique, on répand, pour égarer le peuple, que les jacobins ont été la cause de la guerre de la Vendée, comme on a cherché à faire croire il y a quelque tems aux crédules habitans de nos campagnes que c’étoit nous qui avions fait tomber la grêle ; on va enfin jusqu’à accuser les patriotes de vouloir entraver les opérations de la Convention nationale et de vouloir s’armer contr’elle, tandis qu’il n’en est point qui ne soient prêts à lui donner jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Non, les vrais patriotes, les vrais jacobins de toute la république ne se sépareront jamais de la Convention nationale, elle sera toujours leur centre de ralliement et les projets de Pitt seront encore une fois déjoués. Nous vous faisons icy, citoyens représentans, notre profession de foi politique et morale. Nous ne croirons jamais que la Convention nationale cherche à détruire les sociétés populaires, pas plus qu’il n’est possible que les sociétés populaires désirent la dissolution de la Convention. Nous croyons que Pitt est le bras invisible qui secoue au milieu de nous les brandons de la guerre civile et qu’il a appelé à son secours les haines individuelles, les passions particulières, la jalouse envie, l’aristocratie et le modérantisme. Nous croyons qu’une sévère épuration doit faire justice de tous les intrigans, de tous les dominateurs, de tous les faux patriotes qui peuvent s’être glissés dans les sociétés populaires. Nous regardons comme nos ennemis et ceux de la république, tous ceux qui chercheroient à avilir la représentation nationale, et qui pour-roient méconnoitre les droits sacrés du peuple souverain. Nous vous demandons, au nom de la patrie que vous avez déjà tant de fois sauvée, de rendre à l’opinion sa vraie direction et de ne plus souffrir que la malveillance s’agite ouvertement pour opérer la contre révolution. Restez à votre poste, achevez vos glorieux travaux, et fixez les destinées de la République une indivisible et démocratique. Salut et fraternité. Les membres composant la société populaire de Parly Jeorge, président, Gérard, secrétaire. 2 Le club national de Bordeaux [Bec-d’Ambès] fait sa profession de foi politique, l’éloge de l’esprit public des habitans de cette grande commune. Il proteste que tous les coeurs sont animés d’amour pour la Convention nationale, et d’enthousiasme pour la liberté. Mention honorable, insertion au bulletin, renvoi au comité de Salut public (3). [Le club national de Bordeaux à la Convention nationale ] (4) Législateurs, Les ennemis de la révolution, depuis le jour qui la vit naître, n’ont cessé de calomnier avec acharnement les citoyens de Bordeaux ; ils n’ont pu leur pardonner les nombreux efforts qu’ils ont fait pour la révolution : désespérant d’en faire les instrumens de leurs complots criminels, ils ont voulu les perdre. Bordeaux fut égaré un instant par des hommes qui abusèrent de la confiance en trompant son patriotisme; mais aujourd’hui que la vérité a percé, personne n’ignore que le fédéralisme n’étoit l’ouvrage que de quelques scélérats, et que les citoyens de Bordeaux en les servant croyaient servir la République. Cette erreur malheureuse fut le prétexte dont on se servit pour attirer sur les Bordelais les maux sans nombre sous lesquels ils ont gémi et dont ils viennent enfin d’être délivrés. Qu’ils ont payé cher une erreur qu’ils ont détestée, et qu’ils ont mille fois réparée depuis! Les Bordelais détestent l’aristocratie et la tyrannie ; ils veulent suivre la ligne des principes ; ils savent que l’horrible tempête et le calme prématuré sont également dangereux, et qu’il n’y a que le cours d’une justice prompte et impartiale qui puisse conduire au port le vaisseau de la révolution. (3) P.-V., XL VII, 229. F. de la Républ., n” 28 ; Af. 17., XLIV, 442. (4) Bull., 27 vend.