[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [2 octobre 1790.] 4i5 l’Assemblée, remplissant par elle et pour elle un ministère de justice et d’impartialité, avez substitué l’aigreur du sarcasme à la froide impassibilité de la loi ; que c’est vous qui, mettant dans ma bouche ce qu’elle n’a point prononcé, dans mon cœur ce qui n’y entrera jamais, m’avez fait dire ce que je n’ai pas dit pour autoriser par là ce que vous vouliez dire. Vous vous souviendrez enfin que c’est vous qui, de sang-froid, dans le silence du cabiuet, avez eu recours à l’art odieux de tordre mes expressions, pour en faire sortir du venin. J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre, etc. OPINION DE M. de Gnilhermy, sur le rapport de M.Chabroud, sur la procédure du Châtelet (i). Messieurs, j’avais cru jusqu’à ce jour que l’exactitude devait être la première base de tout rapport. L’étrange reproche qui m’a été adressé par M. Chabroud me ferait presque penser que cette qualité n’est point essentielle aux rapports faits dans le sens de la Révolution. Je suis accusé parM. Chabroud d'avoir, en osant franchir la discrétion que commandait l'intimité d'un déjeuner , violé les devoirs de V hospitalité à l'égard de M. Coroller, que je déclare n’avoir jamais vu ailleurs que dans l'Assemblée nationale, à qui je n’ai pas parlé deux fois en ma vie, et dans les confidences duquel je puis assurer que je n’ai jamais été admis. Si cette accusation ne regardait que moi, je pourrais me contenter d’inviter M. Chabroud à dire d’où il a appris que je me sois jamais trouvé à déjeuner avec M. Coroller, et que j’ai eu à remplir envers lui les devoirs de l’hospitalité; ou plutôt je renverrais M. Chabroud à ma déposition, après lui avoir demandé comment il a osé en parler sans l’avoir lue, et je bornerais là ma réponse; mais M. Chabroud ayant enveloppé dans son inculpation MM. Dufraisse-Duchey et Tailhardat de La Maisonneuve , je rte croirai avoir rempli ma tâche, qu’autant que j’aurai prouvé qu’il est aussi peu juste à leur égard qu’au mien. Le hasard qui produit quelquefois des rassemblements bizarres, l’envie de venir à Paris et l’embarras de trouver des voitures réunirent, le 17 juillet 1789 chez M. Malouet , d’un côté M. Coroller, de l’autre MM. Duft aisse et Tailhardat. Je suis fondé à soutenir qu’entre M. Coroller et ces deux derniers il n’a jamais existé aucune réunion d’opinions ni de sentiments, moins encore aucune intimité. Il plut à M. Coroller de se vanter d’être d’un comité (2) qui , pour opérer (1) J’avais demandé la parole pour répondre à l’imputation calomnieuse qui m’a été faite par M. le rapporteur. L’Assemblée nationale a jugé dans sa sagesse que des témoins transformés en accusés ne devaient point être entendus. Mon opinion n'aurait certainement pas vu le jour, si M. Chabroud instruit dans la tribune même par les réclamations de M. Dufraisse-Duchey, combien cette imputation était déplacée, au moins à mon égard, ne l’avait laissé subsister à la page 9 de son rapport imprimé. Je donne mon opinion telle qu’elle était destinée â être prononcée, sans y rien changer. Je sens cependant que j’aurais pu me dispenser de répondre, puisque aussi bien tout nomme honnête qui lira la procédure et le rapport dont est question, jugera, sans autres notions que celles du bon sens , que M. Chabroud ressemble parfaitement à ces faiseurs de romans dont il est dit dans Horace — pictoribus atque poetis quid libet andendi semper fuit æqua potestas. (2) Personne n’ignore qu’il s’était déjà formé à Ver-la Révolution, avait engagé l'armée à la défection, et aurait soulevé Paris, en faisant mettre le feu au Palais-Bourbon , au défaut du renvoi de M. de Nec-her. M. le rapporteur nous apprend que le propos de M. Coroller n’était qu’un persiflage-, on conviendra du moins que c’était une singulière manière de persifler. En consentant cependant que M. le rapporteur trouve ce propos seulement plaisant , je prie qu’on pardonne à MM. Dufraisse et Tailhardat de l’avoir trouvé sérieux. Cet exposé simple et vrai doit suffire pour prouver qu’ils n'étaient pas tenus non plus que moi des devoirs de V hospitalité envers M. Coroller. Certes, il y a bien loin d’uue jactance à une confidence. J’ajouterai néanmoins que si le rapport de M. Chabroud était fondé, ce dont je suis bien éloigné de convenir, l’Assemblée nationale qui a puni M. l’abbé de Barmont pour n’avoir pas violé l’hospitalité, pourrait se charger elle-même du soin de notre justification (1). Ma déposition étant absolument indifférente, puisque je n’ai parlé que d 'ouï-dire, j’aurais, sans doute, le droit de m’étendre sur l’incroyable rapport de M. Chabroud. J’admirerais cette assurance avec laquelle il ose affirmer si positivement que des témoins qui déposent avoir vu, ont mal vu ; que d’autres qui déposent avoir entendu, ont mal entendu. J’admirerais cette heureuse adresse avec laquelle il confond les faits et les époques pour justifier les accusés, et distingue très bien ces mêmes faits, ces mêmes époques pour établir des apparences de contradiction entre les témoins, et les transporter eux-mêmes en accusés. J’admirerais cet art avec lequel il a essayé de lier cette procédure à la Constitution, comme si la Constitution n’eût pu être établie que sur les débris du trône, comme si elle eût dû être cimentée du sang de plus fidèle serviteur du roi (2). sailles des associations qui étaient comme l’abrégé, ou si l’on veut 1 & prospectus du club des Jacobins, à Paris. Leur existence aurait dû rendre M. Chabroud plus indulgent envers la société de M. l’évêque de Langres. (1) M. l’abbé de Barmont dont tout le crime est de n’avoir pas porté un cœur d’airain, de n’avoir pas su refuser un asile dans sa maison et une place dans sa voiture à un homme contre qui il n’avait point été informé, et dont le crime, quel qu’il puisse être, n’était pas encore soumis au jugement d’aucun tribunal, à une malheureuse victime de l’autorité la plus tyrannique, la plus arbitraire, la plus illégale qui ait jamais existé. M. l’abbé de Barmont gémit depuis plus de deux mois dans la plus dure captivité. Il est gardé comme Damiens ; car, qu’importe qu’il soit dans sa propre maison, puisqu’elle a été transformée, pour lui, en une prison? Il n’y peut pas être un moment seul, trois officiers de la garde nationale couchent dans sa chambre, et un autre comité des recherches dont les membres osent parler : patrie, liberté, droits de l’homme, s’étudie à prolonger sa captivité, à éloigner son jugement, par des manœuvres qu’aucun homme public ou privé ne se serait autrefois permises impunément. O temporal o mores! J’invite MM. du comité des recherches de l’Assemblée nationale à lire le discours de M. de Servan sur l’administration de la justice criminelle, ils y verront combien ils sont injustes envers M. l’abbé de Barmont, quand même celui ci serait coupable. (2) J’aurais peut-être aussi le droit do répondre aux calomnies que M. Chabroud a essayé d’accréditer contre les gardes au roi, puisque dans ce corps vraiment respectable, et parmi ceux de ses membres qui étaient de service dans ces deux journées aussi honorables pour eux, que flétrissantes pour notre histoire, j'avais deux beaux-frères, dont un mon ancien condisciple et mon ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 octobre 1790.] 416 [Assemblée nationale.] Mais tout ce que je me permettrai de dire à cet égard, c’est qu’il est des hommes dont les traits ne blessent pas, et dont la justification ne saurait absoudre personne. On se tromperait, Messieurs, si l’on pensait que les bons citoyens, et j’avoue que mon opinion sur la véritable acception de ce titre est diamétralement opposée à celle de M. Chabroud, on se tromperait, dis-je, si l’on pensait que les bons citoyens ont espéré voir punir dans ce moment les sacrilèges instigateurs des attentats ui ont souillé les journées des 5 et 6 octobre. s se sont bornés à désirer que les crimes fussent publics, que les criminels fussent connus. C’est du temps seul qu’ils attendent justice, et iis l’attendront avec patience , assurés que lors-qu’enfin les lois auront repris leur empire, alors suivra le jugement, j’ai dit le supplice des coupables. P.-S. — M. le duc d’Orléans est monté à la tribune pour annoncer sa justification. Si M. le duc d’Orléans avait une justification à offrir, des véritables amis auraient dû conseiller à ce prince de la-présenter à l’Assemblée nationale avant son décret du 2, et d’en obtenir la permission d’aller la soumettre au Châtelet ; mais après que l’Assemblée nationale a déclaré qu’il ne pouvait point être inculpé, lui faire offrir sa justification, c’est en vérité une bien fausse démarche. M. le duc d’Orléans ne se croit donc pas justifié ? COMPTE rendu par une partie des membres de l'Assemblée, de leur opinion sur le rapport de la procédure du Châtelet. Nous députés, soussignés, justement indignés des exécrables attentats commis à Versailles, les 5 et 6 octobre de l’année dernière, attentats dont le souvenir serait à jamais déshonorant pour le nom français, si la recherche la plus sévère et d’éclatantes punitions ne venaient pas, en frappant sur les coupables, absoudre la nation ; Certains que, dans ces journées vouées au crime : Les gardes du corps du roi ont été attaqués par une troupe d« brigands qui annonçaient hautement le projet d’en faire autant de victimes ; Qu’ils n’ont opposé aux menaces et à la violence dont ils étaient l’objet que la plus courageuse obéissance aux ordres du roi, qui leur défendait de les repousser par la force ; Que les portes du palais du roi ont été forcées; Que plusieurs de ceux qui les gardaient ont été massacrés ; Que les portes de l’appartement de la reine ont été forcées et que ses gardes ont été victimes de leur courage et du fer des brigands; Que la reine elle-même n’a épargné à la France le dernier des attentats qu’en cherchant un asile dans l’appartement du roi ; ami dès mon plus jeune âge, tombé entre les mains des brigands et entendant délibérer sur le genre de supplice qu’on lui ferait subir, ainsi qu’à plusieurs de ses camarades qui partageaient son sort, fut l’un de ceux que M. de La Fayette arracha à la mort. Mais je crois Su’il serait aussi dilficile de parler sur ce sujet après de Bonnay, que de lui répondre, et je pense d’ailleurs, comme lui, que les gardes du corps du roi n’ont pas besoin de justification. Que le sang a coulé sous les fenêtres du roi dans son palais, aux portes de son appartement, sous ses yeux ; Que les courageux efforts de la garde nationale parisienne ont pu seuls mettre un terme à ces horribles excès ; Convaincus que ces attentats, que l’on a attribués uniquement à la disette du pain, était l’effet d’un complot dont le but détestable n’est encore connu qu’en partie, mais dont il est impossible de nier l’existence, lorsque l’on examine l’art avec lequel on avait su, dans cet affreux moment, déchaîner toutes les passions; Les atroces et révoltantes calomnies répandues contre la reine et les menaces dirigées contre elle par les brigands; La fureur excitée contre les gardes du corps, faussement accusés d’avoir foulé aux pieds la cocarde nationale, et désignés au peuple comme ses ennemis; L’argent et les séductions de toute espèce, employés pour soulever les soldats qui étaient alors à Versailles : Les efforts employés plusieurs jours auparavant, pour déterminer les ci-devant gardes-françaises à aller à Versailles reprendre leurs postes ; dispositions attestées par M. de La Fayette lui-même; Le travestissement d’une partie des brigands qui, en quittant, pour venir à Versailles, les habits de leur sexe, ne laissent pas lieu de douter qu’ils ne fussent les exécuteurs d’un projet conçu d’avance : Nous déclarons que nous improuvons, dans tout son contenu, le rapport de la procédure du Cbâtelet, fait par M. Chabroud, au nom du comité des rapports. Nqus Fimprouvons, parce qu’il rend un compte infidèle des dépositions. Nous l’improuvons, parce qu’il paraît n’avoir eu pour objet que de dénaturer les faits, d’inculper les victimes, de diffamer les témoins, de rendre odieux le tribunal, d'excuser les plus horribles attentats en les identifiant aux opérations de l’Assemblée nationale, de substituer, pour les justifier, un complût imaginaire à un complot réel, de diminuer enfin l’horreur que tout vrai Français doit avoir pour des crimes qui inculpent la nation tout entière, tant qu’ils restent impunis. Persuadés que le seul moyen d’assurer le châtiment de ces attentats était ‘de laisser à la justice le tours que tes lois lui prescrivent, que le devoir des représentants de la nation était d’employer à protéger, par toute l’autorité qu’ils ont reçue, la procédure qui pouvait seule en faire légalemeotconnaître les auteurs ; qu’interrompre, dans quelqu’une de ses parties, l’instruction commencée au Châtelet, c’était s’exposer au danger d’affaiblir les preuves, d’assurer l’impunité des coupables et, par là, faire servir contre la loi le pouvoir qui fait les lois; nous nous sommes opposés, autant qu’il était en nous, au projet de décret par lequel le rapporteur du comité des rapports proposait à l’Assemblée nationale de déclarer qu’il n’y avait pas lieu à accusation contre M. de Mirabeau et M. d’Orléans. Nous nous y sommes opposés, parce qu’il avait pour effet de transformer l’Assemblée législative en une assemblée de juges, et par conséquent confondre des pouvoirs qui ne peuvent être trop distincts. Nous nous y sommes opposés, parce que ce décret n’était autre chose qu’une sentence d’absolution, prononcée sur une procédure incomplète,