[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S? avril 1790-1 particuliers des provinces, des généralités et des villes. » Après quelques observations faites par divers membres, la motion de M. Boucbe est renvoyée au comité des tinances. L’Assemblée décrète ensuite, comme règlement de police intérieure, que les places auprès des poêles et les marches du Bureau, resteront vacantes, pour éviter la confusion qui naît quelquefois du groupement dans cette partie de la salle. M. le due d’Aiguillon fait une motion pour que le comité militaire et le comité de constitution s’assemblent, ce soir à six heures, pour préparer et rapporter à l’Assemblée, mercredi pro-ch-dn, après la lecture du procès-verbal, les articles constitutifs concernant le militaire, dont les hases et les principes sont déjà décrétés. Cette proposition est adoptée. Un de MM. les secrétaires donne lecture d’une délibération du district des Prémontrés, relativement au règlement général pour la commune de Paris et de celle du troisième bataillon dit des Cordeliers de la deuxième division de la garde nationale de Paris, qui, sur la question de la permanence des districts, s’en remettent absolument à ce qui sera décidé par l’Assemblée nationale. Ces pièces sont renvoyées au comité de constitution. il est fait lecture d’une adresse du sieur Fortin, citoyen de Rennes, par laquelle il supplie l’Assemblée de faire nommer des examinateurs de l’étuve frictionnaire et fumigatoire pour les noyés, dont il est l’inventeur. L’Assemblée ordonne le renvoi au comité d’agriculture et de commerce. On passe à l’ordre du jour qui porte sur les quatre premiers articles du projet de décret présenté par M. Ckasset, au nom du comité des dîmes, sur le remplacement de la dîme. M. Roederer. Nous avons décrété que la disposition des biens du clergé appartenait à la nation. La question qui se présente aujourd’hui est de savoir s’il convient, s’il est utile de retirer dès à présent les biens ecclésiastiques aux titulaires des bénétices : depuis le décret du 2 novembre, on n’a plus le droit de demander, comme l’a fait hier M. l’evêque de Nancy, si vous avez le droit de disposer de ces biens. Ainsi, à moins de vous exposer à violer la foi jurée, il faut convenir que vous avez ce droit, et se borner à examiner ensuite les avantages qui résulteront de l’usage que vou3 ferez de ce droit. M. l’évêque de Nancy se croit autorisé à protester, au nom de ses commettants, contre ce que vous allez décréter à ce sujet ; et pour autoriser cette protestation, il s’appuie du silence des cahiers ; on pourrait lui répondre que les ordres qui ont fait les cahiers n’avaient pas le droit de faire des cahiers ; mais ce qui répond plus nettement à M. l’évêque de Nancy, c’est que les peuples ont partout applaudi à vos décrets ; c'est que des députés de Nancy, de laquelle ville M. l’é\êque de Nancy est député, sont venus vous apporter à la barre l’adhésion la plus entière à vos décrets ; mais je revieus à la question : est-il utile de décréter dès à présent la vente des biens du clergé? Le principe qui me parait le plus à l’appui de l’aftirmative, c’est celui qui veut que toutes les fonctions publiques, quelle qu’en soit la nature, soient payées en m argent, d’une manière déterminée : des fonctions publiques ne doivent pas être payées en fonds territoriaux ; les fonctions ecclésiastiques donnent d’ailleurs un trop grand empire, dans la société, à ceux qui les exercent, pour qu’on ne doive pas leur refuser celles que donnent encore les propriétés territoriales. On réclame une exception en faveur des curés de campagne : on vous parle de l’intérêt des pauvres, dont M. l’évêque de Nancy s’est particulièrement occupé à la tribune. (U s'élève quelques murmures dans le côté droit de la salle.) M. l’abbé Grégoire. J’observe qu’il serait dur de dire que M. l’evêque de Nancy ne s’est occupé des pauvres qu’à la tribune. M. Roederer. J’habite une ville voisine de Nancy, et je ne parle que d’après l’opinion générale... Il me semble que l’aumône ne peut et ne doit être la charge d’aucun ecclésiastique quelconque. Si l’assistance des pauvres est une charge publique, elle exige une destination de fonds particuliers; l’aumône ne doit donc pas être confiée à des individus. L’acquittement de la dette la plus sacrée ne doit pas être confié à des individus isolés, et contre lesquels il est difficile de recourir. Le ministère du culte ne doit plus être que le ministère du culte. Ce que la religion commande aux ministres du cube, elle le commande à tous ses sectateurs. D’après les principes que je viens d’expostr, je pense qu’il faut retirer sans délai les biens ecclésiatiques des mains des ecclésiastiques, parce qu'il est très impoi tant que l’ancienne existence du clergé soit séparée de celle qu’il vous plaira lui donner, parce qu’il faut intéresser le clergé à la Révolution comme tout autre créancier du Trésor national. Il faudra toujours retirer à l’avenir la totalité des biens ecclésiastiques. Si ces bieus rentrent successivement uaus les mains de la nation, il sera impossible d'avoir une idée fixe de l’état dans lequel seront les finances. Tout se réunit donc dans mon esprit pour vous faire adopter les quatre articles qui vous sont proposés par votre comité. Je finis en observant que les ecclésiastiques qui ne seront point employés par la nouvelle constitution devront obtenir d’elle un sort favorable. M. le curé Dillon. Quoique je sois intimement persuadé qu’il est instant et juste de veudre les biens du clergé, cependant je crois que vous devez, en ce moment, accorder aux curés de campagne seulement une dotation en fonds de terre, simplement de la moitié de leurs revenus ; mais lorsque les circonstances le permettront, les pauvres gagneront beaucoup à cet ordre de choses, l’agriculture n’y gagnera pas moins. Les pauvres honteux, car Messieurs, il en existera toujours, quoi que vous fassiez, s’adresseront sûrement de préférence à leurs pasteurs. Si le curé de campagne ne recueille rien, il n’achètera pas pour donner, il ne pourra pas d’ailleurs acheter ; il donnerait un boisseau de blé s’il recueillait ; il donnerait, s’il avait des bestiaux, du laitage, si nécessaire aux enfants. Je pense donc qu'il est juste d’ordonner que les municipalités seront autorisées à laisser aux curés de campagne la jouissance des propriétés qu’ils ont déjà. A la mort de chaque titulaire, on fera une estimation à dire d’experts, et la propriété usufruitière passera ainsi dans les mains de leurs successeurs. Je ne puis être de l’avis de ceux qui veulent tout vendre ; on a souvent dit dans @86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. m avril 17§Ô.] cette tribune que, dans quelques années, l’intérêt de l’argent serait à 3 0/0 -, les propriétés gagneront à mesure que le taux de l’argent baissera : il est donc raisonnable d’attendre un moment plus opportun pour vendre les biens ecclésiastiques. J’adopte donc l’amendement proposé hier par M. l’abbé Grégoire, et je demande que chaque évêque ait une maison de campagne avec l’enclos. Quant à la protestation de M. l’évêque de Nancy, je soutiens qu il n’y a point ici de bon ecclésiastique qui ne soit près d’y donner un disaveu de bouche et de cœur. M. le marquis de Bouthillier, député du Berry (1). Messieurs, le moment des illusions est passe, un double précipice est ouvert sous nos pas; rompre le silence est un devoir; le garder plus longtemps serait faiblesse. Depuis six mois occupés à la restauration de nos tiuances, toutes nos opérations ont été marquées par des incertitudes ou des erreurs. Deux emprunts successivement décrétés, mais non remplis ; des arrangements purement palliatifs pris avec la caisse d’escumpte ; des nouveaux billets de cette compagnie ajoutés à la circulation, n’ont servi qu’à faire disparaître journellement le numéraire et à nous démontrer de plus en plus la triste position de notre crédit. — Le projet des assignais qu’on vous présente aujourd’hui est assis sur les mêmes bases : pouvons-nous nous flatter qu'il aura plus de succès ? Nous tournons sans cesse dans le même cercle; ses vices devraient nous être suffisamment démontrés par l’expérience. U faut en sortir, Messieurs, si nous voulons véritablement sauver la patrie : il en existe encore des moyens. Quelque opposés qu’ils puissent paraître au premier coup d’œil à quelques-uns des principes déjà consacrés, ou tout au moins annoncés, j’aurai le courage de les présenter à l’Assemblée nationale, et la présomption de penser qu’ils pourraient êîre aisément conciliés avec vos décrets précédents, si le patriotisme, cessant d’être égaré par l’enthousiasme, commençait enfin à s’emparer plus raisonnablement de nos esprits. Pour vous soumettre mes réflexions avec la méthode nécessaire, il faut examiner non seulement la nature des assignats, mais encore l’ensemble des opérations avec lesquelles ils se trouvent liés, aimi que leurs conséquences. Je tâcherai d’abuser le moins possible de vos moments : je réclame votre indulgence. Nos finances sont en désordre; des dettes énormes, un déficit effrayant nous accablent. Quatre cents millions de secours sont jugés né-cissaires : des ventes de biens ecclésiat-tiques et domaniaux ont été décrétées jusqu’à concurrence de cette somme; oes assignats hypothéqués sur le prix de ces ventes sont proposés pour parer aux besoins les plus pressés du moment, et pour remplacer en attendant, par leur circulation, celle de l’argent que les capitalistes s’obstinent à renfermer dans leurs coflres. Toute l’éloquence de uns orateurs est employée à vanter la solidité de l’hypothèque qu’on leur assigne. Telle est notre position actuelle. Quel effet produiront en finance ces assignats et ces ventes projetées? Quel effet produiront-elles pour la religion ? Les moyens pour les effectuer sont-ils les meil-(1) Le, Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. le marquis de Bouthillier. leurs ; n’y en aurait-il-pas de plus propres à concilier également les intérêts spirituels et temporels de la nation ? Telles sont les trois questions que je vais développer le plus succinctement qu’il me sera possible. Un luxe déprédateur a attaqué depuis longtemps les fortunes les plus solides ; des suppressions de droits, utiles peut-être, j’aime à le croire, mais terribles au moins pour les individus qui les éprouvent, ébranlent toutes celles qui avaient pu se soustraire à ce fléau. Une quantité énorme de terres, les plus considérables du royaume, e?-t en vente depuis plusieurs a nées, et ue trouve pas d’acquéreurs. D’autres vont y être mises encore. La capitale est abandonnée par ses citoyens les plus riches; la nouvelle constitution même, en forçant, par ses sages dispositions, tous les propriétaires à se fixer dans leurs provinces, où leurs intérêts et l’exercice de leurs droits les appelleront, ne peut manquer de la faire déserter de plus en plus. Toutes les villes principales du royaume auront le même sort. Au milieu de tant de* biens à vendre, dans un moment où les loyers des villes tomberont par la diminution réelle de leurs habitants, comment se ttatier de tirer un parti avantageux des ventes projetées, en supposant même que toutes les provinces Consentissent à les faire effectuer avec toute la tranquillité désirable? Ces biens, jadis inaliénables par toutes les lois les plus ancienne-! de la monarchie, ont changé de nature par l’effet -d’un seul décret. Des acquéreurs ue pourraient-ils pas craindre qu’un autre décret subséquent, leur rendant un jour leur premier caractère, ne les exposât alors à des recherches, dont on n’a vu que trop d’exemples jusqu’ici ? {Murmures.) M. le marquis de La Galissonnière. Ce que M. de Bouthillier a dit est si vrai, que la législature prochaine aura le droit de changer tout ce qu’a fait celle-ci. M. de Toulougeon. Je demande que la phrase de M. de BuuttiiUier soit déclarée inconstitutionnelle. M. le Président observe qu’on ne doit pas interrompre un opinant. M. marquis de Bouthillier reprend son discours. Pourrait-on croire qu’ils en préférassent l’ac-quisi lion à celle de tous les autres biens des particuliers, dont la solidité leur serait garantie par des lois qui n’ont jamais éprouvé d’atteinte? On ne peut l’espérer sans doute. Le vil prix pourrait peut-être seul leur faire obtenir la préférence et pour en tirer les 400 millions décrétés, il faudrait immanquablement en mettre en vente pour le double de leur valeur foncière. Quelle opération ! serait-elle digne des restaurateurs d’une grande nation ? Mais je veux que ces ventes puissent se réaliser, elles ne pourraient avoir lieu aussi promptement que les besoins sembleraient l’exiger. Les assignats représentatifs de leur prix futur n’en seraient pas moins indispensables; ne nous ledissimulons pas, Mes-ieurs: la quantiiéénorme des anciens billets de la caisse d’escompte, celle qu’on vient d’ajouter récemment à leur circulation, formant une masse de papier disproportionnée au numéraire, sont la principale cause de sa [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 17&Ô.J g$7 rareté, qui nous fait gémir aujourd’hui. Les assignats, en T'augmentant encore, ne produiront pas un meilleur effet. Le patriotisme les fera adopter, nous ne devons pas en douter, le commerce même facilitera la circulation ; mais plus ils seront reçus avec confiance, et plus le numéraire disparaîtra tous Jes jours. Tous les paiements ne se feront plus qu’en papier. Le Trésor public lui-même ne recevant plus qu’en ces valeurs fictives leproduit des impositions, ne pourra plus bientôt fournir au prêt des troupes et aux autres dépenses qui demandent du comptant; et si ces assignats prolongent peut-être notre existence financière pendant quelque temps, l’illusion ne tardera pas à se dissiper, soit par l’impossibilité des ventes, sur le prix desquelles ils seraient hypothéqués, soit par la disparition totale du numéraire. La confiance qu’ils auraient pu inspirer d’abord, s’évanouira; le mécontentement amènera leur discrédit, et ils finiront par rendre outre chiste plus fâcheuse encore, puisqu’elle s’opérera au milieu des troubles occasionnés par le désespoir de la misère, et qu il ne restera plus aucun moyen de réparer le mal que les combinaisons erronées auront rendu tout à fait incurable. Tel est l’effet que ces ventes projetées et ces assignats produiront en finance. Examinons à présent leur résultat, par rapport à la religion. Les assignats doivent être hypothéqués sur la vente des biens ecclésiastiques. Ceux-ci sont nécessaires à l’entretien du culte; sans culte, il ne peut point y avoir de religion. Traiter en ce moment les conséquences que cette opération pourrait avoir relativement à sa conservation, ce n’est point sortir de la question. Si j’ai l’air d’abord de m’en écarter, c'est pour y revenir d’une manière plus certaine. Je réclame en conséquence, Messieurs, votre indulgence et votre attention. La reiigionest nécessaire dans tout Etat policé ; consolation des malheureux auxquels elle prêche la patience et la résignation, elle adoucit leurs peines et leur misère par l’espérauce d’un avenir plus heureux. Elle est la protectrice des lois, dont elle ordonne l’observation. Le frein salutaire qu’elle impose aux passions, suffit pour arrêter le plus souvent les désordres particuliers et intérieurs, qui, sans elle, menaceraient et agiteraient sans cesse la société; ses maximes saintes et paisibles, gravées dans l’esprit des hommes, dès leur enfance, contiennent, dans Jes bornes des devoirs sociaux qu’elle prescrit, tous ceux que la scélératesse nVgare pas tout à fait. Elle enseigne l’égalité, la charité, la bienfaisance, enfin toutes les vertus dont la pratique suffirait pour assurer la paix et la tranquillité, et pour faire le bonheur des hommes, s’ils étaient tous assez heureux pour respecter également la morale. Si son institution n’était pas divine, elle devrait être le résultat d’une politique éclairée. En Dieu nous a transmis la nôtre, elle été celle de nos Çères, nous la professons, nous devons nous eu faire gloire; notre devoir, en empêchant qu’il n’y soit porté aucune atteinte, est de la maintenir dans toute son intégrité et dans toute sa pureté. Si la morale doit parler à l’esprit, son culte doit parler aux yeux : sans lui, sans son éclat, perdant elle-même de sa dignité, elle finirait par s’anéantir insensiblement. Les ministres de ces autels doivent être respectables et respectés ; les dégrader aux yeux des peuples serait un crime contraire à toutes les lois de la morale et de la politique. Les biens du clergé sont réputés à la disposition de la nation. J’admets ce principe. Ils doivent servir au soulagement de i’Etat, rien n’est plus juste encore, c’est une obligation commune à tous les citoyens ; mais leur première destination est d’assurer le culte et de maintenir la religion dans tout son lustre. De grands abus se sont glissés sans doute dans leur répartition, des systèmes mondains se sont trop introduits dans la constitution ecclésiastique, elle s’est trop écartée deson institution primitive, des législateurs sages et éclairés doivent chercher à l y rappeler, j en conviens. Qu’ils suppriment ces ordres religieux, parasites, inutiles non seulement à la société, mais même à la religion ; qu’ils détruisent ces bénéfices sans fonctions, qui enrichissent l’orgueil oisif, tandis que le zèle actif reste sans récompense ; qu’une distribution mieux entendue partage les biens en raison de l’utilité du travail et de la dignité des range, et non selon les caprices de la faveur, on ne pourra qu’applaudir à ces sages dispositions. Mais si, pour sauver i’Ëiatd’un danger momentané qui menacerait ses finances, ces législateurs se laissaient entraîner, par un zèle mal entendu, à des opérations susceptibles de porter atteinte à la religion, qu’ilsdoivent maintenir, soit en lui enlevant ceux de ses biens qui pourraient être utiles principalement à sa conservation, ou une trop gran le partie de ceux nécessaires à sou entretien, soit en réduisant le nombre de ses ministres essentiels d’une manière disproportionnée aux besoins du culte et au service des autels, leur but serait manqué, et les plus grands malheurs seraient la suite de cette erreur qui amènerait infailliblement la destruction. Pour tirer 400 millions nets des biens ecclésiastiques, dont la vente est décrétée, il faudra, ainsi que je l’ai dit ci-dessus, en aliéner peut-être le double de cette valeur réelle. Des adminis-tions temporelles présideront à ces ventes; les combinaisons de l’intérêt, et non celles relatives aux besoins de la religion, désigneront ceux de ces biens qui seront vendus, les revenus restant de ceux (jui ne le seront pas, ne seront plus suffisants pour les frais du culte, et pour toutes les autres dépenses dont ils seront chargés, une contribution publique sera indispensable pour suppléer à leur délicit. La, nation chargée de la payer, voudra sans doute se retenir l’administration temporelle de ces biens; les titulaires en seront dépouillés. Les ministres des autels ne seront plus que salariés, et peut-être même, pour ren tre cette charge moins onéreuse pour les peuples, faudra-t-il encore diminuer considérable lient leur nombre dans toutes les classes de la hiérarchie ecclésiastique, et supprimer eu môme temps tous ceux dont les fonctions spirituelles moins actives, ne paraîtraient pas totalement indispensables. Telles seront, Messieurs, les suites immaii [uables de ces ventes ainsi exécutées; tels seront les projets que l’on compte vous proposer. Si les ministres des autels ne recueillent plus par eux-mêmes aucun des fruits de la terre; si leurs revenus consistent uniquement dans la valeur pécuniaire du salaire qui leur sera fixé, quel bien pourront-ils faire aux malheureux, dans (es campagnes surtout, où les denrées nécessaires à la vie sont pour les pauvres des s cours pius précieux que l’argent même? De quel œil les peuples verront-ils des prêtres qu’ils regarderont comme une cause de surcharge, quel égard auront-ils pour eux? De tels arrangements por- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 688 teraient sans doute un premier coup funeste à la religion, en dégradant ses ministres aux yeux de ceux qui devraient les respecter. Combiner le nombre des ministres des autels en raison de celui des lieues carrées répandues sur la surface du royaume; donner une étendue trop considérable aux évêchés, et surtout au curés, afin de diminuer la quantité de ceux qui ont droit d’y prétendre : c’est mettre la majeure partie des habitants des campagnes hors d’état de pratiquer une religion, au culte et aux instructions de laquelle ils ne pourraient point participer. Les besoins spirituels, et non des calculs de mathématique, ont présidé à l’ancienne formation, et dirigé les arrondissements des évêchés et des cures; vouloir en réduire le nombre par des calculs financiers, et sans connaître les localités, c’est s’exposer à des erreurs dangereuses, et peut-être même à des troubles fâcheux. Le peuple est attaché à ses habitudes. De semblables dispositions, quelques bonnes qu’elles fussent peut-être dans une société naissante, auraient de grands inconvénients dans un royaume établi depuis longtemps, si elles détruisaient tout à coup les usages ou les préjugés consacrés par une longue suite de siècles. Elles en auraient de plus grands encore, en anéantissant insensiblement la religion dans l’esprit des peuples, parla difficulté qu’ils trouveraient à la pratiquer dans les campagnes. Enfin, Messieurs, si les ministres des autels ne sont plus que salariés, quelle confiance eux-mêmes pourront-ils prendre dans des revenus susceptibles d’être retardés par la négligence, la lenteur, ou l’infidélité des administrateurs chargés de les acquitter? Ne pourraient-ils pas craindre de les voir restreindre et même arrêter tout à fait, dans quelques-uns de ces moment de crise, pendant lesquels les gouvernements les plus justes, ne connaissant souvent d’autres lois que leurs besoins du moment, profitent de toutes les ressources qui peuvent se trouver à leur disposition? Si leur nombre est aussi considérablement diminué, s’il reste aussi peu d’espoir de places avantageuses, si leur existence devient aussi précaire et aussi incertaine, tileur considération est aussi diminuée, quel est l’homme (excepté peut-être ceux qu’une vocation prononcée appellerait au sacerdoce, et ce n’est pas le grand nombre) qui voudrait consentir à tous les sacrifices préliminaires que la religion exige, et se consacrer à un noviciat pénible et assujettis� t qui ne lui offrirait pas plus de certitude de parvenir? Quel est le père de famille, qui voudrait à l’avenir faire les frais d’une éducation plus soignée pour destiner ses enfants à un état qui ne leur présenterait pas une perspective plus assurée? Le nombre des prêtres diminuerait insensiblement, la religion, déjà bien affaiblie par la difficulté de la pratiquer, et de recevoir ses instructions, déjà bien dégradée par la perte de la considération de ses ministres, serait bientôt anéantie tout à fait, par l’impossibilitéd’en trouver un nombre suffisant pour desservir ses autels. Telles seraient, Messieurs, les suites que pourraient avoir ces ventes de biens ecclésiastiques, exécutées pourainsidire au hasard, et combinées sous leurs seuls rapports avec la finance, sans l’avoir éié auparavant sous ceux qu’elles pourraient avoir avec les besoins du culte et de la religion. Sans finance, il ne peut pas exister de constitution ; mais, Messieurs, elle ne peut pas subsister davantage sans religion. L’esprit philosophique depuis longtemps cherche à la saper dans ses fondements sacrés. Ses dogmes et sa morale sont trop au-dessus des raisonnements sophistiques qu’il pourrait employer pour les combattre, il est contraint de les respecter, mais c’est en anéantissant ses ministres et son culte, c’est en les attaquant par les armes du ridicule, c’est eu les rendant odieux aux yeux d’un peuple égaré par le langage emprunté d un faux patriotisme, qu’il cherche à lui porter les coups les plus funestes: c’est enfin en affaiblissant toutes les bases de cet auguste édifice, qu’il entreprend de préparer sa ruine. Votre prudence, Messieurs, saura rendre ses entreprises inutiles. Chrétien, j’ai dû vous les dénoncer; citoyen, je dois examiner à présent avec vous les moyens les plus propres à ménager également les intérêts temporels et spirituels de la nation, en les conciliant en même temps avec les décrets déjà prononcés par votre sagesse. Les biens dominicaux ou ecclésiastiques, soit par leur vente, soit par leurs revenus, doivent venir au secours des finances de l’Etat ; il en doit être vendu pour une somme de 400 millions. Votre décret du 17 mars eu prononce une première vente au profit des municipalités du royaume, et spécialement de celle de la ville de Paris. Elles seront chargées d’en consommer l’aliénation définitive vis-à-vis des acquéreurs qui se présenteront. Je ne chercherai point à vous faire part d’aucunes réflexions sur le fond de cette opération, elle a été suffisamment discutée lors de votre décret. Je me bornerai seulement à examiner ses conditions. — Les trois quarts de la valeur à laquelle ces biens seront estimés lors de la remise à en faire aux municipalités, seront pays blés eu quinze années. Des assignats représentatifs de ce prix et remboursables à chacune desdites quinze époques, seront mis en circulation. Le surplus des ventes, au delà de cette première somme, déduction faite des frais, appartiendra pour les trois quarts à la nation, et pour un quart aux municipalités, comme indemnité de leur crédit : telles sont les conditions décrétées. Je n’examinerai pas le degré de fidélité qui pourra présider à ces estimations : on ne peut douter de la pureté des vues de ceux qui en seront chargés ; mais le succès de toute opération de finance est incertain. Il dépendra du plus ou du moins de facilité des ventes; si la concurrence des acheteurs est prompte et grande, les bénéfices pourront être considérables. Dans le cas contraire, il ne pourrait y avoir que des pertes. Si l’opération est désavantageuse pour les administrations in-t rméaiaires qui l’entreprendront, si elles ne vendent pas, comment pourraient-elles acquitter le montant successif de leurs obligations? ne serait-il pas à craindre alors que la nation, au bout de quelques années, ne fut trop heureuse de rentrer, avec des pertes considérables, dans la propriété de ces biens qu’elle n’aurait ainsi aliénés que fictivement? Si l’opération des municipalités est avantageuse, serait-il juste que les villes profitassent seules du bénéfice des remises calculées à 25 millions, tandis que les campagnes, c’est-à-dire les quaire cinquièmes du royaume, n’eu tireraient aucun profit, quoique participant comme elles aux frais du culte, et payant peut-être un impôt que ces ventes forceraient sans doute à mettre pour son entretien. Députés des villes et des campagnes, ne devons-nous pas dé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 039 fendre leurs intérêts respectifs avec un pareil dévouement! Enfin, Messieurs, quel que soit le succès des opérations des municipalités, il restera toujours pendant quinze ans une masse considérable de papier, et ce n’est peut-être pas un de ses moindres inconvénients que celui d’en prolonger si longtemps l’existence. C’en est assez sans doute pour démontrer que cette opération n’est pas aussi avantageuse qu’on pourrait le désirer. Mais les représentants de la nation, dira-t-on, n’auraient pu que très difficilement effectuer ces ventes, il leur fallait des intermédiaires pour en surveiller les détails; il était impossible de ne pas les y intéresser ....... J’en conviens; mais il en existait de plus naturels encore que les municipalités. Le clergé lui-même, Messieurs, pourrait en être chargé ; il saurait, en vendant ces biens, distinguer ceux dont l’aliénation pourrait être nuisible à la religion dont ses membres sont les ministres; il inspirerait bien une autre confiance aux acquéreurs, qui, les tenant de lui avec toutes les formalités d’usage, n’auraient plus à craindre, par ce moyen, de voir un jour revenir sur les ventes qui leur en auraient été faites. Le clergé, accoutumé à administrer ces biens, en connaîtrait mieux la valeur; il saurait mieux apprécier la nécessité ou la possibilité des réunions ou des suppressions. Son crédit, encore existant, et confirme de plus en plus par la fidélité et l’exactitude avec laquelle il paie à présent la totalité de ses anciens engagements, malgré les circonstances du moment et les attaques qui lui ont été portées, donnerait bien un autre poids à vos assignats. Quinze ans ne lui seraient pas nécessaires pour vous en fournir la valeur; trois ans lui suffiraient, vous n’auriez aucune remise à lui faire pour acheter son crédit. Rendez au clergé l’administration de ses biens, exigez de lui quatre cents millions payables en trois ans, dont 10U millions à la fin de celte année. recevez ses assignats remboursables à ces courtes époques; autorisez-le à emprunter et à opérer toutes les réunions, suppressions ou ventes nécessaires pour le paiement de cette somme, et pour l’acquittement de ses anciennes dettes. Chargez-le de tous les frais du culte et de tous les paiements à faire aux religieux sortant de leurs couvents; at-sujettissez-le à payer sur ses biens, et de la même manière, toutes les contributions supportées par les autres citoyens. Vous sauverez la patrie, Messieurs. En augmentant les revenus publics du produit de ses impositions, plus profitable sans doute que les bénéfices que vous pourriez retirer de l’administration de ses biens, en soulageant les peuples de toutes les dépenses que l’entretien des ministres des autels et les autres charges dont les biens du clergé sont grevés eu ce moment, pourraient faire retomber sur eux, vous ménagerez encore à l’Etat de nouvelles ressources, par la possibilité que vous lui conserverez d’en exiger de nouveaux sacrifices dans de nouveaux moments de calamités. Tous ces arrangements pourraient se concilier aisément avec les décrets que vous avez déjà rendus ; c’est ce qui me reste à vous démontrer. 1° Vous avez décrété qu'il n'existera plus d'ordres dans la constitution. Gela est vrai, Messieurs; mais les municipalités, les communautés d’artisans, de marchands, etc. gèrent bien elles-mêmes leurs affaires communes, sans former des ordres politiques dans l’Etat, pourquoi le clergé n’admi-nistrerait-il pas lui-même les siennes de la même lra Série, T. XII. manière? Réglez par des lois sages et précises les formes de son administration, déterminez le nombre et les fonctions des commissaires qu’il en chargera, chargez les législatures de les surveiller. Toujours permanentes, et toujours prêtes à maintenir la Constitution, ne suffiraient-elles pas pour arrêter, dès leur naissance, les tentatives que vous pourriez redouter de sa part? Sauvez la patrie, Messieurs, et ne la sacrifiez pas à des craintes chimériques. 2° Vous avez décrété que les biens du clergé étaient à la disposition de la nation. Elle peut en confier aussi bien l’administration an clergé lui-même, qu’à des municipalités ou à des assemblées de district et de département. Confirmez de nouveau ie principe; les quatre cents millions que vous en exigerez dans ce moment-ci seront sa première application. Laissez à vos successeurs le moyen de la répéter pareillement toutes les fois que les besoins urgents de l’Etat pourront le requérir. 3° Vous avez décrété la suppression des vœux. Le clergé n’aurait ni la possibilité ni la volonté de les rétablir. L’extinction successive des ordres religieux serait une de ses principales ressources pour tontes les charges qne vous lui imposeriez; et leur anéantissement total, en augmentant son aisance, lui fournirait un jour de nouveaux moyens pour de nouveaux sacrifices. 4° Vous avez décrété la vente des biens ecclésiastiques aux municipalités ..... Mais rien n’est encore consommé ni entamé pour ainsi dire. Leur pairiotisme, Messieurs, se chargerait de la réponse, et le même esprit qui avait animé la municipalité de Paris dans la rédaction du projet qu’elle vous a présenté, l’engagerait certainement à y renoncer, lorsqu’elle verrait des condnions plus avantageuses offertes pour le salut de la patrie. Telles sont, Messieurs, les réflexions que le patriotisme m’a dictées. Si vous les approuviez, un plau général de finance, rédigé d’après ces bases, pourrait être aussitôt soumis à votre discussion. U n’est pas de moi, Messieurs, il est l’ouvrage d’un homme qui réunit la théorie la plus éclairée aux lumières pratiques d’une expérience acquise par le travail assidu d’un grand nombre d’années, sous les ordres successifs de plusieurs ministres des finances, auprès desquels il a exercé un des premiers emplois de ce département. Les principes que j’ai eu l’honneur de vous proposer de consacrer, Messieurs, sont les seuls capables de sauver l’Etat des malheurs qui le menacent. Mon devoir m’a fait la loi impérieuse de vous les développer. Puissent mes craintes être vaines! puissé-je n’ètre jamais dans le cas de regretter de ne vous avoir pas vu les adopter! Si le succès ne couronne pas vos opérations, eu gémissant sur les maux de ma malheureuse patrie, j’aurai au moins la consolation la plus douce pour un bon citoyen, celle d’avoir dit avec fermeté, jusqu’à la fin, ce que je devais dire, et ce que je croyais capable de la sauver. Je finis, en vous proposant de m’ordonner de vous communiquer le plan rédigé d’après les principes ci-dessus. — Telle est la motion expresse que j’ai l’honneur de soumettre à votre délibération. M. l’abbé Monnel, La nation peut-elle dispo* ser des biens du clergé? Cette question est décidée par le décret du 2 novembre; mais la nation doit-elle donner aux départements, aux municipalités, aux districts, l’administration des biens du clergé? Plusieurs membres ont discuté ces ques-44 690 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] tions. Je pense comme ceux qui les ont adoptées, et je propose seulement unamendementau deuxième article du comiié; il a pour but de demander une exception eu faveur des curés de campagne; je demanderais que la portion des curés lût au moins en partie en fonds de terre. Il faut en convenir, l’agriculture a dû beaucoup aux curés de campagne; mais l’agriculture est encore loin de la perfection dont elle est susceptible. Nous ne demandons que des biens que nous avons améliorés, et qui nous servaient à aider les pauvres et à exercer l’hospitalité. Nous demandons cependant que cela soit déduit sur la somme que vous déterminerez devoir être accordée aux curés; et si nos fonds étaient nécessaires à la nation, nous nous pâmerions bien de les réclamer. Je ne sais rien qui doive plus occuper les curés de campagne que ragricullure; je ne sais rien qui soit plus utile à la nation que le perfectionnement de l’agriculture. Je me résume, et je demande que les curés de campagne soient exceptés du présent décret, et qu’il soit décrété qu’ils conserveront les fonds de terre dont pis ont joui jusqu’à aujourd’hui, sauf à en déduire le produit sur ce qui leur sera accordé par la nation. Au reste, Messieurs, je ne crains pas de le dire, et je le dis en mon nom et au nom de mes confrères, dont les principes sont connus comme les miens : quel que soit le jugement que vous rendrez, les curés de campague donneront l’exemple d’une entière soumission à vos décrets. (Ce discours est vivement applaudi.) M. Chasset. Le comité des dîmes n’a jamais pensé à enlever aux curés des campagnes ce qui peut leur être utile, à la charge de tenir compte de la valeur de leurs jouissances territoriales sur le traitement qui leur sera accordé. Votre comité se proposait de vous soumettre un article à ce sujet, et il doit être parmi ceux qui doivent suivre les quatre articles qui sont actuellement en délibération. Votre comité vous observe seulement qu’il ne peut être décrété que provisoirement, et n’adopte donc l’amendement qui vient de vous être présenté qu’en y ajoutant, en sous-amendeuient, le mot provisoirement. M. l’abbé Breuvard (1). Messieurs, une grande question, une question de la plus haute importance, vous est soumise. On vous propose de tirer les biens ecclésiastiques des mains de ceux qui les possèdent, pour les mettre dans celles de la nation. Cette opération, pour laquelle on a voulu surprendre un décret a l’Assemblée nationale, et comme l’emporter d’assaut, vous a été présentée comme susceptible de grands avantages; mais ces avantages ne sont-ils pas plus spécieux que réels? Pouvez-vous, Messieurs, et devez-vous adopter le plan qui vous est proposé? C est sur quoi je dois vous présenter quelques réflexions également simples et couries. Rien, Messieurs, rien n’est vraiment utile que ce qui est juste. Ce principe, que des législateurs ne doivent jamais perdre de vue, a été le guide fidèle de tous les grands hommes en administration. ür, est-il juste d’enlever à une infinité de paroisses et de communautés, les biens dont elles sont en possession, pour vous en emparer? Le sophisme, dout on s’est servi pour faire déclarer que les biens du clergé sont à la disposition de (1) Le discours de M. l'abbé Breuvard n’a pas élé inséré au Moniteur. la nation, est usé et ne peut pas être allégué contre les communautés, ni contre les provinces. On ne dira pas que les biens dont elles jouissent, ne leur appartiennent pas, parce que, n’étant que des corps moraux, elles sont incapables de propriété. Mais si leurs biens leur appartiennent, vous ne pouvez donc les en dépouiller sans injustice. Or, pouvez-vous ne pas mettre au nombre de leurs biens les plus précieux, ceux de leurs pauvres, de leurs églises, de leurs pasteurs? Et pouvez-vous, par conséquent, les leur enlever, pour les mettre dans d’autres mains, même dans celles de la nation? Remarquez, je vous prie, Messieurs, que ce n’est pas à la nation que ces biens ont été donnés, mais aux églises et aux pauvres, non encore à toutes les églises, à tous les pauvres du royaume en général, mais à telles églises en particulier; aux pauvres de toi hameau, de telle communauté, de telle ville. Do quel droit enlèveriez-vous aujourd’hui à ces églises, à ces communautés, des donations approuvées, sanctionnées par la loi, et qui ont toujours été regardées comme inviolables et sacrées? Si vous pouvez les spolier des biens qu’elles possèdent, et qu’elles possèdent en vertu de la loi, et depuis un temps immémorial, est-il personne de nous qui ait, dans ses possessions, un autre titre et plus respecia-ble? On peut donc nous dépouiller aussi de nos biens. La conséquence suit du principe. Toutes les propriétés se tiennent; on ne peut toucher à une seule sans les ébranler toutes. La nation, nous dit-on, pourvoira à l’entretien des églises, à la subsistance des pasteurs, au soulagement des pauvres et remplira même ces charges d’une manière généreuse, plus sûre et plus avantageuse. Il y a quelques années, Messieurs, que le gouvernement, non seulement autorisa, mais engagea encçre les hôpitaux et les communautés qui possédaient des biens territoriaux de vendre ces biens, qui ne rapportent que deux ou deux et demi 1% pour les convertir en rentes sur l’Etat. C’était le moyen de doubler les revenus. Cependant y a-t-il eu beaucoup de communautés ou d’hôpitaux qui se soientdéfaitsde leursimmeu-bles dans la vue des avantages qui leur étaient offerts? Non, il n’y en a pas eu. Pourquoi? parce que des immeubles sont des biens certains, et qu’on n’en peut pas dire autant d’une caisse, d’une caisse dont le prompt et facile épuisement exposerait les pauvres, les églises et les pasteurs h manquer souvent de tout. De là la maxime de droit : Tutior est cautio in re quant inpersonâ. Loin de dépouiller une seule église du royaume des immeubles qu’elle possède, votre sagesse, Messieurs, ne doit-elle pas plutôt prendre des moyens pour en assurer à toutes? Je ne répéterai pas les puissantes raisons de quelques-uns des préopinants à ce sujet : vous n’aimez pas les répétitions, et je ne les aime pas plus que vous. Je vous dirai seulement que c’est l’intérêt de la religion que les églises soient dotées en biens-fonds. Si le système destructeur qui vous est proposé de vendre tous les biens ecclésiastiques et d’établir un impôt pour l’entretien du culte et celui de ses ministres, était admis, quelle surcharge pour les peuples qui auraient quatre-vingts millions de plus à payer tous les ans! Un impôt si onéreux ne serait propre qu’à leur rendre odieux et les ministres, et la religion même, et croyez que nous ne tarderions pas à en voir les tristes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] effets, car on aurait bientôt oublié les grands sacrifices du clergé. Une autre raison : le respect des peuples pour la religion, vous le savez, Messieurs, est assez généralement, en proportion avec la considération qu’ils ont pour ses ministres. Si donc vous voulez honorer la religion, la religion gardienne des mœurs et l’appui des empires, honorez ses ministres. Or, de quelle considération pourraient jouir ces hommes utiles et essentiels, si vous les rédui iez à un état précaire, si vous les rendiez dépendants de la vo'onté d’un peuple généreux, il est vrai, mais léger par caractère, si vous les rendiez dépendants d’une caisse dont le prompt et facile épuisement, je le répète, les exposerait souvent à manquer de tout? (L'orateur entre dans de longs développements qui tendent à prouver que les biens ecclésiastiques ne peuvent être vendus qu’à vil prix, que les dilapidations et les gaspillages absorberont la plus grosse part du produit de la vente et que le seul résultat auquel on aboutira, sera d’imposer aux peuples une nouvelle charge annuelle de 80 à 100 millions pour le service du cuite.) M. l’abbé Breuvard termine de la manière suivante : Mais ces créanciers de l’Etat, qui sont-ils?... Ce sont des capitalistesqui, après s’être engraissés de la substance de l’Etat, vont venir ronger nos provinces. Ce sont encore des Genevois, des Génois, des Hollandais, c’est-à-dire que les plus beaux domaines de nos provinces vont passer à des étrangers. Qu’en arrivera-t-il? La ruine même de nos provinces. — Gomment, la ruine de vos provinces, m’a-t-on dit, est-ce que les biens n’y resteront pas toujours ? — gans doute qu’on n’emportera pas les terres, mais on emportera les revenus. Nous sèmerons, nous planterons, mais les richesses de nos champs, fruits de nos travaux et de nos sueurs, ne seront plus pour nous. Les fermiers et les terres seront pressurés et les plus beaux revenus des plus florissantes provinces ou royaume, au lieu d’y alimenter, comme ci-devant, l’industrie et le commerce, passeront tous les ans chez des étrangers. Sommes-nous donc trop riches? — Eh ! que deviendront nos artisans, nos ouvriers et surtout nos pauvres? Obligésd’émigrer de provinces désormais sans ressources pour eux, ils porteront chez nos voisins leurs bras et leur industrie... Provinces florissantes sous l’ancien gouvernement, le règne de la liberté commencerait donc par causer votre malheur et votre ruine !... Mais si nos provinces, qui n’ont été réunies à la France que depuis 80, 100 ou 150 ans, viennent à en être séparées par des guerres, par des traités ou autrement, comme cela est très possible, étant provinces frontières, la France, je le demande, dédommagera-t-elle alors nos églises de la perte de leurs biens vendus pour paver ses dettes?... Quel effet, croyez-vous , la triste4perspective de ces malheurs est-elle de nature à produire sur nos infortunées provinces?... Elles sont aujourd’hui tranquilles, soumises à vos décrets, et c’est une justice qu’il faut leur rendre, incapables de se porter d’elles-mêmes à aucun parti, extrême. Mais� si quelques esprits inquiets et remuants, profitant de l’occasion, parvenaient à jeter le mécontente cent et le trouble parmi l’une d’elles, s’ils la portaient à vous dire laconiquement : Nous ne voulons pas d'un arrangement si léonin, et à opposer en conséquence à vos décrets la force 691 d’une redoutable inertie, que feriez-vous? enverriez-vous contre elles des canons et des baïonnettes ? Voudriez-vous faire couler le sang des citoyens, allumer la guerre civile?... Non, Messieurs, vous ne le feriez pas ; vous ne voudriez pas ensanglanter les premiers jours de la îibetré. Cependant il suffit qu’une seule province refuse vos décrets pour que son exemple, influant sur les autres provinces, l’exécution de vos décrets soit aussi suspendue, arrêtée, et par suite, la Constitution détruite et anéantie. Repoussez, Messieurs, un sysième que condamne la politique aussi bien que l’équité, un système qui révolterait les peuples et dont l’admission vous rendrait responsables des fléaux terribles qui en seraient la suite. Eh! Messieurs, qui de nous a reçu de ses commettants le pouvoir de prononcer une spoliation à laquelle ils n’ont pas même pensé. Voici le moment où les départements s’assemblent; il faudrait du moins attendre leur vœu sur une chose d’une si haute importance... Pour moi, je dois vous déclarer et je vous déclare que non seulement je n’ai pas de pouvoir pour consentir ni adhérer en aucune manière au décret dont le projet vous est présenté, mais que j'ai même des ordres contraires auxquels j’obéis en ce moment. Payons, Messieurs, la dette publique que nous avons mise sous le sauvegarde de l’honneur et de la loyauté française : nous le devons. Mais n’v a-t-il pas un autre moyen de la payer que de dépouiller toutes nos églises, que de ruiner nos provinces de l’Etat! Un honorable membre vous en a rappelé un, qui vous avait déjà été présenté lorsque nous étions encore à Versailles, et qui n’a pas ces grands inconvénients. On vient de vous offrir de vous donner lecture d’un plan, qui vous mènerait à la même fin par des voix plus douces et plus consolantes. Et, si vous le permettez, j’aurai moi-même l’honneur de vous montrer, pour acquitter la dette publique, un moyen fort simple et qui s’offre comme de lui-même; c’est, conformément au vœu de nos provinces, de la répartirentre les différents départements, comme vous ferez pour l’impôt, en les chargeant chacun d’une quotité proportionnelle, de les autoriser à faire des emprunts et à prendre, pour les aquit-ter, les moyens qu’ils trouveront les plus convenables, à aliéner même, en suivant les formes civiles et canoniques, ceux des domaines ecclésiastiques dont ils croiront pouvoir se défaire, soit pour un temps seulement, soit à perpétuité. Par ce moyen, la dette publique sera payée, nos églises ne seront pas toutes dépouillées, l’Etat conservera de précieuses ressources et nos provinces ne seront pas ruinées. M. de Boisgelin, archevêque d’Aix (l). Messieurs, voilà dune l’abîme aux bords duquel nou? avons été conduits, l’abîme où l’on veut nous précipiter. Que sont devenues ces assurances solennellement données de conserver nos droits et nos possessions! Vous nous disiez, vous nous faisiez dire en votre nom, avec force, avec éloquence, et dans le langage même de la religion, vous nous disiez, au nom d’un dieu de paix, que les propriétés du clergé seraient pour vous inviolables et sali) Nous reproduisons l’opinion de M. de Boisgelin d'après la version imprimée par les soins de l’auteur : elle est plus complète que celle du Moniteur. 692 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] crées, et que votre premier devoir était de les maintenir et de les défendre. N’avez-vous pris rengagement de les maintenir et de les défendre, que puur les attaquer sans défense, et pour les détruire sans ressources? N’avez-vous juré de conserver toutes nos propriétés, que pour nous ravir jusqu’aux derniers restes de nos possessions? Vous avez d’abord aboli les dîmes avec rachat. Vous avez substitué le remplacement au rachat. Vous avez ensuite déclarq que le remplacement n’était pas un équivalent. Vous avez enfin établi cette question : Les biens ecclésiastiques sont-ils ou ne sont-ils pas la propriété de la nation? Telle était la motion proposée. La nation e-t-elle ou u’est-elle pas propriétaire des biens du clergé? Ou avait proposé de délibérer par oui ou par non. La motion fut discutée. L’Assemblée sentit la force de nos raisons. Les biens ecclésiastiques n’ont point été donnés à la nation. Les biens ecclésiastiques n’ont point été donnés par la nation. La nation a reconnu la propriété, la possession, les droits des églises, par toutes les lois. Les églises avaient exercé leurs droits comme tous les autres citoyens, par des acquisitions, des échanges et des aliénations, et par toutes les formes différentes de possession. Ceux qui tiennent îles fiefs des églises, ceux qui possèdent des terres qu’elles ont aliénées, n’orit d’autre titre que celui-même des églises. C’est leur propriété qu’elles ont cédée. Elles n’ont pas pu céder ce qui ne leur appartenait pas. Une grande partie de propriétés territoriales, données, vendues, inféodées, n’ont pas d’autre titre de possession que celui des églises. On ne pouvait pas déclarer leurs possessions nulles et sans titre; et les églises reposaient en paix, sous la protection d une loi sans laquelle Je temps se joue de toutes les propriétés, la prescription. Fallait-il attaquer le fondement de toutes les propriétés, pour détruire celle des églises? Vous ne l’avez pas pensé. Vous n’avez pas osé avancer ce qui serait démenti par les lois que vous auriez respectées, comme par celles que vous auriez abolies. La motion fut abandonnée. On proposa de substituer la disposition à la propriété. Des voix s’élevèrent pour établir la discussion sur une question nouvelle. Elles ne furent pas entendues. Vous avez décrété seulement que les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, sous la surveillance des provinces. Cette disposition n’est point la propriété. Elle n’émane point des mêmes principes. Elle ne peut point avoir les mêrrns effets. Si cette disposition était la propriété même, vous auriez déclaré le principe même de la propriété de la nation. Vous ne l’avez pas admis. Vous ne pouvez pas faire usage d’un principe que vous n’avez pas admis. Ainsi, vous ne pouvez point, en vertu de votre décret, exercer les droits dts propriétaires; vous ne pouvez point, par le seul effet de la disposition que ce décret vous attribue, vendre, aliéner, employer à des objets étrangers aux églises, des biens dont vous n’avez pas la propriété. Ainsi, les ventes que vous ferez seront nulles et sans titre, si vous ne recourez pas aux formes canoniques et civiles, sans lesquelles il n’y a point d’acquisition valide des biens de l’Eglise. Votre décret sur la disposition des biens de l’Eglise, les met sous votre surveillance, comme sous celle des provinces. Vous devez veiller à leur meilleure distribution, à leur plus juste répartition, à ce qu’ils soient bien administrés, et que les objets de leur destination soient remplis. Il est dans celte partie beaucoup de changements que vous pouvez faire; mais vous ne pouvez pas, en vertu de ce même décret, vous emparer d’une administration que les lois et les conciles, et toutes les formes canoniques et civiles donnent aux évêques, aux pasteurs des paroisses et aux titulaires. Quels étaient les objets de cette disposition? les objets étaient énoncés dans la même délibération, qui donnait à la nation, non la propriété, mais la disposition des biens ecclésiastiques. C’étaient les dépenses du culte, l’entretien des ministres et le soulagement des pauvres. Ce n’étaient pas les ventes et les aliénations des biens ecclésiastiques qui étaient à la disposition de la nation. La nation ne pouvait disposer de ces biens que pour remplir leur destination, et non pour la changer. L’Assemblée était tellement persuadée qu’il ne lui appartenait ni de disposer du fonds même de ces biens, par vente et par aliénation, ni d’en prendre l’administration dans ses mains, qu’elle avait sollicité l’abandon volontaire des dîmes. Elle n’avait point distingué les communautés ecclésiastiques, par rapport au prêta intérêt, aux dons patriotiques, à la contribution du quart des revenus. Elle avait invité les églises, sur l’offre faite par un membre du clergé, à l’envoi de leur argenterie superflue. Elle n’avait point attaqué la propriété des églises. Elle avait respecté l’affectation des biens aux objets auxquels ils avaient été consacrés. Elle avait reconnu l’usufruit des titulaires. Elle se bornait à supplier le roi de suspendre la nomination des bénéfices vacants ; et quand elle laissait au roi, aux tribunaux, aux assemblées d administration, aux municipalités, le soin de conserver les biens ecclésiastiques, elle ajoutait cette clause qui respectait les droits de l’usufruit : sans préjudicier aux jouissances des titulaires. Quand l’Assemblée défendait la pluralité des bénéfices, elle n’étendait la réforme que sur l’avenir. Elle n’annonçait enfin les arrangements à faire, que pour les charges du culte, l’entretien des ministres, et le soulagement des pauvres. ? . On s’encourage à vous proposer aujourd’hui l’invasion et l’aliénation de tous les biens-fonds du clergé. Cette proposition est contraire aux intentions que vous avez annoncées, aux engagements que vous avez pns, au sens et à la lettre de vos décrets. Faudra-t-il révoquer vos décrets? Car enfin vous ne pouvez pas les laisser subsister et les cou (redire. On ne peut pas nous faire un crime d'invoquer vos décrets, de réclamer et leurs expressions, et l’esprit qui les a dictés. 693 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] On ne peut pas nous faire un crime de penser aujourd’hui comme vous aviez toujours pensé. Nous devons être bien tranquilles, si vous n’avez pas changé de sentiment. Si vous êtes obligés de révoquer vos décrets, nous aurons pour nous les décrets que vous aurez révoqués, et nous vous opposerons à vous-mêmes. Est-ce sur des contradictions qu’une puissance législative doit fonder son autorité nouvelle? On vous demandera quels sont ceux de vos décrets qu’il faut regarder comme des lois. La loi, par sa nature, est irrévocable, immortelle comme la raison même et la vérité. Les lois qui passent, ne nous rappellent que des erreurs, parce que c'est une erreur de les admettre ou de les révoquer. Combien de fois avez-vous étouffé la voix de ceux qui faisaient des réflexions sur vos décrets ? Il suffisait, disiez-vous, qu’ils eussent été rendus; vous ne deviez pas les rétracter. Quelle confiance voudriez-vous prendre vous-mêmes dans l’exercice d’une autorité changeante, qui ne sait ni se fier à ses propres décisions, ni les confier à l’épreuve d’une seconde législature, et qui semble impatiente de se démentir elle-même? Si vous ne révoquez pas vos décrets, vous ne pouvez pas les contredire. Nous réclamons votre décret qui prononce que la disposition de nos biens, et non leur administration, et non leur propriété, appartient à la nation. Si vous voulez délibérer sur les décrets qu’on vous propose, vous renouvelez par là la même question de propriété ; vous établissez la question nouvelle de l’administration des biens ecclésiastiques. Comment voudriez-vous, comment pourriez-vous délibérer dans celte séance sur des questions d’une aussi grande importance, et dont les principes n’ont pas même été rappelés dans le rapport qu’on a mis suus vos yeux? Vous avez réglé qu’aucune motion en particulier, concernant les affaires ecclésiastiques, ne serait traitée sans être annoncée d’avance, et publiée par la voie de l’impression. On n’avait imprimé le décret que le jour même qu’on vous a proposé d’y délibérer; on vous proposait même de délibérer dans le moment. On n’a pas encore imprimé le rapport, nous ne pouvons pas juger des raisons sur lesquelles se fonde le décret qu’on vous propose. Ce rapport est d’autant plus oigne de toute notre attention, qu’il est fondé sur les différents rapports qu’il annonce du comité ecclésiastique, et que ces différents rapports annoncés sont relatifs à l’état actuel et à venir de l’Eglise et de la religion en France, dont vous sentez bien qu’une grande partie ne peut être réglée que par Fautorité de l’Eglise. Le comité des dîmes n’est point un comité à part, nous ne l’avons point établi, nous ne le connaissons pas, nous ne devons pas l’entendre; il fait partie du comité ecclésiastique; et le plan qu’on vous propose n’est point approuvé par le comité ecclésiastique. Si ce comité des dîmes est séparé, son travail ne doit avoir que les dîmes pour objet; c’est au comité ecclésiastique à traiter toutes les autres affaires qui ne concernent point les dîmes. Le comité ecclésiastique doit traiter de toutes les affaires ecclésiastiques; il est exclu et vous laissez faire le rapport au comité des dîmes sur des affaires qui ne le concernent pas. Le comité ecclésiastique est établi depuis longtemps. Depuis longtemps il a pu méditer, préparer son travail; et vous ne nous donnez pas un moment pour y répondre. Cependant quels sont les décrets qu’on vous propose ? Il s’agit premièrement d’une révolution entière dans l’état actuel de tous les corps et titulaires du clergé. Secondement, les droits de la puissance et de la juridiction ecclésiastique. Troisièmement, de tous les intérêts de la religion. Vous ne pouvez pas nier que nous n'ayons été nommés dans nos bailliages par le clergé; qu’il ne nous ait commis ses intérêts, et que les intentions de nos commettants n’aient été de conserver leur état, et non de le détruire. Vous ne pouvez pas nier qu’il s’agit des droits delà puissance et de la juridiction ecclésiastique; Qu’on se propose d’envahir les bmns des fondations reconnues par la loi civile, et consacrées par l’Eglise; Puisqu’on annulle tous les droits attachés aux titres des bénéfices conférés par l’Eglise; Puisqu’on anéantit tous les droits de l’Eglise, des ministres de la religion, des pauvres, et du culte même, auquel on enlève les biens consacrés; Puisqu’on n’emploie aucune des formes canoniques pour détruire des droits établis par toutes les formes canoniques et civiles. Il s’agit des intérêts de la religion, quand on propose un arrangement qui présente la religion au peuple, comme un impôt onéreux; qui p�ut éloigner de l’Eglise ceux qui s’y seraient destinés dans la suite; qui peut la priver du renouvellement de ses ministres nécessaires; qui doit faire dépendre son sort d’un salaire qu’on peut faire cesser à volonté, selon les circonstances, et qui rend l’état delà religion tellement précaire, qu’ü serait à présumer qu’elle ne pourrait pas se soutenir en France. Voilà les changements sur lesquels on veut nous contraindre à délibérer en un moment, sans un plus long examen, et sans une discussion approfon-die. 11 n’y a point de procès particulier dans lequel la sagesse et la justice des lois n’ait marqué des délais indispensables. 11 s’agit d’une décision qui entraîne la plus étonnante révolution. Une Assemblée législative doit-elle regarder une loi, et une telle loi, comme moins importante qu’un jugement qui n’est que l’application de la loi? Si des juges n’étaient pas astreints à des délais prescrits par les formes, ils se donneraient eux-mêmes les règles que dictent le bon sens, la justice et l’humanité; ils ne voudraient pas juger des citoyens sans les entendre. Ce n’est pas les entendre, que de les contraindre à parler au moment, sans avoir le temps de faire leurs réflexions. Nous l’avouons, quelles que soient les annonces menaçantes qu’on nous avait faites, nous n’étions pas préparés à cette extraordinaire révolution, et nous devons compte à toutes les églises de France de notre opinion. Vous ne nous avez pas entendus, si vous voulez délibérer à présent, et vous ne pouvez pas délibérer, si vous ne nous avez pas entendus. On allègue la nécessité de délibérer, sur les biens du clergé en général, avant de délibérer sur les assignats. Les assignats qu’on vous propose n’ont pour objet que les quatre cents millions des biens du 694 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.1 domaine et du clergé, dont la vente est décrétée. C’était une assez grande difficulté, dans l’ordre de la justice, d’affranchir ces quatre cents millions des droits inviolables des créanciers du clergé. La propriété des hypothèques de tous les citoyens est-elle une chose tellement arbitraire, qu’elle soit à la disposition de la nation? Votre comité des finances a cru pouvoir vaincre cette difficulté, et veut les déclarer créanciers de l’Etat. Vous aurez à délibérer si vous pouvez annuler leurs droits, qui sont ceux de tous les capitalistes, ceux de tous les créanciers de l’Etat et des particuliers, ou si vous voulez les conserver. Dans le premier cas, ces quatre cents millions sont aussi libres, et plus libres, qu’ils ne peuvent l’être par l’invasion qu’on vous propose de tous les biens du clergé. Ils sont aussi libres qu’ils peuvent l’être, quand vous les affranchissez de toute hypothèque et créance. Ils le sont bien moins, quand vous les associez à toutes les difficultés que peut et q ne doit éprouver ce projet d’invasion de tous les biens du clergé. Il faut observer que vous faites une plus grande injustice aux créanciers du clergé, quand vous leur ôtez leur hypothèque non seulement sur 400 millions 'le biens à vendre, mais sur le capital entier des biens qui leur étaient hypothéqués. Vous faites dépendre le sort de ces 400 millions de toutes les réclamations relatives à l’invasion générale des biens ecclésiastiques. Si vous conservez les créances sur le clergé, ces 400 millions n’eu seront point affranchis par un décret relatif au reste des biens du cler gé. Vous ne pouvez pas les vendre tous à la fois, et vous ne pourrez pas empêcher que les droits des créanciers ne s’exercent sur les premiers biens qui seront vendus. Vous n’avez donc, sous cé rapport, rien à gagner pour les assignats : voici ce que vous avez à craindre. Si vous voulez envahir les biens, vous ne pouvez pas envahir les titres; vous ne pouvez pas annuler les fondations; vous ne pouvez pas empêcher que les droits des églises et ceux des pauvres, fondés sur toutes les lois, ne soient réclamés par ceux à qui leur titre même en impose l’obligation . Il y aura des oppositions de tous les côtés; on verra les parties intéressées se pourvoir en opposition, parles voies légales et de droit, contre tout acquéreur et détenteur des biens ecclésiastiques, dont les aliénations n’auraient pas été faites dans les formes civiles et canoniques. Vous ne pouvez pas ôter au citoyen la faculté, la liberté de réclamer ses droits. C’est une matière inépuisable de procès. Ces procès seront portés aux tribunaux : les droits réclamés seront condamnés ou maintenus; et les acquéreurs et les titulaires se pourvoiront en cassation, si les uns ou les autres pensent que les jugements sont contraires aux lois. Tel doit être le recours naturel de tous les citoyens. Il n’y aurait pas de justice dans un pays où il serait défendu aux citoyens de plaider leurs droits fondés ou prétendus,” ainsi qu’aux juges de suivre les procès et de prononcer les jugements. Voilà pourtant des difficultés infinies pour l’exécution des assignats; et vous ne les suscitez pas, ces difficultés, si vous vous bornez aux 400 millions de biens dont la vente est décrétée, et que vous devez affecter aux assignats. U s’en faut donc bien que voire nouvelle délibération puisse donner confiance aux acquéreurs. Il n’y a pas de moyen plus sûr pour compromettre le crédit des assignats, que de les livrer à toutes les oppositions que doit entraîner l’invasion générale des biens du clergé. Je sens bien que Ceux qui veulent détruire le clergé de fond en comble, veulent persuader au public qu’il n’y a pas d’autre moyen d’éviter la banqueroute que d’envahir tous les biens du clergé : ils cherchent à rapprocher sans cesse ces deux idées pour effrayer les esprits et pour leur faire supporter une grande injustice. Nous croyons pouvoir démontrer que c’est le projet de prendre tous les biens du clergé, qui cause aujourd’hui tous les embarras des finances et qui doit faire la banqueroute. C’est ce funeste projet d’envahir toutes les possessions du clergé, qui devient une ressource principale de l’état actuel des affaires, et de toutes les inquiétudes du public et de l’Assemblée nationale. L’Assemblée avait ébranlé l’état des possessions du clergé, par le décret de l’abolition des dîmes; elle avait transmis aux déeimables cette partie si considérable des biens qui pouvaient présenter un gage utile à l’Etat. Ellen’avail pas voulu s’engager à rendre au clergé l’équivalent des dîmes. On vous a fait sentir, dans la suite, ce que ce décret faisait perdre à l’Etat, quand plusieurs peut-être n’avaient pen�é qu’à ce qu’il faisait perdre au clergé. Un grand nombre de personnes, parmi vous, ne doutaient pas de la nécessité de donner à votre décret une interprétation dont il est susceptible, et de prendre les moyens pour diminuer une perte dont l’état des affaires faisait sentir les conséquences. Nous crûmes cependant que le clergé ne devait nas moins faire toutes les offres qui pouvaient rétablir, dans cette crise extraordinaire, les affaires de l’Etat. Le premier ministre des finances vînt former ses demandes, le 24 septembre. Les affaires pouvaient encore se réparer sans avoir recours à des moyens extrêmes. Le déficit ordinaire était fixé à5b millions; on joignait 10 millions pour intérêt et remboursement du dernier emprunt. Total. 61,000,000 liv. Les besoins extraordinaires, pour la fin de l’année montaient à 70 ou 80 millions, ci. . 80,000,000 liv. On demandait pour la présente année pareille somme, ci. 80,000,000 On n’y comprenait pas les an-licipations, parce qiron comptait les renouveler; on comptait aussi sur le produit ae l’emprunt. Le total montait pour la fin de l’année et pour l’année présente, à 160 millions, non compris les rentrées du dernier emprunt qui n’était pus achevé, ci. 160,000,000 liv. On sent, dans et état des affaires, à quel point un crédit de quatre cents millions sur les biens du clergé pouvait être utile à l’Etat. On discuta la question sur la propriété des biens du clergé. Nous proposâmes, au nom des titulaires, un emprunt dont il était convenable au clergé de faire l’offre, et dont il était bien intéressant pour l’Etat de ne pas refuser le secours. Vous pouviez autoriser, garantir et décréter l’emprunt par vous-mêmes. Vous pouviez en faire lever l’intérêt sur nos revenus, dans la même forme que nos impositions. Nous aurions présenté des aljénatipns dans pne forme | la foi§ 695 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] plus canonique et plus économique, que vous auriez surveillée par vous-mêmes, ainsi que vous pouvez surveiller les ventes que vous avez décrétées; et nous aurions aplani, par tous les efforts de notre zèle, les oppositions et les difficultés. C’est alors qu’il n’y aurait pas eu de doute sur l’hypothèque de l’emprunt, et sur la valeur des assignats. C’est alors que ces assignats libres auraient obtenu de la confiance publique.ee que ne peut pas bur donner toute votre autorité. C’est alors que vous n’auriez pas eu besoin de recourir à l’opération du papier-monnaie, qui doit intercepter la circulation du numéraire, tarir toutes les sources de la culture et du commerce, et reproduire tous les maux qu’on voulait éviter ; et vous n’auriez plus à craindre l’inquiétude du public et les embarras des affaires. Ce n’était pas pour rétablir l’administration du clergé, que nous vous avions fait une proposition utile, puisque un des articles du projet de décret portait que les contributions du clergé ne seraient plus levées par la voie d’une administration particulière et séparée, et qu’elles seraient, au contraire, soumises à l’administration de l’Etat, des provinces et des municipalités, comme celles de tous les citoyens. Vous pouviez effectuer cet emprunt par parties successives. Vous auriez emprunté d’abord 170 millions pour la fin de 1 année dernière et pour la présente année. Vous auriez ouvert un autre emprunt cette année pour les besoins extraordinaires de l’année prochaine. Si vous aviez voulu prescrire, dans le courant même de cette année, le renouvellement des anticipations, vous pouviez prendre sur le même emprunt, 124 millions. Vous auriez encore eu plus de 100 millions en réserve, pour les besoins de l’année prochaine. Ainsi, le sort des créances de l’Etat était assuré; les rentes sur la ville étaient payées ; le public était sans crainte ; et libres, affranchis de tous les embarras des finances, vous auriez pu vous occuper en paix du travail de la Constitution. Quelle est la fatale pensée qui vous a fait perdre tous vos avantages? c’est cette extraordinaire envie de vous emparer des biens du clergé. Quand l’Espagne abandonna ses manufactures et ses défrichements, pour exploiter les mines de l’Amérique, il semblait qu’elle possédait les richesses du monde entier; et depuis ce temps, l’Espagne est sans culture et sans commerce. Nous osons vous le prédire; les biens du clergé seront pour la nation, ce qu’ont été pour l’Espagne les mines du Pérou. Vous avez rejeté nos propositions ; qu’est-il arrivé? Vous aviez décrété la contribution patriotique. On avait employé le produ t de l’emprunt depuis le 24 septembre jusqu’au 14 novembre; et les besoins de la fin de l’année montaient alors à 10 millions de plus qu’au 24 septembre : ils étaient estimés à 90 millions, ci 90.000.000 liv. Ou estimait encore les dépenses de l’année précédente à 80.000.000 On vous proposait de convertir la caisse d’escompte en banque natimale. II fallait un fonds de 150 millions. Qn proposait ua effet de 70miL lions dus par l’Etat à la caisse d’escompte, ci ............. .. . . 70.000.000 Le fonds de ces 70 millions n’existait pas. On proposait une création de 12,500 actions produisant un fonds de ...................... 50.000.000 Ce fonds n’a pas été rempli. Si l’emprunt proposé au nom du clergé avait été reçu par l’Assemblée, elle aurait pu former le fonds d’une banque nationale. Elle aurait rempli les dépenses extraordinaires de cette année. Elle aurait pu verser dans le public, d’abord 150 millions de billets, et plus encore quand elle aurait eu 150 millions de fonds, pour faire face au paiement des effets circulants; et la banque aurait pavé ses billets à bureau ouvert. On n’aùrait pas fait à la caisse d’escompte des emprunts qui ont épuisé ses facultés. On ne serait pas dans la crainte de manquer à l’engagement pris de rendre payables à bureau ouvert les billets de la caisse d’escompte au premier de juillet prochain. On deman lait que la banque nalionale fit des avances de 240 millions à l’Etat, savoir: 70 millions à rembourser à la caisse d’escompte, et 170 millions pour les dépenses extraordinaires jusqu’au 15 janvier 1791. Ces charges auraient pu être remplies sur l’emprunt du clergé. Il serait encore resté un fonds de banque de 160 millions ; et les billets de banque auraient servi pour le remboursement des dettes de l’Etat. Si cette banque avait pu faire encore l’escompte et servir de dépôt, quel est celui de nous qui ne sente pas qu’elle aurait acquis un crédit sans bornes, et que ses progrès auraient été le salut de l’Etat ? Si l’on avait ensuite établi des banques de correspondance dans les grandes villes, et peut-être de petites banques dans les provinces, il n'y avait plus qu’à recueillir chaque jour de nouveaux avantages, sans avoir désormais à craindre le désordre et l’embarras des finances. Ainsi, le gouvernement n’aurait pas eu besoin de faire venir tout l’argent des impositions des provinces. Ainsi, la confiance générale aurait fait circuler le numéraire dans tout le royaume et l’on aurait vu jusqu’à quel point la confiance et la liberté l’emportent sur toutes les valeurs factices créées par l’autorité. Les rentes viagères se seraient successivement éteintes; et l’on ne peut pas calculer quel aurait été, dans l’espace de dix ans, le progrès de la prospérité publique. Il a fallu renoncer à toutes ces espérances, parce qu’on ne voulait pas employer les secours du clergé. Cependant les besoins extraordinaires se sont accrus par le défaut même des moyens de les remplir. On n’avait pas pu calmer l’inquiétude des peuples sur la gabelle ; on l’avait jugée; on en avait annoncé l’abolition. La gabelle subsistait toujours, et le peuple en mouvement renversa les barrières, dispersa les commis, et suspendit les perceptions. Les droits des aides, la ferme du tabac, l’administration des domaines, les entrées de Paris éprouvèrent de grandes pertes. 11 y avait aussi des droits abolis par les décrets de l’Assemblée. Il m’est impossible de ne pas faire observer aveç un regret sensible, que la gabelle pouvait 696 [Assemblée nalionale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790. J être supprimée avant que le peuple en eût troublé la perception, sans qu’il en coûtât rien aux provinces. On n’aurait pas fait payer 40 millions aux provinces de gabelle ; on n’aurait pas rejeté sur la dette générale de l’Etat, vingt millions provenant des sous pour livre, qui retombent en partie sur les provinces franches et rédimées. Il ne s’agissait que de remplacer la gabelle pour cette année ; on aurait pris ce remplacement sur les biens du clergé. Il faut observer que je ne calcule pas ici toutes les opération� ensemble. Je présente successivement les différentes opérations qui pouvaient être utiles, et dont l’emprunt du clergé pouvait être la base. C’est par les insurrections contre la gabelle, que les autres droits ont éprouvé des interruptions. L’Etat n’aurait rien perdu sur les autres droits. Il en aurait résulté un bénéfice de 60 millions, selon le premier ministre des finances, et de 30 millions selon le rapport du comité des finances. On aurait joui, comme d’un superflu, de l’emprunt de 80 millions. On l’aurait peut-être même abandonné. On ne songerait pas à présent à ce qui manque pour le remplir. C’est une somme de 16, 500,000 livres. On n’aurait eu besoin ni de renouveler, ni de suppléer les anticipations calculées à ..... ........... 124,000,000 Soit que les besoins de cette année montent à ................. 274,000,000 Soit qu’ils montent à 132,000,000 Selon les différents calculs qu’on peut adopter, nous n’en aurions pas entendu parler. Voilà ce que vous avez perdu. Vous avez tout perdu, pour préparer et pour consommer l’invasion des biens ecclésiastiques et la destruction du clergé. Qu’arrivera-t-il à présent ? On propose d’établir un impôt de 133 raillions pour les frais du culte. Les peuples ne peuvent pas supporter 133 millions d’impôt. Je sais quel est l’état d’une province dont l’impôt est mieux réparti que celui d’aucune autre province. Il est impossib'e de l’augmenter ; et l’augmentation ne sera sûrement pas moins difficile dans toutes les autres provinces où il n’y a point de cadastre, et dans celles où d’anciens cadastres n’ont pas été renouvelés depuis deux siècles. Il faut penser� que tous les contribuables ne paient pas la dime, et qu’il faut prendre en impôt 50 à 60 millions de plus que le revenu de la dîme. On vous a dit qu’on vendrait pour 70 millions des biens du clergé. Il faut en déduire les revenus des droits féodaux abolis ; le produit de ces droits éiait au moins de 20 millions. Les biens-fonds devenus des domaines, seront vendus au denier 20. Il y aura 200 millions à prélever pour indemnité des dîmes inféodées. 11 ne restera plus qu’une somme de 800 millions pour prix de la vente ; ce seront 40 millions éteints sur ladette publique; et vous mettez un impôt de 133 millions. Vous ne le mettrez pas, cet impôt. Premièrement, parce que vous en sentirez, en y réfléchissant, toute l’impossibilité. Secondement, parce que vous craindrez, avec raison, que les provinces qui consentaient l’impôt par elles-mêmes, ne sentent la différence delà surcharge qui leur serait imposée. Vous direz qu’elles doivent obéir. Une autorité nationale ne doit pas être plus dure que ne l’était la | puissance ministérielle. Il faut la faire aimer, l’aulorité nalionale ; et vous savez que l’impôt est la véritable mesure de la satisfaction ou du mécontentement des peuples. Troisièmement, parce que les peuples, mal instruits sur l’état des affaires publiques, et peut-être trompés par des annonces démesurées, attendaient de vous des diminutions déchargés, et devaient du moins avec raison se persuader qu’il n’v aurait pas de nouveaux impôts. Quatrièmement, parce qu’un excédent, le plus faible excédent d’impôt non payé entraîne le trouble dans la perception entière de l’impôt; et la suspension ou la cessation plus ou moins longue des impôts dans une ou plusieurs provinces, ou dans toutes, renouvelle les désordres des finances, augmente le déficit, perd le crédit et toutes les ressources de l’Etat, et peut causer la subversion générale du royaume. Que deviendrait alors la'sûreté des acquisitions des biens ecclésiastiques ? que deviendrait la dette publique, dont vous pensez que les assignats sont la seule ressource, quand il faudrait reprendre des biens nécessaires, qui ne seraient point remplacés ? C’est alors que la banqueroute .-erait la suite de cette même opération par laquelle on prétendait éviter la banqueroute. Vous ne l’établirez pas, cet impôt, et vous aurez décrété la suppression de tous les revenus du clergé sans y rien substituer. C’est ce projet d’envahir tous les biens du clergé, qui dicte encore tous vos décrets pour livrer la vente de tous les biens ecclésiastiques aux municipalités, et pour leur en donner la régie. Il est dans les principes d’une bonne administration, que des corps sans propriétés ne doivent pas avoir des biens-fonds à régir. Il n’v a de bonne administration des biens-fonds, que celle des parties intéressées à faire valoir leur produit ou leur vente. Il faudra que 100,060 agents subalternes soient employés, sous la direction des municipalités, à la régie ou à la vente de ces biens : comment supposer que 100.000 agents subalternes ne feront pas toutes les fraudes possibles? Combien il y aura de procès suivis, prolongés, entretenus ! Combien de conventions secrètes avec les fermiers ou les acquéreurs! Combien de difficultés, de ruses, et d’obscurités dans les comptes des régies et dans les conditions des ventes ! Ainsi s’évanouiront tous les avantages qu’on voulait retirer des biens du clergé. Ces abus retomberont sur les assignats. La valeur des assignats doit retomber avec celle des biens qui leur sont affectés; et les créanciers de l’Etat seront trompés par les ressources mêmes qu’on avait prises pour assurer le sort de leurs créances. Si la régie et la vente des biens du clergé, confiées aux municipalités, doivent devenir une source d’abus, sans qu’il soit dans le pouvoir des officiers municipaux de les prévenir ou d’y remédier; si cette venteeteelte régie contestées par les titulaires des bénéfices, doivent jeter des doutes, des difficultés et le discrédit enfin sur les assignats; s’il n’est pas possible de mettre-sur les provinces un excédent d’impôt, à l’effet de suppléer aux revenus du clergé; s’il n’est possible ni d’entretenir le clergé sans lui laisser ces biens, ni de donner de confiance aux acquéreurs sur des biens qui seront redemandés tôt ou tard par la religion des peuples; et si vous craignez enfin que quelques provinces ne veuillent pas laisser vendre les biens ecclésiastiques de leur territoire, que reste-t-il à faire? Ce que vous fe,- rez, ce qüé vous serez obligés de faire après avoir [12 avril 1790.] 697 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. vainement épuisé tous les moyens les plus durs et les plusfâcheux. Vous voudrez prévenir la perte totale des affaires par la seule ressource qui ne laisse rien àcraindre Vous emploierez les biens-fondsdu clergé, au lieu de les dissiper; vous maintiendrez la dîme, en annonçant les règles à suivre pour la remplacer, ou pour l’éteindre successivement, selon la diminution à venir des charges du clergé, et selon les désirs et les offres des différentes communautés; et vous décréterez, en recourant aux formes qui peuvent concilier les intérêts de la nation, avec les droits de chaque église, un emprunt de 400 millions sur les seuls biens du clergé, indépendamment de la vente des domaines. Cet emprunt sera successivement remboursable par des aliénations qui seront faites dans toutes les formes civiles et canoniques. Nous vous en renouvelons l’offre dans ce moment ; et nous pouvons vous garantir sans crainte le succès de nos soins, pour prévenir et pour aplanir toutes les oppositions et les difficultés. Nous n’avons point défendu, nous n’avons point pu défendre au fond les droits des églises, des fondations, des titulaires et des pauvres, ainsi que les principes de la puissance et de la juridiction ecclésiastique, et les intérêts de la religion, dont le projet qu’on vous propose serait la ruine entière. Si vous voulez, malgré nos observations, procéder à la délibération des articles proposés, je supplie chacun de ceux qui sont dans cette Assemblée, de considérer que nous remplissons le de\oirde nos consciences. 11 n’y a rien que nous n’ayons fait pour supporter avec calme, patience et courage, toutes les contradictions qu’on nous a fait éprouver. Nous pouvons, sans doute, souffrir toutes les disgrâces. Nous cherchons à persuader, et nous n’avons aucune autre voie que celle de la persuasion. C’est là notre tâche, et c’est notre force : nous n’en avons pas d’autre. Je dirai comme un ancien évêque : vous pouvez nous ravir nos biens; nous ne vous les donnons pas ; nous ne démentirons pas nos principes, et nous ne tiahirons pas nos devoirs, et si vous persévérez dans des sentiments également contraires aux droits de l’Eglise et aux intérêts de la religion, nousépuiserons, sans nous lasser dans nos efforts, tous les moyens de conciliation qui pourront dépendre de nous. 11 en est un que nous avons droit d’exercer, et que vous ne pouvez pas nous refuser; il faudra distinguer les droits des deux puissances. 11 faut que les deux puissances puissent concourir à la vérification des droits respectifs qui leur appartiennent. Il faut rappeler les principes. Il n’y a qu’une seule religion vraie ; toute autre est un mensonge. Dieu, qui nous révèle les vérités éternelles, ne peut avoir qu’un langage. Il n’y a dans cette religion sainte, qu’une foi, un seul culte, une seule morale. La religion exerce, dans l’ordre du salut, une autorité spirituelle que les hommes ne lui ont point donnée, et que les hommes ne peuvent point lui ravir. Elle se gouverne d’une manière fixe et invariable ; elle a ses lois, sa discipline et ses cérémonies. C’est la puissance de l’Eglise quiaconsacré les fondations; c’est la puissance civile qui les a protégées. C’est la puissance de l’Eglise qui a fondé les titres des églises et des bénéfices. C’est la puissance civile qui sanctionna la possession des biens consacrés par l’Eglise. C’est la puissance de l’Eglise qui a consacré les vœux et les serments de la profession religieuse; et c’est la puissance civile qui leur a donné des effets civils. C’est la puissance de l’Eglise qui a établi les formes canoniques ; et c’est la puissance civile qui a prêté sa force à leur exécution. Ce sont les deux puissances qui ont concouru pour des objets communs; et ce que les deux puissances ont établi sous des rapports propres à chacune d’elles, ne peut cesser que par leconcours des deux puissances. Il est enfin impossible que vos lois aient un effet rétroactif; et vous ne pouvez pas détruire des droits établis, subsistants et fondés sur toutes les lois. Nous demandons un concile national; vous ne pouvez pas vous opposer à sa convocation. Ce n’est point une assemblée du clergé; ce n’est point une administration temporelle que nous voulons reprendre. 11 ne s’agit point ici d’un ordre; c'est l’Eglise gallicane qui doit veiller à l’enseignement delà religion, au maintien de son culte et de ses cérémonies, aux fonctions de ses ministres. H s’agit de régler les droits et de marquer les limites d’une juridiction purement spirituelle, qui nous appartient, et qui ne vous appartient pas. Nous vous avons parlé le langage de la religion ; nous vous parlerons le langage de la liberté. Des commercants, des négociants s’assemblent et discutent leurs intérêts, et vous présentent des pétitions et des adresses. Des corps de métiers s’assemblent, et leurs députés sont entendus. Des communautés nomment des agents et des députés pour exercer leur action dans Tordre de la justice ou de l’administration. Plusieurs familles unies, par la même cause, les créanciers ou les débit urs se syndiquent pour plaider devant les tribunaux. On intenteaux églises, à toutel’Eglise deFrance, un grand procès; ou annonce le jugement le plus sévère; on prépare dans l’Etat des nersonnes et des biens, la plus étonnante révolution; et vous ne voudriez pas que les parties intéressées pussent réclamer leurs droits, et s’assembler pour faire entendre leurs réclamations! Vous ôtez leurs places aux ministres de l’Eglise et aux titulaires des bénéfices; et vous ne voudriez pas qu’ils pussent redemander ce que toutes les lois leur ont donné! Les lois sont donc des crimes, si c’est un crime de réclamer les lois ! Songez que notre demande, une fois rejetée, est une accusation de vos décrets. Je vous dirai, comme Tertullien: Vous ne nous avez pas entendus ; vous craignez de nous entendre; et vous voulez nous juger. Je ne parle pas seulement pour les ecclésiastiques présents dans cette Assemblée; c’est le petit nombre ; Je parle pour tous les ecclésiastiques du royaume. Quand nous faisons des lois générales, nous n’avons besoin d’entendre personne. Nous sommes députés de la nation, et nous parlons pour elle. Mais quand il s’agit d’une opération qui ne retombe que sur une classe de la société, il est impossible que cette classe ne soit pas entendue, et qu’elle soit jugée. Quelles sont les parties intéressées ? les églises. Quels sont leurs représentants? les titulaires. Quels sont encore ceux à qui tous les conciles ont donné d’abord l’administration des biens des 698 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] églises, ensuite la surveillance? les supérieurs ecclésiastiques. Voilà ceux qu’il Faut entendre; et quand vous rétablissez lVxercice et la liberté de tous les droits naturels et civils, vous ne pouvez pas excepter une seule classe de citoyens des droits communs à tous les hommes et à tous les citoyens. Quand Henri VIII, poursuivant le cours de ses innovations, exerçait son despotisme sur les personnes et sur les* biens, il s’arrêta par respect pour les propriétés. Il n’osa pas s’emparer des biens des communautés religieuses, sans le consentement et la cession des abbés et des religieux. Cette cession même lui laissa des remords. Il craignit qu’un usufruitier ne pût pas faire une cession légitime de la propriété des églises. Il fallut que le parlement déclarât, par un acte authentique, que les titulaires des bénéfices représentaient l’Eglise propriétaire, et pouvaient stipuler pour elle. Ces cessions ne semblaient pas volontaires; Henri VIII consulta la convocation, qui était l’assemblée de l’Eglise anglicane. On ne peut pas refuser à notre réclamation ce que Henri VIII ne put pas refuser lui-même à la réclamation de sa conscience. Telles sont nos offres et nos demandes. Premièrement, nous renouvelons solennellement l’offre d’un emprunt de 400 millions, qui serait autorisé et décrété par l’Assemblée nationale, au lieu de la vente décrétée le 19 décembre, qui serait hypothéqué sur tous les biens du clergé, dont les intérêts seraient payés sur les revenus des biens ecclésiastiques, par la même voie et dans la même forme que les impositions ordinaires, et dont le capital serait remboursé sur le prix des ventes et aliénations de biens-fonds ecclésiastiques, lesquelles seraient faites jusqu’à la concurrence de 400 millions, selon toutes les formes civiles et canoniques. Secondement, nous demandons qu’il soit prononcé qu’il n’v a pas lieu à délibérer sur les articles du décret proposé. Troisièmement, dans le cas où la délibération adopterait les articles du décret proposé, nous demandons la convocation d’un concile national; et, en attendant, nous demandons acte de la déclaration que nous faisons, de ne pouvoir anticiper en rien en aucun acte tendant à dépouiller les églises de France de leur patrimoine, qui serait fait en exécution et pour suite de cette délibération, nous réservant de faire la réclamation des principes et des droits de l’autorité spirituelle et de la juridiction ecclésiastique, conformément aux canons des conciles, à la tradition de l’Eglise, et à la discipline de l’Eglise gallicane. (On demande l’impression du discours de M. l’archevêque d’Aix.) M. Muguet de IVanthou. Gomme le discours contient à la fin une sorte de protestation, il serait contraire aux principes de l’Assemblée qu’elle consacrât, pour ainsi dire, cette protestation par une décision (On demande la question préalable sur l’impression. L’Assemblée décide à une très faible majorité qu’il n’y a pas lieu à délibérer.) M. le Président. Je viens de recevoir de M. de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre, une lettre dont je donne connaissance à l’Assemblée. « A Paris, le 12 avril 1790. « Monsieur le Président, « Pour ipe conformer ru décret de rassemblée nationale, du 28 février, sanctionné par le roi, j’ai l’honneur de vous adresser les tableaux de l’organisation de l’armée, .réduite d’après la somme à laquelle l’Assemblée parait vouloir borner la dépense du département de la guerre. « J’y joins un mémoire concernant les divers objets relatifs à l’armée, sur lesquels l’Assemblée nationale s’est réservée de statuer ; je vous prie de mettre le tout sous ses yeux, et de vouloir bien arrêter son attention sur la nécessité de prononcer très incessamment la répartition des 32 deniers d’augmentation décrétés, dont il est essentiel que l’armée soit prévenue avant 1 époque du 1er mai, fixée pour Pen faire jouir. t Je suis avec respect, « Monsieur le Président, « Votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : La Tour du Pin. » MÉMOIRE sur l'organisation de l'armée, adressé à l'Assemblée nationale. Messieurs, l’Assemblée nationale a chargé son comité de constitution de lui présenter, le plus promptement possible, des projets de loi : 1° Sur l’emploi des forces militaires d'ans l’intérieur du royaume, et sur leur rapport, soit avec le pouvoir civil, soit avec les gardes nationales; 2° Sur l’organisation des tribunaux et la forme des jugements militaires; 3° Sur. les moyens de recruter les forces militaires en temps de guerre, en supprimant le tirage des milices. Le mémbire que l’on met sous vos yeux, Messieurs, a donc uniquement pour objet de traiter les différents articles énoncés dans votre décret du 28 février dernier, sanctionné par le roi. 1° Sur les sommes à affecter annuellement pour la dépense de l'armée. L’intention de l’Assemblée nationale paraissant être que la dépense du département de la guerre ne puisse excéder 84 millions, c’est à cette somme qu’est fixée la dépense de l’armée dont on vous présente les tableaux. 2° Sur le nombre d'hommes dont l’armée doit être composée . Pour se renfermer dans la somme indiquée par l’Assemblée nationale, on a réduit l’armée à 150,000 hommes, les officiers compris : l’augmentation à laquelle cette armée doit pouvoir s’élever en temps de guerre, ne permet pas de la tenir plus faible en temps de paix. 3° Sur l'augmentation de paie du soldat. Un décret de l’Assemblée nationale, sanctionné par le roi, ayant accordé au soldat français une augmentation de 32 deniers, dont l’emploi serait déterminé par les ordonnances militaires, on a pensé que la répartitiou devait en être faite de manière à améliorer le sort du soldat sous tous les rapports. C’est pour remplir ces vues qi>e l pp propose d’eq porter ;