237 [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mars 1791.] par an, celle du gouverneur qui avait 18,000 livres par an, celle de médecin, de chirurgien; enfin celle des ingénieurs géographes employés à la carte des chasses du roi. Il vous paraîtra sans doute que caS'ible : c’est un vice radical de toutes les propriétés nationales; la raison vous l’a persuadé, Messieurs, et le temps en convaincra la nation. Pour exploiter les mines an nom de la nation, qui en serait réputée propriétaire, prévoyez-vous, Messieurs, toutes les exactions et toutes les hostilités qui se commettraient? Avez-vous connaissance de tous ies crimes contre l'agriculture et même contre la personne des laboureurs, que des entrepreneurs ou leurs subordonnés se sont souvent permis? Au premier pas, l’entrepreneur agit avec mépris pour la personne du propriétaire ou du fermier, surtout si le propriétaire ou le fermier est pauvre. Est-il établi dans la propriété? 11 en use, à peu près, comme si elle lui était personnelle. La quitte-t-il? 11 la laisse dans l’état le plus déplorable de dévastation, et souvent il n’a satisfait en rien le propriétaire ou le fermier depuis finstant où il y e,-t entré: je ne charge pas le tableau. Une grande partie du département du Cher et beaucoup d’autres départements, par des mémoires très exacts, remis au comité, attestent que les opérations des mineurs, en général, sont des atieutats journaliers à la liberté, à la tranquil ilé, à la propriété; je ne les détaillerai point. Je neveux point, Messieurs, intéresser votre cœur pour eniraîner votre jugement; mais vous concevez le parti que je pourrais tirer de ce tableau, pour vous prouver combien toute propriété particulière, où il y a delà mine, serait encore bien plus sacrifiée qu’autrefois, si l’entrepreneur était fondé à croire, par un de vos décrets, qu’il jouit du bien de la nation et, conséquemment, d’une panie du sien propre. En vain le Corps législatif ferait de sages règlements, ordonnerai* des dédommagements scru-pu'eux: le propriét ire du sol serait toujours la victime de la propriété nationale, et, pour me servir d’une comparaison prise dans l’objet même, ce serait le combat du fer contre l’argile : certains délits ne se prouvent jamais, vu leur minutie et leur obscurité; répétés, ces délits deviennent insupportables, et dans les campagnes la police de tous les moments est bien difticile à�exercer. Le seul moy n, Messieurs, de concilier les intérêts de la nation et ceux du propriétaire (je ne dis pas ceux du concessionnaire ou de l’entrepreneur, qui n’est là qu’un être secondaire), c’est d’unir es intérêts, de ies amalgamer, en déda-lre Série. T. XXIV. m rant positivement que les mines font partie de la propriété foncière individuelle, et d’établir ensuite que le bien général exige qu’elles soient mises en valeur sous la surveillance immédiate de i administration nationale ; que le propriétaire sera obligé d’extraire et d’exploiter ses mines ou de souffrir l’action de la loi, qui le déplacera pour l’intérêt de tous, moyennant une préalable indemnité, proportionnée à l’incertitude de l’opération et aux avances considérables que ce genre d’exploitation entraîne; ainsi la liberté, dont le premier asile doit être dans les campagnes, ne sera point blessée, la propriété existera sans atteinte; elles ne seront subordonnées toutes deux qu’au premier des pouvoirs, celui de la souveraineté de la nation; ainsi le concessionnaire, qui exploitera une mine au refus des propriétaires, n’entrera dans une propriété que pénétré de respect pour elle. Il n oubliera plus qu’il est le représentant du propriétaire et le régisseur du bien général. Objectera-t-on qu’on donnera de droit la préférence de l’exploitation à tous les propriétaires du sol où se trouveront les mines de superficie, et qu’on leur payera leur mine et tous dédommagements équitables, lorsqu’ils n’en feront pas eux-mêmes l’exploitation? On répondra : accorder la préférence, c’est trop, ou trop peu donner; trop, si je suis simplement citoyen; trop peu, si vous me considérez comme propriétaire. On répondra: qu’appelez-vous la su-perficiedu sol? A quelle profondeur la lixez-vous? Ce n’est pas sans doute au-dessus des racines des arbres, des fondements des maisons, des sources qui, artificiellement, peuvent devenir utiles au cultivateur, des engrais qu’il peut retirer du sein de la terre. En Touraine et en Normandie, ils 11e se trouvent souvent qu’à 100 pieds de profondeur. Observez que, si vous 11e donnez pas une grande latitude d’épaisseur à la superficie, vous frappez de stérilité la surface, vous ôtez au propriétaire le droit de faire la moindre excavation dans son terrain, ou vous l’exposez à être accusé d’attaquer la propriété nationale. Objecte-t-on qu’en consacrant le droit de propriété, on serait forcé dans le fait, d’aller contre le principe, et de violer la propriété dans toutes les occasions où la loi mettrait, d’autorité, un concessionnaire à la place et au droit des propriétaires, puisqu’alors la confusion des droits aurait lieu? On répond ce qu’on a dit cent fois : la nation n’agit point contre le principe, en s’emparant d'une propriété qui est nécessaire au public, et que le propriétaire ne veut ou ne peut lui rendre utile. Pour un marais, pour un canal, pour un grand chemin, la nation fait précisément la même opération que je vous propose relativement aux mines. La nation, en cela, n’attaque que l’indépendance du soLparune légitime exception; elle ne porte nulle atteinte au droit social de propriété, dont l’essence est d’être soumise au bien général; elle ne dit pas que le terrain qu’elle me prend, moyennant une indemnité, n’était pas ma propriété; elle achète la chose sans attaquer le droit. La nation n’exercera ainsi, relativement aux mines, que le même pouvoir dont elle aurait droit de faire usage vis-à-vis d’un propriétaire qui ne voudrait constamment ni faire valoir, ni affermer, ni vendre sa propriété, qui s’obstinerait enfin à la rendre nulle : certes, la nation aurait le droit de l’obliger d’affermer cette propriété. Tout champ est tacitement soumis à la culture; tout propriétaire doit tendre à augmenter à sa manière les 16 242 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. productions de la terre dans la société : eh bien ! la culture de la mine, sa production, c’est son exploitation. La confusion des droits n’aura pas lieu quand vous donnerez la préférence aux propriétaires, et que vous y joindrez une indemnité. Les propriétaires ne disputent pas sur les mots ; accordez-leur la préférence et l’indemnité, et appelez, si vous voulez, les mines une propriété nationale : l’expression ne sera pas juste ; c’est le seul mal qui en résultera. Objectera-t-on qu’il est impossible d’adopter, à l’égard des mines de profondeur, le dédommagement dûaux autres propriétés, parce que l’exploitation de ces mines ne nuit point à Ja superficie du sol; que leur entreprise exige des avances immenses; que leur filon suit souvent sous beaucoup de propriétés entrelacées, et difficiles à reconnaître dans les galeries souterraines? On répondra : accorder la préférence et refuser l’indemnité, c'est là véritablement se contredire, parce que la préférence réelle est le signe caractéristique de la propriété, et que la préférence dont vous avez parlé ne sera qu’une vaine formalité, surtout injuste envers le pauvre propriétaire, toutes les fois qu’il n’aura pas les moyens d’exploiter les mines. Quelle difficulté y aurait-il à donner aux propriétaires chez lesquels passera le filon de la mine, un dédommagement proportionné à l’étendue souterraine qu’il occupera, et qui correspondra à la surface du terrain, comme l’a imaginé un membre ingénieux du comité? Ce dédommagement, fixé par Ldes experts, pourrait être du quart au huitième de la valeur de la superficie correspondante à la galerie de la mine. Rien n’est si facile que de reconnaître sous quel champ passe le filon. Un autre mode de dédommagement, qui me paraît plus simple encore pour Je charbon de terre, serait que le concessionnaire vendît, à moitié prix à chaque propriétaire de la circonscription, une quantité déterminée de ce charbon, en proportion de l’étendue de chaque propriété, ou qu’il en livrât gratuitement une quantité égale à chaque propriétaire, grand ou petit, pauvre ou riche. Ces dédommagements très modérés auraient l’avantage politique d’engager les propriétaires à faire des découvertes de mine, quand même ils ne seraient pas dans la possibilité de les exploiter; ils seraient rassurés ainsi sur l’inquiétude de travailler gratuitement pour les entrepreneurs. Vous obtiendrez donc plus d’exploitation, plus de travaux, plus de matières premières, plus de richesses nationales; surtout, si, ne procurant point seulement la fortune d’une douzaine de grands concessionnaires, vous multipliez, chose désirable, les petites exploitations ou concessions, en ne formant que des circonscriptions peu étendues. Objecte-t-on que le propriétaire n’a pu compter sur ce revenu, dont il ignorait l’existence dans la propriété, lorsqu’il a acquis le terrain? On répond : quoiqu’en achetant tel champ, si tant est que je l’aie acheté, je ne fusse point instruit qu’il y eût d’autre trésor que le travail, on ne m’en a pas moins cédé la propriété la plus étendue; m’apprend-on tout ce qu’une terre peut produire entre mes mains, lorsqu’on mêla vend? Toutes les chances heureuses que mon industrie peut courir dans l’acquisition ne sont-elles pas implicitement comprises dans le contrat? Parce que je découvre une carrière de marne, de sable, de pierre à chaux, d’ardoise, la nation viendra-t-elle dire que ce sont des propriétés collectives? D’ailleurs il serait faux de croire que dans les pays où des mines sont connues, l’a-121 mars 1791. J cheteur et le vendeur ne calculassent point sur la possibilité d’en découvrir. Objecte-t-on encore qne le dédommagement, tel qu’il est proposé, ne serait pas même équitable pour le propriétaire, puisque certains filons sont plus riches et plus profonds les uns que les autres, et que la superficie peut être aussi plus ou moins riche? On répond que le dédommagement pourra varier; et que si nul dédommagement, même celui qui serait tiré de la production de la mine, n’est rigoureusement équitable, il serait bien plus rigoureusement injuste de n’en point donner du tout : la difficulté dans le choix de l’indemnité ne peut pas déterminer l’Assemblée à nier le droit. Objecte-t-on enfin que les particuliers, étant déclarés propriétaires des mines, voudront déplacer les concessionnaires qui ont rendu des services à l’Etat, et pourront se nuire à eux-mêmes en usant de leurs droits, et s’enlever réciproquement un filon découvert, à mesure qu’il deviendra plus riche et plus capable de dédommager des avances de l’exploitation? On répond que les baux des concessionnaires légitimes, qui n’ont dépouillé despotiquement aucun propriétaire du fruit de ses travaux, qui ont découvert des mines et qui les ont exploitées à grands frais, seront maintenus dans les clauses de leur bail. La justice ne permet pas de mettre en question si l’on respectera ou non des engagements de cette nature. > On répond que le directoire du département proposera des gens de l’art pour la conduite utile et équitable de chaque exploitation, et qu’il pourra juger à l’amiable les différends qui surviendront entre les propriétaires. On répond que le règlement sur l’exploitation des mines, ou l’assemblée administrative, déterminera la circonscription de terrain dans laquelle un propriétaire qui se sera engagé à faire une exploitation, sera contraint de se renfermer. N’ayant formé seul cette entreprise qu’au refus des autres d’y coopérer, il n’aura point à craindre que ses travaux soient troublés par des propriétaires qui auront été appelés à y concourir, et à qui il donnera le dédommagement prescrit par la loi. Pourquoi les propriétaires n’auront-ils pas ou ne trouveront-ils point les fonds nécessaires pour ces entreprises, quand ils se livreront à l’économie rurale, au lieu de prodiguer leur argent en superfluités de luxe? Cette objection est une de celles sur lesquelles on s’appuie le plus fortement, et cependant elle me paraît ou puérile, ou bien affligeante, puisqu’elle tend à prouver que les propriétaires sont sans moyens, et que l’agriculture est dans un état déplorable de langueur. Pourquoi les propriétaires ne pourraient-ils pas céder ou vendre le droit de préférence que vous leur accordez, dans un temps déterminé? Pourquoi, le terme expiré, les entrepreneurs nommés par le gouvernement ne jouiraient-ils pas des avantages des propriétaires, aux mêmes conditions et avec la même confiance? Pourquoi les concessionnaires, devenus ainsi associés et amis de la propriété, n’offriraient-ils pas de préférence, dans l’entreprise, un intérêt aux propriétaires de la circonscription, du moins pour une partie du capital de la mise en commun? Pourquoi les propriétaires, n’ayant pas les moyens de faire eux seuls l’entreprise, ne seraient-ils pas empressés à prendre tous les arrangements commandés par l’intérêt national? Aujourd’hui, d’après les encou- {21 mars 1791.J lAssômblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ragements accordés à l’agriculture, il n’y a qu’un propriéiaire en démence qui puisse n’être pas citoyen... Si vous voulez, Messieurs (et vous le voulez impérieusement), si vous voulez consolider d’une manière immuablela Constiiutionque nousne ces-son-de porter vers sa perfection, il faut consacrer le vrai principe; il faut que le citoyen jouisse de tout ce que l’homme de la nalure aurait possédé si son industrie le lui avait fait découvrir, et qui se confine avec la société ; il faut que le plus petit proprietaire français, délivré des fers féodaux, soit libre dans tout l’espace perpendiculaire à sa propriété, depuis la région des airs jusqu’au centre de la lerre; il faut que les mots de propriétaire fiançais r< nferment cette vaste étendue; ou cette expression, qui doit être la plus majestueuse quand il est question de liberté, serait trop grande pour l’idée. La seule puissance réelle qui exisiera à l’avenir dans les inverses classes de la société, sera la puissance de la propriété territoriale; rendons-la attrayante : celte puissance est amie de toute Constitution libre ; elle est mère de la culture, des subsistances, des travaux : elle donne la vie à tout; elle ne peut être contraire aux hommes qui n’ont point encore de propriété. Il est un Curps législatif, permanent, modérateur de tous les droits et de tous les intérêts des citoyens. Le peuple élit ses représentants; il ne les choisira que parmi ses amis. La puissance et l’attrait de la propriété sont l’aiguillon des peuples laborieux, et l’âme d’un royaume agricole : c’est cet attra.t salutaire qui excite l’homme à employer les moyens de devenir propriétaire. Il est dans l’ordre que la propriété territoriale constitue la première force des citoyens; cette propriété paye l’impôt et fonde la force publique. Diverses classes de la société briguent des distinctions; tous les services rendus à la patrie demandent des récompenses; l’industrie inventive obtient un privilège ; les manufactures ne peuvent devenir ilorissantes que par l’encouragement des princes; les nouveaux établissements exigent une protection particulière. Le cultivateur ne réclame que la liberté; le cultivateur ne veut que la liberté pour obtenir la puissance, pour payer les subsides et pour vous assurer la prospérité. La liberté et la culture vous donneront bientôt des hommes, di s ouvriers, des subsistances, du commerce, des lois, des mœurs et des défenseurs zélés de votre Constitution : quelle nation a plus d’intérêt que la nôtre à embrasser ces idées patrioliques? Protégeons donc la culture; tranquillisons les laboureurs dans leurs foyers; affermissons les propriété-, ne cessons de nous rallier à ce point de la morale politique des gouvernements qu; veulent durer. Nous allons maintenant traiter la seconde qu stion : elle consiste à savoir si le seul droit ne s uveraintté de la nation suffit pour que les m nés soient exploitées. La question sera bientôt résolue par la grande idée que je me suis faite de ce droit. Connaissez-vous, Messieurs, vous représentants de la nation française, connaissez-vous un pouvoir sur la terre qui puisse résister à l’autorité légitime de la formidable association d’hommes dont vous êtes les organes? La nation peut tout et avec justice sur les citoyens, excepté de les rendre malheureux; elle peut tout sur les propriétés, excepté de les confondre; elle, peut tout, et elle n’aura pas le pouvoir de m’obliger de céder une mine, quand je ne veux pas l’exploiter; elle ne pourra pas faire 243 respecter le concessionnaire, le préposé du bien général ; elle craindrait de n’être point obéiel Quel citoyen est plus soumis que le propriétaire qui ne peut résister à la loi sans être doublement responsable: dans sa personne et dans ses biens? La nation craindrait de ne point trouver d’entrepreneurs? Fions-nous à l’activité, à l’intérêt des hommes sans qu’on les accuse d’avidité : reproche déplacé que j’ai entendu faire à cette tribune aux propriétaires et aux fermiers. Qu’ils soient avides, pourvu qu’ils soient utiles : voilà ce que doit penser un représentant de la nation. Il serait extraordinaire que l’Assemblée nationale, qu’on n’intimide point, fut susceptible de la crainte puérile de manquer de concessionnaires revêtus du droit de la souveraineté de la nation. Croyons que partout où il y auraquelque service à rendre à la patrie et quelque moyen de tirer avantage du travail, il se trouvera toujours un Français... Mais vous distinguez parfaitement, Messieurs, à leurs traits naturels tous les divers intérêts qui compliquent cette question ; vous apercevez clairement que c’est ici, contre les propriétaires, la querelle des concessionnaires et des entrepreneurs, et non la querelle de la nation contre les individus, qui, de bonne foi, ne peut exister. Les concessionnaires ne veulent point payer d’indemnité et veulent rendre, par la préférence, leurs baux indéfinis : voilà ce qui s’offre aux regards de la loi ; vous voyez que ce n’est pas même une contestation entre le commerce et l’agriculture; car qu’importe à l’intérêt national que ce soit un propriétaire ou un non-propriétaire qui fasse le commerce des mines? Vous ne pouvez pas plus croire que ce soit ici l’intérêt des ouvriers, car les propriétaires les emploieront et les payeront au moins comme les concessionnaires, qui souvent n’étaient que les prête-noms de personnes puissantes et en faveur, habiles à s’approprier ce qu’il y avait de plus réel dans l’entreprise; ce qui obligeait les concessionnaires à regarder de plus près aux salaires qu’ils donnaient. Si l’intérêt des ouvriers, et par conséquent des pauvres, était compromis, je ne céderais pas à un autre le plaisir de les défendre. Quel homme n’est pas porté vers eux par le sentiment, tandis qu’il ne se rapproche du riche que par la réflexion? Tout vous prouve, Messieurs, que si vous ne déclarez pas que les mines de fer sont une propriété individuelle, vous sacrifiez tous les petits propriétaires de la campagne et leurs fermiers, et les laboureurs aux grands terriens qui ont les forges; et que si vous refusez aux particuliers la propriété des autres mines, vous sacrifiez tous les propriétaires sans distinction aux concessionnaires. En attaquant les prétentions des concessionnaires puissants, si je m’élais attiré des inculpations non méritées, votre estime, Messieurs, qui est la première des récompenses, la cause que je défends et la vérité m’en consoleraient. Soupçonnés d’intérêt personnel ou non, nous n’avons à considérer, dans la tribune, que l’utilité générale, et je la vois sorlir tout entière de la force du droit de propriété. Croyez, Messieurs, que tels sont les vrais principes de la stabilité des Empires, et que l’agriculture, que je sers et que je chéris, n’est devenue ma passion que parce qu’elle sera éternellement la source de toutes les prospérités, la pépinière des hommes et la ressource dans tous leurs malheurs. Nous voici arrivés à la dernière question : y aurait-il un moyen intermédiaire à prendre en- 244 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mars 1791.) tre la propriété individuelle et la propriété nationale? M. Turgot avait embrassé l'opinion dangereuse, que les mines doivent appartenir au premier occupant. Je conviens qu’unhomme supérieur peut la soutenir en créant de nouveaux principes sur le droit de propriété. Elle le sera, dit-on, par cet orateur qui emploie habituellement les deux grands moyens de la parole, l’éloquence et l’à-propos. J’avoue toutefois que cette opinion se rapproche de mou principe. Je crois que cette idée singulière, mélangée de l’indépendance de la nature, de la souveraineté de Ja nation et de la propriété sociale, tient cependant plus à la propriété qu’à la souveraineté : il faut au moins, au premier occupant, un peu de terrain à la superficie pour avoir le droit de faire une excavation qui le conduise à une propriété résidant dans les entrailles de la terre et qui attend son maître. Mais je me demande si, dans une société soumise à des lois, il est possible, il est convenable qu’un pareil droit existe et s’il peut exister sans dénaturer le droit de propriété. Dans toute société on n’a reconnu qu’une seule fois le droit du premier occupant, à la naissance de la société : depuis cette époque, et pour jamais, tout droit dérive de la possession autorisée par les lois. Je sens que le propriétaire de la surface n’est pas dépouillé de son droit d 'exploitation; mais il l’est de son indemnité dans le cas où il n’exploiterait pas ses mines. J’ajoute que la rencontre de deux mineurs qui se disputeront le même filon fera naître des difficultés et des combats. C’est déjà trop que de connaître le fléau des guerres sur la surface du globe, sans y joindre le fléau plus terrible d’une guerre continuelle et souterraine, que le glaive de la loi aurait peu de moyens de réprimer. Ce ne serait pas une propriété que vous créeriez pour les pauvres, par le droit du premier occupant; ce serait une guerre entre les riches et un terriioire pour la chicane. Une grande objection encore contre ce principe, c’est que si les propriétaires du sol ne voulaient pas exploiter les mines ni vendre l’espace de terrain nécessaire à l’excavation, vousifauriez point de mines, parce que vous auriez exclu les concessionnaires qui sont, pourles propriétaires, un objetd’émulation quand iis sont autorisés par la loi à les remplacer. Il me reste à répondre, en peu de mots, à M. le rapporteur, dont j’ai le malheur de ne pouvoir adopter les principes, quoiqu'une de ses notes tende à faire croire qu’il a adopté les mn ns. Dans le premier rapport du Gode rural, j’ai établi, au nom du comité, l’indépendance du sol, et j’ai avancé qu’il y avait quelques principales exceptions, comme ce qui concerne les marais, les mines, les canaux. et les grands chemins; mais il n’en est pas moins évident que, dans mes principes, j’ai toujours donné au propriétaire le droit de faire un dessèchement avant de lui imposer l’obligation de céder sa propriété, si elle ne peut, entre ses mains, cesser d’être nuisible : je l’ai donc considéré toujours comme propriétaire ; la conséquence est la même pour les mines. Lorsque j’ai dit que le propriétaire en doit souffrir l'extraction et l’enlèvement, il est clair qu’il est sous-entendu que cela n’aura lieu que dans le cas où il ne pourra ou rie voudra les exploiter lui -même. En établissant l’indépendance nu sol, je n’ai pas voulu sans doute aller si grossièrement contre l’intérêt des campagnes que je voulais i endre ibres. Dans tous les cas, ce serait mon erreur et non celle du comité, si je m’étais mal exprimé; car la majorité du comité d’agricultuie et de commerce, fidèle à ses principes dans sa première délibération, où assistaient des commissaires des divers comités, n’a point éié de l’avis du rapport qui vous est fait; et, dans cette délibération, j’avais répondu à M. d’Epercy ce que je me suis fait un devoir de lui répéter ici, parce qu’il m’a prêté, aux yeux de la nation, une opinion, qui, comme cultivateur et législateur, ne peut être la m enue. Au reste, je clarifie ma phrase, pour qu’il n’y ait p is d’équivoque; et j’ai l’honneur de prévenir l’Assemblée qu’à la page 11, lmne 3 du premier rapport du Code rural, il faut lire ces mots : En fasse V exploitation, avant ceux-ci, ou en souffre V extraction et l’enlèvement moyennant une indemnité. Je diffère de M. le rapporteur, d’abord dans son premier article. M. le rapport ur propose de décla-rerque lesmines sont à la disposition de la nation : je n’ai pu regarder ceci comme un moye i intermédiaire; on ne peut nier que la disposition nVntiaîne la propriété; c’est la propriété ou ce n’est qu’une équivoque in ligne de la loi. Je diffère de M. le rapporteur en quelques autres points, et notamment dans le prix qu’il veut faire payer la mine de fer, non extraite par les propriétaires. Je crois prouver ici, dans une note tiès détaillée des dépenses nécessaires à l’exploitation des forces, que le prix de cette mine doit être présentement double, qu’elle peut se tenir constamment dans un prix proportionné avec le fer, et que l’entrepreneur n’aura pointàse plaindre. Mais il est inutile de 1 re cette note pour le moment, et de s’appesantir, avant la discussion de détail, si elle a lieu, sur les diverses parties du projet de décret (1). (1) Les données communes apprennent que le minerai de fer lavé, ou la mine, se réduit au tiers en fonte et au quart de fer. Le prix actuel de celte mine est de 2 liards par quintal ; celui du quintal de fonte est, au plus bas et pris à la forge, de 100 sous; celui du quintal de fer est au moins de 16 francs. Ainsi, puisqu’il faut 300 de mine pour produire 100 de fonte, et 400 pour obtenir 100 de fer, le prix de la mine est la soixante-sixième partie ou environ du prix de la fonte, et la cent soixantième de celui du fer. Je propose de doubler le prix de la mine, et voici sur quoi je me fonde. Une forge active et favorisée par sa situation, peut fairj par an 500,000 de fer; pour les fabriquer 2 millions pesant de mine sont nécessaires: les 500,000 de fer à 16 livres le quintal, valent 80,000 livres. Le prix de la mine étant doublé et élevé à 1 sou le quimal, les 2 millions pesant de mine rapporteront au propriétaire du sol 1,000 livres ou la quatre-vingiième partie de la valeur de tout le fer fabriqué à la forge durant l’année. Si au contraire on adoptaitl’ancien prix de la mine, le revenu ne serait que la cent soixantième partie de la valeur du fer; le propriétaire ne recevrait que 500 livres ; ainsi le petit propriétaire du sol où est la mine continuerait, pour 500 livres, de fournir toute la matière première à la forge, de perdre au moins de 5 à 6 arpents de terrain, d’avoir toute l’année sa propriété dévastée, de supporter toute l’année l’embarras et le préjudice de l’extraction et de l’enlèvement de sa mine, et d’être sacrifié à l’augmentation du revenu d’un grand propriétaire et à l’avantage des spéculateurs. Le quintal de fer, qui est estimé 16 livres, coule au plus 12 livres pour tous frais de transpori, de fabrication et de manipulation, ce qui donne le quart du produit en bénéfice net. Cette assertion est d’autant pius vraie que j’ai porté le prix de la fonte et du fer à un taux très modère ; je crois avoir laissé une marge de 15 à 20 0/0. à l’effet de balancer tous les événements et frais imprévus de l’entrepreneur; et maintenant que la marque des fers et les entrées des villes n’ont plus lieu, l’entrepreneur peut compter de plus sur un bénéfice d’environ 10 0/0, taux auquel ces droits [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mars 1791. Je ne me permettrai plus, Messieurs, que quelques réflexions relatives au ménagement du soi dans la fouille des mines. Je ferai remarquer à l’Assemblée nationale qu’il y a en France environ 500 fourneaux d’usines, qui produisent ou peuvent produire 350 millions de fonte de fer, dont 100 millions entrent dans le commerce en nature de fonte, et 250 miîlions sont convertis en 170 millions de fer en barres. Pour obtenir cette richesse, on extrait tous les ans 26 millions de pieds cubes de minerai; on fouille tous les ans de deux à trois mille arpents du territoire; et dans un siècle, de 20ü à 250,000 arpents dont la plus grande partie est condamnée à la stérilité ou à l’inculture. Qu’on juge donc de quelle importance il est de bien exploit* r les mines, de faire de bonnes lois en ce genre. L’extraction de la mine de superficie se fera avec bien plus d’économie pour le propriétaire et d’avantages pour la nation, lorsqu’il choisira lui-même son temps, ses champs et sus ouvriers, et qu’il calculera ses propres intérêts pour extraire à propos sa mine; il aura soin que le champ qui aura rapporté la production ordinaire, soit excavé dans l’année de repos, donne la mine, et soit recomblé à temps pour se représenter à son tour au labourage et à la semence. Le propriétaire aura double profit; mais il sera imposé à la contribution foncière en conséquence de son revenu. Je ne conçois pas comment le comité des impositions a négligé de prendre en considération ce qui peut augmenter les revenus publics, et ce qui peut influer si sensiblement sur la vente des biens nationaux : vous perdez l’imposiiion, si vous livrez la France aux con-cessionnaiies ; vous vendrez moins certains biens nationaux, si vous inquiétez les personnes qui voudraient les acquérir. L’exploitat on des mines de profondeur menace moins la superficie du sol; mais cette exploitation, en dégradant l’intérieur, peut finir par anéantir sa surface, et les véritables intéressés à la conserver sont les propriétaires. En parla* t des mines en gméral, j’ai cependant entendu excepter les mines d’or etd’argent. Elles me paraissent devoir être gouvernées par des lois particul ères , comme en Angleterre; signes représentatifs de tous les objets de nos besoins, et substance du numéraire réel que la nation a seule le droit de frapper et de mettre en circulation : les mines d’or et d’argent, ür-s’ëlevaient. Si vous ôtez les trois quarts de 80,000 livres il reste 20,000 livres en produit net à la forge; ainsi le propriétaire du sol qui aura fourni toute la mine, en recevant 1000 livres au lieu de 500 livres, n’aura tout au plus que la vingtième partie d’un produit définitif, qui n’existe que par la matière première qu'il possède. En doublant le prix de la mine qu’extraira l’entrepreneur, je sens qu’il faut qu’il y ait un maximum fixé pour le minerai que fera extraire le propriétaire afin que, dans les premiers moments surtout, les forges ne manquent pas d’aliment. Il me parait aussi que le prix du fer et celui de la mine devraient être revus tous les dix ans, et être remis en équilibre, l’un avec l’autre, par un décret du Corps législatif; ce serait le moyen de lier d'intérêl le propriétaire du sol et celui de la forge, et de confédérer à jamais l’agriculture et les arts utiles. En un mot, le prix du quintal du minerai lavé, ou de la mine, porté de deux liards à un sou, me semble ménager tous les intérêts; cette augmentation sera, quoi qu’on en puisse dire, peu onéreuse à l'entrepreneur, soulagera le cultivateur et n’influera presque point sur le prix du fer dans les divers usages de la société. 245 gueilleuses de nos conventions, doivent sortir de la loi commune : au surplus, la France possède peu de ces trésors secondaires; et l’exploitation en serait si coûteuse, que peu de propriétaires seraient assez puissants pour parvenir à en tirer avantage. J’excepte donc les mines d’or et d’argent; j’adopte un mincipe général pour les autres mines, avec des règlements particuliers; je propose à l’Assemblée nationale de remplacer tout le projet de décret de M. d’Epercy, en 70 articles, par les 9 courts articles que je vais lui soumettre, et qui sont seuls dans les principes exacts de la Constitution, de l’agriculture et de la propriété. L’Assemblée nationale sentira, je l’espère, qu’une Révolution aussi générale que la nôtre, donne, malgré tous les efforts des législateurs, quelque ébranlement à la plénitude du droit de propriété; l’Assemblée nationale avouera qu’une action digne de sa sagesse est de consolider à jamaL ce droit dans toute son étendue, et que c’est le premier moyen de faire payer avec empressement la contribution foncière dont nul bon citoyen ne doit se plaindre; l’Assemblée nationale se dira qu’il n’est pas un seul propriétaire qui ne doive trembler d’avoir sous ses pieds une mine quelconque, pour s’en voir dépouillé sans indemnité, et pour éprouver les persécutions des concessionnaires étrangers au sol. J’aime à croire que l’Assemblée nationale qui a détruit la dîme, la féodalité, la gabelle, les aides, les entrées des villes, tous les droits vexatoires; qui a décrété la liberté de toute culture; qui a donné des encouragements aux dessèchements, aux défrichements, aux plantations, que l’Assemblée nationale enfin, qui a tout faitjusqu’à ce jour pour l’agriculture, considérée en grand, ne trompera point, au dernier pas, l’attente des propriétaires et des cultivateurs, et les attachera, par tous les liens possibles, à la Constitution et à sa défense. Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous présenter ; « Art. 1er. Les mines et minières font partie de la propriété foncière et individuelle des citoyens. « Art. 2. Elles sont particulièrement soumises à la surveillance de la nation et à l’inspeciion de l’administration publique. « Art. 3. Sont exceptées de la loi générale les mines d’or et d’argent, qui, par leurs rapports monétaires, sont sous la direction immédiate du gouvernement, sauf l’indemnité préalable due au propriétaire du sol pour la valeur de la superficie. « Art. 4. Tout propriétaire sera obligé de souffrir la recherche que l’administration fera faire des mines, suivant le règlement qui sera joint au présent décret. « Art. 5. Aussitôt que les mines seront découvertes, et que l'administration jugera qu’elles sont dans le cas d’être exploitées, il sera formé des circonscriptions pour leur exploitation, si la profondeur de ces mines exige des travaux dispendieux et les lumières des gens de l’art. « Art. 6. Si un ou plusieurs propriétaires de la circonscription veulent se charger de l’entreprise, ils en donneront avis au directoire du district et à celui du département, qui veilleront à ce que l’entreprise ait lieu pour la plus grande utilité générale. « Art. 7. Quand les propriétaires de la circonscription ne pourront ou ne voudront pas exploiter leurs mines, l’administration en confiera l’ex-ploiiation à baux prolongés, suivant la difficulté de l’entreprise, à des entrepreneurs, sous la con-