[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { Nombre im 473 Un membre le combat. Au projet de généra¬ liser les principes de l’économie rurale, il oppose la variété des terrains et de leurs productions. Il ne veut d’autre système en agriculture que la proscription des rois, des seigneurs et des prêtres. Il se repose d’ailleurs sur la liberté du soin de donner à l’agriculture la plus grande activité et il propose de passer à l’ordre du jour. La discussion s’engage. Grégoire répond aux objections qu’on lui a faites. La Convention décrète l’impression de son travail et l’ajournement de la discussion. Sur la proposition de Fabre-d’Églantine, il est décidé qu’on ne s’occupera de cet objet qu’au grand ordre du jour. Suit le texte du discours de Grégoire d'après le document imprimé par ordre de la Convention. NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS SUR L’ AMÉLIO¬ RATION DE L’AGRICULTURE, PAR L’ÉTABLIS¬ SEMENT DE MAISONS D’ÉCONOMIE RURALE, PRÉSENTÉS PAR LE CITOYEN GRÉGOIRE A LA SÉANCE DU 16 BRUMAIRE, L’AN II DE LA RÉPU¬ BLIQUE UNE ÉT INDIVISIBLE (1). Citoyens, La rareté des subsistances nous donne cette année une grande leçon : nous n’aurions pas éprouvé cet embarras, si l’ancien gouvernement avait consacré à l’amélioration de l’agriculture une partie seulement des trésors qu’il prodi¬ guait pour satisfaire des besoins de fantaisie. Comme rien n’est à négliger quand il s’agit de nourrir le peuple, et que le concours des petits moyens donne quelquefois de grands résultats, je demanderai s’il ne serait pas prudent d’in¬ terdire l’usage des plantes céréales pour l’amidon et la poudre à cheveux, puisque plusieurs plantes bulbeuses pourraient les remplacer. Peut-être serait -il également sage de suppri¬ mer ou du moins de restreindre l’emploi des grains dans la confection de la bière. C’est ce que font quelquefois les Etats du Nord, qui n’ont pas comme nous l’avantage d’avoir des vins. Un septier (2) d’orge employé pour la bière ne donne pas un résultat nutritf aussi avanta¬ geux que s’il était converti en farine. D’ailleurs, il est connu que plusieurs substances pour¬ raient être employées à préparer des boissons saines. Je ne vous présente ces vues que comme des doutes importants à éclaircir, et que vos réflexions convertiront peut-être en certitude. Enfin, nous commençons à croire qu’outre le froment dont les deux tiers du globe ne connaissent pas l’usage, la masse de nos subsistances peut s’accroître d’une foule de plantes potagères, surtout de racines qui sont trop peu cultivées en France; à l’avantage de fournir de bons aliments, elles réunissent celui de produire abondamment et d’être moins exposées à l’intempérie des saisons. (1) Bibliothèque nationale : 18 pages in-8° Le3’, n° 549; Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection Portiez (de VOise), t. 324, n° 5. (2) Le septier est au décicade à peu près comme 9 à 8. En vous présentant un . projet pour ranimer notre agriculture, j’ai énoncé quelques vérités de fait qui invoquent toute la sollicitude du législateur. Près du quart de notre territoire est inculte. Aux environs même de Paris, de vastes terrains sont en friche; on m’assure que la seule commune de Meudon en a près de cinq cents arpents (1). Sur la partie cultivée de notre territoire, il est un tiers à qui le système absurde des jachères défend annuellement de produire, et ce qui est mis en rapport est en général mal cultivé. Il ne suffit pas d’autoriser les baux à long terme; peut être serait-il à propos que le sys¬ tème des contributions foncières frappât plus sensiblement sur les baux à terme court, qui sont un des fléaux de notre agriculture. Cette brièveté empêche le fermier d’étendre ses combinaisons; elle étouffe les spéculations. Il n’est pas rare de voir des terres affermées qui, très propres à la culture des arbres, en sont entièrement dégarnies, et d’autres dont les fossés se comblent au point de submerger les terrains adjacents, qui, au lieu de grain, pro¬ duisent des exhalaisons pestiférés. • Le fermier tentera-t-il de saigner ce marais, d’ameublir cette terre trop compacte, de déga¬ ger ce sol de pierres qui l’encombrent, de plan¬ ter, de greffer, de faire des clôtures si néces¬ saires à la multiplication des bestiaux, de for¬ mer des luzernières dont la récolte se prolonge pendant un laps de temps assez long, de porter des marnes, dons l’effet s’étend' sur un grand nombre d’années? Sa jouissance est trop bor¬ nés : il aurait travaillé pour un autre; il se con¬ tente d’enlever à la hâte de faibles moissons sur un sol qui était ruiné quand il l’afferma, et qui sera ruiné quand il le quittera. Un autre abus qui a heu dans presque toute la France, c’est la défense de dénaturer les terres. et d’échanger l’assolement. Sans doute le fer¬ mier porterait au propriétaire un préjudice notable s’il arrachait un bois ou une vigne pour y semer; mais les clauses qui défendent d’intervertir l’assolement sont presque tou¬ jours meurtrières, et je pense que vous devez au plus tôt les proscrire. Les principales causes qui maintiennent le système détestable des jachères, sont les abus que je viens de dénoncer, et de plus, le cours des moissons en France. En variant ses tra¬ vaux, l’homme diminue ses fatigues. Comme l’homme, la terre aime la diversité, elle réclame contre cette monotonie qui la condamne inva¬ riablement à porter une année du froment ou du seigle, à laquelle succède une année en grains de printemps. Le sol fatigué de fournir des sucs de même nature aux mêmes plantes, s’effrite et se refuse à la continuité de cette culture, mais il n’en serait pas de même si l’on variait les cultures sur le même sol en y intercalant le trèfle, la luzerne, le chou, la rabette, les pommes de terre, les navets, ces derniers ne tenant à la terre que par un filet tirent presque toute leur nourriture de l’atmosphère. Il est incontestable que le sol de la Grande-Bretagne est inférieur au nôtre, et cependant par chaque période de neuf ans, les Anglais gagnent sur nous au moins deux récoltes. (1) Le grand arpent est à peu près la moitié de l’are. 474 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J JVovembr! *793" Je crois utile d’appeler votre attention sur un autre fait. Vers la fin du siècle dernier, en France et en Angleterre la proportion était à peu près la même entre les champs et les pâtu¬ rages, e’est-à-dire, entre les terres qui absorbent les engrais et celles qui les renouvellent; nous sommes restés au même état, tandis que les An¬ glais, sur l’étendue du sol en rapport, ont actuel¬ lement trois fois plus de pâturages que de terres en labour. Une de leurs maximes est qu’une livre de viande épargne plus de deux livres de pain; ils ont senti d’ailleurs l’immense avantage d’avoir en abondance les fumiers, les suifs, les cuirs et les laines. Quand, à la barre du parlement britannique, Franklin déploya la dignité du peuple améri¬ cain, entr’ autres choses on lui demanda si les Américains pourraient se passer de laines anglaises? Assurément, dit-il, ils le pourront; tous se sont imposé la loi de ne pas manger d’agneaux. Législateurs, je livre ce fait à vos réflexions, nous n’avons plus guère d’élèves tant veaux qu’agneaux; il est nécessaire d’en arrêter la destruction ; mais dites un mot à cette nation sublime, dont nous sommes les repré¬ sentants, et je maintiens qu’une simple invita¬ tion vaudra un décret. Permettez-moi de vous reproduire une idée déjà présentée à cette tribune, c’est qu’il faut encore vaincre en agriculture ce peuple que nous avons vaincu par la pureté de nos principes républicains et par notre loyauté, ce peuple qui n’est plus qu’un troupeau avili sous le fouet de l’imbécile George et du scélérat Pitt, dont il nous doit les têtes, sous peine d’en être com¬ plice. Vos décrets ont brisé les liens féodaux qui enchaînaient l’agriculture et comprimaient ses efforts. L’acte de navigation, que votre sagesse a décrété, fait espérer à la France d’être bientôt le plus riche entrepôt de l’univers ; pour accélérer oe moment, il faut diriger et encou¬ rager les travaux du laboureur. Un jour, sans doute on Vous présentera un travail approfondi sur les primes destinées à recompenser la quan¬ tité et la qualité, en joignant à l’indemnité pécuniaire le stimulant du patriotisme qui, chez les Français, sera plus que jamais le véhi¬ cule du beau et du bon. Sans doute vous appliquerez encore les primes aux dessèchements, aux défrichements, à l’anéantissement des jachères; quand vous ne parviendriez à mettre en rapport que vingt arpents de plus par commune, la somme totale serait au moins de 800,000 arpents, et comme 2 arpents peuvent nourrir au moins 3 individus, vous auriez acquis un accroissement de subsi¬ stances pour 1,200,000 individus, c’est-à-dire, pour toutes les armées de la République. Depuis le 9 mai 1972, vous avez acheté pour environ 55,000,000 de blé de l’étranger : si la moitié seulement de cette somme avait eu pour objet d’encourager l’agriculture, la somme totale se serait prolongée sur les années à venir, et le bénéfice résultant pour la nation eût été incalculable. Je parcourrai successivement les divereses objections qui me sont parvenues contre le plan de maisons d’économie rurale que je vous ai présenté, dont l’objet est d’améliorer ce que nous avons, et d’obtenir ce que nous n’avons pas. Vous proposez, m’a-t-on dit, d’acclimater chez nous des plantes et des cultures étrangères : mais notre sol a tout; la nature a placé chez nous ce qui nous est nécessaire. Je commence par nier cette assertion : la nature, à la vérité, nous a donné un territoire fertile, et c’est à peu près tout. Le froment n’est pas originaire de nos contrées (1); grâce aux Phocéens le cep est monté sur nos coteaux, mais la vigne est une étrangère naturalisée chez nous, ainsi que le pommier à cidre, le mûrier, l’ohvier, le cerisier, le figuier, l’abricotier, le maïs, la pomme de terre, en un mot, tout ce qui nous avons de mieux, n’est pas indigène : ces deux dernières plantes qui possèdent la faculté productrice au plus haut degré, suffiraient seules pour décider la question tant débattue, si la découverte du Nouveau-Monde a été plus utile que funeste à l’Europe. Au risque d’être trivial, il est des vérités qu’il faut répéter; le même sol qui donne 6 sep tiers de froment en donne jusqu’à 80 de pommes de terre, et attendu que l’effet nutritif de trois livres (2) de pommes de terre est au moins comme celui d’une livre de froment, il en résulte qu’il y a toujours prodigieusement à gagner à cette culture; rappelez vous d’ailleurs que par sa nature cette plante est plus à l’abri de la grêle et des autres accidents que les plantes céréales, et que, pour en faire usage, il ne faut pas de moulin. J’ajoute un fait que peut-être bien des gens ignorent : c’est qu’avec des pommes de terre on a fait trois quintaux de biscuit de mer qui ont été expédiés en Amérique, puis réexpédiés en Europe. Ce biscuit est inattaquable par l’insecte, et quoiqu’il ait 11 ans de fabrica¬ tion, il conserve encore ses qualités alimen¬ taires. Ces faits répondent d’une manière péremp¬ toire à ceux qui voudraient persuader que nous poursuivons des chimères en promettant dans l’ agriculture et les arts, de nouvelles acquisi¬ tions, les seules conquêtes qui soient dignes d’un peuple libre. Tout est beau, dit-on, par delà le tropique; de ces brillantes contrées sont arrivés chez nous des végétaux qui, déjà naturalisés, pro¬ mettent les plus grands avantages : tels sont une espèce de riz qui ne veut pas de submersion, et conséquemment on n’objectera pas l’insalu¬ brité des lieux destinés à sa culture. L’indigo réussit dans le midi de la France ainsi que le coton, dont un citoyen a recueilli jusqu’à 10 à 12 quintaux. Plusieurs variétés de cette dernière plante réussissent à Montpellier, donnent des gousses énormes et un coton d’une blancheur éblouissante. Quoique la Caroline méridionale soit à une latitude moindre que la nôtre, il n’est pas rare d’y voir de la glace de plus d’un pouce d’épais¬ seur, et cependant la canne à sucre y prospère. Il dépend de nous d’obtenir le même succès; plusieurs individus ont également passé l’hiver à Montpellier en pleine terre et se sont élevés à six pieds. Bientôt nous pourrons nous dispenser d’a¬ cheter chez l’étranger la rhubarbe et la salse¬ pareille. Enfin, j’apprends que l’arbuste à thé que j’a¬ vais cité comme supportant le climat de la Corse, est depuis 5 à 6 ans dans un jardin près (1) Quelques auteurs prétendent que le type ori¬ ginal du froment est en Sibérie, d’autres en Sicile. Quoi qu’il en soit, il paraît constant qu’on ne le trouve pas parmi nos graminées indigènes. (2) La livre est à peu près la moitié du grave. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J novembre ITM 475 de Montrouge, et qu’avec des soins pareils à ceux qu’exige le figuier, il se soutient en pleine terre. Parmi les arbres que nous avons acclimatés, au lieu de ces tilleuls, dont les racines traçantes envahissent inutilement une grande surface, comment ne s’empresse-t-on pas de multiplier l’acacia qui déploie chez nous sa force et sa beauté, et dont le bois serait si utile pour le tour, le charronnage et la vigne? En 1709 des échalas d’acacia d’environ 2 pouces de diamètre furent employés pour consolider une haie au jardin national des plantes. Lorsqu’on les arra¬ cha, il y a sept à huit ans, ils étaient encore sains et entiers. Je vous prie, citoyens, d’écouter un passage intéressant d’une lettre que m’écrit un homme que je ne connais que par ses ouvrages, mais qui a une réputation faite en agriculture, c’est l’auteur des Lettres d'un cultivateur améri¬ cain. « C’est dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale où l’on peut voir, sous les cou¬ leurs les plus frappantes, la démonstration des vérités contenues dans votre rapport; c’est aux défrichements, à la charrue, à la perfection des instruments et des arts de première nécessité que ce beau pays doit ses mœurs et sa prospérité; prospérité qui, pour le temps de la première dé¬ couverte de ce continent, surpasse tout ce qui s’était jamais vu auparavant, et offre l’objet de méditation le plus instructif; malgré les mal¬ heurs d’une guerre de 7 ans, prix de la liberté et de l’indépendance, la population de ces États approche de cinq millions d’habitants, et leur exportation pour l’année 1792, de la somme de 122 millions tournois; tels sont les effets d’une agriculture éclairée, protégée, encouragée par la vraie liberté et la douce égalité. Quel sublime exemple ! Sous combien d’autres rap¬ ports ce continent ne pourrait-il pas nous devenir utile? « Ne devons-nous pas nécessairement être les amis, les alliés de cette République naissante, nous surtout qui sommes aussi devenus libres et républicains. Leurs découvertes dans les arts de première nécessité (qui le croirait?) offrent plusieurs exemples instructifs. Leur continent promet à notre agriculture beaucoup d’objets infiniment utiles. — Le fruit du cirier, ce buisson si humble et si précieux qu’on voit depuis le New-Hampshire jusque dans les Carolines, répandu sur le territoire français, diminuerait singulièrement la consommation des suifs et même éclairerait d’une manière bien plus douce et bien plus aromatique (cette cire ne vaut que 14 à 16 sols la livre); au moyen de la greffe nous pourrions aisément nous procurer le chêne épineux (l’ébène de ces Etats) si précieux pour le charronnage; les diffé¬ rentes espèces de hycoris, le plus durable et le plus élastique des bois, pourraient être égale¬ ment propagées �n France; le cèdre rouge, si utile pour mille usages, croîtrait aussi bien sur nos montagnes que sur celles de l’Amérique septentrionale. Le cèdre blanc, qui vient par¬ tout, et si précieux par sa durée, embellirait les bords de nos marais; l’érable veiné, l’érable à sucre, qu’on trouve sous tant de climats, de¬ puis la Nouvelle-Écosse jusqu’aux plaines de Kentukey, procurerait aisément à la nation-une grande partie du sucre qui lui est néces¬ saire; j’en parle avec d’autant plus de confiance, qu’au moyen des érables de ma plantation, j’ai fait pendant 20 ans tout le sucre dont ma famille faisait usage ». Sur cette lettre j’observerai que le Hycoris est déjà naturalisé dans divers jardins, et que le cèdre rouge l’est, dit-on; à Denainvilliers et ailleurs. Non, la France ne connaît pas encore l’im¬ mensité des ressources que lui présentent et son sol et celui de ses colonies ; on se complaît dans la douce espérance de voir bientôt fleurir ce pays qui porte encore l’empreinte des crimes du gouvernement en 1763, cette G-uyanne où la République possède plus de 100 lieues de côtes, et peut s’avancer à 400 lieues dans l’intérieur du continent américain, où toutes les cultures, toutes les épices prospèrent, et d’où l’on pour¬ rait, dit-on, tirer des bois de construction pour plusieurs marines, telles que la nôtre (1). Le sol de la France, dans sa partie méridio¬ nale surtout, attend qu’on lui confie les riches productions des autres parties du globe. Je vous ai cité une foule d’expériences cou¬ ronnées d’un plein succès. Elles prouvent que par des procédés simples et sûrs, on peut en France amener à maturité les productions des climats lointains, et recueillir les bienfaits de l’univers (2) : sans contredit le froment sera toujours la première de nos cultures, mais l’é¬ tendue et la richesse de notre sol en admettront une foule d’autres qui, en diminuant la dépense des importations, sont propres à varier nos jouis¬ sances. Ames sensibles, convenez que le sucre aura une saveur bien autrement exquise, lorsque recueilli par des mains libres sur le continent français, il n’aura pas été arrosé par les sueurs et les larmes d’un esclave. Je continue à discuter les arguments proposés contre mon plan. On m’objecte les dépenses des établissements. A cela je réponds que vouloir vivifier l’agriculture sans avances, c’est préten-(1) Rappelons, pour en inspirer l’horreur, les crimes du gouvernement, qui, en 1763, sous pré¬ texte de peupler la Guyane, y envoya 14,000 indi¬ vidus, sans leur préparer d’habitations, sans leur fournir ni instruments, ni vêtements, ni comestibles. Tous, ou presque tous, périrent de misère. (2) Je regrette de ne pouvoir consigner ici une foule d’observations importantes que m’ont adres¬ sés les citoyens agricoles Billon, de Marseille, Basset, médecin à Nîmes, et Bagot, créole de Cayenne, et député-suppléant de cette colonie, sur la possibilité d’acclimater chez nous les plantes qui croissent entre les tropiques. Cependant, comme il faut parler à charge et à décharge, je dirai que le citoyen l’Arche-vêque-Thibaut, colon de Saint-Domingue, dans un mémoire très instructif qu’il m’envoie, élève des doutes sur l’utilité politique qu’il y aurait d’accli¬ mater chez nous le caffier. Plusieurs pétitions ont été adressées aux Assem¬ blées législative et conventionnelle, pour demander que des botanistes fussent envoyés dans les Indes Orientales, où ils recueilleraient et d’où ils trans¬ mettraient aux colonies françaises et à la métropole une foule de productions naturelles, qui sont sus¬ ceptibles de s’y acclimater; tels sont le fameux bois d’aigle de la Coehinchine, le mallora des îles Niço-bar, qu’on dit être la meilleure espèce d’arbre à pain, un insecte particulier de Madagascar qui donne une soie inconnue à l’Europe, etc., etc. Pour ce voyage, il faudrait non seulement des botanistes dont les soins se borneraient peut-être à former un herbier, mais encore des hommes versés dans toutes les parties de l’économie rurale, et qui étudient tous les procédés agricoles et industriels des autres peuples, reviendraient enrichir leur patrie de leurs découvertes. 476 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j JVovembre ira” dre récolter sur un champ qu’on n’a pas cultivé. Il y a parité parfaite dans ces deux exemples. Actuellement je fais le calcul suivant : supposons que pour une maison d’économie rurale dans chaque département, la première mise dehors de chacune soit évaluée à 50,000 livres le total est 4,300,000 livres. Mettons à 5,000 livres l’ap-perçu de la dépense annuelle dans chaque mai¬ son pendant 25 ans, il en résulte une somme de 10,750,000 livres, qui, jointe à celle de 4 millions 300,000 livres forme la somme totale de 15,050,000 livres. Dans les maisons provenant des émigrés, vous trouverez facilement des locaux appropriés. L’arrachage des allées et des parcs, jettera des bois dans la consommation en ren¬ dant à la culture des terrains stérilisés par l’in¬ solence féodale. Considérez que cette somme reste dans la République, que lés produits présumés, ou plutôt sûrs, sont immenses ; que le mouvement imprimé à l’agriculture se prolongera sans doute pendant des siècles; qu’ après avoir couvert de richesses le sol français dans l’espace de 25 ans, et peut-être moins (car dès la seconde ou troisième an¬ née on en verra les avantages), vous pourrez revendre à profit vos maisons d’économie ru¬ rale. Considérez ensuite que cette somme n’est guère que le quart de cehe qui, depuis 18 mois, s’est écoulée chez l’étranger pour achat de sub¬ sistances, qui ne peuvent satisfaire qu’au besoin présent, et prononcez sur l’objection des dé¬ penses. Ce ne sont pas là les rêves calculés de la secte des économistes. Au heu de produits nets nous aurons des produits réels. A chacun de ces établissements, il suffira de préposer un agriculteur instruit pour diriger quelques journaliers. Est -il donc raisonnable de crier que dans ce projet on ne voit rien que 86 places pour 86 intrigants, comme si cet incon¬ vénient était non une chance à courir, mais un danger inévitable; comme si le patriotisme éclairé ne pouvait écarter et déjouer l’intrigue. Avec de tels arguments on prouverait qu’il ne faut pas donner de chefs à nos bataillons, qu’il ne faut pas établir d’écoles primaires, ni créer d’administrations, ni organiser un gouverne¬ ment, car enfin il y a là aussi les dangers de l’in¬ trigue pour les places. J. -J. Rousseau voulait que la médecine vînt seule et sans médecin, il faudrait de même que l’agriculture nous prodi¬ guât ses . bienfaits sans l’intervention d’agricul¬ teurs. Quand on veut réfuter un système, la bonne logique exige, ce me semble, qu’au heu de s’ac¬ crocher à une branche collatérale, on l’attaque dans son ensemble et qu’ ensuite on y substitue un mieux ; mais, il faut le dire franchement, nous en sommes encore à ce point, que souvent une idée saillante, enfant du bel esprit, est plus ac¬ cueillie qu’une idée raisonnable; avec un mot on tue la chose; avec un mot on imprime aux vues les plus patriotiques le sceau du ridicule : on les présenterait même au besoin dans une perspective odieuse. Personne assurément n’a poussé l’absurdité jusqu’à prétendre que l’agriculture se compose de livres et de savants; mais quand j’entends dire que, pour être bon cultivateur, il suffit d’avoir des bras, qu’on me permette au moins d’y joindre une tête saine pour les diriger; car, comme le disait Franklin, la tête fait plus que deux bras. C’est avec les axiômes de l’ignorance que l’on a condamné notre agriculture à n’être qu’une routine aveugle. Assurément on n’ose¬ rait pas le débiter ni chez ce peuple ami qui, sur les bords américains, s’est élancé vers la liberté et le bonheur, ni chez ce peuple ennemi, dont les jardiniers et les laboureurs ont écrit tant d’ou¬ vrages agronomiques. Science, expérience et di¬ ligence, tehe doit être la devise de l’agriculture, au dire d’un homme qui, au commencement du siècle dernier, eût ressuscité la nôtre, si le Gou¬ vernement avait secondé ses efforts ; d’un homme dont la mémoire et les écrits doivent être chers aux Français, et qui, plus que ce poète flagor¬ neur de la cour et des divinités régnantes, méri¬ tait les honneurs du Panthéon; c’est Olivier de Serres (1). Oui, il serait subhme le moment où les représentants du peuple français porteraient en triomphe la statue d’un laboureur au Pan¬ théon. Quand j’ai fait observer que déjà une tren¬ taine de départements ont des jardins botani¬ ques (2) qui peuvent entrer, comme éléments, dans le plan que je propose, ceux qui le com¬ battent, prétendent que ces jardins forment exception, attendu, qu’ils sont destinés aux plan¬ tes médicinales. A cela j’oppose plusieurs réponses. La pre¬ mière, c’est qu’il faut ou dispenser les citoyens des autres départements d’être malades, ou con¬ venir que les privilèges sont contraires à nos principes. Vous mettez quelque prix aux plantes médicinales. Et je vous demande si vous comp¬ tez pour rien cehes qui s’adaptent à tous les au¬ tre moyens d’existence, les plantes alimentaires, tant céréales que légumineuses et oléagineuses, les plantes à teinture, à filature, à fourrage, les arbres fruitiers et forestiers? C’est d’après ces considérations que quelques citoyens trouvent trop mesquine la demande de 10 à 20 arpents. Ils voudraient multiplier de vastes étabhssements où l’économie rurale dé¬ ploierait toutes ses forces (3). Sur quoi j’obser¬ verai que, si l’on craint d’exagérer la dépense, quoiqu’elle soit toujours fort inférieure à ce qu’il en coûte depuis 18 mois pour l’importation des grains; et si l’on veut, dans la plupart des dé¬ partements, se borner aux essais de culture des végétaux, 5 à 6 arpents pourraient suffire, à là ri¬ gueur, mais au moins, il serait nécessaire d’avoir, sous divers chmats de la Répubhque, 3 à 4 fer¬ mes où l’on embrasserait tous les détails per¬ fectionnés de la science agronomique, grange, grenier, buanderie, fournil, ruches, disposition de la basse-cour, étable, engrais, laiterie, croi¬ sement des races d’animaux, éducation des vers à soie et surtout des bêtes à laine, etc ; -cela peut (1) Voy. son Théâtre d'agriculture qui, malgré les découvertes modernes, est encore un des plus pré¬ cieux monuments de cette science. Cet auteur, qui a si bien mérité de sa patrie, a été omis par la plu¬ part de nos biographes, tandis qu’ils recueillaient soigneusement les noms d’une foule d’écrivassiers qui avaient ennuyé, trompé ou scandalisé leurs con¬ temporains. (2) Dans les notes de mon premier mémoire, j’ai dit un mot du jardin botanique qui existait à Biois dans le siècle dernier, et dont Morisson a imprimé la description, sous le titre d'Hortus Blefensis. J’ai parlé de ce qu’on y trouvait encore en 1776. On me marque qu’il y reste actuellement deux vieux pla¬ tanes, un arbre du bois de Sainte-Lucie, un érable et un alisier. (3) Voy. un petit écrit, bien fait, par le citoyen Camille Teissère, intitulé : Observations sur le pro¬ jet d' établissement d’une métairie naVonale dans cha¬ que département. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j J® novembre ras” 477 se faire sans dégénérer en un luxe de trop gran¬ des cultures, dont je me déclare l’ennemi; car elles sont un des ressorts du despotisme, elles sont attentatoires à la liberté du grand nombre d’individus qu’elles tiennent dans la dépendance d’un seul, et c’est, à mon avis, une des causes qui retardent l’explosion de l’Angleterre contre son infâme gouvernement. Je voudrais encore que tous les établissements dont il s’agit, fussent placés de la manière la plus favorable pour la diffusion des plantes et des animaux, sans égard aux limites, afin de rompre tout esprit dépar¬ temental. Du plan que je propose résulte un autre avan¬ tage que je n’avais pas mentionné. Nous vou¬ lons multiplier les prairies artificielles et les lé¬ gumes. La plupart de ces plantes fournissent si abondamment de semence, qu’une livre de graine de choux à faucher a produit 644 livres de semence; et cependant telle est, jusqu’à pré¬ sent, la langueur de nos culture, que nous tirons la plus grande partie de ces semences d’Alle¬ magne, d’Angleterre et de Hollande. Pourquoi ne pas nous affranchir de ce joug? Perfection¬ nons encore cette branche de l’économie rurale dans les établissements proposés ; consacrons une certaine étendue de terrain en porte-graines, afin de pouvoir en inonder, pour ainsi dire, le territoire français, et faire efficacement la guerre aux jachères, lorsqu’une foule d’habitants des ci-devant villes se rapprocheront delà nature, lorsque la paix rendra des milliers de bras à l’agriculture, et que tous iront sous le toit rus¬ tique, retrouver la bêche et chanter l’hymne du bonheur. Ne me dites pas que pour aviver l’agricul¬ ture, il suffira de distribuer, tous les ans, dans chaque département, une somme consacrée à des encouragements, le système des primes est cer¬ tainement avantageux, mais il est insuffisant. Le particulier manque de correspondances et de facilité pour se procurer les graines, les plantes, les races d’animaux perfectionnées, les nouveaux instruments aratoires ; il n’y a guère que le gou¬ vernement qui puisse d’une manière économique et sûre les obtenir et répandre les espèces in¬ connues, les procédés nouveaux, les cultures inu¬ sitées. D’ailleurs on ne peut trop répéter que le cultivateur dupe de fausses expériences craint de compromettre sa fortune par essais douteux et coûteux, il se défie des innovations, l’habitude enchaîne ses bras, il n’envisage dans l’avenir qu’une servile imitation du passé; l’intérêt, dit-on, éclaire; oui, quand lui-même est éclairé; communément l’homme des champs fait non pas ce qu’on lui dit, mais ce qu’il voit. Il faut donc placer sous ses yeux les moyens d’amélioration, les preuves de leur efficacité, et par les effets simultanés d’un plan vaste, profondément conçu et sagement exécuté, faire éclore l’abondance dans toutes les contrées de la République. Des têtes révolutionnaires doivent tout voir et tout prévoir; je suis toujours surpris que vous n’ayez pas encore établi un comité pour s’oc¬ cuper de l’arithmétique politique, science si peu connue et dont les combinaisons sont si intime¬ ment liées à l’agriculture et au commerce qui sont les deux mamelles de l’Etat. La tourmente qui agite l’Europe déplacera probablement quelques rapports entre les peu¬ ples, et donnera peut-être au commerce des di¬ rections nouvelles; je voudrais donc que d’après les faits acquis et les données que nous avons déjà sur cet objet, on oalculât à l’avance dans ce comité les moyens de saisir l’ à -propos et les conjonctures, pour donner un jour plus de con¬ sistance à la prospérité de la République. Citoyens, je vous ai développé, dans deux séan¬ ces, mes vues sur l’amélioration de notre agri¬ culture, par rétablissement de maisons d’éco¬ nomie rurale; je me hâterai de les abandonner si l’on m’en propose de meilleures, mais je de¬ mande de nouveau qu’on ne se borne pas à des critiques vagues qui n’attaquent pas un plan dans son ensemble et qui ne lui substituent rien. Prolongeons, s’il le faut, la discussion; mais qu’un ajournement ne soit pas indéfini, c’est-à-dire, infini, et que le renvoi d’une affaire à un comité n’aboutisse pas à l’inhumer dans ce co¬ mité : car il s’agit de l’art qui nous nourrit. Quelle que soit la disparité des sentiments sur mon plan, nous sommes tous d’accord en un point, c’est que nous voulons faire fleurir l’agri¬ culture; nos mesures à cet égard doivent être aussi promptes qu’énergiques; car, comme l’a dit un cultivateur très éclairé, l’avenir sera bien¬ tôt le temps présent. D’ailleurs, la tranquillité publique dépend des subsistances. La disette vraie ou factice fut toujours un levier entre les mains des conspirateurs, et c’est surtout avec le soc de la charrue qu’il faut briser leurs tra¬ mes. Tant que nous serons inférieurs aux nations voisines, dans la reproduction des subsistances, nous serons nécessairement dans leur dépen¬ dance. Ayons un bon plan d’éducation, un bon plan d’agriculture, nous aurons tout, car mal¬ heur à tout peuple qui ne fonderait pas sa puissance et son bonheur sur la culture de son sol et de sa raison. Nota. Plusieurs collègues, dont j’estime le pa¬ triotisme et les talents, ont attaqué ce plan. Je désire qu’ils le discutent dans toutes ses parties : c’est là le moyen de faire jaillir la lumière et d’obtenir d’ utiles résultats. La séance est levée à 4 heures (1). Signé : Moyse-Bayle, président ; S E. Mon-nel, Pons (de Verdun), P. F. Piorry, Louis (du Bas-Ehin), Fourcroi. Du val. secré¬ taires. PIÈCES ET DOCUMENTS NON MENTIONNÉS AU PROCÈS-VERBAL, MAIS QUI SE RAP¬ PORTENT OU QUI PARAISSENT SE RAP¬ PORTER A LA SÉANCE DU 16 BRUMAIRE AN II (MERCREDI 6 NOVEMBRE 1793). I. ADRESSE DE LA SOCIÉTÉ RÉPUBLICAINE DE CASTELSARRASIN (2). Compte rendu du Bulletin de la Convention (3). La Société républicaine de Castelsarrasin an¬ nonce à la Convention qu’elle adhère entière-(1) Procès-verbaux de la Convention, t. 25, p. 23. (2) L’adresse de la Société républicaine de Cas¬ telsarrasin n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 16 brumaire an II. L’extrait que nous en donnons est emprunté au Bulletin de la Conven¬ tion de cette séance. (3) Bulletin de ta Convention du 6® jour de la se-