284 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Mon fils est mort les armes à la main, dit l’autre. Il a contribué à assurer nos succès. Un père vraiment républicain pourroit-il le regretter? Quel sort plus beau pouvoit être réservé à mon fils, dit celui-ci : Ah ! loin de moi ces regrets qui ne pourroient que flétrir les lauriers qui ornent sa tombe. Si mon fils fût mort pour le service d’un roi toujours ingrat, dit celui-là, j’en serois inconsolable : mais il s’est sacrifié pour la patrie. Ah ! cette réflexion ne me laisse concevoir d’autre regret que celui de ne pouvoir espérer une aussi belle fin. Le même héroïsme existe dans l’âme des citoyennes. L’amour même, cette affection qui l’emporte quelquefois chez elles sur les droits de la nature, le cède à leur attachement, à leur dévouement sublime à la patrie. Celui que le sort des armes m’a enlevé, dit l’une, m’étoit bien cher; mais mon pays me l’est encore plus. Je dois donc m’abstenir de ces regrets, que mon époux lui-même désap-prouveroit, s’il pouvoit en être le témoin. Mon mari a fait son devoir, dit une autre : j’aime encore mieux m’en voir privée, et savoir qu’il est mort digne du beau nom de républicain. Les esclaves m’ont ravi mon époux, dit une troisième : toute fière du sort glorieux qui a terminé ses jours, je ne lui donnerai point de regrets ; mais je le vengerai, autant qu’il dépendra de moi, d’une manière digne de lui. Il me reste deux fils en bas âge ; je leur inspirerai de bonne heure la haine des tyrans, contre lesquels je veux qu’ils dirigent leurs premiers efforts. Vertueuse républicaine, pourrions-nous lui dire avec assurance ; tes projets de vengeance resteront sans effet, mais tes vœux n’en seront pas moins accomplis : avant que tes enfans soient en état de les combattre, les tyrans auront cessé d’exister ; car lorsqu’un peuple comme le peuple français se prononce aussi fortement pour la liberté, il est impossible que les tyrans ne disparoissent pas bientôt de dessus la terre. Voici les actions héroïques qui ont eu lieu pendant le siège de Valenciennes. Cinquième bataillon d’infanterie légère. Le citoyen Duquesne, chasseur dans la huitième compagnie du cinquième bataillon d’infanterie légère, ayant eu la jambe droite mutilé d’un coup de boulet, le 10 fructidor, deuxième année républicaine, sous les murs de Valenciennes, le citoyen Duval, chirurgien-major, vole à son secours, mais lorsqu’il alloit faire l’amputation de sa jambe, Duquesne éloigne ses camarades qui s’empressoient à aider le chirurgien dans son opération ; il les engage à retourner à leur poste ; resté seul avec le chirurgien, Duquesne tient lui-même les bandages avec ce courage qui n’appartient qu’aux enfans de la liberté. L’amputation faite, Duquesne dit avec enthousiasme : « Ce n’est pas ma jambe que je regrette, mais c’est de me trouver en ce moment dans une totale impuissance d’aller avec mes camarades délivrer Valenciennes des esclaves des despotes qui le souillent depuis longtemps.» Je certifie les faits ci-dessus rapportés véritables, le commandant en chef du bataillon (18). Signé, Duval, chirurgien, et Gaillard, chef de bataillon. Le 9 fructidor, deuxième année républicaine, cinq chasseurs du cinquième bataillon d’infanterie légère, nommés Cousin, caporal, Joannot, Vanormalle, Buotte et Desmarets, voyant les esclaves des tyrans sortir de Valenciennes avec une pièce de quatre pour reprendre le poste dont s’étoit emparé la veille le susdit bataillon, au pas de charge et aux cris redoublés de vive la République, volent vers cette horde ennemie avec une telle intrépidité, que les canonniers n’eurent que le temps de sauver leur pièce, dont un cheval fut tué, et furent forcés d’abandonner aux chasseurs leurs pistolets et tous leurs effets. Certifie les faits ci-dessus véritables. Le commandant en chef du bataillon (19). Signé, Gaillard. DUQUESNOY : Je saisis cette occasion pour vous prouver ce que peut la malveillance. On disait ces jours derniers que j’ai désorganisé cette armée ; cela est faux, et la discipline y est telle, que les poules des paysans se promènent dans le camp (20). 9 On lit les procès-verbaux des 21, 24 et 25 fructidor; la rédaction en est adoptée (21). 10 Monnel, rapporteur du comité des Décrets, fait part de l’impossibilité dans laquelle se trouve ce comité d’envoyer un extrait du procès-verbal de la séance du 2 thermidor, demandé par la commune de Rennes, attendu que ce procès-verbal n’a pas encore été déposé. Il annonce également que depuis le premier fructidor jusqu’au 20, il n’en a été déposé aucun (22). Un membre [Monnel] propose, au nom du comité des Décrets, un décret pour l’accélération de la rédaction des procès-verbaux ; il est adopté ainsi qu’il suit : (18) Bull., 3e jour s.-c. ; Débats, n° 730, 562-563 ; J. Univ., n° 1762 ; Gazette Fr., n° 1762 ; Ann. Patr., n° 628 ; F. de la Républ., n° 440. (19) Bull., 3' jour s.-c. ; Débats, n°730, 564; Ann. Patr., n° 628. (20) J. Perlet, n° 727., Mess. Soir, n° 762 ; F. delà Républ., n° 440 ; Gazette Fr., n° 993. (21) P.-V., XLV, 336. J. Perlet, n° 727. (22) Rép., n° 274. SÉANCE DU 3e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (VENDREDI 19 SEPTEMBRE 1794) - N°* 11-12 285 Un membre [Monnel] au nom du comité des Décrets, Procès-verbaux et Archives, observe qu’un très grand nombre de procès-verbaux des séances des mois de thermidor et fructidor n’ont point encore été lus et remis aux Procès-verbaux (23). Sur sa proposition, la Convention nationale décrète que les secrétaires chargés de la rédaction des procès-verbaux des séances des mois thermidor et fructidor, qui n’ont point encore été lus, sont tenus de les lire et de les déposer dans quatre jours, à dater du présent décret; et qu’à l’avenir les secrétaires seront tenus de soumettre à la Convention et de déposer aux Procès-verbaux, dans les six jours ceux qu’ils se trouveront chargés de rédiger (24). 11 Un membre fait, au nom des comités des Domaines, Aliénation, et de Législation, un rapport, et présente un projet de décret relatif à une concession de terrein du marais de Ranville [département du Calvados], en faveur du citoyen Avassel. La Convention en décrète l’ajournement (25). [ Projet de décret en faveur du citoyen Avassel, présenté le 3e jour des sans-culottides an II] (26) La Convention nationale après avoir entendu le rapport de ses comités d’Aliénation et Domaines réünis et de Législation décrète ce qu’il suit : La Convention nationale confirme la concession faite au citoyen Avassel de 213 acres 93 perches du marais de Ranville par les arrêtés du conseil des 10 décembre 1765 et 31 janvier 1769, déclare nul et de nul effet les jugemens du tribunal du district de Caen du 14 juillet 1792, du tribunal du district d’Argentan du 19 février 1793 et du tribunal de cassation du 29 vendémiaire dernier. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance. 12 Sur le rapport du comité d'Agriculture, la Convention nationale rend le décret (23) J. Perlet, n° 727 : cette gazette indique qu’il manque 21 procès-verbaux de thermidor et 11 de fructidor. (24) P.-V, XLV, 336-337. C 318, pl. 1287 p. 26. Décret n° 10 951. Minute de la main de Monnel, rapporteur. (25) P.-V., XLV, 337. Décret non mentionné par C* II 20, 3e jour s.-c. (26) C 318, pl. 1287, p. 28. Signature illisible, en marge mention : ajourné. suivant en faveur du citoyen Vincent Denis, cultivateur. La Convention nationale, après avoir entendu [Roux, au nom du] comité d’Agri-culture sur la pétition du citoyen Vincent Denis, cultivateur à Brienon [-sur-Arman-çon, ci-devant Brienon-l’Archevêque], district de Saint-Florentin [département de l’Yonne], accusé d'avoir transporté sans acquit à caution seize bichets de blé aux citoyens Usaune, et Chaumet, dont il cultivoit les terres, décrète : La Convention nationale annulle le jugement rendu par le tribunal de police correctionnelle d'Auxerre, contre le citoyen Vincent Denis cultivateur à Brienon, district de Saint-Florentin, et ordonne que le blé qui lui a été confisqué, ainsi que sa voiture et ses chevaux, lui seront rendus, ainsi que l’amende à laquelle il a été condamné (27). ROUX, au nom du comité d’Agriculture et des Arts : Vincent Denis, fermier et père de quatorze enfants, dont trois combattent aux frontières, habitant de Brienon, district d’Auxerre (sic), ayant à conduire chez les citoyens Usaune et Chaumet 16 bichets de blé, en paiement de location d’une maison et de terres qu’il exploite, à eux appartenantes, se présenta à sa municipalité pour avoir un acquit à caution à ce sujet. La municipalité de Brienon lui répondit qu’il n’avait pas besoin de cet acquit à caution, d’après un arrêté du 10 brumaire, du district d’Auxerre, qui autorise les fermiers à conduire à leurs propriétaires le produit des récoltes qu’ils ont cultivées pour eux. Denis conduisant donc les 16 bichets de blé à leurs propriétaires fut saisi et traduit devant le tribunal de police correctionnelle d’Auxerre, qui le condamna à la confiscation et à l’amende, comme étant en contravention avec la loi, par défaut d’acquit à caution. Cependant, sur l’observation que la loi du 11 septembre, par l’article IV, a attribué aux juges de paix la compétence pour prononcer les amendes dans les cas de contravention à la loi sur la circulation des grains, le tribunal de police correctionnelle d’Auxerre a sursis à l’exécution du jugement qu’il avait rendu dans cette affaire. Dans cet état de choses, le comité d’Agriculture considérant que si le citoyen Denis s’est rendu coupable de contravention à la loi, en ne prenant pas d’acquit à caution, c’est aux autorités constituées, savoir à la municipalité de Brienon et au district d’Auxerre qu’il faudrait en attribuer la faute. La Convention d’après les observations du rapporteur, casse le jugement dénoncé, et ordonne que la voiture et les chevaux qui avaient été enlevés au citoyen Denis lui seront remis. (27) P.-V. , XLV, 337. C 318, pl. 1287, p. 29. Décret n° 10 946. Minute de la main de Roux, rapporteur. Voir ci-dessus, Archiv. Parlement., 2e jour s.-c., n° 43.