ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1791.] 446 [Assemblée nationale.] M. d’Artois a un apanage. Est-il juste qu’il ait le montant de cet apanage ? Je demande que son traitement soit suspendu jusqu’à ce qu’il ait prêté le serment civique, et qu’il soit revenu en France, parce qu’il n’est pas naturel qu’il se fasse des prosélytes avec notre argent. (. Applaudissements .) (L’Assemblée passe à l’ordre du jour.) Un membre du comité des rapports. Messieurs, je viens vous rendre compte, au nom du comité des rapports, d’un arrêté au directoire du département de Seine-et-Oise, qui a suspendu de leurs fonctions le maire , 3 officiers municipaux et le commandant de la garde nationale de Mennecy , chef-lieu de canton du même département (1). M. de Neufville, ci-devant duc de Villeroi, était seigneur de la paroisse de Mennecy et y exerçait, dit-on, cette autorité usurpée à laquelle vous avez mis un terme. On lui impute différentes atteintes portées à des propriétés publiques et particulières. On prétend qu’il avait usurpé quelques parties du chemin public; qu'il n’avait pas même respecté le cimetière; que les murs en avaient été détruits; qu’il s’était emparé des pierres, en avait fait transporter les terres; plusieurs individus de la paroisse avaient souffert de ses vexations. A l’époque de l’assemblée primaire, le curé combattit les prétentions que M. de Neufville avait mises en avant par le ministère de son procureur fiscal; cette conduite du curé, en lui attirant l’animadversion de plusieurs individus, lui avait donné la faveur du peuple. Au commencement de la Révolution, il a été nommé maire de Mennecy, et encore depuis électeur. Une de ses premières fonctions, concurremment avec les officiers municipaux, fut de réclamer contre M. de Neufville les droits tant de la commune de Mennecy, que des différents particuliers qui avaient à se plaindre de quelques usurpations. Ces plaintes ne sont point encore jugées, mais M. de Neufville a été déjà forcé de payer, par forme de provision, une somme de 70,000 livres, en nature d’indemnité, à différents individus plaignants. Il existait dans la paroisse de Mennecy un sieur Le Blanc, vicaire opposé au curé de la paroisse et aux officiers municipaux; il n’en fallait pas davantage pour le rendre créature de M. de Neufville, qui le logea dans une maison à lui appartenant. Il est prouvé, par un arrêté du directoire du département de Seine-et-Oise, en date du 8 novembre 1790, que les habitants de Mennecy avaient eu déjà a cette époque des Slaintes fondées à porter tant contre les gens de [. de Neufville que contre le vicaire. Le conseil général de la commune de Mennecy provoqua alors auprès des supérieurs ecclésiastiques un successeur au sieur Le Blanc, et obtint à sa place le sieur Comble. Les lettres de vicariat étant parvenues à Mennecy, la municipalité, le 22 du mois de novembre, se transporta avec le commandant de la garde nationale et les marguilliers dans la maison qui était occupée par le sieur Le Blanc. L’objet de la municipalité et des marguilliers n’était point de l’expulser de cette maison qui appartenait à M. de Neufville, et sur laquelle la paroisse ni la municipalité ne pouvaient avoir aucun droit; mais le sieur Le Blanc, en sa qualité de vicaire, jouissait de quelques meubles qui appartenaient (1) Le Moniteur ne publie pas ce rapport. à la fabrique. L’objet de la municipalité et des marguilliers était de réclamer ces meubles pour les remettre à son successeur. La sœur du sieur Le Blanc feignit d’être extrêmement effrayée de l’apparition de la municipalité et des marguilliers de la paroisse; elle se présenta aux portes de la maison occupée par son frère, et y cria à l’assassinat. Des femmes s’attroupèrent aussitôt, et furent bientôt suivies par plusieurs hommes de la paroisse. Les officiers municipaux furent insultés, maltraités et obligés, pour leur sûreté, de se retirer au presbytère qui servait de maison commune. Ils parvinrent a s’y rendre; mais les murs furent escaladés par quelques hommes qui déclarèrent au maire qu’il était parvenu à sa dernière heure, et mirent en effet ses jours en danger. Un des officiers municipaux, parvenu à se détacher, crut qu’il n’y avait pas d’autre moyen de sauver ses collègues, que de faire sonner le tocsin pour rassembler tous les bons citoyens. Le tocsin attira en effet plusieurs personnes. Un jeune homme, fil3 d’un officier municipal dont les jours étaient en danger, parait avec un fusil armé d’une baïonnette. On prétend que dans la foule une femme fut blessée d’un coup de baïonnette à la cuisse : cet événement fut le signal du carnage. On entendit une voix qui cria de faire feu. Alors plusieurs coups de fusil partirent d’une fenêtre et renversèrent ce jeune homme, et bientôt son père, dont le sang se mêle avec celui de son fils. Les particuliers qui avaient poursuivi la municipalité s’étaient rendus pendant ce désordre chez le commandant de la garde nationale. Ils en forcèrent les portes, s’emparèrent du drapeau ainsi que de plusieurs armes. Le commandant sort du presbytère, réclame le drapeau, parvient à l’arracher à celui qui s’en était emparé, et le remet à l’officier chargé de le porter. Cet officier reçut aussitôt un coup de fusil qui lui cassa les deux jambes. Cependant les bons citoyens se rallièrent, et le désordre eut enfin un terme. Le lendemain, le conseil général de la commune encore effrayé se rassembla secrètement, s’occupa de rédiger une adresse à l’Assemblée nationale, et nomma des députés pour lui porter sa réclamation. Les chefs du parti opposé à la municipalité, prévenus de cette démarche, se rendirent à Paris le même jour que les députés du conseil général ; les uns et les autres comparurent au comité des rapports. Là, on conféra avec eux sur les faits; on parvint presque à convaincre et le vicaire et le chef du parti opposé à la municipalité, qu’ils avaient eu beaucoup de torts dans cette affaire, et que surtout les violences qui avaient été commises après la retraite des officiers ne pouvaient être excusées par aucune raison. Le comité des rapports donna des moyens de pacification; mais, l’administration étant alors organisée, il ne crut pas pouvoir aller au delà; il renvoya les parties au directoire de département. Que devait faire le directoire? Charger les tribunaux de poursuivre. Au lieu de cela, il nomma des commissaires chargés de prendre, sur les lieux, des informations tendant à connaître les auteurs des excès commis à Mennecy, le 22 novembre. Ces commissaires se rendirent à Mennecy vers la fin du mois de décembre. Ils prirent le parti d’appeler auprès d’eux tous ceux qui pourraient leur fournir des renseignements; mais nous avons remarqué dans leur procès-verbal [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juin 1791.] 447 une partialité révoltante : d’une part, ils ont entendu en témoignage une foule de personnes attachées à M. de Neufville, dont l’opposition contre la municipalité était alors très notoire; de l’autre, ils ont entendu toutes les personnes que l’adresse du conseil général de la commune à l’Assemblée nationale désigne comme les auteurs des excès commis dans la journée du 22 novembre. L’intitulé de chacune des dépositions porte : est comparu un tel, accusé par le conseil d’avoir cassé les deux jambes au porte-drapeau ou d’avoir tiré un coup de fusil au fils de l’officier municipal, et ainsi du reste. Après une telle séance, le curé parut avec environ 50 personnes qui demandaient aussi qu’on reçût leurs dépositions. Les commissaires refusèrent de les recevoir. On leur représenta que leur présence avec le curé avait l’air d’une coalition. On se contenta de leur faire une interpellation générale à laquelle ils ne répondirent autre chose, si ce n’est que leur curé était un honnête homme; on ne leur permit pas d’en dire davantage. Dans le résumé qu’ont fait les commissaires à la fin du procès-verbal des dépositions qu’ils avaient reçues, ils ont déclaré que le curé et les officiers municipaux, ainsi que le commandant de la garde nationale, leur ont paru les seuls instigateurs de l’insurrection qui a eu lieu, et des désordres arrivés dans la paroisse, en ce que le curé, de son chef, dit-on, et sans cause légitime, avait demandé la destitution du vicaire; mais ce fait est faux, car la demande est présentée au nom du conseil général de la commune. Le directoire du département de Seine-et-Oise, auquel le tout a été rapporté, a pris un arrêté par lequel il a suspendu de toutes fonctions le maire, trois officiers municipaux et le commandant de la garde nationale. Votre comité, Messieurs, a pensé que cet arrêté ne pouvait être justifié par aucun motif. D’après cela il m’a chargé de vous présenter le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, déclare nul et comme non avenu l’arrêté du directoire du département de Seine-et-Oise, du 3 février dernier, ainsi que les procédures qui pourraient avoir été faites dans le tribunal du district de Gorbeii, en exécution de cet arrêté; « Décrète qu’à la diligence de l’accusateur public près le même tribunal de Gorbeii, il sera procédé à une nouvelle information contre tous auteurs, fauteurs, instigateurs et complices de la sédition, des violences et des excès qui ont eu lieu à Mennecy le 22 novembre dernier, et que cependant les sieurs de Lariney, maire; Pater, Houbloux, de Muillières, officiers municipaux, et Staquy, commandant de la garde nationale dudit Mennecy, sont réintégrés dans leurs fonctions respectives. « Décrète pareillement que les lettres de vicariat accordées au sieur Gombe, le 22 novembre dernier, par les supérieurs ecclésiastiques alors en fonction, et dans les formes usitées à cette époque, et sur la demande du curé et du conseil général de la commune de Mennecy, auront leur exécution, sauf au sieur Le Blanc, ancien vicaire, à se pourvoir par les voies de droit, s’il croit avoir à le faire. « Charge son président de prier le roi de donner les ordres nécessaires pour l’exécution du présent décret. » M. Malonet. Mais alors ce n’est pas assez. Ceci vous apprend que l’on ne peut pas, sur un simple exposé dénué de pièces, prononcer dans une affaire aussi importante et d’après un récit de faits qui donneraient lieu à une instruction criminelle très sérieuse. On vous propose d’annuler seulement l’acte du département. ( Murmures.) Si les pièces sont à l’appui du rapport, il est certain que les commissaires du département, noD seulement n’ont pas rempli leur mission, mais encore qu’ils ont prévariqué. 11 faut donc, si vous annulez l’arrêté, si vous faites recommencer l’instruction criminelle pour raison de la sédition, il faut en commencer une aussi, pour raison de la prévarication, et voilà ce que je demande. M. de Folleville. Je ne sais pas si le département de Seine-et-Oise a examiné cette affaire avec autant de légèreté que nous le faisons; mais il est certain que nous ne devons pas le présumer. M. le rapporteur nous a dit qu’il existait des pièces, mais qu’il fallait en conclure le contraire de ce qu’elles contenaient. Or, certes, voilà bien la foi la plus aveugle. Je demande la question préalable sur son projet de décret, et l’exécution de l’arrêté du département, rendu en connaissance de cause, à ce qu’il paraît, et sur l’avis des commissaires. Un membre : Lorsque les parties soot venues au comité, ceux qui tenaient pour le vicaire ont avoué en notre présence tous leurs torts, au point de convenir qu’ils étaient dignes du dernier supplice. ( Rires à droite.) J’affirme cela, Messieurs, et cela ne doit pas vous paraître étonnant, d’après le détail des faits. M. Prieur. Je ne veux pas juger ici ces commissaires; peut-être n’y a-t-il pas de prévarication. 11 y a bien une preuve de partialité, parce u’ils n’ont pas entendu tous les témoins, mais ans ce moment-ci nous nous attachons à ce que les causes innocentes d’une insurrection ne soient pas considérées comme coupables, avant que l’instruction préalable ait désigné les véritables coupables. L’information est d’autant plus nécessaire d’ailleurs que le procès-verbal des commissaires du département est insuffisant pour nous indiquer ces coupables. Je demande donc que le projet de décret soit mis aux voix. ( Applaudissements .) (L’Assemblée ferme la discussion et adopte le projet de décret du comité des rapports.) M. le Président lève la séance à dix heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DAUCHY. Séance du lundi 13 juin 1791 (1). La séance est ouverte à onze heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture des procès-verbaux des séances de jeudi au soir et de vendredi, qui sont adoptés, et du procès-verbal de la séance de samedi au matin. (l) Cette séance est incomplète au Moniteur.