[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.) L’article 6 est adopté tel que l’a proposé lé rapporteur. Les articles 7 à 11 sont successivement mis aux voix et décrétés sans discussion. M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité diplomatique sur l’affaire d’Espagne. M. de Mirabeau, l’aîné. Messieurs, un décret de l’Assemblée nationale, en date du premier août, a chargé votre comité diplomatique de lui présenter son avis sur la réponse que demande l’Espagne. Le désir et le besoin de la paix, l’espérance, presque certaine, qu’elle ne sera pas troublée, les principes de notre Constitution nouvelle, nous ont seuls guidé dans l’examen de cette importante question. Pour la résoudre avec succès, nous avons considéré l’état de la politique actuelle et nos rapports avec les différentes puissancesde l’Europe ; nous avons distingué le système qu’avait embrassé jusqu’ici le gouvernement français, de la théorie qui convient à un nouvel ordre de choses. Il ne suffisait pas de connaître nos devoirs et nos intérêts ; il fallait les concilier avec la prudence; il fallait découvrir les moyens les plus convenables d’éviter sans faiblesse le fléau de la guerre ; il fallait surtout l’écarter du berceau de cette Constitution, autour duquel toute la force publique de l’Etat, ou plutôt tous les citoyens de l’Empire doivent former une impénétrable barrière. Si nous n’avions à considérer que l’objet de la contestation, qui s’est élevée entre les cours de Londres et de Madrid, nous ne devrions pas même supposer que la paix pût être troublée. Le territoire que se disputent ces deux puissances n’appartient ni à l’une ni à l’autre ; il est incontestablement aux peuples indépendants que la nature y a fait naître. Cette ligne de démarcation vaut bien celle que le pape, ou des traités bien antérieurs à la découverte de ces plages lointaines, se sont permis de tracer ; et ces peuples, s’ils sont opprimés, sont aussi nos alliés ! Nous ne ferons donc pas cette injure à deux nations éclairées, de penser qu’elles veuillent prodiguer leurs trésors et leur sang pour une acquisition aussi éloignée, pour des richesses aussi incertaines; et ces vérités simples, notre impartialité ne cessera de les leur rappeler, s’il en est besoin : mais ce premier point de vue ne décide pas la question. Si, d’un autre côté, nous devions uniquement nous déterminer par ta nécessité que les circonstances nous imposent, non seulement d’éloigner la guerre, mais d’en éviter les formidables ap-prêls, pourrions-nous vous dissimuler l’état de nos finances non encore régénérées, et celui de notre armée, de notre marine, non encore organisées ? Pourrions-nous vous cacher que dans les innombrables malheurs d’une guerre, même juste, le plus grand pour nous serait de détourner de la Constitution les regards des citoyens, de les distraire du seul objet qui doive concentrer leurs vœux et leurs espérances ; de diviser le cours de cette opinion publique dont toutes les forces suffisent à peine pour détruire les obstacles qui nous restent à surmonter? Mais les malheurs de la guerre, mais les inconvénients tirés de notre position actuelle ne suffisent pas pour décider la question des alliances. Enfin, si nous devions nous conduire aujourd’hui d’après ce que nous serons Un jour ; si, 263 franchissant l’intervalle qui sépare l’Europe de la destinée qui l’attend, nous pouvions donner, dès ce moment, le signal de cette bienveillance universelle que prépare la reconnaissance des droits des nations, nous n’aurions pas même à délibérer ni surfes alliances ni sur la guerre. L’Europe aura-t-elle besoin de politique, lorsqu'il n’y aura plus ni despotes, ni esclaves ? La France aura-t-elle besoin d’alliés, lorsqu’elle n’aura plus d’ennemis? Il n’est pas loin de nous peut-être ce moment où la liberté, régnant sans rivale sur les deux mondes, réalisera le vœu de la philosophie, absoudra l’espèce humaine du crime de la guerre, et proclamera la paix universelle. Alors le bonheur des peuples sera le seul but des législateurs, la seule force des rois, la seule gloire des nations : alors les passions particulières, transformées en vertus publiques, ne déchireront plus, par des querelles sanglantes, les nœuds de la fraternité qui doivent unir tous les gouvernements et tous les hommes. Alors se consommera le pacte de la Fédération du genre humain. Avouons-le à regret, Messieurs, ces considérations, toutes puissantes qu’elles sont, ne peuvent pas seules, dans ce moment, déterminer notre conduite. La nation française, en changeant ses lois et ses mœurs, doit sans doute Changer sa politique; mais elle est encore condamnée, par les erreurs qui régnent en Europe, à suivre partiellement un ancien système qu’elle ne pourrait détruire soudainement sans péril. La sagesse exige de ne renverser aucune base de la sûreté publique sans qu’elle soit remplacée. Eh ! qui ne sait qu’en politique extérieure, comme en politique intérieure, tout intervalle est un danger; que l’interrègne des princes est l’époque des troubles ; que l’interrègne des lois est le règne de l’anarchie : et, si j’ose m’exprimer ainsi, que l’interrègne des traités pourrait devenir une crise périlleuse pour la prospérité nationale ? L’influence, tôt ou lard irrésistible, d’une nation forte de vingt-quatre millions d’hommes, parlant la même langue, et ramenant l’art social aux notions simples de liberté et d’équité, qui, douées d’un charme irrésistible pour le cœur humain, trouveront, dans toutes les parties du monde, des missionnaires et des prosélytes; l’influence d’une telle nation conquerra, sans doute, l’Europe entière à la vérité, a la modération, à la justice; mais non pas tout à la fois, en un seul jour, au même instant; trop de préjugés garrottent encore les mortels ; trop de passions les égarent ; trop de tyrans les asservissent. Et cependant notre position géographique nous permet-elle de nous isoler? Nos possessions lointaines, parsemées dans les deux mondes, ne nous exposent-elles pas à des attaques que nous ne pouvons pas repousser seuls sur tous les points du globe ? Puisque, faute d’instruction, tous les peuples ne croient pas avoir le même intérêt politique, celui de la paix, des services mutuels, des bienfaits réciproques; ne faut-il pas opposer l’affection des uns à l’inquiétüdè des autres ; et du moins retenir, par une contenance imposante, ceux qui seraient tentés d’abuser de nos agitations et de leurs prospérités ? Tant que nous aurons des rivaux, la prudence nous commandera de mettre hors de toute atteinte les propriétés particulières et la fortune nationale, de surveiller l’ambition étrangère, puisqu’il faut encore parler d’ambition; et de régler notre force publique d’après celle qui pourrait menacer nos domaines. Tant que nos 264 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.] voisins n’adopteront pas entièrement nos principes, nous serons contraints, même en suivant une politique pins franche, de ne pas renoncer aux précautions que réclame la prudence. Si nos ambassadeurs n’ont pins à plaider la cause des passions, ils auront à défendre celle de la raison et ils n’en devront être que plus habiles : il n’est que trop vrai que la nation qui veut partout conserver la paix, entreprend un travail plus difficile, que celle qui enflamme l’ambition, en offrant des brigandages à la cupidité, des conquêtes à la gloire. Telles sont, Messieurs, les réflexions les plus importantes qui ont frappé votre comité. Elles l’ont conduit d’abord à deux principes qu’il a adoptés et que je vais vous soumettre avant d’entrer dans de plus grands détails sur l’affaire particulière de l’Espagne. Ces deux principes sont : 1» que tous les traités précédemment conclus par le roi des Français doivent être ob-ervés par la nation française, jusqu’à ce qu’elle les ait annulés, changés ou modifiés, d’après le travail qui sera fait à cet égard au sein de cette Assemblée et de ses comités, et d’après les instructions que le roi sera prié de donner à ses agents auprès des différentes cours de l’Europe; 2° Que, dès ce moment, le roi doit être prié de faire connaître à toutes les puissances avec lesquelles nous avons des relations, que le désir inaltérable de la paix et la renonciation à toute conquête étant la base de notre conduite, la nation française ne regarde comme existantes et comme obligatoires dans tous les traités, que les stipulations purement défensives. Ces deux principes, Messieurs, nous ont paru parfaitement conformes à l’esprit de notre Constitution, et ils nous semblent d’autant plus importants à reconnaître, que, d’une part, ils suffiraient au besoin pour rassurer nos alliés; que, de l’autre, ils ne laisseront aucun doute sur notre amour pour la paix, notre désir de voir éteintes à jamais les torches de la guerre, notre intention de ne prendre les armes que pour réprimer les injustes agresseurs. Ce n’est point assez que l’ambition qui cherche sans cesse à s’agrandir, que la politique qui veut tout bouleverser, nous soient toujours étrangères, il faut encore apprendre à toutes les nations que si, pour étouffer à jamais les germes des combats, il fallait renoncer à toute force extérieure, détruire nos forteresses, dissoudre notre armée, brûler nos flottes, les premiers nous en donnerions l’exemple. Les deux principes que je viens de rappeler, Messieurs, indiquent déjà la réponse qu’il semble que le roi doive faire à la cour d’Espaune ; mais votre comité entrera dans quelques détails. Nous avons examiné notre alliance avec l’Espagne sous tous ses rapports; l’époque de cet engagement, son utilité, sa forme, nos moyens, la position actuelle des Espagnols et les vues apparentes des Anglais. Voici le résultat de nos recherches. Les Espagnols ont été longtemps nos ennemis. Après plus d’un siècle de combats, la paix des Pyrénées vint enfin désarmer les mains redoutables de deux peuples également fiers et belliqueux ui se ruinaient et se déchiraient pour l’orgueil e quelques hommes et pour le malheur réel des deux nations. g Le repos de l’Europe fut court; les passions des princes ne connaissent qu’un léger sommeil. Louis XIV réunit dans sa famille les sceptres de France et d’Espagne. Cette réunion et les vues ambitieuses qu’elle recelait peut-être, soulevèrent contre nous toutes les puissances ; et si le sort ne remplit qu’à moitié leurs projets de vengeance, si nous ne succombâmes pas sous tant de coups portés à la fois, nous ne pûmes du moins échapper à cet épuisement, à cette destruction intérieure qui est toujours la suited’une longueguerre. On s’aperçut bientôt que cette succession, qui avait coûté tant de sang, n’assurait pas encore le repos des deux nations. Les rois étaient parents, les peuples n’étaient pas unis, les ministres étaient rivaux ; et l’Angleterre, profitant de leurs divisions pour les affaiblir, s’emparait impunément du sceptre des mers et du commerce du monde. La guerre éclate en 1756. Ce fut après que la nation française eût perdu ses vaisseaux, ses richesses et ses plus belles colonies, que nos malheurs fournirent au caractère espagnol une occasion glorieuse de se déployer, tel que depuis lors il n’a cessé d’être pour nous. Ce peuple généreux, dont la bonne foi est passée en proverbe, nous reconnut pour ses amis, quand il nous vit près de succomber. Il vint partager nos infortunes, reh-ver nos espérances, affaiblir nos rivaux. Ses ministres signèrent, en 1761, un traité d’alliance avec nous sur les tronçons brisés de nos armes, sur la ruine de notre crédit, sur les débris de notre marine. Quel fut, Messieurs, le fruit de cette union ? Seize années de paix et de tranquillité, qui n’auraient pas encore éprouvé d’interruption, si l’Angleterre eût respecté, dans ses colonies, les principes sacrés qu’elle adore chez elle; et si les Français, protecteurs de la liberté des autres, avant d'avoir su la conquérir pour eux-mêmes, n’avaient pressé le roi de défendre les Américains. Cette querelle, absolument étrangère à la cour d’Espagne, pouvait même l’inquiéter sur ses colonies et compromettre en apparence ses intérêts les plus chers; mais les Anglais ayant les premiers violé la loi, l’Espagnol, fidèle à ses traités, courut aux armes, nous livra ses trésors, ses flottes, ses soldats; et c’est avec lui que nous acquîmes l’immortel honneur d’avoir restitué à la liberté une grande portion du genre humain. Depuis la paix mémorable qui couronna nos efforts, la guerre a paru prêle à se rallumer entre la France et l’Angleterre. Dès que le roi des Français eût averti son allié qu’il armait, les ports d’Espagne se couvrirent de flottes redoutables ; elles n’attendaient qu’un avis pour voler à notre secours, et l’Angleterre convint avec nous de désarmer... Mais jetons un voile sur cette époque honteuse où l’impéritie de nos ministres nous ravit un allié que nous avions conquis par nos bienfaits, que nous eussions suffisamment protégé, en nous montrant seulement prêts à le défendre, et nous priva ainsi d’un moyen presque assuré d’être à jamais en Europe les arbitres de la paix. C’est en nous rappelant, Messieurs, cette conduite de l’Espagne et les services qu’elle nous a rendus, que nous nous sommes demandé si la Fiance devait rompre un traité généreusement conclu, fréquemment utile, religieusement observé. Nous nous sommes surtout demandé s’il conviendrait d’annuler un engagement aussi solennel, dans l’instant où l’Espagne serait pressée par les mêmes dangers qu’elle a trois fois repoussés de la France. Il ne resterait rien à ajouter pour ceux qui [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 août 1790.] 265 craindraient qu’une des deux nations ne l’emportât sur l’autre en générosité. Mais l’intérêt nous dicte-t-il d’autres lois que la reconnaissance ? Quelques hommes, forts de leur caractère et orgueilleux de leur patrie, croient que la France armée peut rester invincible, quoique isolée. Il est de ces hommes parmi nous, et ce sentiment est dautant plus honorable, qu’il confond la force publique avec l’énergie de la liberté. Mais la liberté publique n’tst la plus grande force des empires, qu’aussi longtemps qu’étrangères à toute injustice, à toute violence, à toute conquête, les nations s’appliquent uniquement au développement de leur richesse intérieure, de leur véritable prospérité. La France compte dans ses annales des triomphes qui invitent à la vengeance ; elle a des colonies qui excitent l’ambition, un commerce qui irrite la cupidité, et si elle pi ut un jour se défendre sans alliés, ce que je crois aussi fortement que tout autre, il ne faut pas néanmoins qu’elle s’expose à combattre seule des puissances dont les forces actuelles sont supérieures aux siennes; car il ne s’agit pas de ce que peut inspirer la nécessité, mais de ce qu’exige la prudence; il ne s’agit pas de faire une périlleuse montre de nos dernières ressources, mais de prendre les moyens les plus propres d’assurer la paix. Nous ne regardons aucun peuple comme notre ennemi. U ne l’est plus celui qu’une insidieuse politique nous avait représenté jusqu’ici comme notre rival, celui dont nous avons suivi les traces, dont les grands exemples nous ont aidé à conquérir la liberté et dont tant de nouveaux motifs nous rapprochent. Un autre genre de rivalité, l’émulation des bonnes lois, va prendre la place de celle qui se nourrissait de politique et d’ambition. Non, ne croyez pas qu’un peuple libre et éclairé veuille profiter de nos troubles passagers pour renouveler injustement les malheurs de la guerre, pour attaquer notre liberté naissante, pour étouffer l’heureux développement des principes qu’il nous a transmis. Ce serait pour lui un sacrilège de le tenter, ce serait pour nous un sacrilège de le croire. La même religion politique n’unit-elle pas aujourd’hui la Grande-Bretagne et la France ? le despotisme et ses agents ne sont-ils pas nos ennemis communs ? Les Anglais ne seront-ils pas plus certains de rester libres, lorsqu’ils auront des Français libres pour auxiliaires? Mais, en rendant hommage à la philosophie de ce peuple, notre aîné en liberté, écoutons encore les conseils de la sagesse. La politique doit raisonner, même sur des suppositions auxquelles elle ne croit pas, et le bonheur des peuples vaut bien que, pour l’assurer, on se tienne en garde contre les chances les plus favorables, aussi bien que contre les plus incertaines. Supposons donc que L’Angleterre prévoie avec inquiétude l’accroissement qu’une Constitution libre doit un jour donner à nos forces, à notre commerce, à notre crédit ; qu’elle lise dans propre histoire l’avenir de nos destinées, et que, par une fausse politique, elle veuille profiter des circonstances pour rompre une alliance foimidable dont elle a souvent senti tout le poids : quelles sont les mesures qu’une telle supposition doit nous inspirer? Nous ne pouvons balancer le nombre des Vaisseaux anglais qu’avec ceux de notre allié. L’intérêt nous oblige donc de confirmer notre alliance avec l’Espagne, et le seul moyen de la conserver, c’est de remplir fidèlement nos traités. On dira peut-être que cette fidélité même peut amener plus rapidement la guerre, arrêter notre régénération, épuiser nos finances, anéantir nos armées. Mais que répondra-t-on à ce dilemme? Ou l’Angleterre veut la guerre, ou elle ne la veut pas. Si elle ne la veut pas , si elle n’arme que pour négocier avec plus de succès, la conduite que nous vous proposons ne saurait être regardée par elle comme une provocation, et vous remplissez vos engagements sans compromettre votre tranquillité. Si, au contraire, l’Angleterre veut la guerre, alors vous ne devez plus compter sur sa justice, sur sa générosité ; notre inaction augmenterait nos périls au lien de les éloigner. Que l’Espagne succombe, ne serions-nous pas bientôt l’objet de la même ambition et d’une vengeance plus animée? Les mêmes malheurs que l’on redoute dans le maintien de notre alliance ne menaceraient-ils pas alors et nos finances et nos armées? et combien d’autres maux n’est-il pas facile de prévoir? La nation, qui nous a choisis pour être les instituteurs de ses lois, nous demande aussi la sûreté de ses possessions et de son commerce. L’inquiétude affaiblirait l’esprit public peut-être, et certainement le respect dû à vos décisions : le hasard pourrait accuser notre prévoyance : une confiance excessive, même en justifiant votre loyauté, compromettrait votre sagesse ; il faudrait craindre que les bons citoyens, dont la fortune serait frappée par le premier coup d’une guerre imprévue, ne fussent aigris par le malheur; que le regret d’avoir perdu un ancien allié ne vînt se mêler au sentiment d’autres pertes accumulées: enfin, qu’on ne nous reprochât, puisqu’il faut nous décider entre des chances également incertaines, de n’avoir pas préféré celle qui, même en offrant des périls égaux, nous fournit plus de moyens de les surmonter. On pensera, peut-être, que l’Espagne, sûre de notre appui, se rendra difficile dans la négociation de la paix; au lieu, dira-t-on, qu’en ne nous mêlant pas de cette querelle, l’accommodement que nous désirons, n’éprouverait ni lenteurs, ni difficultés. Nous avons déjà repoussé cette objection ; les principes que nous vous proposons de reconnaître, ne laisseront aucun doute à la Grande-Bretagne sur nos intentions, et manifesteront à l’Espagne que notre Constitution regarde seulement les engagements défensifs comme obligatoires; notre conduite ne la portera donc à aucune démarche hostile que ne nécessiterait pas une juste défense ; elle ne pourra non plus contrarier les Anglais que dans le cas où ils voudraient être agresseurs. D’ailleurs, s’il est certain que l’abandon de nos engagements forcerait l’Espagne à négocier plus promptement la paix avec l’Angleterre, il n’est que trop facile de prévoir quelle pourrait être dans ce cas la nature de cet accommodement, et le tort irréparable qu’une semblable négociation ferait à notre crédit, à notre commerce. Enfin, Messieurs, ce n’est point le pacte de famille entier que nous vous proposons de ratifier. Conclu dans un temps où les rois parlaient seuls au nom de s : eu pies, comme si les pays qu’ils gouvernaient Vêtaient que leur patrimoine, ou que la volonté d’un monarque pût décider de leurs destinées, ce traité porte le nom singulier de Pacte de famille, et il n’existe aucun de nos décrets qui n’ait annoncé à l’Europe entière que 26g [Assemblée natioôilô.l nous ne reconnaîtrons désormais que des Pactes de nation. Ce même traité, préparé par un ministre français dont l’ambition brûlait de se venger dus humiliations d’une guerre malheureuse, renferme plusieurs articles propres à lier l’EspagDe à ses vues, et à l’obliger à nous secourir dans le cas même où nous aurions été les agresseurs. Or, puisque nous renonçons à observer de pareilles clauses envers les autres, nous ne les réclamons plus pour nous-mêmes. Il est des articles qui doivent être ratifiés : ceux qui sont relatifs à la garantie réciproque des possessions, aux secours mutuels que deux nations doivent se donner, aux avantages de commerce qu’elles s’assurent. D’autres ont besoin d’être corrigés ; car vous ne pouvez pas même souffrir l’ap-parencedes clauses offensives auxquelles les premiers, dans l’Europe, vous avez donné l’exemple de renoncer. La seule mesure que vous propose à cet égard votre comité, dans le cas où vous adopterez, en ce moment, le projet de décret qu’il va vous soumettre, c’est que vous le chargiez d’examiner en détail les articles du pacte de famille, pour vous mettre à portée de resserrer et de perpétuer nos liens avec l’Espagne, en faisant de ce traité un pacte national, en en retranchant toutes les stipulations inutiles et offensives, et en priant le roi d’ordonner à ses ministres de négocier le renouvellement du traité, d’après les bases qui auront reçu votre approbation. Ici, Messieurs, l’intérêt de l’Espagne sera d’accord avec le vôtre. Qu’est -ce qu’un pacte de ca ¬ binet à cabinet? Un ministre l’a fait, un ministre peut le détruire. L’ambition l’a conçu, la rivalité peut l’anéantir. Souvent l’intérêt personnel d’un monarque l’a seul dicté, et la nation, qui en est l’unique garant, n’y prend aucune part. Il n’en serait pas ainsi d’un pacte vraiment national, qui assermenterait, en quelque sorte, les deux pays l’un à l’autre, qui réunirait tout à la fois de grands intérêts et de puissants efforts. Ce pacte seul lie chaque individu par la volonté générale, produit une alliance indissoluble, et a pour base inébranlable la foi publique et la conscience des nations. Tel est le résultat du travail de votre comité. 11 renferme trois points distincts l’un de l’autre, quoiqu’invisibles, comme vous le voyez: Le développement des deux principes qui doivent être la base de votre système politique, une décision qui conserve une alliance utile en assurant le roi d’Espagne que nous remplirons nos engagements, la demande d’un décret qui charge votre comité des modifications qu’exige cette alliance, lorsqu’il faudra la renouveler. Mais cette détermination, si vous l’adoptez, indique nécessairement d’autres mesures. Le maintien de notre alliance avec l’Espagne serait illusoire, si même au sein de la paix et en nous bornant à ajouter tout le poids de notre influence aux négociations qui doivent assurer le repos d’une partie de l’Europe, nous n’augmentions pas nos armements dans la même proportion que ceux de nos voisins. Ce n’est pas lorsqu’on a des possessions éloignées ; ce n’est pas lorsque l’on veut avoir de grandes richesses à une grande distance, qu’on peut se résoudre à ne prendre les armes qu’au moment même de l’agression. Le commerce a besoin d’être garanti non seulement des dangers réels, mais de la crainte des dangers ; et il n’a jamais été plus important d’apprendre à nos Colonies qü’ellês seront protégées. Voilà, Mes-[2S août 1790.) sieurs, voilà les maux où conduit cette exécrable défiance, qui porte des peuples voisins à se surveiller, à se redouter, à se regarder comme ennemis. Pourquoi faut-il que la nécessité même d’assurer la paix, force les nations à se ruiner en préparatifs de défense ? Puisse cette affreuse politique être bientôt en horreur sur toute la terre ! C’est pour réunir les différents objets annoncés dans son rapport, que votre comité vous propose le décret suivant, comme le plus propre à remplir vos engagements sans imprudence, à changer l’ancien système sans secousses, à éviter là guerre sans faiblesse. « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que tous les traités précédemment conclus continueront à être respectés parla nation française, jusqu’au moment où elle aura revu ou modifié ces divers actes, d’après le travail qui sera fait à cet égard, et les instructions que le roi sera prié de donner à ses agents auprès des puissances de l’Europe. « 2° Que préliminairement à ce travail et à l’examen approfondi des traités que la nation croira devoir conserver ou changer, le roi sera prié de faire connaître à toutes les puissances avec lesquelles la France a des engagements, que la justice et l'amour de la paix étant la base de la Constitution française, la nation ne peut en aucun cas reconnaître, dans les traités, que les stipulations purement défensives et commerciales. « Décrété, en conséquence, que le roi sera prié de faire connaître à Sa Majesté Catholique, que la nation française, en prenant toutes les mesures propres à maintenir la paix, observera les engagements que son gouvernement a précédemment contractés avec l’Espagne. « Décrète, en outre, que le roi sera prié de faire immédiatement négocier avec les ministres de Sa Majesté Catholique à l’effet de resserrer et perpétuer, par un traité, des liens utiles aux deux nations, et de fixer avec précision et clarté toute stipulation qui ne serait pas entièrement conforme aux vues de paix générale et aux principes de justice qui seront à jamais la politique des Français. « Au surplus, l’Assemblée nationale prenant en considération h s armements des différentes nations de l’Europe, leur accroissement progressif, la sûreté des colonies françaises et du commerce national, « Décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que les escadres françaises en commission soient portées à 30 vaisseaux de ligne avec un nombre proportionné de Irégates et autres bâtiments. » M. Rewbell. Ce n’est que sur l’initiative du roi que l’Assembloe doit délibérer. M. d’André. Le projet provisoire, présenté par le comité diplomatique, me paraît on ne peut plus pressant : il ne confirme pas les traités existants, mais il charge le roi de négocier pour les rendre nationaux. Je demande qu’il suit mis aux voix. M. Régouen. J’ai reçu une lettre de la municipalité du Havre, portant la déclaration d’un capitaine arrivant des colonies ; il a passé auprès de la flots e anglaise, composée de 31 vaisseaux de ligne et de plusieurs autres bâtiments de guerre. j’ai communiqué cette lettre au ministre, qui m’a dit avoir déjà reçu pareil avis. Je me crois donc ARCftîVÉS Parlementaires.