ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 287 [Assemblée nationale.] ramener l’ordre et Je calme dans votre capitale. Enfin, elle renouvelle ses représentations auprès de Votre Majesté, sur les changements survenus dans la composition de votre conseil. Ces changements sont une des principales causes des troubles funestes qui nous affligent, et qui ont déchiré le cœur de Votre Majesté. Te Roi reprend la parole. 11 dit que, sur la députation de l’Assemblée nationale à Paris, on connaît ses intentions et ses désirs, et qu’il ne refusera jamais de communiquer avec l’Assemblée nationale toutes les fois qu’elle le croira nécessaire. M. le Président ajoute que l’Assemblée demande depuis longtemps un libre accès auprès de Sa Majesté; que les voies intermédiaires ne conviennent ni à la majesté du trône ni à celle de la nation. Le Roi se retire avec ses frères, et retourne à pied au château. L’Assemblée entière se lève et se précipite à sa suite. Tous les députés, sans observer aucun rang, les trois ordres mêlés, l’accompagnent; ceux qui sont près de lui forment une chaîne qui le préserve de la trop grande affluence. Souvent elle est rompue par le trop grand nombre de spectateurs qui tous veulent jouir de son aspect. Une femme se jette à ses genoux et les embrasse. Les cris de vive le Roi! retentissent de tous côtés. Arrivé à la cour des ministres, les cris d'allégresse et la foule redoublent, les musiciens contribuent à l’enthousiasme par une idée trés-beu-reuse; ils jouent l’air: Où, peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? Les députés devaient accompagner le Roi jusque dans son appartement, passer devant lui et sortir par l’œil-de-bœuf; mais le monarque était tout en sueur et couvert de poussière : les flots du peuple qui se précipitait sur lui l’avaient extrêmement fatigué. Le Roi parvenu à l’escalier de la cour de marbre, les députés se retirent. Mais la foule devenait de plus en plus considérable ; les gardes du corps sans armes, sans ordre, égarés comme les autres par le délire général, croient cependant qu’ils doivent fermer les portes du petit escalier. Le Roi se retourne et les fait ouvrir. Le Roi, la reine, M. le dauphin, Madame Royale paraissent un instant après sur le balcon: les applaudissements, les cris de vive le Roi! redoublent. L’Assemblée étant rentrée dans la salle, M. le duc d’Orléans, qui avait également formé la chaîne autour du Roi, reçoit des applaudissements universels. On invite les membres de la députation vers Paris, de se rendre au plus tôt dans la capitale. Leur nombre est de quatre-vingt-huit. Ils sont chargés de faire tous leurs efforts, d’employer tous leurs moyens pour ramener le calme, pour consolider la garde bourgeoise, et de faire publier dans tous les quartiers l’assurance donnée par le Roi, que les troupes vont s’éloigner de Paris et de Versailles. La députation part avec promptitude afin d’arriver à temps pour demander la grâce et prévenir le supplice de trois officiers soupçonnés d’avoir voulu empoisonner les gardes françaises. M. Barnave fait ensuite une motion tendant au renvoi des ministres, comme ne méritant pas la confiance du peuple, et en étant absolument [18 juillet 1789.] indignes ; il expose que les citoyens de Paris ne tarderont pas sans doute à demander leur éloignement, et qu’il faut les prévenir, parce qu’il est de la dignité de l’Assemblée de ne pas paraître se laisser entraîner par l’influence du peuple. M. le comte de Mirabeau appuie cette motion avec l’éloquence et le génie qui le distinguent. M. le comte de Clermont-Tonnerre pense autrement. Après avoir demandé la permission de combattre l’opinion des préopinants, il convient de tous les principes, mais il dit que, dans une aussi belle journée, il faut laisser le Roi dans la joie et goûter en silence le bonheur d’être Roi d’une nation aussi fidèle; qu’il faut au moins lui laisser vingt-quatre heures. A Dieu ne plaise, dit-il, que je veuille prendre la défense de pareils ministres; à Dieu ne plaise ue je veuille empêcher leur dénonciation; mais, ans un aussi beau jour, il n’est pas de la dignité de l’Assemblée de s’occuper d’un ministère aussi avili. Cette dernière opinion l’emporte. Un membre de l'Assemblée donne lecture d’un arrêté pris par les électeurs de la ville de Paris. Ils supplient l'Assemblée de prendre la capitale sous sa protection et sa sauvegarde. Un des membres de V Assemblée dit que MM. les gardes du Roi le chargent d’offrir, en leur nom, un détachement pour accompagner la députation qui va à Paris, non pas qu’elle ait besoin d’être défendue, mais pour qu’elle ait une garde d’honneur L’Assemblée reconnaît à cette proposition l’esprit qui jusqu’à présent caractérise MM. les gardes du corps, mais elle considère qu’une députation nationale, allant pour remettre le calme dans une ville menacée des plus grands malheurs, doit y entrer sans aucune apparence de forces militaires. Elle arrête que MM. les gardes du Roi seront remerciés d’une offre qui augmente pour eux l’estime de tous les Français, et charge son président et ses secrétaires de leur écrire, pour les féliciter sur leur acte de patriotisme, et les assurer des sentiments de l’Assemblée nationale. On se sépare pendant quelques heures, et on convient de rentrer dans la salle à huit heures du soir pour recevoir des nouvelles de la députation, si elle envoie des courriers. L’Assemblée se forme à l’heure indiquée. M. le President annonce, que M. Le Blanc, député de Besançon, est mort, et q_ue sa perte doit être d’autant plus sensible à l'Assemblée, u’elle a été hâtée par la joie qu’a éprouvée ce éputé, aussi instruit que sensible, en apprenant que le Roi est détrompé. 11 est arrêté que l’Assemblée ira au convoi de M. Le Blanc. Plusieurs particuliers ayant assuré qu’ils avaient personnellement connaissance que la tranquillité régnait dans Paris, et la députation n’ayant envoyé aucun courrier, M. le président remet l’Assemblée à demain, huit heures du matin.