SÉANCE DU 3 FRUCTIDOR AN II (20 AOÛT 1794) - N° 36 321 Cette proposition est décrétée ( Les applaudissements recommencent). *** : Je demande que le père et le fils, et deux parents au 4 e degré, ne puissent être membres du même comité révolutionnaire. Cette proposition est adoptée. Le rapporteur fait lecture de l’article XIV; il est adopté en ces termes : ARTICLE XIV. Les membres des comités révolutionnaires pourront, au nombre de 3, décerner des mandats d’amener et faire procéder provisoirement à l’apposition des scellés, mais ils ne pourront délivrer des mandats d’arrêt qu’à la majorité de 7 voix. MARET (pour MAREC ?) : Je demande par article additionnel que la présence des membres qui auront concouru à délivrer un mandat d’arrêt soit constatée. Je demande en second lieu que vous obligiez les comités révolutionnaires à tenir registre de leurs opérations. Plusieurs n’ont pu décliner les motifs d’arrestation des citoyens qu’ils avaient fait incarcérer. On demande que les registres des comités révolutionnaires soient paraphés par les juges de districts. Toutes ces propositions sont adoptées. Le rapporteur lit l’article XV. ARTICLE XV. Les comités révolutionnaires sont tenus d’adresser au comité de sûreté générale de la Convention, dans les 24 heures de l’arrestation, les motifs de leur mandat d’arrêt, ainsi que les pièces et renseignements qu’ils se seront procurés sur le compte des individus arrêtés. RUELLE : Je demande que les comités révolutionnaires soient tenus de délivrer dans les 24 heures les motifs qui auront déterminé l’arrestation d’un citoyen. *** : Je demande que le délai soit fixé à 3 jours, parce qu’on aura eu le temps de s’assurer des complices d’un détenu, si toutefois il en avait. Cette dernière proposition est adoptée. THIRION : Je demande qu’un citoyen mis en état d’arrestation ne puisse être détenu plus de 24 heures avant d’avoir été interrogé. Cette proposition est adoptée. Les articles XVI et XVII, qui terminent le projet de décret sont adoptés en ces termes : ARTICLE XVI. Les comités révolutionnaires supprimés par le présent décret sont tenus de déposer, dans la décade qui suivra sa promulgation, au comité révolutionnaire de chaque chef-lieu de district, les pièces, renseignements et effets dont ils sont dépositaires. ARTICLE XVII. Les lois sur le gouvernement révolutionnaire seront, au surplus, exécutées en tout ce qui n’est pas contraire aux dispositions du présent décret. DUBOIS-CRANCÉ : On a dit que personne ne pourrait être fonctionnaire public et membre d’un comité révolutionnaire. Je demande qu’on y ajoute tous les officiers civils et militaires : car il y a dans les départements des intrigants qui ne sont pas à leur poste et qui troublent la paix des cantons. Il est aussi des officiers de santé qui ne font pas mieux leur devoir. __ La proposition de DUBOIS-CRANCÉ est adoptée. CHASLES : Je demande que cette incompatibilité s’étende à tous les fonctionnaires civils; par exemple, je connais des officiers de santé qui sont en même temps officiers municipaux et membres des administrations. MAURE : Un officier de santé n’est pas un fonctionnaire public; il a autant de concurrents que de confrères; c’est un citoyen comme un autre; je demande l’ordre du jour. CHASLES : Je parle des officiers de santé attachés aux hôpitaux militaires et qui sont salariés par la République. Je demande que ceux-là ne puissent pas être membres des comités révolutionnaires. La proposition de CHASLES est adoptée sous ce rapport. CHASLES : Je demande encore une disposition qui établisse l’incompatibilité entre les fonctions civiles et celles d’officiers de santé; je sais qu’il y a un de ces hommes, salariés par la République, qui est en même temps maire d’une commune, chef-lieu de département, de sorte qu’il est juge de sa propre comptabilité. MERLIN (de Douai) : La loi du 14 frimaire sur le gouvernement révolutionnaire a établi l’incompatibilité dont on parle. Je demande l’ordre du jour, motivé sur l’existence de cette loi. L’Assemblée passe à l’ordre du jour, ainsi motivé (1). CHASLES : Il est encore une mesure à prendre pour mettre les citoyens à l’abri des actes arbitraires des comités révolutionnaires; c’est de rappeler ici la loi qui ne leur permet pas de prononcer des élargissements. Il en est qui ont fait arrêter des citoyens, et qui ont marchandé ensuite avec eux sur le prix qu’ils voulaient pour leur accorder leur liberté. On observe qu’une loi leur interdit cette faculté, et la Convention passe à l’ordre du jour, motivé sur l’existence de cette loi (2). 36 Un membre [BARÈRE] fait, au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale, un rapport sur l’incendie qui a eu lieu, dans la nuit, dans la maison de l’Unité (3). BARÈRE : Quelques événements malheureux se mêlent quelquefois aux grands succès de (1) Décret n° 10 477 portant ordre du jour motivé. Rapporteur Chasles d’après C*II 20, p. 259. (2) Moniteur (réimpr.), XXI, 548-550; Débats, n° 699, 36-44; n° 700, 45-51; J. Fr., n° 695 (cette gazette signale en outre une proposition de Bellegarde); F. de la Républ., n° 421; J. Perlet, n° 697 (qui signale en outre une intervention de Génissieu); Ann. R.F., nos 261, 262; J. Paris, n° 598; M.U., n°XLIII, 61-62; Rép., n° 244; J. Mont., n° 113; Gazette frçse , n° 963; C. Eg., n° 732; Ann. patr., n° DXCVII; J. S. -Culottes , n° 552; J. Univ., n° 1731. (3) P.-V., XLIV, 33. 21 322 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE la République; mais le zèle des citoyens, la vigilance des autorités constituées et le patriotisme le plus actif arrêtent bientôt ces événements locaux, adoucissent ces maux et réparent en peu de temps ces pertes. Cette nuit, vers les 9 heures et demie, un incendie s’est manifesté dans la maison nationale de l’Unité. Cet incendie était d’autant plus violent et plus rapide qu’il s’alimentait d’une grande bibliothèque, de vieux bâtiments et de matières inflammables, telles que le salpêtre. A peine les comités ont-ils été instruits de cette nouvelle désastreuse, grossie, exagérée en passant de bouche en bouche et au milieu de la nuit, qu’ils ont donné aussitôt tous les ordres nécessaires pour arrêter les progrès de cet incendie, dont les ravages pouvaient s’étendre en peu de temps sur 8 établissements nationaux; un grand magasin de charbons de terre, un atelier de 50 foreries à bras de canons de fusil, un atelier immense de raffinerie de salpêtre, qui raffine 30 milliers par jour, un magasin de 500 millions de salpêtre, un nouvel atelier qu’on construit, et qui a beaucoup de charpente découverte et en construction en ce moment, un grand atelier de salpêtre de la section de l’Unité, environnaient le lieu de l’incendie. La crainte des 2 comités de sûreté générale et de salut public sur la perte de ces établissements et de ces magasins précieux; l’idée que le crime des malveillants et la vengeance des ennemis du peuple pouvaient avoir allumé cet incendie horrible, ont subitement réuni les deux comités pour prendre les mesures nécessaires. Nous n’avons pas tardé à être détrompés sur les causes de cet incendie et sur les objets qu’il attaquait. Un ordre donné au commandant de la force publique d’envoyer des ordonnances dans le lieu où le feu se manifestait avec tant de violence, et d’en venir rendre compte au comité sans délai, a produit les premières notions, qui étaient que le feu avait pris dans la partie du bâtiment public employée à la raffinerie du salpêtre. L’étuve a été consumée en un instant, et la bibliothèque a été bientôt environnée et attaquée par les flammes. Aussitôt un arrêté a donné ordre au commandant de la force publique de se transporter dans la section de l’Unité, avec deux membres de l’état-major, pour prendre les mesures nécessaires et y établir une police active et des secours sans trouble. Le même arrêté porte un ordre au commandant d’augmenter la force des différents postes, pour la police dans les quartiers environnants, et de multiplier les patrouilles, pour que les malveillants ne puissent abuser des circonstances, ni porter aucun obstacle aux secours urgents que le brûlement accéléré de ces bâtiments nationaux exigeait, avec injonction expresse de rendre compte aux 2 comités de la situation des choses, de demi-heure en demi-heure. En même temps les comités ont invité les citoyens Ferrand, Fréron, Rovère et Barras à se rendre sur la section de l’Unité, en qualité de représentants du peuple, pour activer les moyens utiles. Vers le même instant, les comités ont écrit une lettre aux administrateurs du département, pour qu’ils envoyassent des commissaires au lieu de l’incendie, pour aviser aux moyens de l’éteindre, et instruire le comité de l’état des choses à chaque demi-heure. Ayant appris, par des rapports de citoyens, que les pompes n’étaient pas assez nombreuses, le comité a envoyé sur le champ un ordre au commandant des pompiers, pour qu’ils se rendissent tous sur la section de l’Unité, et donnassent les secours les plus actifs pour arrêter les progrès effrayants du feu, qui menaçait encore, à minuit, les établissements les plus précieux. Déjà les salpêtres étaient évacués en grande partie, et le zèle civique le plus ardent, le plus unanime, avait centuplé tous les genres de secours. Nous serions injustes si nous passions sous silence l’activité et l’empressement avec lequel plusieurs membres de la Convention se sont portés vers le lieu de l’incendie pour accélérer les secours, et y ont donné des exemples de dévouement. Ils étaient dans tous les rangs, présidaient à tous les travaux, encourageaient tous les citoyens. Les citoyens étaient tous au même devoir, celui de secourir l’humanité, de sauver des flammes les enfants et les mères, et de défendre contre l’incendie les propriétés nationales. Au milieu des troubles et de la confusion inséparables des dangers de l’incendie, on voyait des familles entières fuyant les flammes, des mères emportant les enfants. Le comité a cru remplir un devoir et pressentir le sentiment unanime des membres de la Convention en prenant un arrêté, vers onze heure, portant que le comité civil de la section de l’Unité prendra sur le champ toutes les mesures nécessaires pour réunir toutes les familles dont les maisons venaient d’être incendiées, les recueillir et le loger provisoirement dans les maisons nationales, au faubourg Germain. Espérons qu’il n’aura pas été nécessaire d’accorder beaucoup de secours de ce genre : nous n’en avons pas encore les détails, et nous nous empresserons de seconder les vues de la Convention, en les lui faisant connaître. Dans les pays du despotisme, lorsque des incendies se manifestent, le tocsin et une police dure forcent les hommes à se porter des secours; on les arrête dans les rues, on les retient pour faire des travaux pénibles, ou pour sauver les possessions du roi. Dans les pays libres, le malheur seul appelle; l’autorité publique n’est nécessaire que pour régulariser le mouvement et empêcher la confusion des secours. Dans les républiques la propriété nationale est la propriété de tous, et tous travaillent volontairement à la conserver. C’est le spectacle que présentait hier la section de l’Unité. Le feu ayant pris son origine dans l’étuve destinée au séchage du salpêtre, il s’est successivement propagé sur le bâtiment du ci-devant réfectoire, et s’est étendu en un instant sur tous les bâtiments qui formaient la bibliothèque, le feu semblait augmenter de violence par la résistance même qu’on lui opposait jusqu’à une heure après minuit. SÉANCE DU 3 FRUCTIDOR AN II (20 AOÛT 1794) - N° 37 323 Cent élèves de l’école de Mars étaient accourus; à 11 heures le feu a augmenté, et c’est le moment où de nouveaux secours sont arrivés du camp de l’école de Mars. Ces jeunes citoyens devaient donner un exemple de dévouement à la cité commune, en même temps qu’ils en recevaient eux-mêmes la leçon par le spectacle laborieux et touchant que donnaient les citoyens de Paris. Les administrateurs du département sont venus nous donner divers détails à 2 heures après minuit. Je ne peux m’empêcher de vous lire les détails renfermés dans les pièces et les procès-verbaux qui nous ont été remis dans la nuit par les diverses autorités constituées. Le commandant des pompiers était malade; le commandant en second a donné les ordres les plus prompts; le commandant de tour de la garde nationale, Cartier, n’a cessé de circuler dans Paris, et de porter, toutes les demi-heures, des détails de ce qui se passait à la maison de l’Unité. Les canonniers, chargés par leur état d’incendier les ennemis, ont montré le même zèle à arrêter l’incendie qui consumait le patrimoine de la République et les salpêtres dont il font un si utile usage. Les agents de la poudrerie de Grenelle s’y sont tous transportés. Il faudrait nommer tous les citoyens, célébrer le zèle de toutes les sections, si nous voulions parler de tous les secours, de tous les moyens, de tous les encouragements qui ont été prodigués en cette fâcheuse circonstance. La presque totalité des salpêtres est sauvée. La perte ne s’élèvera pas à plus de 15 milliers; mais les salpêtriers réparent déjà cette perte en redoublant de zèle, et déjà ce matin tous les ateliers étaient rétablis, et les travaux ont repris une plus grande activité. Les magasins de fusils, les magasins de charbons, et les manuscrits de la bibliothèque sont conservés; une partie de la bibliothèque est brûlée. Les sciences et les lettres regretteront des collections intéressantes; mais les bibliothèques des émigrés dédommageront la République. Les informations faites par Frecine, représentant du peuple, chargé de la raffinerie des salpêtres, ne nous présentent dans cet événement incendiaire qu’un accident naturel, et non pas la main du crime. C’est au zèle des citoyens à réparer les pertes du salpêtre; c’est à la bienfaisance de la Convention nationale à faire oublier aux citoyens qui ont éprouvé quelque perte les maux inséparables des événements de ce genre. Voici le projet de décret (1) : Il présente un projet de décret qui, après avoir été discuté et mis aux voix, est adopté dans les termes suivans : (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 542-543; Bm , 3 fruct.; Débats, n°699, 32-35; J. univ., n° 1732; J. Perlet, n°697; J. Fr., n08 695 et 696; Rép. , n° 244; Ann. R.F., n° 262; J. S.-Culottes , n 08 552, 553; J. Mont., n° 113; J. Paris, n° 598; F. de la République, n°413; Gazette fr** , n° 963; M.U., n° XLIII, 62; Ann. pair. , n° DXCVII; C. Eg. , n° 732. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de salut public et des sûreté générale, décrète : ARTICLE Ier' Il sera fait mention honorable du zèle que les citoyens et citoyennes de Paris et les élèves de l’école de Mars ont apporté cette nuit pour éteindre l’incendie de la maison de l’Unité. ARTICLE IL La commission des travaux publics fera dresser, de concert avec un commissaire du département et un commissaire de la section de l’Unité, un état estimatif des pertes causées aux citoyens par cet incendie. Le comité des Secours publics est chargé de faire incessamment un rapport à la Convention nationale sur les secours et les indemnités à accorder. Le rapport sera inséré au bulletin (1). La séance est levée à 4 heures. Signé , Merlin (de Thionville), président, Bentabole, Guffroy, L. Lecointre (de Versailles), P. Barras, Frêron, Collombel, secrétaires (2). Affaire non mentionnée AU PROCÈS-VERBAL 37 RICORD : J’arrive de l’armée d’Italie, et je croyais que la Convention avait eu connaissance d’une lettre que je lui ai écrite, en date du 19 thermidor, et d’une adresse de la société populaire de Nice. J’ai inutilement cherché l’une et l’autre dans les différents bulletins, et je ne les ai pas trouvées. Je dois dire à la Convention que l’armée d’Italie idolâtre la République, mais qu’elle n’idolâtre aucun homme : elle a juré de nouveau, en apprenant la chute des nouveaux conspirateurs, d’être fidèlement attachée à la patrie, et de combattre tous les tyrans, de quelque espèce qu’ils soient. La société populaire et les administrations ont toutes répété le même serment. Je désire que l’assemblée se fasse représenter ces pièces. J’ai fait cette déclaration, d’abord pour remplir le devoir que m’imposait mon cœur, et ensuite pour détruire des bruits semés dans Paris par la méchanceté. On a répandu que j’étais émigré, tandis que je suis toujours resté à mon poste; et je réponds, à ceux qui m’ont accusé de l’avoir abandonné, que j’y serai jusqu’à la mort (3). (1) P.-V., XLIV, 33-34. Décret n° 10 474. Rapporteur Barère. Repris par Bm, 3 fruct. (2) P.-V., XLIV, 34. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 547; Débats, n° 699,30; Gazette frs*e , n°963; J. Paris, n°598; Ann. patr., n° DXCVII; J. Perlet , n° 697 (cette gazette introduit la protestation du représentant Ricord aussitôt après la pétition du citoyen Gagnebin (ci-dessus, n° 33) : « Ricord saisit cette occasion pour repousser les calomnies dirigées par des malveillans contre lui et contre l’armée d’Italie»); Ann. R.F., n°261; J. Fr., n° 695; F. de la Républ., n° 412.