720 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 4790.] disposais à me rendre incessamment à Paris : ma lettre a dû arriver à M. de Montmorin le 29 du même mois. J’avais depuis pris en conséquence congé du roi d’Angleterre et fixé mon départ à aujourd'hui, 3 juillet, après-midi ; mais ce matin, M. l’ambassadeur de France est venu chez moi et m’a présenté un monsieur qu’il m’a dit être M. de Boin ville, aide de camp de M. de Lafayette, envoyé de Paris par son général, le mardi 29, pour une mission auprès de moi. Alors ce M. de Boin-ville m’a dit en présence de M. l’ambassadeur que M. de Lafayette me conjurait de ne pas me rendre à Paris, et parmi plusieurs motifs qui n’auraient pu fixer mon attention, il m’en a présenté un plus important, celui des troubles qu’exciteraient des gens malintentionnés qui ne manqueraient pas de se servir de mon nom. Le résumé de ce message et de cette conversation est certifié par M. l’ambassadeur de France, dans un écrit dont j’ai l’original entre les mains et dont copie signée de moi est ci-jointe; sans doute, je n’ai pas dû compromettre légèrement la tranquillité publique, et j’ai pris le parti de suspendre toute démarche ultérieure ; mais ce n’a pu être que dans l’espoir que l’Assemblée nationale voudrait bien, encetteocca-sion, régler la conduite que j’ai à tenir, et voici les raisons sur lesquelles j’appuie cette demande. « A l’époque de mon départ pour l'Angleterre, ce fut M. de Lafayette qui me fit le premier, au nom du roi, la proposition de me charger de la mission que Sa Majesté désirait me confier. Le récit de la conversation qu’il eut avec moi à ce sujet est consigné dans un exposé de ma conduite, que je me proposais de rendre publique, seulement après mon retour à Paris, mais que d’après ce nouvel incident je prends le parti de publier aussitôt, comme aussi d’en faire déposer l’original sur le bureau de l’Assemblée ( Voy . ce document annexé à la séance de ce jour). « On y verra que parmi les motifs que M. de Lafayette me présenta pour accepter cette mission, un des principaux fut, dis-je, que mon départ ôtant tout prétexte aux malintentionnés de se servir de mon nom pour exciter des mouvements tumultueux dans Paris, lui, M. de Lafayette, en aurait plus de facilité pour maintenir la tranquillité de la capitale ; et cette considération fut une de celles qui me détermina. Cependant j’ai accepté cette mission et la capitale n’a pas été tranquille ; et si, en effet, les fauteurs de ces tumultes n’ont pas pu se servir de mon nom pour les exciter, ils n’ont pourtant pas craint d’en abuser dans vingt libelles, pour tacher d’en fixer les soupçons sur moi. « 11 est enfin temps de savoir quels sont les gens malintentionnés dont toujours on connaît les projets, sans cependant pouvoir jamais avoir aucun indice qui mette sur leurs traces, soit pour les punir et pour les réprimer; il est temps de savoir pourquoi mon nom servirait plutôt que tout autre de prétexte à des mouvements populaires ; il est temps enfin qu’on ne me présente plus ce fantôme sans me donner aucun indice de sa réalité. , « En attendant, je déclare que, depuis le 25 du mois dernier, mon opinion est que mon séjour en Angleterre n’est plus dans le cas d’être utile aux intérêts de la nation et au service du roi ; qu’en conséquence, je regarde comme un devoir d’aller reprendre mes fonctions de député à l’Assemblée nationale ; que mon vœu personnel m’y porte ; que l’époque du 14 juillet, d’après les décrets de l’Assemblée, semble m’y rappeler plus impérieusement encore et qu’à moins que r Assemblée ne décide d’une façon contraire et ne me fasse connaître sa décision, je persisterai dans ma résolution première. J’ajoute que si, contre mon attente, l'Assemblée jugeait qu’il n’y a lieu à délibérer sur ma demandé, je croirais en devoir conclure qu’elle juge que tout ce qui m’a été dit par le sieur de Boinviile, doit être considéré comme non avenu ; et que rien ne s’oppose à ce que j’aille rejoindre l’Assemblée dont j’ai l’honneur d’être membre. Je vous prie, Monsieur, après avoir fait connaître ces faits à l’Assemblée nationale, d’en déposer sur le bureau le présent détail, signé de moi, et de solliciter la délibération de l’Assemblée à ce sujet. « J’envoie copie de la présente lettre à Sa Majesté par M. de Montmorin et à M. de Lafayette. « Signé : L.-Ph. d’Orléans. » M. le Présideat. M. de Lafayette a demandé la parole. M. de Lafayette. D’après ce qui s’est passé entre M. le duc d’Orléans et moi, au mois d’octobre, et que je De me permettrais pas de rappeler s’il n’en entretenait lui-même l’Assemblée, j’ai cru devoir à M. le duc d’Orléans, de l’informer que les mêmes raisons qui l’avaient déterminé à accepter sa mission pouvaient encore subsister, et que peut-être on abuserait de son nom pour répandre sur la tranquillité publique quelques-unes de ces alarmes que je ne partage point, mais que tout bon citoyen souhaite écarter d’un jour desliné à la confiance et à la félicité commune. Quant à M. de Boinviile, il habitait l’Angleterre depuis six mois ; il était venu passer quelques jours ici, et à son retour à Londres il s’est chargé de dire à M. le duc d’Orléans ce que je viens de répéter à l’Assemblée. Permettez-moi de saisir cette occasion, comme chargé par l’Assemblée de veiller, dans cette époque, à la tranquillité publique, de lui exprimer sur cet objet mon opinion personnelle. Plus je vois s’approcher la journée du 14 juillet, plus je me confirme dans l’idée qu’elle doit inspirer autant de sécurité que de satisfaction. Ce sentiment est surtout fondé sur les dispositions patriotiques de tous les citoyens, sur le zèle de la garde nationale parisienne et de nos frères d’armes qui arrivent de toutes les parties du royaume; et comme les amis de la Constitution et de l’ordre public n’ont jamais été réunis en si grand nombre, jamais nous ne serons plus forts. M. Armand Grontaud de Biron. Dans le temps d’un régime despotique et arbitraire, le soupçon seul pouvait perdre un bon citoyen, l’écarter de ses foyers, l’exiler de son pays: la liberté ne permet" pas ces excès. M. d’Orléans a fait beaucoup pour elle. Il est accusé depuis huit mois ; depuis huit mois, aucuns des gens qui l’accusent ne se sont fait connaître; aucun fait n’a justifié ces accusations. Je demande que M. d’Orléans vienne rendre compte de sa conduite, et prendre part à la fête nationale qui s’apprête. M. Duquesnoy. Si tous ceux d’entre nous contre lesquels on a fait des libelles de toute espèce, ou permis des inculpations de tout genre, s’étaient absentés, l’Assemblée nationale serait dissoute depuis plusieurs mois. M. d’Orléans a quitté l’Assemblée, parce qu’il était chargé d’une mission du roi. Quand il vous a écrit qu’il acceptait cette mission, vous n’avez pas trouvé mauvais qu’il s’absentât. Lorsque, à l’archevêché, M. de Menou a demandé qu’il fût rappelé pour rendre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. compte de sa conduite, vous avez décidé qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. Vous avez jugé depuis longtemps ce que vous devez faire aujourd’hui. Chaque fois qu’il a été question d’un membre absent et des motifs de son absence, vous avez demandé qu’on passât à l’ordre du jour. Je demande donc qu’on passe à l’ordre du jour. M. le Président. Vous avez entendu la lecture de la lettre de M. Louis-Joseph-Philippe de France; vous avez vu qu’il déclarait que si l’Assemblée ne délibérait pas, il reviendrait; vous avey entendu M. de Lafayette, M. de Biron et la dernière motion qui a pour objet de passer à l’ordre du jour. Suivant l’ordre établi dans vos délibérations, cette motion doit être mise la première aux voix. L’Assemblée décide qu’elle passe à l’ordre du jour. La séance est levée à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du mardi 6 juillet 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. M. Regnaud(d