[15 octobre 1789.] 4g0 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du jeudi 15 octobre 1789 (1). À l’ouverture de la séance, M. le président annonce qu’un enfant de dix ans demande à être introduit dans la salle pour offrir un don patriotique. Cet enfant lit un discours qui est vivement applaudi. M. le Président lui répond que l’Assemblée reçoit avec plaisir son offrande, et qu'elle voit avec satisfaction les progrès de l’éducation que lui donnent ses parents. M. le chevalier de Larneth fait lecture des procès-verbaux. M. de Fontanges, archevêque de Toulouse, M. de Talaru, évêque de Coutances, M. le Clerc de Juigné, archevêque de Paris, demandent des passe-ports pour les trois jours accordés pour le déplacement de l’Assemblée. M-Barbou, curé, député de Meaux, donne sa démission. M. le vidame de Vassé, député du Mans, demande à s’absenter pour raison de santé. — • Le congé est accordé. M. de Dieuzie représente qu’en sa qualité de procureur syndic de la province d’Anjou, il est requis d’aller remplir les fonctions de sa place, pour la confection des rôles du département. Il est décrété que le premier devoir de tout député à l’Assemblée nationale est d’assister à ses séances. M. le vicomte de Beauharnais ! s’occupe des élections nouvelles qui pourraient avoir lieu dans quelques bailliages; il remarque que depuis la constitution des Etats généraux en Assemblée nationale on a laissé subsister un vice de forme : la division en trois or-dies, qui se serait opposée à l’exercice du pouvoir constituant, si les adhésions et adresses de toutes les villes et provinces n’avaient couvert ce vice originel. L’orateur demande qu’à l’avenir l’on n’admette plus aucun député ou suppléant autres que ceux dont l’époque de l’élection sera antérieure au grand jour de la réunion des trois ordres. M. Martineau. Je crois devoirrelever l’erreur, base fondamentale de cette motion. On vous a dit, Messieurs, que les assemblées élémentaires avaient été irrégulières. Certainement il faut repousser cette assertion, sans cela notre Assemblée serait également irrégulière; tout ce que nous aurions fait serait nul, illégal; et l’on sent que le despotisme pourrait tirer un grand avantage de tant d’erreurs que nous aurions consacrées nous-mêmes. Permettez-moi maintenant de vous faire quelques observations. Le pouvoir exécutif est sans force, l'Etat n’a plus de ressources que dans l’Assemblée nationale ; tous les passe-ports que l’on demande produiraient enfin la dissolution de cette Assemblée; et si elle était dissoute, l’Etat même serait bientôt dissous. Eh ! Messieurs, pourquoi se retirer de cette As-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. semblée? On est malade! maison est malade commodément aussi bien à Paris qu’en province. On est fatigué! mais qui de nous ne l’est pas? Depuis six mois que nous luttons contre la tempête, que nous opposons nos efforts à toutes les révolutions, qui de nous. n’est pas fatigué? 11 n’y a pas de sûreté à Paris l dit-on. On se trompe : il y a à Paris plus d'ordre, de police que partout ailleurs; l’anarchie se trouve dans tous les lieux, mais elle est peut-être moins violente dans la capitale. En un mot, Messieurs, est-ce quand le vaisseau est battu par les flots de la tempête, qu’il faut abandonner le gouvernail? est-ce quand il faut livrer bataille, qu’on doit abandonner ses drapeaux? Prenez-y garde, Messieurs, votre courageuse réforme a fait bien des mécontents; les uns, aigrissant les esprits, leur offrent la licence au lieu de la liberté; les autres soufflent le feu de la discorde. Les laisserons-nous triompher ? C’est ici le moment du courage; faisons en sorte que l’on ne regrette pas les jours du despotisme; restons ici, ce n’est qu’ici qu’on peut sauver 1 Etat. M. le marquis d’Ambly. Le préopinant a dit de très-bonnes choses ; mais ce n’est pas ainsi qu’on conduit des Français; qu’il soit donné des passe-ports à tous ceux qui en demandent; mais je demande aussi qu’on imprime la liste de ceux qui les auront obtenus, avec les motifs de leur absence. M. le vicomte de üfoailles. Je demande la liberté indéfinie des passe-ports, mais à condition que huit jours après la première séance tenue à Paris, on fasse un appel nominal, et qu’on imprime la liste des absents pour l’envoyer dans les provinces. On fait une autre motion tendant à ce que ce soient les commettants qui jugent la nécessité des passe-ports. M. Target obverve qu’un député appartenant à la nation entière ne peut être dispensé par ceux qui l’ont nommé de l’engagement qu’il a contracté envers la patrie. M. Démeunier fait un amendement à la motion de M. le vicomte de Noailles ; il demande qu’il soit sursis à la question de l’impression de la liste jusqu’au jour de l’appel nominal. Il le croit propre à maintenir l’esprit de concorde qui doit régner dans l’Assemblée. Beaucoup de membres, dit-il, peuvent revenir dans ce délai. M. Populos parle contre cet amendement; mais l’Assemblée l’adopte. On s’occupe des suppléants. On propose de n’en recevoir, postérieurement à ce jour, que quand ils auront été nommés par les citoyens de tous les ordres sans distinction. Après quelques amendements admis ou rejetés, il a été prononcé le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrètequ’ilneseraplus accordé de passe-ports que pour un temps bref et déterminé, et pour affaires urgentes. Quant aux liasse-ports illimités, pour cas de maladie, ils ne seront accordés à ceux qui les demandent, qu’a-près qu’ils auront été remplacés par leurs suppléants. « Décrète également que les suppléantsneseront nommés à l’avenir que par tous les citoyens réunis ou légalement représentés, de telle sorte néan- 451 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 octobre 1789.] moins que ladite loi n’aura point d’effet rétroactif pour les suppléants déjà nommés. « Décrète enfin quehuitjours après la première séance de l’Assemblée nationale à Paris, il sera fait un appel nominal de tous les membres qui la composent. Sursis jusqu’à ce jour à délibérer sur l’impression de la liste des absents et son envoi dans les provinces.» M. de Donnai, évêque de Clermont, dit que des affaires urgentes et l’état de sa santé lui avaient fait demander un passe-port, qui lui a été accordé ; mais en présence de la fréquence des demandes qui se sont produites, il déclare qu’il renonce à en faire usage et qu’il reste uni à l’Assemblée. Cette déclaration est vivement applaudie. M. le Président. J’ai reçu de M. le garde des sceaux une lettre et deux mémoires qui contiennent des objets importants. Dans l’un de ces mémoires, ce ministre expose les motifs qui l’avaient déterminé à convoquer la noblesse de Guéret, pour le remplacement de M. le marquis de Saint-Maixant, député de cette sénéchaussée, absent pour cause de maladie. M. le garde des sceaux annonce qu’il a suspendu ces mesures, d’après les réclamations qui avaient été faites dans l’Assemblée. M. le Président dit : 11 paraît inutile, puisque vous avez statué sur cet objet par le décret que vous venez de rendre, de vous occuper de cette justification. Un des secrétaires fait lecture de la lettre et de l’autre mémoire-La lettre annonce qu’il vient de faire publier le décret sur Je prêt à intérêt, et qu’il a conféré avec la chambré des vacations pour l’exécution des nouveaux articles sur la justice criminelle. Le mémoire présente des observations sur les articles de la Constitution concernant le pouvoir judiciaire et la proposition des lois. Ces deux articles ont jeté du doute dans l’esprit des ministres sur l’organisation, les attributions et la juridiction des conseils du Loi. M. le garde des sceaux demande que l’Assemblée nationale lève ces doutes, soit en statuant dès à présent, soit en laissant aux conseils l'exercice provisoire de leurs fonctions. Les ministres rendent compte des différentes branches du conseil : ils donnent une définition du comité contentieux du Conseil d’Etat ; l’un est présidé par le garde des sceaux et composé des maîtres de requêtes, l’autre, présidé par le Roi, est composé de ceux auxquels le Roi accorde sa confiance. Les ministres observent que tout est en souffrance, qu’ils ne peuvent rendre la justice, etc. ( Voy . plus loin le mémoire des ministres, annexé à la séance de ce jour.) M. Martineau demande qu’on délibère sur-le-champ. M. Camus. Il ne nous faut pas déguiser que c’est le conseil du Roi qui a introduit le despotisme en France. Ce tribunal, composé presque toujours d’officiers qui ne sont ni magistrats, ni hommes publics, et qui, par circonstance, sont l’ùn et l’autre à la fois, a envahi tous les pouvoirs. Un homme était-il protégé? son adversaire était jugé au conseil et perdait sa cause. Réclamait-il ses juges naturels? c’est une affaire d’administration, cela ne se peut pas. Demandait-il justice? c’est une affaire d’administration. Enfin, Messieurs, le Roi, qui ne peut rien juger, a rendu des arrêts célèbres, arrêts du propre mouvement, arrêts illégaux et injustes, q mil ne pouvait rendre. Je pense qu’il faut ajourner. M. Martineau. Je réponds à M-Çpmus qu’il n’y a qu’à interdire au conseil tout arrêt du propre mouvement, toute évocation, et lui enjoindre de renvoyer je fpnd du procès. M. Garât appuie l’amendement de M. Martineau. M. Duport. Je crois devoir relever une très-grande inexactitude, et qpi n’est qu’un reste de l’habitude où le conseil était depuis sj longtemps de ne jamais dire la vérité. Le mémoire porte que les maîtres des requêtes ont voix délibérative; le fait est qu’ils n’ont tout au plus que voix consultative. D'autres membres demandent le renvoi du mémoire au comité de jqdicaturp. M. DU» insiste fortement §pr ce que l’on rende au conseil toute sa force pour ne pas augmenter, dans ce moment, le pouvoir des parlements. M. le Président lit les motions déposées sur le bureau. La première est pour l’ajournement jusqu’à mardi, et que le mémoire des ministres soit rgq-voyé à un comité de quatre personnes. La seconde, deM. Dqport, dont l'esprit est que jusqu’à ce que l'organisation du pouvoir judiciaire soit déterminée, ainsi que celle des municipalités, le conseil du Roi sera autorisé à continuer ses fonctions comme par le passé à l’exception des arrêts du propre mouvement, et ces arrêts portant évocation du fpnd du procès, lesquels n’auront plus lieu à compter du jour du présent décret, et qu’il sera nommé pn comité de quatre personnes pour examiner le mémoire. M. Démeunier. Perniettez-moi deux observations : 1° Les députés n’auront vraisemblablement pas le temps de se retirer dans les bureaux pour nommer les quatre membres; il est naturel qu’ils s’occupent de leur départ; il convient donc de renvoyer le mémoire au comité des sept. 2° M. le garde des sceaux , dans sa leftre, s’explique sur la convocation de la noblesse de Guéret ; M. le président peut lqi répondre en lui envoyant le décret pris au commencement de la séance sur les suppléants. Après quelques autres observations, le dpcret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète que jusqu’à ce qu’elle ait déterminé l'organisation du pouvoir judiciaire et pelle des administrations provinciales, le conseil du Roi est autorisé à continuer ses fonctions comme par le passé, à l’exceptipu des arrêts du propre mouvement, et de ceux portant évocation des affaires au fond, lesquels qe pourront plus avoir lieu à compter de ce jour ; décrète en outre qu’il sera pris dans le cotpjfé de réformation des lois, quatre commissaires pour examiner le surplus du mémoire du garde dés sceaux, et en faire leur rapport à i’Assemblée. « Arrête en outre que M. Je Prpsjdept sera Chargé d’envoyer dans le jour à M. je garde des