BAILLIAGE DE ROUEN. CAHIER Des doléances du clergé du bailliage de Rouen , assemblé avec le clergé des autres bailliages secondaires (1). Réunis par les ordres d:un souverain jaloux de l’amour de son peuple, et si digne de l’obtenir, nous sommes appelés pour traiter des plus grands intérêts de la nation. L’Etat constitutionnel de la monarchie méconnu ou ébranlé ; le code criminel souillé de sang, attaché à des formes cruelles où tout effraie l’innocence, où rien ne conduit à la sauver; la législation civile, souvent obscure, contradictoire, embarrassée,. désespérante par ses longueurs et ruineuse par les frais qu’elle emporte ; des plaies qui affligent l’Eglise ; des abus qui la déshonorent; des ennemis qui l’outragent, également afmés contre elle de toutes les ruses du sophisme et de toutes les impostures de la calomnie; les dettes de l’Etat accumulées sans bornes sous une administration vicieuse et multipliées par des profusions indiscrètes ; des impôts onéreux, variés à l’infini, attachés à tous les besoins, arbitrairement répartis, exigés impérieusement sur une simple ordonnance ministérielle ou sur le mandat d’un simple délégué, qui dévorent toutes les ressources de l’agriculture et pèsent cruellement sur celte partie indigente de la nation à qui la Providence n’a donné que des bras pour subsister; des manœuvres sourdes et vexa-toires dans cette partie des finances qui a pour objet les domaines, les contrôles et autres fiscalités accablantes, où les droits s’accumulent graduellement sur des arrêts interprétatifs du conseil que le conseil n’a jamais prononcé, et que l’avarice d’un secrétaire ou d’un commis de bureau vend à l’avidité du fermier. Tel est, le tableau faiblement esquissé d’une partie « dé ces abus en tout genre que le Roi de-« mande qui soient réformés et prévenus par de « bons et solides moyens qui assurent la félicité « publique. C’est pour opérer cette réforme et « pour établir un ordre constant et invariable « dans toutes les parties du gouvernement, qu’il « s’est déterminé à convoquer dans une assemblée « nationale toutes les provinces du royaume, tant « pour le conseiller et l’assister que pour lui faire « connaître les souhaits et les doléances de ses « peuples. » Admirable vœu d’un souverain ! Pour répondre à ces vues, le clergé du bailliage de Rouen recommande à ses députés de remplir, avec toute l’énergie inséparable de la justice et de la vérité, la tâche la plus noble et la plus glorieuse, celle de présenter à un monarque religieux et sensible les besoins de son peuple et les moyens d’v remédier. . En conséquence, le clergé du bailliage de Rouen donne à ses députés le pouvoir de le représenter aux Etats généraux, en leur prescrivant très-ex-(1) Nous empruntons ce cahier à l’ouvrage intitulé : Le Gouvernement de Normandie, par M. Hippeau. pressément de n’exercer ce pouvoir inviolable que sous les clauses et dans l’esprit des articles énoncés ci-dessous : Art. 1er. Les députés demanderont que la religion catholique, apostolique et romaine continue d’être la seule du royaume, et que le culte public ne puisse être accordé aux non catholiques. � Art. 2. Le clergé du bailliage de Rouen ne s’élève pas contre l’Etat légal et civil accordé aux non catholiques par le dernier édit ; mais les députés insisteront avec force sur la prohibition des mariages mixtes, dont les dernières remontrances du clergé de France ont exposé les abus de la manière la plus lumineuse. Art. 3. C’était une loi toujours observée dans le royaume que les protestants fissent baptiser leurs enfants dans les églises paroissiales. Les députés insisteront sur le rétablissement de cette loi. Art. 4. Pour prévenir les suites infiniment dangereuses de la liberté de la presse, les députés, dans le cas où cette liberté serait accordée contre le vœu du clergé, demanderont que tout imprimeur soit obligé de mettre son nom au bas des ouvrages qui sortiront de sa presse, et qu’il soit responsable des faits faux, diffamants ou scandaleux qui pourraient y être insérés; et que l’on condamne à des peines sévères tous les auteurs, libraires ou colporteurs qui seraient convaincus d’avoir composé ou distribué des ouvrages contre la religion ou les mœurs. Art. 5. Les députés demanderont que les officiers de police soient contraints de faire exécuter les ordonnances relatives à l’observation des dimanches et fêtes, et celles qui ont été rendues contre les cabarets et les jeux de hasard, et que les violateurs de ces lois soient poursuivis et punis sur les dénonciations qui pourront en être faites. Art. 6. Les députés observeront que les abus qu’on fait des inonitoires, hasardés légèrement pour des causes de la plus faible importance, souvent même ridicules, les exposent au mépris et en détruisent l’effet; en conséquence, ils demanderont qu’ils ne soient accordés que pour des crimes capitaux ou d’Etat. Art. 7. L’Eglise avait sagement établi, pour le maintien de l’ordre et de la discipline ecclésiastique, le retour périodique des conciles provinciaux et des assemblées synodales dans les diocèses. Les députés en demanderont le rétablissement. Art. 8. Ils réclameront encore l’observation des lois anciennes et respectables qui font aux bénéficiers un devoir de la résidence, et de celles que l’Eglise a prononcées contre les abus de la pluralité des bénéfices. Art. 9. Les curés, prêtres et citoyens, également redevables à la religion et à l’Etat, responsables de leur conduite aux lois de l’Eglise et à la police du royaume, sont exposés souvent à être traduits et condamnés aux tribunaux des magistrats pour avoir été fidèles aux statuts synodaux de leur diocèse. Les députés solliciteront les moyens d’as- [Bailliage de Rouen.] [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 591 surer la tranquillité des ministres de la religion, en leur prescrivant une conduite qui les mette à l’abri de tous les dangers qui les environnent. Art. 10. Les députés demanderont que les préventions en cour de Rome, qui jettent dans le ministère tant de sujets incapables, ne puissent avoir lieu qu’un mois après la mort des titulaires. Art. 11. Les députés représenteront que les déports, qui sont d’usage surtout en Normandie, laissent les paroisses longtemps privées de leurs pasteurs légitimes et multiplient les abus ; ils solliciteront une loi qui les abolisse, et un dédommagement pour les évêques et autres personnes qui en prendraient la jouissance. Art. 12. Les députés demanderont un règlement qui fixe d’une manière uniforme et invariable les droits honorifiques qui sont dus aux seigneurs des paroisses dans les églises. Art. 13. Les députés demanderont que les municipalités soient conservées, et qu’en l’absence des seigneurs la présidence en soit donnée aux curés. Art. 14. Les députés exposeront qüe l’insuffisance des pensions accordées aux curés à portion congrue, et la modicité des revenus de plusieurs autres, font à la nation un devoir de justice de pourvoir à leurs besoins par une augmentation de revenus ou de pensions proportionnée aux charges des Bénéfices, à l’étendue des paroisses et au prix des denrées. Iis réclameront la même justice en faveur des curés des villes, dont la plupart n’ont qu’ün revenu très-modique. Art. 15. Les députés demanderont également l’augmentation de la pension des vicaires, à laquelle les gros décimateurs seront tenus de contribuer proportionnellement. Art. 16. Les députés exposeront l’état des vicaires et des autres prêtres chargés, dans les villes, des travaux d’un ministère pénible, surtout clans les grandes paroisses où le repos de la nuit est si souvent interrompu* et où tous lès instants les rendent nécessaires à tous les besoins; ils solliciteront en faveur de cès prêtres utiles Un sort honnête, les moyens de vivre conformément à la décence de leur état, et l’assurance d’une retraite pour tous les-ecclésiastiques des villes et des campagnes, qui seront infirmes ou qui auront veilli dans l’exercice noble et respectable de la religion et de l’humanité. Art. 17. Les curés, ces ministres si précieux à la religion, souvent épuisés de travaux et de fatigues avant l’âge où la nature appelle ordinairement la caducité, ont un droit bien légitime à la reconnaissance publique. Les députés proposeront que l’on fixe dans toutes les églises cathédrales et collégiales un nombre déterminé de prébendes pour servir de récompense aux curés, vicaires et autres prêtres qui auront supporté les travaux du ministère pendant un temps considérable. Art. 18. Les entraves qui enchaînent la liberté du citoyen, pour le livrer aux vexations et à la tyrannie du fisc, doivent être proscrites d’un Etat libre : il est donc bien important que les députés réclament en faveur du clergé : 1° l’affranchissement du droit onéreux d’amortissement pour toutes les mutations de propriété entré gens de mainmorte et pour les constructions et reconstructions ; 2° la liberté de passer les baux sous signature privée, comme tous les autres sujets de l’Etat; 3° une autorisation pour les fabriques de replacer sur tous les corps et particuliers sans distinction, les capitaux des rentes qui leur seront remboursées ; 4° l’affranchissement pour les maisons religieuses de tous les droits de contrôle et d’insinuation sur les dots des filles qui entrent en religion. Art. 19. Les députés demanderont avec instance que, pour assurer le repos des pasteurs et rétablir la confiance qui doit exister entre eux et leur troupeau, la déclaration sur les dîmes, du 29 mai 1786, soit mise en vigueur. Art. 20. Les députés demanderont un règlement qui fixe une indemnité aux curés pour les terres converties en herbages, bois, parcs et jardins ; que cette indemnité soit jugée par arbitres et sans frais, et que l’estimation puisse être renouvelée tous les neuf ans. Ils appuieront cette demande sur la justice, qui prescrit de compenser par des dédommagements les pertes que ces mutations font éprouver. Art. 21. Les députés réclameront contre la déclaration de 1768, qui prive les curés du droit de dîmer les novales. Art. 22. Les vues sages qui ont déterminé l’Eglise et l’Etat à rendre fixes tant de curés qui n’étaient autrefois que des chapelains révocables à la volonté des curés primitifs, militent également en faveur des curés dépendants de l’ordre de Malte. Les députés demanderont pour eux l’inamovibilité, et pour eux encore, comme pbur leurs vicaires, l’augmentation des portions congrues. Art. 23. Pour assurer la tranquillité de ceux qui prennent à ferme les bénéfices et favoriser l’amélioration de l’agriculture, souvent négligée par l’incertitude du terme de lajouissance, les députés demanderont une loi qui écarte l’inconvénient qui résulte de la résiliation des baux par la mort ou la démission des bénéficiers, mais qui prévienne en même temps les abus que cette nouvelle disposition pourrait faire naître. Art. 24. Les abus qui se sont introduits dans les économats exigent que cet établissement soit supprimé, et qu’il soit remplacé dans ce qu’il peut avoir d’utile par une administration plus convenable. Art. 25. Le clergé du bailliage de Rouen, aussi pénétré des sentiments patriotiques qu’aucun des ordres de l’Etat, consent que la généralité de ses biens soit assujettie à payer à l’Etat une somme égale â celle que payeront les biens des autres ordres qui sont d’une égale valeur. Mais, jaloux de conserver la forme antique et respectable de cette administration sage et paternelle qui appuie les bases de la cotisation sur les principes de la justice distributive, et qui règle sa répartition toujours proportionnellement aux charges, aux travaux, aux besoins de ses différents membres, il ne veut et n’entend s’écarter en aucune manière de cette forme d’administration. Pour concilier cette juste prétention avec son vœu de subvenir aux besoins de l’Etat, comme tous les autres ordres, il enjoint expressément à ses députés de demander : 1° Que tous les biens du clergé soient évalués, par les trois ordres réunis, de la môme manière et avec les mêmes formalités et précautions que seront estimés les biens de tous les autres sujets du royaume. Cette opération justifiera la volonté sincère du clergé de porter, dans une proportion parfaitement égale avec les autres citoyens, le fardeau de l’Etat, et deviendra le gage et la preuve de son patriotisme ; 2° Qu’après que cette évaluation aura été déterminée d’une manière précise, la somme dont le clergé doit contribuer pour sa part proportionnelle aux besoins du royaume-, l’assiette et l’imposition 592 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Rouen. de cette somme sur les différents membres qui composent le clergé, seront laissées au clergé lui-même pour la répartir et la régir dans l’esprit de la forme ancienne. Art. 26. Les dettes du clergé ayant été contractées pour les besoins de l’Etat, doivent être confondues dans la dette nationale; ce n’est qu’à celte condition que le clergé du bailliage de Rouen consent à l’égalité proportionnelle de l’impôt. Art. 27. Les députés s’opposeront a toute aliénation des biens ecclésiastiques qui pourrait être proposée comme un moyen de payer les dettes du clergé. Art. 28. Le clergé du bailliage de Rouen déclare vouloir conserver tous les droits personnels et honorifiques dont il a joui jusqu’à présent, et il enjoint à ses députés de protester contre tout ce qui pourrait donner atteinte à la dignité de son ordre, le diviser ou le restreindre. Art. 29. Les Etats généraux ne pouvant puiser une connaissance plus sûre des affaires du clergé, que dans les lumières de ses agents généraux, les députés demanderont que lesdits agents aient séance aux Etats comme nécessaires à la discussion de ses intérêts. Art. 30. Les députés déclareront que le clergé entend conserver ses assemblées, comme la seule barrière qui puisse arrêter la licence des écrits et des mœurs ; comme seules capables de s’opposer au progrès d’une funeste philosophie qui multiplie chaque jour ses attaques contre la religion et l’Eglise et comme nécessaires au maintien de son administration. . Art. 31. Les évêques assisteront aux assemblées du clergé selon leur droit ; mais les députés demanderont que les représentants du second ordre soient élus, pour y assister, dans la forme adoptée pour les Etats généraux. Art. 32. Les dépenses considérables des assemblées du clergé étant la seule raison que l'on puisse opposer à leur conservation, les députés concerteront, avec les autres députés de leur ordre, les moyens les plus sages d’établir une administration qui réunisse aux avantages de l’économie ceux de concourir au bien général de la religion et du royaume. Art. 33. Les députés demanderont que les impositions du clergé soient versées directement dans la caisse des Etats provinciaux par les chambres syndicales ; ce moyen évitera la nécessité d’avoir un receveur général, dont les appointements sont une dépense inutile et onéreuse. Art. 34. Les députés demanderont que les chambres syndicales soient composées de membres librement élus par les divers corps du clergé dans un nombre convenable et pour un temps déterminé. Art. 35. Les députés solliciteront la suppression de tous les impôts désastreux, tels que la gabelle, les aides et les droits de contrôle, ou au moins leur modification jusqu’à ce que l’on ait trouvé les moyens de les remplacer par d’autres, dont le fardeau soit moins pesant pour le peuple. Art. 36. Les députés proposeront de réunir, sous une seule dénomination, tous les impôts qui se perçoivent sur les terres et d’y soumettre, sans exception, tous les parcs, bois, enclos et jardins d’utilité et d’agrément. Ils calculeront pareillement les moyens les plus propres à établir un impôt aussi proportionné qu’il sera possible sur les fortunes mobilières et les biens des capitalistes. Art. 37. Comme un des principaux objets des impôts doit être la libération de la dette nationale, les députés discuteront avec la plus grande attention la nature de cette dette, les causes, les abus qui l’ont fait naître et entretenue ; ils constateront le déficit immense dont on parle depuis si longtemps ; ils calculeront les moyens de le couvrir et. d’assurer la solidité de la dette. Art. 38. Les députés feront tous leurs efforts pour rétablir l’ordre et l’économie dans les finances ; supprimer toutes les dépenses inutiles, les charges, les commissions, les emplois superflus; restreindre les pensions et les gratifications; annuler les échanges ruineux pour le domaine de la couronne; réduire les intérêts au taux prescrit par les ordonnances; anéantir l’agiotage effréné, si commun aujourd’hui dans la capitale, et qui engloutit une si grande partie des fonds qui feraient la prospérité du commerce et de l’agriculture dans les provinces ; établir un régime d’administration tel qu’il prévienne à jamais le retour des déprédations; entin, les députés , feront toutes les recherches et tous les changements nécessaires pour éviter Rétablissement de nouveaux impôts que des peuples déjà trop épuisés sont dans l’impossibilité de supporter. Art. 39. Les députés porteront leur attention sur les emprunts multipliés où le ministère français a mis jusqu’à ce jour une confiance imprudente. Ces emprunts, au lieu d’avoir été pour l’Etat un remède qui fermât ses plaies, n’ont été qu’un palliatif infidèle à l’ombre duquel le mal a fait des progrès qui l’on rendu presque incurable. Pour empêcher à l’avenir les ministres du Roi-d’em-ployer arbitrairement et sans mesure ces moyens ruineux et fixer invariablement la confiance publique, les députés feront déclarer que tous les emprunts jugés nécessaires ne pourront être faits que du consentement de la nation. Art. 40. Les députés sont spécialement chargés de redemander ta confirmation et la jouissance de la charte du duché de Normandie, appelée charte aux Normands, donnée par Louis X en 1315, renouvelée par Philippe de Valois en 1339, confirmée par Charles VI en 1380, par Charles VII en 1458, par Louis XI en 1461, par Charles VIII en 1485, et enfin par Henri III en 1579, sur la demande des trois Etats de la province. Art. 41. L’obscurité de la législation civile, ses contradictions, l’embarras et la lenteur de ses formes, la dureté du code criminel, demandent nécessairement une réforme. Les députés la solliciteront; ils insisteront également sur les abus de la vénalité des charges. Art. 42. Les députés demanderont qu’il soit établi dans chaque paroisse des juges de paix, devant lesquels seront portées, sans frais, toutes les contestations de légère importance, sauf le recours aux tribunaux ordinaires. Art. 43. La conservation et l’amélioration des forêts ont dû fixer, depuis quelques années surtout, la plus grande attention du gouvernement ; les abus multipliés dans leur administration, les pertes qui en résultent, les suites qu’on en doit craindre, seront exposés par les députés; ils demanderont que le soin en soit spécialement confié aux Etats provinciaux, et que les biens des gens de mainmorte soient régis de la même manière que ceux des autres citoyens, en prévenant, cependant, par de sages précautions, les nouveaux abus auxquels cette faveur pourrait donner lieu. Art. 44. Les évocations dans les difficultés qui s’élèvent entre les curés et certains corps réguliers et autres privilégiés, les arrêts de surséance, qui ne tendent qu’à soustraire le débiteur infidèle aux justes recherches de ses créanciers, les droits 593 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Rouen. de committimus , sont des sources de vexations et d’abus. Les députés en demanderont la suppression. Art. 45. Le traité de commerce avec l’Angleterre a excité la réclamation de plusieurs chambres de commerce et de tous ceux qui sont à la tête des manufactures. Les députés proposeront d’examiner, avec l’attention la plus réfléchie, les avantages et les inconvénients de ce traité. Art. 46. Les députés représenteront que la filature de coton est l’occupation des femmes et des enfants du peuple dans la plus grande partie de la Normandie, et ils prieront les Etats généraux de peser dans leur sagesse s’il est réellement avantageux d’adopter ou de rejeter les.maehineft anglaises. Art. 47. La position désespérante dans laquelle le peuple se trouve jeté par le prix excessif et la disette des grains, impose l’absolue nécessité de prendre les moyens les plus sages et les plus prompts d’y remédier. Les députés demanderont que l’exportation des grains ne soit permise qu’a-près que les Etats provinciaux se seront assurés qu’il existe une très-grande abondance. Art. 48. Tous les objets d’utilité publique sont précieux à la religion. Les députés du clergé du bailliage de Rouen représenteront que les intendants des provinces ont, depuis plusieurs années, distribué gratuitement, dans les paroisses des campagnes, des remèdes pour le soulagement des pauvres, afin de perpétuer ces secours si nécessaires à la portion indigente de la nation. Les députés demanderont qu’il soit établi dans chaque arrondissement un dépôt de remèdes destinés au meme usage, et qu’il soit nommé un médecin chargé d’en faire la visite. Art. 49. L’état militaire est la gloire et la défense du royaume ; la patrie doit se faire un devoir d’en améliorer le sort. Art. 50. L’agriculture est une des sources les plus précieuses des richesses de l’Etat ; tout doit tendre à la favoriser; tout. doit écarter les fléaux destructeurs qui en arrêtent les progrès ou en diminuent les fruits. Les députés solliciteront l’exécution exacte et sévère des sages règlements qui ont été faits concernant les droits de chasse et les colombiers. Art. 51. L’instruction publique doit fixer spécialement les regards de la nation ; les universités, les collèges et les séminaires, où se forment et se perfectionnent les talents qui doivent un jour honorer et servir l’Etat et la religion, méritent d’exciter le plus vif intérêt. Les députés solliciteront les Etats d’en ordonner l’établissement dans les lieux où ils paraîtront nécessaires ; d’en consolider l’existence dans ceux où ils. sont établis; d’en améliorer le régime; d’en corriger les abus ; d’en perfectionner l’enseignement et de s’occuper aussi sérieusement des mœurs et de la capacité des maîtres, que du progrès des élèves. Art. 52. La première instruction se prend dans les écoles; en les multipliant, on en fait recueillir lé fruit à un plus grand nombre d’individus. Les députés demanderont qu’il en soit établi dans toutes les paroisses où elles seront jugées nécessaires, avec l’approbation et sous l’inspection des curés. Art. 53. La mendicité qui remplit les villes de vagabonds, et les campagnes de voleurs et d’incendiaires, mérite les regards de la nation assemblée ; on a proposé, différents moyens pour arrêter ce fléau destructeur. Les députés recommanderont avec force d’en choisir et d’en adopter quelqu’un qui puisse cond aire au succès désiré; mais ils se •l‘e Série, T. V. souviendront que les mendiants sont des hommes, et que si la justice prescrit d’en réprimer les désordres, l’humanité fait un devoir de fournir à leurs besoins. Art. 54. La charité réclame toujours en faveur des malheureux dans le cœur des ministres de la religion : elle ne voit que le malheur. Les prisons ont souvent fixé ses regards, lieux affreux où régnent la misère et l’infection, où l’on éprouve souvent l’abandon le plus cruel. Dans ces lieux, avec le scélérat, se trouve confondu l’homme infortuné que des revers y précipitèrent , et quelquefois l’homme innocent que le soupçon y fit renfermer. Les députés, inspirés par les sentiments de la charité chrétienne, demanderont instamment qu’on pourvoie à tous ces abus; qu’on soulage leurs besoins et qu’on adoucisse au moins leurs malheurs par les secours dus à l’humanité. Art. 55. Quant à la manière d’opiner à l’assemblée nationale, comme il est probable qu’à l’ouverture des Etats généraux la forme constitutive d’opiner sera mise en question, les députés demanderont que l’usage ancien et constitutionnel, de voter par ordre et non par tête, soit conservé. Si, pour éluder l’effet de cette manière de voter, on proposait que les ordres s’assemblassent par-bureaux, ce qui aurait le même inconvénient que d’opiner par tête, puisqu’alors ce serait, en effet, par tête qu’on prendrait les suffrages, les députés n’y consentiront que pour y discuter les affaires et les y approfondir sans jamais y délibérer, et avant toute décision ils exigeront que chacun se retire dans la chambre particulière de son ordre, pour y arrêter les délibérations et y conserver chacun son veto, et il n’y aura rien d’arrêté que ce qui aura été consenti par les trois ordres séparément. Tels sont les pouvoirs et instructions que donne à ses députés l’ordre du clergé du bailliage de Rouen. Plein de confiance en leurs lumières et leur sagesse, il est convaincu de la prudence avec laquelle ils feront aux différents objets l’application des principes qui leur sont tracés ; mais pour appuyer leur opération sur une base solide et les précautionner contre cet artifice insidieux dont ne s’enveloppe que trop souvent le courtisan perfide pour surprendre la droiture et trahir la bonne foi, le clergé croit devoir prescrire à ses députés de ne consentir absolument à aucun impôt, subside ou emprunt, avant qu’ils aient obtenu dans les Etats généraux le rétablissement des Etats particuliers delà province de Normandie, sous la forme et l’organisation qui sera trouvée la plus analogue aü bien public et la plus propre à maintenir la paix et l’harmonie si désirée entre les trois ordres de la province. Avant que l’on ait fixé d’une manière inviolable une époque pour la seconde tenue des Etats généraux, avec une protestation formelle-et absolue de la part des députés, que tous impôts et subsides qu’ils auraient consentis cesseront de plein droit, si lesdits Etats généraux n’étaient pas rassemblés au temps indiqué pour les renouveler, ou qu’on voulût les suppléer à cet effet par des commissions intermédiaires. Fidèles à ces instructions, et par là dignes de nos suffrages, les députés du bailliage de Rouen s’élèveront au niveau de leurs augustes fonctions ; ministres de la religion et enfants de la patrie, ils défendront les intérêts de l’une et relèveront la gloire de l’autre. Attentifs aux regards de l’univers fixés sur leurs délibérations, ils se feront un devoir d’en mériter l’estime. L’image même de la postérité , juge toujours impartial des actions 38 \ 394 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Rouen.] des hommes, élèvera leur âme, soutiendra leur courage, secondera leurs efforts. Eclairés dans leurs opinions, ils pèseront dans la balance de la sagesse et de la justice la masse des résultats utiles ou funestes de leur siècle qui fuit, comme à celui qui s’avance, et en travaillant ainsi pour le bien de leurs concitoyens, pour le bien de tous les ordres, de toutes les classes, ils acquerront la considération personnelle et l’associeront au bonheur de la nation. Délibéré et arrêté à l’assemblée du clergé du bailliage de Rouen, le 25 avril 1789, et ont signé: f D., cardinal de La Rochefoucauld, archevêque de Rouen; l’abbé de Tressan, vicaire général de Rouen ; l’abbé Poissonnier des Perrières, conseiller au parlement de Normandie ; Le Cauchois, sous-principal émérite du collège de Rouen ; Jobard, curé de Touffre ville; ....... curé de i,Conte-ville; Painchon, curé de Bourgtberoulde ; Me-chevrel, curé du Pré-d’Âuge; Husset, curé de Gocquainviliiers; Morin, curé de Pont-l’Evêque; Lemonnier, curé de Pennedepie; Rebut, curé d’Ablon; Vesque, curé de Saint-François d’Herbi-gny; Coquillot, curé de Mesnil-Jourdain-Levisse; de'Montigny, curé de Quatre-Mares; Fr.-Àl. Da-voust, prieur de l’abbaye de Saint-Ouen ; E. De-renable, prieur de Bonne-Nouvelle ; F. Verdun, prieur de Mortemer; F. Laurent Imbault, procureur des Chartreux ; P. Cousin, vicaire de Sain t-Maclou; Caron, prêtre-vicaire de Saint-Vivien ; Morel, curé de Critot, secrétaire; Le Dannois, curé de Rumesnil, secrétaire. CAHIER Des pouvoirs et instructions à remettre aux députés de tordre de la noblesse du bailliage de Rouen (1). Les Etats généraux semblaient ensevelis dans la nuit des temps et ne devoir plus figurer à l’avenir dans les annales de la monarchie que comme ces antiques monuments dont on révère toujours les ruines, lorsqu’une révolution préparée de loin par des causes encore ignorées, a ramené parmi nous ces assemblées constitutionnelles qui vont bientôt régénérer la nation française; nation vive, mais pleine de douceur et d’énergie, qui ne respire que la gloire, la vertu, la magnanimité ; nation dont l’amour pour les rois a fait dans tous les temps un peuple de héros. Son monarque va paraître au milieu d’elle, moins avec l’éclat qui l’environne, que sous les traits de la bonté paternelle qui le fait régner sur les cœurs. Qu’il jouisse, ce prince bienfaisant, de son nouveau triomphe et d’une gloire qui lui est propre. Et nous, sujets fidèles, prouvons-lui que notre vœu est celui de son bonheur, notre ambition le salut de 1 ntat. Ces sentiments, que nous partageons avec tous les ordres du royaume, vont lui être portés avec confiance par la, noblesse du bailliage de Rouen ; ils seront déposés au pied du trône, en présence de la nation assemblée, dans le cahier des demandes qu’il a voulu que les Français vinssent lui exposer librement. L’assemblée charge ses députés de faire, avant tout, reconnaître dans la forme la plus authentique les articles suivants, savoir : (1) Nous empruntons ce cahier à l’ouvrage intitulé: Le Gouvernement de Normandie , par M. Hippeau. CONSTITUTION FRANÇAISE. Art. 1er. Que la monarchie française est essentiellement composée du souverain en la personne duquel réside, sans partage, le pouvoir exécutif ; et de la nation, dont le consentement libre exprimé aux Etats généraux et réuni à la volonté du prince, forme le pouvoir législatif. Art. 2. Que la couronne est héréditaire de mâle en mâle, et suivant l’ordre d’aînesse, entre les princes de la maison régnante. Art. 3. Que la nation est divisée en trois ordres mutuellement libres, tellement distincts et indépendants, que l’un ne peut être assujetti par les délibérations des deux autres : qu’ainsi les délibérations ne peuvent être prises que par ordre et non autrement. Art. 4. Que par la déclaration îa plus précise et promulguée pendant la tenue des Etats généraux, la nation soit assurée de leur retour périodique et à époques fixes, et qu’il ne puisse en aucun cas être établi de commission intermédiaire. Art. 5. Qu’aucun impôt ne pourra être prorogé ni perçu, à peine de concussion, plus de six mois au delà du terme fixé par les Etats généraux eux-mêmes pour leur retour périodique, et qu’il ne pourra être fait aucun emprunt sans leur consentement. Art. 6. Qu’en cas de minorité ou d’empêchement quelconque de l’exercice du pouvoir exécutif, les Etats généraux seuls ont le droit d’y pourvoir. Art. 7. Que la liberté individuelle, la première de toutes les propriétés, soit inviolablement assurée. Art. 8. Que les droits réciproques du monarque et de la nation soient consignés dans une charte qui sera constitutionnelle et nationale, déposée dans les archives de tous les Etats provinciaux du royaume, enregistrée dans toutes les cours souveraines et publiée universellement. CONSTITUTION NORMANDE. Art. 9. Que, pour maintenir la constitution nationale du duché de Normandie, on ratifie de nouveau tous ses droits, privilèges, capitulations, traités et chartes, notamment celle donnée par Louis X en 1315, appelée Charte normande, et les confirmations d’icelle faites de règne en règne par ses successeurs, dont copie sera annexée au présent cahier. Art. 10. Que toute loi particulière au duché, et qui intéresserait directement ou indirectement sa constitution, ne puisse être promulguée qu’après l’examen fait par les Etats et de leur consentement libre. Art. 11. L’assemblée enjoint expressément à ses députés de faire avant tout statuer sur tous les articles ci-dessus, tant sur ceux qui concernent la constitution française que la constitution normande, leur déclarant que si, au préjudice de ce mandat spécial, ils statuaient sur d’autres objets et votaient pour les impôts, ils sont dès à présent désavoués ; leur prescrivant, en outre, de déclarer qu’à l’égard de l’opinion par ordre, leurs pouvoirs sont tellement limités qu’ils ne peuvent •coopérer à aucunes délibérations prises par tête, et que, dans le cas où il serait proposé de délibérer dans cette forme, il est de leur mandat de protester avant de laisser entamer une pareille délibération. Néanmoins, ils resteront aux États généraux pour prendre part à toutes les délibérations qui, I