SÉANCE DU 12 VENDÉMIAIRE AN III (3 OCTOBRE 1794) - N° 44 249 Lorsqu’elles ne verront plus de divisions au milieu de nous, elles sentiront qu’il est inutile de prodiguer l’or et les poignards, puisqu’elles ne parviendront jamais à leur but. Alors elles n’auront plus de prétexte plausible pour continuer la guerre ; alors on ne fera plus croire aux peuples que la France ne veut poser les armes, qu’après avoir anéanti tous les gouvernements (74). [Ne vous le dissimulez pas, citoyens, l’opinion de l’Europe est indécise encore au milieu des grands événemens qui se succèdent; mais que la république française s’affermisse enfin, que le règne des lois, de la justice et de l’humanité succède aux convulsions inséparables d’une grande révolution ; tous les peuples, frappés d’étonnement, et bientôt jaloux de notre bonheur, se diront : A quoi bon attaquer un grand peuple, qui a le droit imprescriptible de se choisir un gouvernement? à quoi bon prodiguer notre or pour servir les intérêts de nos tyrans contre nos frères, et river nos fers? c’est au moins une absurdité. (On applaudit )] (75) Notre constitution est précise à cet égard : « Nous ne nous mêlerons pas des affaires des autres pays ; mais lorsqu’un tyran nous attaque, c’est un combat à mort. » On veut persuader aux Etats dont on exige le contingent que le but de la France est de les renverser et de s’emparer du gouvernement de l’Europe. Ceux qui propagent ces idées en France appartiennent tout entiers à Robespierre ; ce sont ceux-là qui fomentent en même temps des troubles dans l’intérieur. Ces hommes là sont faciles à reconnaître ; ce sont ceux qui ne veulent pas que l’on parle raison, qui ne veulent point entendre les principes ; ce sont ceux qui veulent persuader que c’est par la tyrannie qu’on assiéra la liberté, ce sont ceux qui veulent qu’au milieu des fers on crie « vive la liberté » (vifs applaudissements). [Citoyens, tous ceux qui répètent la chimère de la république universelle, sont les amis de Robespierre (on applaudit). Tous ceux qui s’opposent au progrès des lumières, tous ceux qui interdisent la réflexion et le raisonnement sont les amis de Robespierre; et quand vous avez mis les vertus et la liberté à l’ordre du jour, quand la Convention a proclamé hautement l’intention où elle est de faire le bonheur du peuple, tous ceux qui, défigurant la liberté, veulent amener son règne par la tyrannie, ou plutôt ramener le despotisme par la terreur, tous ceux qui veulent qu’au milieu des fers on crie vive la liberté! tous ceux-là sont les amis, les complices, les continuateurs de Robespierre (vifs applaudissemens .] (76) Dans une république bien organisée, il faut que les autorités soient respectées; il faut que ceux qui, de leur propre mouvement, ou à l’instigation des aristocrates qui se cachent, veulent les avilir, soient punis. Ils sont les partisans de Robespierre ceux là qui s’élèvent contre la loi, (74) Moniteur, XXII, 136. (75) Débats, n" 743, 194-195. (76) Débats, n" 743, 195. contre la Convention, ceux là qui insultent au peuple en disant qu’ils sont les patriotes par excellence (Applaudissements). Ceux-là sont les partisans de Robespierre, qui ne veulent pas le règne de la justice, qui mettent l’arbitraire à sa place, qui ne veulent que du sang. Il n’y a de patriotes que ceux qui aiment l’ordre et les lois, que ceux qui veulent qu’on respecte la Convention et la majesté du peuple. Je demande que le tribunal révolutionnaire continue l’information contre les nombreux partisans et complices de Robespierre, et que le comité de Sûreté générale lui fasse passer toutes les pièces relatives à cette conspiration (77). On demande que la proposition de Thuriot soit mise aux voix (78). Sur la proposition d’un membre, La Convention nationale décrète que le tribunal révolutionnaire continuera l’instruction sur la conspiration de Robespierre ; et que le comité de Sûreté générale fera parvenir les pièces qu’il a à ce sujet à l’accusateur public près ledit tribunal (79). MERLIN (de Thionville) donne connaissance d’une déclaration faite au comité de Sûreté générale par les citoyens de la section de Guillaume-Tell. Précis de ce qui s’est passé à l’assemblée générale de la section de Guillaume Tell, le 10 vendémiaire, l’an trois de la République française, une et indivisible (80). Parmi les pièces dont le rapporteur civil de la section devait donner connaissance à l’assemblée, se trouvait une lettre du comité de Salut public servant d’envoi au rapport fait par Robert Lindet, avec invitation au président d’en donner lecture. Quelques hommes ont prétendu que nous n’avions pas le temps de nous y amuser : on verra qu’ils comptaient cependant avoir celui de nous occuper d’une lecture bien moins importante pour l’intérêt public. Malgré le voeu bien prononcé des sept huitièmes de la section, la lecture à été refusée, parce que douze ou quinze intrigants au nombre desquels était une partie des membres du comité révolutionnaire ancien, ont fait tant de bruit et de difficultés que, pour la paix, il a fallu se contenter d’entendre la lecture des décrets qui suivent le rapport. Il y a quatre ou cinq décades qu’il s’était élevé quelques soupçons sur la conduite du citoyen Riqueur. On l’accusait de n’avoir pas paru à la section dont il était vice-président dans la nuit du 9 au 10 thermidor. Où était-il à dix (77) Moniteur, XXII, 136. Débats, n 742, 166-168; n 743, 193-196 ; Ann. Patr., n° 641 ; Ann. R. F., n° 13; C. Eg., n° 776; Gazette Fr., n° 1006; F. de la Républ., n' 13; J. Fr., n° 738; J. Mont., n' 157; J. Paris, n° 13; J. Perlet, n° 740; J. Univ., n° 1774; Mess. Soir, n 776 ; M. U., XLIV, 185-186; Rép., n 13. (78) Débats, n° 743, 197. (79) P. V., XLVI, 248. C 320, pl. 1330, p. 25, minute de la main de Lozeau. Décret attribué à Thuriot par C* II 21, p. 5. J. Perlet, n° 741. (80) Moniteur, XXQ, 137. 250 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE heures jusqu’à deux heures dans la nuit? Il prétendit avoir été à son bureau, aux messageries. Un ouvrier, qui n’avait pu se faire entendre, écrivit au président qu’il demandât au citoyen Riqueur qu’il justifiât sa présence au bureau, et des ordres qu’il avait pour y rester. Tout Paris était agité, et à cette heure les bureaux des messageries sont fermés. La lettre du citoyen sans-culotte ne fut pas lue. Hier il s’est plaint de ce qu’elle fut mise de côté. Le tumulte a été horrible. Il semblait qu’en invitant Riqueur à se justifier et à paraître pur aux yeux de ses concitoyens on avait touché l’arche sainte. Un jeune homme a monté à la tribune et a pris la défense du citoyen ouvrier, dont j’ignore le nom, et a tâché de le rassurer contre les moyens qu’on prenait pour l’intimider. Croirait-on que l’intrigant nommé Paris, a quitté sa place pour aller prendre des informations sur le nom et la demeure du membre qui occupait la tribune! Celui-ci s’est plaint amèrement de cette démarche, qui annonce la formation d’une liste de proscription. Les différentes discussions ont entraîné jusqu’à dix heures et demie, contre la loi. Déjà la salle était presque vide, et les quinze intrigants qui n’avaient pas voulu donner le temps à la section de lire le rapport de Robert Lindet s’apprêtaient à faire lire l’adresse des Jacobins. Ils comptaient, suivant leur coutume, avoir forcé tous les honnêtes citoyens à quitter la séance pour se retirer dans leurs maisons, parce qu’il était tard, et être, par cette manoeuvre, restés maîtres de l’assemblée. Mais un citoyen courageux a sommé le président de lever la séance, ce qu’il n’a fait qu’à la seconde interpellation. C’est alors que toute la rage des intrigants a éclaté : ils se sont exaltés en menaces les plus violentes. Ils avaient, disaient-ils, pris des notes sur ceux qui avaient parlé; ils les extermineraient; c’était la Vendée qui était dans la section. Et pourquoi tout ce bruit? Parce que Riqueur est soupçonné d’avoir été le 9 thermidor ailleurs qu’à son poste. Il est essentiel que les citoyens soient rassurés contre de pareilles menaces. Je sortais avec deux citoyens; je leur ai demandé leurs adresses ; l’un, le citoyen Senies ou Senesier, officier de santé, demeure rue Montmartre n°102 ; l’autre a refusé de me donner la sienne, disant qu’il avait des liens qui l’empêchaient de se hasarder, dans la crainte où les égorgeurs auraient le dessus. Cependant j’aurai son adresse, car je l’ai bien examiné; j’espère trouver des gens qui me diront son nom ; il en est de même de celui qui a vomi les injures et les menaces les plus grossières. Il est facile de voir que l’on cherche à remettre la terreur à l’ordre du jour. Il faut que la Convention se hâte de tranquilliser les habitants de Paris, si elle veut être secondée dans le désir qu’elle a de faire le bien (81). [Merlin (de Thionville) nomme les signa-(81) Moniteur, XXII, 137. Débats, n' 742, 197-198. taires de la déclaration. Je les nomme, dit-il, parce que je crois la Convention nationale bien déterminée à faire cesser le règne des intrigans et à faire respecter le peuple dans ses assemblées de section. {Oui, oui ; on applaudit )] (82) 45 Un membre [LAPORTE], appelle l’attention de la Convention sur les dangers qui lui semblent menacer la patrie; il existe, dit-il, dans Paris, comme dans toutes les grandes communes de la République, une caste d’hommes privilégiés qui se prétendent les patriotes exclusifs, et traitent d’aristocrates tous ceux qui n’ont pas obtenu d’eux des certificats de civisme dans leurs orgies; il indique comme coupables de cet attentat, un grand nombre de membres des anciens comités révolutionnaires ; il déclare que le foyer de la cohorte désorganisatrice est à Paris; il demande qu'il soit décrété que tous les fonctionnaires publics de Paris seront tenus d'apporter au comité de Sûreté générale les pièces qui prouvent où ils étoient le 9 thermidor, et ce qu’ils ont fait à cette époque (83). LAPORTE : La Convention ne peut pas se tromper sur les circonstances précédentes; si elle s’endort au bord du précipice, elle compromet le salut de la république. Il existe dans Paris comme dans toutes les grandes villes, une caste d’hommes privilégiés qui se prétendent les patriotes exclusifs, et traitent d’aristocrates tous ceux qui n’ont pas obtenu d’eux des certificats de civisme dans leurs orgies {applaudissements). Quand la répubbque fut en danger et qu’il fallut mettre à l’ordre du jour les mesures révolutionnaires pour anéantir des castes qui méditaient la ruine de la France, on a arrêté ceux qui étaient signalés comme mauvais citoyens; eh bien, je vous dénonce aujourd’hui une caste qui veut ramener la tyrannie par les assassinats : je vous montre les auteurs et les complices de cette clique infernale dans un grand nombre de membres des anciens comités révolutionnaires. C’est là ou l’influence de Robespierre s’est fait sentir d’une manière déshonorante pour la révolution : c’est contre cette armée de Vendéens, de chouans nouveaux, que je solbcite une mesure révolutionnaire, que je regarde comme indispensable si vous voulez sauver la patrie. Le foyer de la cohorte désorganisatrice, dont je vous ai parlé, était à Paris. Je vous propose une mesure salutaire, qui épargnera aux bons citoyens d’être compromis avec les scélérats qui étaient revêtus des même fonctions qu’eux. Il est temps de rétablir la ligne de démarcation entre les bons et les mauvais fonctionnaires pu-(82) Débats, n° 742, 198. (83) P.-V., XLVI, 248-249.