[Assemblée nationale.) qu’exigera cette augmentation de troupe?, avec le train d’artillerie et l’attirail des campements proportionnés, et tous les autres préparatifs nécessaires à un système de pure défense. » (Adopté.) M. de Menou, rapporteur du comité militaire. Messieurs, vuus avez renvoyé au cours de celte séance, pour rédaction, au comité militaire, un projet de décret relatif à la distribution de fusils aux départements. Voici le nouveau texte que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité militaire, décrète : « 1° Que le roi sera prié d’ordonner qu’au nombre de 50,000 fusils, qui, d’après un décret en date du 18 décembre dernier, doivent être distribués aux gardes nationales, soit ajouté celui de 47,903 autres fusils, total 97,903 fusils, qui, pris dans les magasins de l’Etat par le ministre de la guerre, seront par lui remis au ministre chargé par le roi de la surveillance de l’intérieur du royaume, et distribués par lui aux départements d’après les proportions indiquées dans l’état ci-après : « 2° Ces fusils seront marqués des deux lettres A. IN., signifiant Armée nationale; les départements, districts et municipalités veilleront à ce qu’ils ne soient pas dilapidés. En conséquence, les noms des citoyens auxquels ces armes auront été confiées, seront eniegistrés dans chaque municipalité qui en enverra un double au district dont elles relèvent, et celui-ci au département 2 fois l’année; chaque municipalité se fera représenter ces armes, et veillera à ce qu’elles sount conservées dans le meilleur état, sans que ceux qui en seront dépositaires puissent y faire aucune espèce de changements ; « 3° Tout citoyen qui serait convaincu d’avoir vendu ou perdu son fusil, sera déclaré pour 3 années, incapable de porter les armes; « 4° Les dépenses necessaires pour l’encaisse-sement et le transport de ces armes seront supportées par la nation, et payées par le Trésor public. » M. de Broglie. J’observe au troisième paragraphe que celui qui a perdu son fusil ne doit pas être puni comme celui qui l’a vendu. Je demande que la distinction en soit faite. M. de Menou, rapporteur. Je retire les mots : ou perdu. (Le projet de décret, ainsi modifié, est adopté.) M. le Président lève la séance à 4 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 JANVIER 1791. Suite de l'opinion de M. Malouet, sur les me-. sures proposées par MM. de Mirabeau et de La-meih, relativement à la sûreté intérieure et extérieure du royaume. J’ai dit, ce matin, à l’Assemblée qu’une des causes des désordres intérieurs et de l’agitation générale était, de l’aveu de M. de Mirabeau, cette [28 janvier 1791.) influence tumultueuse de la multitude sur leu affaires publiques : il est temps, nous a dit le rapporteur, que le peuple qui, dans toutes les fonctions publiques, a des mandataires de son choix, s’en repose sur eux, et les laisse paisiblement exercer leur minisière. J’ai dit que cette observation juste et sage ne pouvait rester sans application dans les mesures à prendre pour la sûreté intérieure du royaume, et qu’il était bien plus important d’en faire un article du décret, qu’un paragraphe du rapport. M. de Mirabeau m’a répondu qu’il ne savait pas convertir une réflexion en un décret; comme si nos décrets étaient ou devaient être autre chose qu’un résultat de réflexions sages et lumineuses. M. de Mirabeau a ajouté que ce n’était pas le moment, que si les comités recevaient l’ordre de rédiger.,. Je n’ai pas entendu le reste; car le cri de l’ordre du jour a étouffé sa voix comme la mienne. Ah 1 je reviendrai jusqu’à l’importunité à ma constante réclamation; et je veux prouver aujourd’hui que dans le sens de la Révolution pour les intérêts de la Révolution, en politique comme en morale, dans tons les systèmes de liberté possible et sous tous les rapports imaginables, il n’y a rien de plus cruel et rien de plus fou que l’insouciance qu’on inspire à l’Assemblée pour les mesures tendant efficacement au rétablissement de l’ordre. Qj’est-ce qu’une révolution dans un Etat? C’est un changement de principes et de formes dans le gouvernement, soit que ce soit un conquérant qui établisse une nouvelle dynastie, ou le peuple lui-même qui reprenne l’exercice de ses droits. Dans l’un et l’autre cas, la révolution s’opère en mesurant les moyens aux obstacles. Dans les deux cas, les moyens font la force; mais la direction supérieure de cette force, sagement combinée dans tous les périodes de la révolution, peut seule en assurer le succès. S’il s’agit d’éiablir la puissance d’un seul, la terreur d’abord, mais bientôt la justice et l’ordre lui sont aussi nécessaires qu’à ses nouveaux sujets. S’il s’agit d’établir la liberté du peuple sur les ruines du pouvoir absolu, les chefs, les repré-en-tauts de ce peuple ne sauraient trop accélérer sa jouissance , et lui présenter avec tous ses avantages la différence du nouvel ordre de choses à l’ancien. Soyons donc ce que vous avez voulu détruire? C’est l’autorité arbitraire, le pouvoir absolu du prince ou de ses ministres. Fort bien. — Que mettez-vous à la place? l’autorité delà loi. — C’est aussi mon avis. — Mais parcourons le royaume, et voyons ce qui se passe. Taudis que vous tenez votre loi de liberté comme la lumière sous le boisseau, ou que vous la promulguez pour la forme, où est sa puissance ? qui lui obéit? qui est-ce qui eu est protégé? — Pourquoi cetle multitude furieuse qui accuse, qui met en pièces l’innocent ou le coupable? Pourquoi les propriétés et les personnes sont-elles en danger aussitôt qu’il plaît à un assassin de provoquer un attroupement? Pourquoi ces emprisonnements arbitraires, lorsque vous avez proscrit les lettres de cachet? Pourquoi laissez-vous exercer par chaque section du peuple-, tous les pouvoirs publics, lorsque vous avez défini, divisé, distribué tous les pouvoirs? — Vous avez brisé avec colère ce qui n’était que défectueux, et vous laissez subsister avec indulgence ce qu’il y a de plus monstrueux dans l’ordre social. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 543 On me répond depuis un an que dans une révolution il y a des désordres inévitables, jus-qu’àce que la Constitution soit raffermie. — Hélas! Je ne vous demande que d’empêcher lesdésordres faciles à prévenir, ceux qui ne sont bons à rien qui nuisent à tout, qui préparent votre ruine inévitable, si vous n’y prenez garde. N’accusez point l’impuissance des lois , car elles peuvent tout ce que veut la direction de la force publique, et je vous cite en témoignage la facilité avec laquelle se sont exécutées toutes les lois majeures qui forment la Révolution. Le pouvoir des ministres, des courtisans a disparu au premier signe de la volonté générale ; les ordres ont été détruits par une loi, les propriétés du clergé, l’ancienne magistrature, la féodalité, n’existent plus; il n'y a eu ni coalition ni résistance combinée dans aucun lieu du royaume; voilà donc les plus grands événements de la Révolution consommés sans obstacle, et lorsque la loi a été toute puissante pour opérer ües changementsinouïs jusqu’à nos jours ; lorsque les grands propriétaires, les principaux dépositaires de la force publique, de la puissance, de la richesse, ont fléchi devant elle, c’est dans les ateliers, dans les raes et les places publiques que vous êtes inhabiles à rétablir l’ordre et la puissance de la loi ! Mais, dit-on, les obstacles se seraient développés si le peuple ne s’était rendu redoutable... Ah ! c’est là le grand secret des désordres, et ce secret est une combinaison aussi faussequ’elle est cruelle et dangereuse. Sans doute, il était utile que dans ce déplacement de puissance, celle de la nation acquît subitement un caractère imposant ; et l’armement des gardes nationales mieux conçu, mieux ordonné qu’il ne l’a été, pouvait remplir avec prudence ce grand dessein; mais ce n’était point la populace et les écrivains à piques qu’il fallait rendre redoutables ; car du moment que la loi qui a pu détruire ne peut rien conserver, il ne reste de la Constitution qu’une théorie de liberté et une pratique de licence. « Mais les intrigues du clergé, les intrigues des mécontents agitent le peuple, et on ne pourra le calmer que lorsque tout sera soumis à la loi. » Je réponds que le moyen le plus sûr de faire cesser toutes les intrigues, toutes les agitations, et de diminuer le nombre des mécontents, était de garantir inviolablement la sûreté, la liberté individuelle sans lesquelles il n’y a pas de Constitution qui ne soit un outrage à la raison et à la justice. Examinez, je vous prie, ce qu’aurait produit une marche inverse de celle qu’on a suivie. Tous les gouvernements sont bons pour le commun des hommes, lorsqu’ils n’en sont pas tourmentés : car on désire, par-dessus toutes choses, la paix dans sa maison, la sûreté dans ses relations, et le prince le plus despote, ou le plus ardent démagogue, qui auraient assez de talent et de sagesse pour maintenir dans cet état leurs sujets, en seraient adorés ; qu’au contraire, on présente à tous les hommes paisibles une Constitution populaire en perspective, avec la condition de passer, comme nous, par tous les orages de la licence et de l’anarchie, il en est peu qui acceptent le traité. Ainsi dans la Révolution actuelle, le nombre des mécontents est nécessairement accru de tous ceux qui n’ont pas l’énergie des Brutus et des Gracques, qui veulent la paix, qui craignent les mouvements impétueux de la multitude sans frein : n’eût-ce donc pas été une mesure très sage, très politique de la part des démocrates, de constituer la Révolution de manière qu’on eût pu facilement distinguer les ennemis de la liberté de ceux de la licence ? Or, je maintiens que ceux-ci sont les plus nombreux, et que s’ils deviennent une fois les ennemis de la Révolution, la Constitution croulera. Et la grande faute, la plus grande qu’aient pu commettre ceux qui se chargent, dans ce moment-ci, des destinées de la France, c’est de se croire en état d’imiter les Romains, qui appelaient barbares tous les peuples étrangers à l’Italie : ils ont établi leurs dogmes sur la liberté et sans en permettre la division ; quiconque ne croit pas en eux aveuglément est un ennemi du bien public, c’est un barbare, ainsi il faut que je croie aujourd’hui la France régénérée et la liberté établie (1), quoique j’aie été au moment d’être assommé hier, ainsi qu’un de mes collègues (2), à la porte de M. de Clermont-Tonnerre, et que j’aie eu le plaisir de voir ce matin, dans les tribunes de l’Assemblée, un des patriotes qui m’a accablé d’injures et de menaces. Et lorsque M. Bouche nous a assuré que tout était dans le meilleur ordre et la plus parfaite tranquillité, on conçoit que je n’avais rien à répliquer; car dans le fait quelques honnêtes citoyens m’ont sauvé de la fureur de ces messieurs. (1) Voilà la troisième fois que je suis assailli par des gens payés ou de bonne volonté pour se défaire de moi; il y a eu, à diverses reprises, beaucoup d’aulrcs députés de menacés: cependant, si on tue un seul député, il est probable que la Constitution ne lui survivra pas longtemps et que les Français en voudront uno qui mette leurs représentants à l’abri du fer des assassins. Je suis très convaincu que M. Bailly a ignoré l’auecdote relative à M. Tourniol et à moi, lorsqu’il a écrit à l’Assemblée sa lettre d'assurance, et qu’il no nous aurait pas, au besoin, refuse le secours du drapeau rouge. C’est assurément la première fois qu’un savant académicien a écrit ce que M. Bouche avait dit, et M. Bouche avait parlé sur la foi d’un des honnêtes citoyens qui m’avait trait c d'infâme gueux, d'aristocrate qui dénonce le peuple-, car j’avais vu cet homme à la barre de l’Assemblée, et il m’avait suivi chez M. de Clermont-Tonnerre. Quand j’y arrivai, la foule avait suivi ou entraîné M. de Clermont-Tonnerre chez le commissaire, et cette foule était immense ; il n’était plus resté que quelques curieux, qui ne nous disent rien: l'honnête citoyen n’était pas encore arrivé. Nous nous rendîmes daus l’appartement de Mlue de Tonnerre, que je voulais rassurer, et que je trouvais ferme et courageuse, mais très éclairée sur le danger que courait sou mari. Pendant ce temps-là, M. Bailly parut à la porte: on lui dit où était le maître de la maison et son escorte; il se rendit chez le commissaire, après avoir recommandé l’ordre et la paix aux curieux, dont le nombre s’était accru. Ce fut alors que M. Tourniol et moi sortîmes, et fûmes accueillis par l’honnête citoyen, qui d’abord harangua seul; et il s’enjoignit bientôt un second, un troisième et des petits garçons qui criaient: A la lanternel Je ne répliquai rien: nous avions regagné notre fiacre, nous y étions montés, lorsque tout à coup on ouvre des deux côtés les portières: les cris deviennent plus féroces. Uu homme mal vêtu écumant de rage, avançant et reculant, comme pour nous arracher de là, et n’osaut pas encore, nous disait avec des yeux couleur de sang : Sacredieu, vous avez des desseins, vous êtes des f. . . gueux. L’honnête citoyen était derrière cet homme, et disait aux assistants : — C’est lui, c’est lui qui a dénoncé le peuple ; j'étais à l' Assemblée, j’en arrive ; il mériterait d'être mis en pièces. — Ce fut alors seulement que je dis à ces forcenés : Malheureux, si vous me connaissez , vous devez nie respecter-, retirez-vous . Heureusement quatre ou cinq honnêtes gens se précipitèrent au milieu de ces furieux, fermèrent les deux portières du fiacre et firent fouetter les choyaux. (â) M. Tourniol. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 128 janvier 1791.) 544 (Assemblée nationale.) Cependant je dirai à M. Bouche, que si ma vie est en danger, la sienne ne peut être longtemps en sûreté. C'est un fort mauvais calcul qu]ont souvent fait les favoris du peuple, mais qui ne leur a jamais réussi, que celui d'exciter et de laisser un libre cours aux ressentiments de la multitude. — Tout ce qui s’exécute de cette manière à l’appui de leur système peut d’un instant à l’autre, par un changement de direction, le renverser complètement. C'est une vérité si triviale que, quand je la vois repoussée, je serais tenté de refuser à des hommes de beaucoup d’esprit la plus petite portion de sens commun, et je commence à croire que c’est une chose fort rare que cette pure et droite raison à laquelle seule il appartient de concevoir et d’exécuter de grands desseins.... Quel est en effet l’esprit qui nous dirige, le but où nous tendons ? Peut-on nous parler de mesures à prendre pour la sûreté intérieure, ne pas nous dissimuler les causes des désordres et ne pas en provoquer le remède ? Vous attendez, quoi ! les loisirs de vos comités et l’obéissance passive de tout ce qui respire. Cela signifie que pour faire cesser les mécontentements et les désordres, vous attendez qu’il n’y en ait plus, que Marat et compagnie n’ait plus personne à faire égorger, que la multitude plus éclairée, plus circonspecte dans ses jugements, s’arrête d’eile-même dans ses expéditions, alors les clubs nous avertiront qu’on n’a plus besoin de crimes, et la colombe portant le rameau d’olivier, sortira de l’arche de la Révolution! C’est un beau rêve, que dis-je? un rêve épouvantable. Eu attendant, l’inquiétude est universelle, les troubles et les malheurs se multiplient dans toute l’étendue du royaume, personne n’est libre, personne n’est en sûreté, aucun n’est sûr du lendemain : ni ceux qui oppriment ni ceux qui sont opprimés, parce qu’aucune force légale ne contient ceux qui ne peuvent être contenus que par la force : et voici la réflexion désolante qui frappe tous les bons esprits, tous les citoyens honnêtes.... Quoi, disent-ils, on nous parle sans cesse de bien public, de bonheur public, de liberté, de régénération, et il n’y a encore de libre dans tout l’Empire que ceux qui conseillent et ceux qui exercent toute sorte de violences et de brigandages ! — L’ancien régime, c’est-à-dire l’autorité arbitraire, se reproduit avec plus d’excès et de fureur qu’on ne lui en reprocha jamais contre ceux qu’on soupçonne d’être contraires à la Révolution, et le nouveau régime ne se manifeste que par l’impui.ité de tous les brigands qui se disent patriotes; et comment voulez-vous que nous soyons sincèrement attachés à un ordre ae choses qui nous tient dans une anxiété continuelle, qui nous laisse voir un glaive toujours suspendu sur nos têtes ? — Que nous importent vos périodes arrondies, vos phrases harmonieuses sur la vertu civique, sur la liberté reconquise, sur l’admiration ou la jalousie de l’Europe? C’est dans nos vilies, c’est dans nos champs, et non dans vos harangues, que nous vous demandons la paix et le bonheur. — Nous ne résistons point à vos lois, mais qu’elles nous tiennent ce qu’elles nous promettent; que celles qui protègent s’exécutent aussi bien que celles qui détruisent. — Vo ;8 nous annoncez la régénération, mais ce n’est pas sans doute par un baptême de sang? Vous nous annoncez la liberté, mais nous la demandons, ou au moins la sûreté, et dispensez-nous d’admirer jusqu’à ce que nous soyons heureux ? li me semble que si j’étais puissant en œuvres et en paroles parmi les démocrates, je ne verrais d’autre moyen de maintenir mon crédit que d’accueillir ces réclamations ; et pour assurer le succès de la Révolution, je me serais dès longtemps dépêché de retrancher du nombre de ses ennemis tous ceux qui ne veulent que le retour de la tranquillité. — Je sais bien que l’opinion commune de tous les rois des halles est qu’ils ne peuvent dominer qu’au milieu du tumulte, mais la méprise est grande dans cette circonstance. Quand il ne s’agissait que de faire chasser un ministre ou d’inquiéter un instant le pouvoir suprême pour en obtenir quelques concessions, une ou plusieurs séditions pouvaient être utiles. — Ces petits moyens ne sont plus applicables à une grande Révolution quand même eile s'opérerait principalement au prolit de ceux qui la dirigent ; car cette masse énorme de 25 millions d’âmes ne peut être longtemps agitée sans péril pour ceux qui impriment, comme pour ceux qui reçoivent le mouvement : ainsi, quel que soit le moteur tyran ou patriote, il faut qu’il se hâte d’établir Tordre dans la servitude ou Tordre dans la liberté. — Cette obligation devient bien plus pressante, si le programme de la Révolution est une déclaration des droits de l’homme ; car si vous commencez par me promettre non seulement ce qui est à moi, mais même ce que je ne vous demandais pas, il me paraîtra intolérable que vous me ravissiez, l’instant d’après, ce dont j’étais en possession avant toutes vos promesses. Or, il est incontestable que nous étions ci-devant à l’abri du brigandage, des incendies et des assassinats; aucun libelliste à gages ne pouvait insulter, calomnier et dévouer ses victimes à la fureur du peuple. On pouvait être vexé par un homme puissant, mais on n’avait point à craindre la proscription des 10,000 clubs, et de tous les cafés, et de tous les motionnâmes des sections du royaume, enfin la Bastille n’existait qu’au faubourg Saint-Antoine, et les lettres de cachet n’étaient point au pouvoir de toutes les municipalités du royaume. Je demande maintenant s’il était bien raisonnable de partir de la déclaration des droits de l’homme pour arriver au point où nous sommes? si cette marche n’est pas dérisoire, s’il y eut jamais de révolution dans Le sens de la Liberté , ainsi conduite, surtout avec la condition qu’on nous prescrit tous les jours de l’aimer et de l’admirer ? — J’avoue que je ne me sens ni amour ni admiration pour la métaphysique qui a paraphrasé les textes immortels de nos maîtres en législation; mais j’éprouve un étonnement stupide et souvent une profonde indignation contre ces crimes inutiles, ces crimes si funestes à la liberté, aux mœurs, au repos et à la dignité de la nation. Je ne conteste plus rien à la Constitution, ce n’eût jamais été sur plusieurs points celle de mon choix; mais comme il ne peut y avoir de paix et de salut que dans l’obéissance aux lois, je supplie celle-ci de se faire obéir, et de se rendre aussi redoutable à ceux qui la violent avec audace, qu’elle l’est pour ceux qui se plaignent sans résistance d’en être opprimés. Est -il juste de dire aux uns : Vous êtes coupables de ne pas agir conformément à la loi. — Quant à ceux qui agis-seut violemment contre la loi, ils sont parfaitement les maîtres d’en user à leur volontél — Et que Ton ne dise pas que ce raisonnement est une figure de rhétorique, une hypothèse! indépendamment de tous les désordres impunis si souvent et si inutilement dénoncés, nous avons tous S les jours sous nos yeux les assemblées inconsti-I tutionnelles des sections de Paris: il leur est dé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1791.J fondu de délibérer, et elles délibèrent, arrêtent, dénoncent, gouvernent. 11 en est de même dans toutes les grandes villes. Vous avez institué des fonctionnaires publics, et tous les particuliers qui en ont la fantaisie s'instituent, de leur propre autorité, inquisiteurs, législateurs, administrateurs, juges et bourreaux. Quand je dis tous les particuliers, n’entendez pas par là les véritables et bons citoyens, les propriétaires, les hommes laborieux, les pères de famille; et c’est là ce qu’il y a de désastreux. En tout pays, la famille des honnêtes gens est rarement réunie; ceux-là sont à leurs devoirs et à leurs affaires; prêts à marcher quand la patrie les appelle, ils attendent le signal de la loi : les intrigants seuls le préviennent, et mettent en mouvement les désœuvrés, les faméliques, et cette classe d’hommes que les Romains avaient sagement désignés sous le nom de prolétaires. Amsi,dans l’ancien régime dont il était si juste et si facile de réformer les abus, tout homme qui n’attaquait pas le prince, ou sa maîtresse, ou son ministre, était tranquille chez lui; et dans le nouveau, le plus honnête homme qui n’attaque personne peut, ainsi que nous l’a prouvé M. Dupont, être poursuivi par un attroupement et assassiné pour 6 francs. Je demande donc que la Constitution tienne ce qu’elle nous promet: la liberté, la sûreté, et alors vous n’aurez plus besoin de comité des recherches (1) pour distinguer ses ennemis; vous apercevrez facilement, au milieu d'un peuple paisible et heureux, les Cassius à leur figure pâle et sévère, tristes de lajoie universelle, furieux, désespérés de ne pouvoir dégoûter le peuple du bonheur que vous lui aurez procuré, et ils seront si peu dangereux, que vous n’aurez pas même à les punir. Ahl quand je vois la véritable majorité de l’Assemblée, pure dans ses intentions, se porier toujours vers le bien par un premier mouvement de justice, et ne céder que par entraînement aux mesures violentes (2), je gémis, ô mes col-(1) Je ne peux pas lire, entendre ou prononcer ce mot sans que tout mon sang bouillonne. — Je ne conçois pas qu'un membre do l’Assemblée nationale puisse être de ce comité, après la démission de M. de Macaye, et la lettre qu’il a écrite, et dont le président n’a pas daigné rendre compte à l’Assemblée. — Si je n’ai pas dénoncé celle lettre, si je n’en ai pas réclamé la lecture, croyez bien, Messieurs, que ce n’est pas par ménagement; mais ma misérable poitrine, ma faible voix ne me permettent pas de résister deux minutes à vos cris d’ordre du jour. Ce sont vos poumons qui m’ont souvent vaincu. Ah si j’avais la voix de M. Bouche! (2) Des mesures violentes dans une Révolution fondée sur la déclaration des droits de l’homme, lorsqu’il n’y a point de tyran, point d’armée à combattre, point de sang innocent à venger ! Les officiers municipaux qui ont osé établir des comités des recherches devraient être chassés du royaume, et les citoyens qui, les premiers, ont eu la lâcheté de répondre à ces comités, se sont montrés à jamais indignes de la liberté. Des mesures violentes lorsqu’il s’agissait déterminer une querelle de famille! Ah! que la violence m’inspire de mépris ! Combien elle me console de ses fureurs, par l’élévation où je me trouve vis-à-vis de ces êtres vils qui ne savent qu’être féroces ! Dans ce grand nombre de municipalités qui reçoivent deleurs clubs les verges dont elles déchirent les citoyens, qui respectent les assassins attroupés, et attaquent les individus qui leur sont suspects, on ne connaît pas assez, et on ne saurait trop célébrer la sagesse courageuse et le vrai civisme de quelques magistrats populaires. — J’ai entre les mains une adresse de la municipalité d’Aix, qu’on n’a pas lue à l’Assemblée nationale, et c’est le langage le plus pur lre Série. T. XXII. 545 lègues, de ce qu’on vous traite comme les rois, auxquels ceux qui les entourent imposent le joug de leurs passions, en leur persuadant que c’est pour le service et la plus grande gloire du monarque. Suivez, suivez les sentiments généreux qui vous ont portés à décerner des statues et des couronnes à Jean-Jacques (1) et à Desilles; quand vos yeux se remplissent de larmes au récit des grandes actions et des sublimes vertus, que vos cœurs se resserrent au spectacle des malheurs que vous pouvez empêcher et au bruit des menaces ou des imprécations qui les préparent. — Dix fois vous avez ordonné au comité de Constitution, qui n’aura point de statues, si c’est aux principes de Jean-Jacques qn’on les consacre, de voos présenter des mesures pour le rétablissement de l’ordre, pour arrêter les crimes de la presse; et les plus misérables sophismes suffisent pour éloigner des dispositions si pressantes. — Cependant il n’y a point de Constitution qui puisse subsister (2) si on en retranche les moyens et la tin. Les moyens sont la force conservatrice et réprimante, la fin, le bonheur de tous. Or, il est bien reconnu que tous ceux qui attaquent hostilement la loi ne sont point réprimés, qu’on ne sévit que sur ceux qui l’im-prouvent passivement, et qu’il résulte, de cet état de choses, troubles, anxiété, misères, inquiétude universelle. Si nous voulons donc maintenir cette Constitution, si nous la jugeons bonne dans ses moyens, bonne dans sa fin, nous devons le prouver par les laits, et ne point con-de la raison et du patriotisme. — Si tous les représentants du peuple étaient pénétrés de cet esprit, la paix serait dans le royaume. (1) Lorsque l’Assemblée a élevé une statue à Rousseau, elle en a renversé beaucoup d’autres dont nous voyons déjà les piédestaux; car il est tel de nos collègues visant à la statue, qui ne peut plus y prétendre sans faire condamner la mémoire et les principes de Rousseau, et surtout celui-ci: — La liberté serait achetée trop cher par le sang d’un seul homme. Je faisais cette observation à peu près dans les mêmes termes à M. .. qui me répondit fort gravement : Ahl depuis Jean-Jacques, la raison, les lumières se sont bien perfectionnées ! Et ce monsieur est un très honnête homme, amoureux fou de la liberté, et ayant l’avantage de se croire amant heureux. (2) C’est une vérité démontrée par le raisonnement, comme par les faits, que chaque gouvernement ne peut subsister que par l’emploi et l’intégrité des moyens qui lui sont propres. Ainsi nous avons vu le club des Mam-meluks, en Egypte, conserver sa puissance par les formes bizarres et tyranniques qu’il s’était imposées ; et la perdre aussitôt qu’il dérogea à ses institutions. — Le club des Levantins, à Alger, tient, par les mêmes moyens, une partie de la Mauritanie sous le joug. C’est en concentrant parmi eux toute la force puoliqua, toutes les places, toutes les élections, depuis celle du Dey ou président du club, jusqu’à celle de scribe ou journaliste. Mais ces deux clubs n’ont jamais vacillé sur les principes, ils ont dit, en débutant : Nous voulons être les maîtres et tout le reste sera esclave. Ainsi il était juste et conséquent qu’ils fissent étrangler tous ceux qui voulaient leur disputer quelque chose. Mais le club des Jacobins et la déclaration des droits de l’homme ne pouvaient subsister ensemble; il faut qu’une de ces deux institutions détruise l’autre. Le comité des recherches, fait pour les Mammeluks, ne pouvait trouver place dans une Révolution que l’on fondait sur la morale et sur le droit naturel. Si Mahomet lui-même avait été du comité de Constitution, il aurait mis une grande importance à conserver cette moralité de la Révolution. — Amis, vous aurait-il dit, nous les avons enflammés en leur promettant une jeune vierge touchante par ses grâces et sa pudeur, que diront-ils si nous leur montrons une prostituée ? 35 546 [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1791.] fondre insidieusement ceux qui ont le droit de se plaindre, avec les malintentionnés. Quand nous aurons fait exercer à la loi tousses pouvoirs pour opérer la tranquillité publique et empêcher les violences, si ce but est rempli, il est évident qu’il n’y aura plus de mécontents que les malintentionnés. Mais jusque-là il n’y a pas d’hommes raisonnables et de bonne foi qui n’aient le droit de se plaindre. Je reviens maintenant sur le grand intérêt qu’ont les zélateurs de la Constitution d'abandonner leur politique absurde, et de travailler de toutes leurs forces au rétablissement de l’ordre. — « Ou on les accusera de vues ultérieures et de vues criminelles, s’ils le peuvent et ne le veulent pas; ou on leur dira que la Constitution est mauvaise, insoutenable, s’ils veulent l’ordre et ne parviennent pas à l’établir par les moyens constitutionnels. Dans les deux cas, le nombre de leurs adversaires s’accroît nécessairement de tous ceux qui ne demandent qu’un gouvernement paisible et libre; et ils auront beau appeler esclaves, aristocrates, ceux qui ne veulent pas la liberté à leur manière, ceux qui seront bien plusfondés à les regarder comme des despotes en délire. Qu’arrivera-t-il cependant de ce conflit entre toutes les classes de citoyens, et de la fatigue douloureuse qu’ils en éprouvent tous? Sera-ce une contre-révolution? Non, dans le sens où on l’entend; car un conspirateur sans armée ne peut être qu’imbécile; mais si nous n’étions pas au temps de la plus absolue disette de grands hommes, si tous ceux qui se sont montrés dans la Révolution ne l’avaient réduite à leur taille, si un citoyen d’un caractère imposant, d'une vertu éprouvée, d’une raison supérieure, paraissait au milieu de la France, toute la France se rallierait à lui, et l’ordre serait rétabli, la liberté assurée, et la Constitution, en supposant qu’elle ne puisse par ses propres moyens arriver à sa fin, serait perfectionnée. En attendant, je lui demande de déployer toute sa puissance d’abord contre les scélérats, et ensuite contre cette multitude aveugle et turbulente qui doit se laisser gouverner par ses magistrats et ses représentants, si elle veut être libre et heureuse. Je demande que toute assemblée de sections soit interdite, hors les cas prévus par la loi; que les dénonciateurs et les accusateurs soient soumis aux formes légales ; que les officiers municipaux qui s’aviseront d’emprisonner, sans décret, les citoyens, soient sévèrement punis; que tous les attroupements séditieux soient dissipés et punis; que les délits de la presse soient jugés comme, tous les autres délits : car il est absurde de déclarer coupable, et de soumettre à une peine capitale, un homme qui, dans sa maison ou dans la place publique, conseille, excite des assassins, des séditieux à commettre toutes sortes de crimes, et d’absoudre un tel homme, lorsque c’est par la voie de la presse qu’il distribue ses poignards. Je demande qu’après avoir accordé la liberté aux opinions religieuses, on l’accorde aux opinions politiques, aux représentants du peuple à la tri-(1) Il est un peu tard pour demander à être entendu librement et paisiblement; cependant il est bien essentiel qu’avant la fin do la présente session, on cesse do gesticuler d’une manière menaçante, d’injurier, de faire taire un opinant qui contrarie un avis proposé. — J’ai souvent eu envie de me coudamuer à un silence absolu ; et de tous les arguments du côté droit, il n’y bune (1); car, lorsque je ne serai plus le conseiller obligé de la nation, je promets bien de ne plus me mêler de ses affaires; j’espère qu’on ne verra plus mon no n dans les journaux, qui ne me connaissaient pas avant les états généraux; je ne contesterai plus rien aux intrigants, ils peuvent s’en assurer: libre et tranquille, si on me promet de l’être, je bénirai la Constitution qui rendra le peuple heureux. S’il en est autrement, j’irai gémir loin d’ici sur des malheurs auxquels on ne pourra pas me reprocher d’avoir contribué. Quant au club monarchique, dont la persécution m’indigne comme tous les genres de pérsécu-tion, je suis de l’avis des Rousseau sur les clubs politiques: je les regarde comme une très dangereuse institution; et lorsque j’ai vu commencer à Versailles celui des Jacobius, j’ai annoncé ses hautes destinées. Ce qu’il y aurait donc de plus désirable serait que les bons citoyens concourussent à faire cesser toutes ces* associations. Lorsqu’elles sont sans crédit, il n’en résulte qu'un bavardage politique, et une habitude de désœuvrement funeste à la société, lorsqu’elles délibèrent, dénoncent, décrètent, et se font obéir par la séduction ou par la force. Il n’y a plus de liberté ni de Constitution; la puissance publique est alors divertie, dévoyée de la direction légale; les magistrats, les législateurs perdent tout appui, toute considération s’ils ne servent la faction dominante ; et les plus vils instruments de l’intrigue influent sur le sort de l’Etat. D’après cette opinion on croira bien que je ne saurais être membre très actif d’aucun club ; mais précisément parce qu’il y en a un tout-puissant, je pense qu’il en faut un autre qui ait le courage de contrarier cette toute-puissance et d'éclairer i’opinion publique sur ses abus. — Les calomnies passeront, les crimes ne seront pas toujours impunis, et les efforts des gens de bien trouveront leur récompense dans l’approbation de leurs semblables, qui prononcent seuls en dernier ressort sur toutes les réputations. Si aux mesures que je réclame on joignait celle de ne pas entasser décrets sur décrets (1), de se contenter du nécessaire, d’accélerer efficacement la fin de la présente session ; si les divisions scandaleuses qui nous tourmentent ne se en avait pas de plus concluant contre le côté gauche. Mais une scission absolue m’épouvante, et j’estime qu’il vaut encore mieux se laisser outrager, que do concourir, môme involontairement, à de grands malheurs. Cependant des violences continuées ne laisseraient d’autre parti à prendre que de se taire absolument. (1) Le travail de tous les comités, même de ceux qui ne produisent rien ou peu de chose, est inimaginable. Nous sommes ivres de discussions, de rapports, de mémoires, de projets de décrets; tout ce qui a été écrit est énorme, et je ne serais pas étonné qu’une fièvre d’épuisement no saisit bientôt tous les membres de l’Assemblée. Tant de fatigue et de travail pourrait être fort allégé, en ne faisant que ce qui était véritablement utile et nécessaire. Mais non seulement on a voulu tout détruire et créer, mais encore on s’est plongé dans les détails, et on a voulu suppléer par la toute-puissance ou par l’imagination à ces connaissances de pratique que procure seule l’expérience des affaires. — Ainsi, si j’étais du club des Jacobins, le comité de marine, dont je suis membre, aurait pu présenter, trois mois après son institution, un tableau des économies, des réformes, des vices d’administration à réparer, des changements utiles et constitutionnels dans l’organisation militaire. Mais nous argumentons depuis dix-huit mois, sans qu’il y ait rien de tout cela d’arrêté : si donc on ne prend pas un parti décisif tant sur la fécondité que sur l'enfantement laborieux des comités, je n’aperçois plus la fin de cette session. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PA reproduisent pas parmi nos successeurs, s’ils sont ctiei'is parmi les hommes les plus cages, les plus modérés, et qu’ils promettent, comme les jurés, de dire la vérité , toute la vérité , rien que la vérité ; mais alors, à ces conditions seulement, la France sera régénérée, libre, florissante, et j’en payerais volontiers de mon sang l’assurance. Ce 29 janvier 1791. Malouet. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GREGOIRE. Séance du samedi 29 janvier 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance de la veille, qui est adopté. Il est fait lecture de la lettre suivante de M. du Portail, ministre de la guerre : « Monsieur le Président, « Les administrateurs du directoire du département de la Drôme m’ont adressé une délibération d’après laquelle ils ont arrêté de porter des secours de troupes à Garpentras : le roi, à qui j’en ai sur-le-champ rendu compte, n’a pu approuver une mesure aussi contraire aux principes de la Constitution, et Sa Majesté a cru devoir donner les ordres les plus prompts pour en faire cesser l’effet. Persuadée que l’Assemblée nationale ne sera pas moins frappée qu’elle des conséquences importantes que pourraient avoir des démarches de cette nature, Sa Majesté m’a ordonné de vous envoyer copie de la réponse que j’ai faite à l’administration du département de la Drôme, pour que vous vouliez bien la mettre sous les yeux ae l’Assemblée. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très humble et très obéissant serviteur, « Signé : DU PORTAIL. » Paris, le 28 janvier 1791. Copie de la lettre adressée aux administrateurs du département de la Drôme. « J’ai mis, Messieurs, sous les yeux du roi, la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 20 de ce mois, et votre délibération du 19, par laquelle vous avez arrêté de faire à la ville d’Avignon les plus fortes représentations sur ses projets hostiles contre les peuples du Comtat, et d’envoyer en même temps un secours de cent cinquante hommes de gardes nationales à Carpentras, pour aider cette ville à repousser les attaques des Avignonnais ; vous avez, de plus, invité le sdépar-tements voisins à imiter votre exemple, afin de prévenir les malheurs dont le pays Yenaissin est menacé, et d’empêcher qu’ils ne s’étendent aux communautés limitrophes. « Quoique Sa Majesté ait remarqué avec satisfaction que votre délibération ne vous a été dictée que par la sollicitude que vous cause le maintien de la paix dans votre département, et par le vif intérêt que vous inspire la position dangereuse de vos voisins, elle n’en a pas moins été frappée EMENTAIRES. [29 janvier 1791.] 547 des conséquences infiniment graves que pourrait avoir une semblable mesure. « En effet, Messieurs, en vous déterminant à joindre la menace aux représentations que vous avez faites à la municipalité d’Avignon ; en prenant sur vous de donner un secours de troupes aux habitants de Carpentras, vous avez fait, ce me semble, un acte de souveraineté ; vous avez usé d’on pouvoir que la loi ne vous a pas donné, et qu’elle a réservé tout entier au pouvoir législatif réuni au pouvoir exécutif suprême. Si vous y réfléchissez, vous reconnaîtrez aisément combien il est contraire aux principes de la Constitution qu’un corps chargé de l’administration d’une portion de l’Etat se mêle de dissensions de peuples étrangers, prenne entre eux un parti, paraisse ainsi décider de la légitimité de celui qu’il embrasse, et le soutienne à force ouverte : ce n’est qu’à l’Assemblée nationale et au roi qu’il appartient de montrer à la nation quels sont ses amis ou ses ennemis. « Observez encore, Messieurs, que les départements qui vous environnent pourront, d’après votre exemple, se croire les mêmes droits que vous; et s’ils étaient mus par des impulsions contraires, s'ils croyaient voir la justice dans un antre parti; s’ils voulaient, comme vous, soutenir parla force celui qu’ils auraient adopté, vous vous rencontreriez les armes à la main, d’abord sur terre étrangère, pour agir hostilement les uns contre les autres, et peut-être bientôt vous poursuivriez-vous sur vos propres foyers, où vous auriez ainsi attiré toutes les horreurs de la guerre civile. « J’espère beaucoup que ces malheurs n’arriveront pas; mais il résulte toujours, de la résolution que vous avez prise, un inconvénient inévitable : lorsque vous envoyez des gardes nationales tenir garnison sur un terroir étranger, vous ne pouvez, sans faire un tort notable au plus grand nombre, leur refuser une solde ; vous vous mettez donc dans la nécessité de lever à cet effet, de votre propre autorité, un subside suc votre département ; ou si l’administration générale doit y pourvoir, vous aurez impose à la nation une charge à laquelle elle n’aura pas consenti. « Je n’étendrai pas davantage ces réflexions : elles suffisent, pour que vous jugiez que le roi n’a pu approuver les mesures que vous avez prises. Eu conséquence, Sa Majesté vous ordonne de retirer sans délai du pays Venaissin tout secours de troupes que vous y auriez envoyé, de vous borner aux précautions que la prudence exige pour préserver votre pays des dissensions qui agitent nos voisins, et d’attendre ce que l’Assemblée nationale jugera à propos de décider, et les ordres que Sa Majesté croira alors devoir vous donner. « Depuis le départ de votre lettre, vous aurez été Informés, Messieurs, que l’Assemblée nationale a décrété que les troupes qui avaient été envoyées à Avignon en seraient retirées, et que Sa Majesté a sur-le-champ donué des ordres pour la prompte exécution de ce décret. Une pareille mesure vous annonce que le Corps législatif a été loin d’approuver que des Français se soient trouvés mêlés aux attaques que les peuples d’Avignon et du Comtat se sont faites, et qu’il est entièrement dans les principes qui ont dicté les ordres de Sa Majesté, que je viens de vous transmettre. » ( Applaudissements .) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. d’André. Je demande l’insertion de cette