1 Assemblée nationale.) ARCHIVAS PARLEMENTAIRES (12 janvier 1791.] 147 M. Chabroud, rapporteur. Votre comité n’a point vu, après un examen approfondi, rien qui autorise la mesure sévère de mander à la barre. Je demande donc la question préalable sur l’amendement proposé. M. Basquiat de Mugriet retire son amendement. (Le projet de décret du comité est adopté.) M. Barrère (ci-devan t de VIeuzac), au nom du comité des domaines. Messieurs, en prononçant, le 6 août dernier, l’abolition du droit d’aubaine et de détraction, vous avez donné un grand exemple de fraternité à toutes les nations, et vous avez commencé à effacer de leur code un droit odieux et barbare que la raison et la philosophie avaient proscrit depuis longtemps. Mais la disposition trop vague du décret que vous avez rendu peut en diminuer les bienfaits. Le fisc, toujours ingénieux à reproduire ses prétentions, menace d’élevcr deux questions importantes, mais bien simples, sur lesquelles vous devez prononcer aujourd’hui pour dissiper tous les doutes. La première consiste à savoir si le droit d’aubaine, aboli en général par votre décret du 6 août, est aboli dans vos possessions dans les deux Indes. Sans doute il n’est aucun de vous qui pense que les législateurs de l’Empire français puissent en isoler quelques parties, et les priver ainsi des bienfaits de la législation. Quand un droit qui avait été attaché à la souveraineté nationale est aboli ,il l’est pour toutes les possessionsfrançaises : car, comment le fisc engloutirait-il les successions des étrangers morts dans les colonies, tandis qu’il les laisserait intactes en Europe ? Oui, les étrangers qui abordent nos ports dans les deux hémisphères doivent trouver partout une loi aussi hospitalière, partout le même caractère de liberté. Cependant des vaisseaux ont été saisis dans nos colonies à des habitants de l’Amérique septentrionale; et vous sentez déjà combien il est important de poursuivre, dans son dernier refuge, ce droit d’aubaine qui n’a pas encore cédé tout entier à la justice de l’Assemblée nationale. Il importe à la gloire du législateur que les dernières racines de cet usage Visigoth soient extirpées de tous nos domaines. Il importe à la bonne intelligence qui doit régner entre deux peuples libres que cette opération soit prompte. Vous concevez sans peine l’effet que doit produire sur la nation américaine la répétition de cette cruelle confiscation qu’encourt, à la mort de son capitaine, un vaisseau qui est la propriété de plusieurs familles des Etats-Unis. Des hommes libres, qui u’ont jamais connu cet infâme usage, inventé en Europe, ne doivent point le trouver chez leurs semblables, leurs amis, leurs frères en liberté. Prenez garde ! demander la suppression, ou plutôt déclarer que vous l’avez étendue aux colonies comme au continent, c’est ne rien demander qui augmente les privilèges ou les avantages commerciaux des Américains. Par les lois françaises, les vaisseaux de cette nation sont librement admis dans certains ports de nos îles; c’est en leur faveur seulement que le droit d’aubaine doit être aboli. Quant à ces vaisseaux qui se livrent dans les mêmes îles à un commerce interlope et frauduleux, nous n’avons rien à demander pour eux ; et pour avoir le droit de les confisquer, on n’a pas besoin d’attendre la mort de celui qui les commande. Le comité a pensé, sur cette première question, que vous devez déclarer que votre décret s’étend aux possessions françaises dans les deux Indes. La seconde question consiste à savoir si, en abolissant le droit d’aubaine, vous avez entendu que les étrangers fussent capables de succéder à leurs parents français décédés en France ou dans les possessions françaises, sans être assujettis à y demeurer pour y exercer leurs droits héréditaires. Pour décider cette question, il faut savoir que tous les traités par lesquels la France a fait des conventions concernant le droit d’aubaine se divisent en deux classes. La première classe est de ceux portant abolition du droit d’aubaine, avec concession de la faculté de recueillir toutes successions testamentaires ou ab intestat , comme les régnicoles. Tel est le traité passé, signé par la France, à Aix-la-Chapelle. La seconde classe renferme les traités contenant l’abolition réciproque du droit d’aubaine, avec concession de la faculté de tester en autres concessions qui n’équivalent pas à ce qui est porté par les traités de la première classe, en ce qu’il n’en résulte pas que l’étranger ait droit de recueillir la succession de son parent français, seul ou concurremment avec d’autres parents français. Tels sont les traités de la France avec la Bavière, la Pologne, Francfort, etc., etc. Ainsi, la simple abolition du droit d’aubaine, prononcée par votre décret du 6 août, est insuffisante et incomplète, si vous ne déclarez le droit qu’a l’étranger de succéder à son parent français décédé en France. Vous devez effacer le vice de pérégrinité dont le fisc pourrait encore abuser contre vos intentions connues. Vous devez accorder le même bienfait à tous les peuples. Voici les principes du fisc : Les étrangers sont incapablesde succéder et de recevoir par testament. Les étrangers sont incapables de transmettre leurs successions, soit né intestat , soit par testament. La seule exception est en faveur de leurs enfants et descendants régnicoles, c’est-à-dire, non seulement établis dans le royaume, mais encore naturels ou naturalisés. Et ce qui est encore plus barbare, c’esl que les pères et mères ne succèdent pas, dans les mêmes cas, à leurs enfants, la réciprocité n’ayant pas lieu à leur égard. C’est à vous qu’il appartient de faire cesser cette différence odieuse?que nos lois établissaient entre le droit strictement appelé droit d’aubaine et le vice de pérégrinité ou capacité de succéder. C’est à vous de faire cesser cette distinction de droits plus ou moins favorables à diverses nations. Sans doute, vous n’avez pas voulu faire seulement pour les autres nations une simple remise du droit fiscal, qui donnait au roi la succession de l’étranger. Vos froids diplomatistes allaient bien plus loin, lorsqu’ils accordaient à quelques peuples voisins, non seulement la capacité de transmettre leurs successions, mais encore la capacité de succéder et de recevoir par testament sans aucune restriction. Il y a plus, les anciens tribunaux de France adjugeaient les successions à des étrangers. On connaît tous les efforts que fit en 1781, devant un de ces tribunaux (les requêtes du palais), un de nos collègues (M. Martineau), plaidant pour MM. Pellerin, Français, pour faire exclure de la succession de M. Lemmens M. Maximilien Lem- 148 [Assemblée nationale.] AUC 111 V ES PARLEMENTAIRES. |12 janvier 1791.] mens, prêtre, ancien curé de Lenzon en Brabant, sous prétexte que l’ordre des successions est immuable, et que les étrangers seulement exempts du droit d’urbaine sont incapables de successions et de legs, parce que tes privilèges accordés par les traités ne pouvaient, disait-il, avoir lieu que sous la réserve des droits de leurs sujets ; mais les principes de monopole, de succession, furent rejetés par une sentence des requêtes du palais. Ainsi, ce que des diplomatistes et des juges de l’ancien régime écrivaient et jugeaient, ce que le législateur provisoire accordait aux autres nations, ce que la politique a accordé pour certaines foires et marchés, pour certaines professions, pour certaine nature de biens et de rentes, le véritable législateur peut l’accorder en faveur des grands principes de la liberté et de la raison, et de l’esprit fraternel qui doit unir tous les peuples. C’est d’après ces observations que j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant, au nom du comité des domaines : « L’Assemblée nationale ne vuulant laisser au-jun doute sur l’intention qu’elle a manifestée par son decret du 6 août 1790, concernant l’abolition du droit d’aubaine et de détraction, déclare qu’il doit être exécuté dans toutes les possessions françaises, même dans les deux Indes. « Déclare en outre que tous étrangers demeurant hors du royaume sont capable' de succéder à leurs parents français décédés en France et dans toute l’étendue des possessions françaises, sans pouvoir être assujettis a y demeurer pour y exercer leurs droits héréditaires. » M. Moreau de Saint-Méry. J’ai demandé la parole pour solliciter le renvoi au comité colonial de cette expression du décret, même dans les deux Indes. Quelque penchant que j’aie à adopter cette loi sage, elle a cependant besoin d’examen quant aux colonies. Je ne suis pas suspect en parlant ainsi, car à l’époque de la Révolution j’étais chargé par le gouvernement d’un projet de loi sur la suppression de l’aubaine relativement aux colonies. Mais ce projet lui-même a trouvé des difficultés tirées du local. Par exemple, des lettres patentesenformed’édit, du mois d’octobre 1727, interdisent le commerce dans les colonies à l’étranger, même naturalisé. Il n’y a donc qu’à gagner au renvoi que je propose. M. Tronchet. Je demande le renvoi du tout au comité diplomatique. Voici ma raison : le droit de succéder résulte du droit civil et non pas du droit naturel, line peut appartenir qu’aux citoyens et aux sujets du même État. La communication de ce droit n’a jamais pu résulter que de conventions réciproques entre deux puissances. M. Rarrère, rapporteur. J’appuie moi-même le renvoi demandé ; ma proposition est trop évidemment juste pour que je puisse craindre de la voir subir 1 examen auquel on veut la soumettre. Je demanderai donc que le projet soit également renvoyé au comité de Constitution. (L’Assemblé consultée, décrète le renvoi du projet de décret à l’examen des comités des colonies, de Constitution, diplomatique et des domaines, réunis, pour en faire ie rapport incessamment.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur le droit du timbre. M. Rœderer, rapporteur. Messieurs, diverses observations ont été fuites au comité ; on s’est plaint de ce que nous n’avions pas soumis au timbre plusieurs actes de transactions et Fou a particulièrement insisté sur les actions de l’ancienne Compagnie des Indes et de la Caisse d’escompte, qu’on prétend devoir être timbrées. Je crois devoir vous rappeler que vous n’avez assujetti les provinces qui n’étaient pas soumises au droit du contrôle, qu’à se servir seulement de papier timbré pour les actes sous seing privé. Cet exemple prouve combien vous avez craint de donner à votre loi un effet rétroactif; c’est par cette raison que vous devez éviter de timbrer des actions maintenant émises et déjà en circulation. Nous croyons cependant raisonnable de soumettre à la loi commune du timbre les effets que la Compagnie des Indes et la Caisse d’escompte, ou toute autre compagnie qui pourra se former à l’avenir, mettront en circulation postérieurement à la loi ; mais tout ce qui est antérieur au décret doit être aussi libre que le sont les actes antérieurs à 1674, époque à laquelle le timbre a été, pour la première fois, connu en France. M. de Follevrllle. Mon observation n’a pas été absolument comprise; elle ne portait pas sur un effet rétroactif à l’égard des actions mises en circulation, mais sur les quitlances des dividendes. M. Rœderer, rapporteur. J’accepte cette proposition et je prie, en conséquence, l’Assemblée d’adopter l’article additionnel suivant : « Les actions qui seront formées pour des entreprises de commerce et de banque, les feuilles, reconnaissances ou quittances sur lesquelles seront payés les dividendes de semblables actions, môme de celles qui existent maintenant, tels que les dividendes des actions de la Comnagme des Indes et de la Caisse d’escompte. » {Adopté.) M. Rœderer, rapporteur. Messieurs, le comité propose également d’assujettir au droit de timbre, comme registres prescrits par la loi, les cueilloirs ou cueillerets de rentes. Ces registres font foi en justice; ils doivent donc être assujettis au timbre comme les autres registres qui ont le même avantage. Cet objet, Messieurs, n’était pas compris dans le tarif présenté à l’Assemblée des notables; on pensait alors à épargner les soit-disant seigneurs qu’on avait en profonde vénération. Mais comme ce temps est passé, le comité d’imposition ne croit pas devoir des ménagements qui contrasteraient avec le décret sur les droits féodaux. M. Tronchet. Messieurs, les cueilloirs ou cueillerets ne font foi en justice que dans quelques coutumes, et, dans les pays mêmes où cet usage est établi, ce n’est que "par un privilège dérivant de la féodalité. La féodalité n’existe plus; ce privilège doit donc être anéanti, et conséquemment le droit qu’on vous propose ne peut exister. M. Rœderer, rapporteur. Noos n’insistons pas sur ce. droit, si l’Assemblée veut prononcer l’abolition du privilège.