[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] gjg M. Fréteau. Je connais le sieur Santerre, demeurant k la Grande-Pinte; il est officier municipal de Charenion ; rien n’empêche qu’il soit élu dans cette municipalité et cependant, il ne peut être membre de deux municipalités à la fois. Plusieurs citoyens de ces lieux ont concouru à d’autres élections; il y a donc inconvénient à adopter la proposition du comité. Plusieurs membres demandent l’ajournement à demain. L’ajournement est prononcé. M. le Président. L’ordre du jour est la suite des rapports du comité des finances sur la fixation des dépenses publiques. M. Lebrun, rapporteur , présente les dispositions suivantes , qui sont adoptées sans discussion : Bibliothèque du roi. « La dépense de la bibliothèque du roi sera réduite provisoirement à 110,000 livres. Observatoire . « La dépense sur l’Observatoire sera de 8,700 livres, savoir : « Au directeur, sans retenue ...... 2,700 liv. « Pour trois élèves ............... 3,000 . « Pour entretien d’instruments.. . . 2,400 « Pour la bibliothèque ............ 600- « Tuus les instruments d’astronomie, appartenant à la nation, seront remis à l'Observatoire. « Il en sera dressé de même un inventaire dont copie signée du directeur de l’Observatoire sera remise aux Archives nationales. « Le directeur pourra confier ces instruments, aux astronomes, à la charge d’en répondre. « Les machines diverses appartenant à la nation, qui existent dans divers dépôts de Paris autres que celles qui sont attachées à des chaires et établissements publics, seront réunies au cabinet de l’académie des Sciences. « Il sera pareillement dressé un inventaire de toutes les machines, soit de l’académie des sciences, soit des autres dépôts qui doivent y être réunis, soit des chaires et établissements publics; et copies de ces inventaires signées des dépositaires seront remises aux Archives nationales. » Dépenses diverses relatives aux sciences. « Le traitement de 3,000 livres accordé à M. l’abbé Bossu, comme professeur d’hydrodynamique, en survivance, renvoyé au comité des pensions. « Les 1,500 livres portées en l’état de dépense du Trésor royal, sous le litre de remboursement a M. l’abbé Bossu, et indemnité de ses dépenses, renvoyées au département de la guerre. « Les 1,800 livres accordées à M. Adanson, pour frais de loyer, renvoyées au comité des pensions. « Les 1,500 livres accordées au sieur Dansse, de l’académie des belles-lettres, renvoyées au comité des pensions. » Administration de la mendicité . M. Lebrun, rapporteur. C’a été une administration bien inculpée et sans doute justement inculpée, que celle de la mendicité; mais ce fut une. pensée digne d’un gouvernement éclairé, que celle de faire disparaître un fléau honteux qui désolait les campagnes et calomniait la nation. Les moyens furent ceux du despotisme, et les instruments du despotisme sont toujours moralement mauvais. En pût-il choisir un bon, eetix qui devront agir sous ce premier instrument seront ou corrompus ou prêts à l’être. 11 faut une longue chaîne pour propager son action d’un bout d’un grand royaume* à l’autre; d’anneau en anneau les vices se multiplent, et n’y eût-ii aucun autre vice, il y a celui de l’insouciance, celui de la dureté, celui du gaspillage. L’admnistration. de la mendicité devait donc être nécessairement dispendieuse. Un autre inconvénient plus grand : elle n’influait que par la terreur; elle pouvait contenir jusqu’à certain point, maiselle ne changeait pas. Une administration civique, une administration municipale ont bien une autre force et d’autres moyens : elles arment contre la mendicité tous les citoyens; chaque propriétaire voit, dans celui qui ne travaille pas, l’homme qui doit être à sa charge ou qui doit le dépouiller ; de là une coalition de tous les propriétaires pour multiplier, pour encourager les travaux qui les enrichissent et les défendent du danger de la mendicité. Partout on forme des ateliers ; les pauvres sont contenus dans leurs paroisses et il n’y a plus ni mendiants , ni vagabonds. Ainsi, en rendant cette administration aux départements et aux municipalités, ce n’est pas seulement une dépense que l’on épargne au Trésor public, c’est une économie, c’est une source de richesses et d’industrie qu’on ouvre pour la nation. Voici le projet de décret que le comité des finances vous propose : « La dépense portée au compte du Trésor public, sous le titre de travaux de charité et de destruction de la mendicité et du vagabondage, sera supprimée et renvoyée à la charge des départements. » M. de La Rochefoucauld-Liancourt. Le comité de mendicité a présenté un plan général sur cet objet (1); il est important de ne pas prendre de mesure partielle et je propose d’ajourner cette question à la séance de dimanche prochain. M. Fréteau. Les départements n’ayant encore pris aucune mesure pour la subsistance des malheureux, ils se trouveraient sans secours si l’on déchargeait le Trésor public de la dépense qui leur est destinée. (L’Assemblée prononce l’ajournement demandé par M. de La Rochefoucauld-Liancourt.) M. le Président. L’Assemblée va reprendre la suite de la discussion sur la liquidation de la dette publique . L’Assemblée, dans sa séance du 28 août, a décidé que la délibération resterait ouverte jusqu’au 10 septembre. M. Pétieu ( ci-devant de Villeneuve) (2). MeS-(l)Voy. le rapport du comité de mendicité, Archives Parlementaires, tome XVII, p.fOS. (2) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Pétion. Mg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] sieurs, d’après les discussions très étendues qui ont eu lieu sur la grande question des assignats, je me bornerai à faire de simples observations (1). J’espère rendre sensible, pour tous, les avantages et la nécessité des assignats. Partons de points certains et qui ne peuvent même pas être contestés. Nous devons, et nous n’avons pas d'argent. — Nous avons des biens-fonds, mais ne pouvant pas les partager entre nos créanciers, nous sommes obligés de les vendre. — Les moyens d’acquérir manquent, de sorte que pour payer d’une part, et pour acquérir de rautre, il faut absolument du numéraire. — Il n’en est que de deux espèces, l’un réel, l’autre fictif; à défaut du premier, il devient indispensable de recourir au second. Que ce soit une quittance de finance, que ce soit un billet de caisse, que ce soit un assignat, toujours est-il que ce sera un numéraire fictif. Il est donc démontré, et invinciblement démontré, que nous ne pouvons acquitter la dette exigible qu’avec un numéraire fictif. En est-il un meilleur que les assignats? En est-il un qui puisse leur être comparé? Voilà ce qu’il s’agit d’examiner. On demande que les assignats soient forcés, qu’ils ne portent point intérêts, qu’ils soient reçus exclusivement dans les acquisitions des biens nationaux, qu’ils se divisent en coupons jusqu’à la somme de 24 livres. Reprenons ces conditions par forme de questions. PREMIÈRE QUESTION. Les assignats doivent-ils être forcés? Tout ce qui porte la plus légère apparence de la contrainte, par cela seul rencontre des obstacles, sans examiner si cette contrainte est, ou non, salutaire, si elle est l’effet de l’homme ou de la loi. II s’agit ici d’une règle générale pour tous. Est-il un citoyen qui se trouve gêné dans sa confiance, parce que le gouvernement fixe le titre et la valeur des monnaies? Est-il un citoyen qui se trouve gêné dans sa confiance, parce qu’il est obligé de prendre un écu de trois livres pour soixante sols ? Si les assignais ont toute la valeur de la monnaie réelle; s’ils ont un gage certain, immuable ; s’ils représentent complètement des biens fonds, seules et uniques sources de toutes richesses; si, en dernière analyse, ils viennent s’échanger contre ces biens, quel inconvénient peut-il y avoir à les rendre forcés? Par cette sage précaution, n’élude-t-on pas toutes les intrigues des malveillants qui réuniraient leurs efforts pour arrêter leur circulation? Leurs manœuvres, je le pense, n’auraient qu’un succès momentané; mais ce n’est pas dans un temps de crise où le crédit est ébranlé, qu’on peut tenter une aussi périlleuse expérience. Ce n’est pas tout; il est une raison de justice pour rendre les assignats forcés, à laquelle jusqu’à présent on n’a fait aucune réponse solide. Lorsque la nation déclare qu’elle veut acquitter sa dette, c’est qu’elle entend réellement l’acquitter. Si elle donne à ses créanciers des effets qu’ils (1) C’est par pure déférence pour les ordres de l'Assemblée que je rends ces observations publiques ; elles «ont faites à la hâte ; elles sont incomplètes ; l’importante matière des assignats n’y est qu’effleurée. Puissent-elles néanmoins n’être pas inutiles ! ne puissent pas commercer, qui expirent entre leurs mains, ou qui éprouvent une perte considérable, peut-on dire qu’elle paye véritablement ce qu’elle doit? Ce n’est plus qu’un jeu cruel dont les particuliers, qui ont eu l’aveugle con fiance de lui prêter, sont les victimes ; cvest une infraction à ses engagements ; c’est une violence qu’elle exerce envers ceux à qui elle doit. « A-l-on pesé (dit l 'auteur des Observations sur « les deux modes de payement) l’injustice qu’il y « aurait à ce que la nation pût s’ordonner à eile-« même de payer ses créanciers dans une mon-« naie avec laquelle elle leur défendrait de s’ac-« quitter à leur tour, soit envers elle-même, soit « envers les individus qui la composent; en sorte « que la nation souffrirait que ses créanciers « directs fussent poursuivis comme banquerou-« tiers, parce qu’ils auraient voulu payer à leur « tour comme elle a cru pouvoir les payer? Cela « ne répugne-t-il pas à toutes les idées d’huma-« ni té et de justice? En effet, un citoyen pourrait avoir pour 100 mille livres de billets nationaux dans son portefeuille; s’ils n’étaient pas forcés, ses créanciers dirigeraient des poursuites contre lui, saisiraient ses biens sans qu’il pût, avec ce papier stérile, y mettre aucun obstacle, ni se libérer. S’il portait ses billets sur la place, il rencontrerait une multitude d’effets royaux dont quelques-uns perdent jusqu’à 20, 30 0/0. L’abondance effrayante de ce papier marchandise et la rareté des acheteurs ne ferait encore qu’en avilir le prix. Ainsi la nation, en échange de l’argent qu’elle a reçu, donnerait un papier dont on ne pourrait faire aucun usage, ou qui perdrait énormément; ce serait le comble de l’injustice et de la mauvaise foi. DEUXIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils porter intérêts Il est facile de concevoir pourquoi l’assignat ne doit pas porter d’intérêt. C’est par la raison que les écus qui sont dans la circulation, n’en portent pas : aussitôt que vous rendez l’assignat une monnaie, qu’il est reçu dans tous les échanges à ce titre, il doit en conserver tous les caractères. Si, lors de la première émission des assignats, vous avez consenti à leur attacher un intérêt, c’est que vous avez cru devoir douner un attrait puissant à un effet auquel les esprits n’étaieat pas encore familiarisés, que les préjugés et l’ignorance pouvaient repousser ; mais en principe il est absurde qu’un assignat-monnaie porte intérêt. Il y aurait même, sous un rapport, une véritable injustice; car cet assignat ayant en lui-même la valeur de la monnaie, si vous y en ajoutez une autre, par cela même vous dépréciez la monnaie qui est en circulation, vous la faites perdre contre l’assignat. Aux principes de raison et d’équité se joint ici un grand motif d’utilité publique. Les assignats ne portant point intérêt, vous allégez le fardeau des impôts sous lequel le peuple est écrasé. Si vous remboursez deux milliards, vous déchargez la nation de cent millions de rente. Est-il une considération plus puissante, plus propre à toucher ceux qui s’occupent à soulager les malheurs d’une nation si longtemps opprimée ? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] 317 Si les assignats portaient intérêt, on ne pourrait plus les regarder comme monnaie, et alors je ne verrais pas de raison pour que cet intérêt ne fût pas fixé sur le taux ordinaire et courant. Qu'arriverait-il alors? C’est qu’une grande partie des biens nationaux ne serait pas vendue. Le porteur d’un assignat préférerait la jouissance tranquille d’un intérêt de 5 0/0 à la possession d’une terre dont le revenu ne lui produirait pas au delà de 3 1/2; revenu qui est même sujet à des vicissitudes, à des non-valeurs. Ainsi l’objet intéressant, l’objet essentiel que l’Assemblée se propose, pourrait échouer en attachant des intérêts aux assignats. Les biens nationaux qu’il est si important de vendre et de vendre promptement, trouveraient un moins grand nombre d’acquéreurs. La gestion en serait très onéreuse à la nation, et elle ferait un intérêt de 5 0/0, lorsqu’elle n’en retirerait peut-être pas 2 de ses fonds. TROISIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils être reçus exclusivement dans l'acquisition des biens nationaux ? Il est évident que cette mesure donnera une grande valeur aux assignats, les fera rechercher avec empressement ; et rien sans doute n’est plds conforme aux vues de l’Assemblée. Mais cette prédilection est-elle juste, est-elle utile, est-elle conforme aux vrais principes ? Ce point est délicat à résoudre. On peut dire, d’une part, que les fonds nationaux sont destinés spécialement à l’acquittement de la dette; qu’il en est d’un Etat pour ses engagements comme d’un particulier, lorsqu’il doit : que ses biens-fonds sont affectés à ses créanciers, appartiennent à ses créanciers; s’il ne peut pas les payer, ceux-ci ont le droit de faire saisir et vendre. Ainsi, dans le droit rigoureux, les créanciers de la nation auraient la faculté de s’emparer des biens qu’elle possède. S’il était possible que la nation divisât et subdivisât tous ses biens proportionnellement à ses créances, qu’elle en donnât à chaque créancier une portion égale à ce qui lui est dû, et que les créanciers fussent satisfaits de cet arrangement, nul citoyen ne pourrait raisonnablement se plaindre, parce que ces fonds seraient distribués exclusivement aux créanciers de l’Etat. Mais de ce que cette opération ne peut pas se faire d’une manière immédiate, de ce qu’elle serait même injuste ainsi qu’on l’a démontré; de ce qu’il faut employer un signe intermédiaire pour arriver, soit directement, soit après quelques circuits, aux ventes partielles, il n’en paraît pas moins naturel et raisonnable que ce signe ait cet emploi exclusif ; c’est pour acquérir qu’il est particulièrement créé ; on ne doit pas l’éloigner de sa destination , c’est un véritable mandat sur la terre, qui peut bien servir à d’autres fonctions, mais qui doit remplir la plus essentielle de toutes, et s’éteindre, en finissant par se placer sur la terre. A cette raison, on peut en ajouter une autre. Si on admettait l’or et l’argent en concurrence, ne jetterait-on pas de la défiance sur le placement et le sort des assignats? Les porteurs ne pourraient-ils pas craindre qu’ils ne frappassent à faux, et qu’à la fin il n’y eût plus de terres à vendre, lorsqu’il resterait encore des assignats dans la circulation ? Avec l’or et l’argent provenant du prix des acquisitions, il est vrai qu’on pourrait, retirer une quantité proportionnelle d’assignats qu’on anéantirait. Mais quelque assurance que l’on puisse donner sur l’exactitude et la fidélité de cette opération, rassurerai t-on pleinement les porteurs d’assignats? Ne resterait-il pas des doutes fâcheux ? On craindrait peut-être que des circonstances impérieuses ne détournassent l’argent ; qu’on ne mît de la négligence, pour ne rien dire de plus, à retirer les assignats de la circulation en substituant du numéraire à leur place. Ces inquiétudes nuiraient au succès de l’entreprise. L’exclusion donnée à l’or et à l’argent dans les acquisitions n’empêcherait pas les biens nationaux d’être vendus àleur juste valeur, parce que les écus iraient alors à la rencontre des assignats ; ceux qui auraient envie d’acquérir, les échangeraient contre des assignats ; ce qui produirait le double effet de faire rechercher les assignats, et de faire sortir l’argent que la crainte, et peut-être des manœuvres secrètes resserrent aujourd’hui. On peut dire, d’une autre part, qu’il est contre les principes de gêner les citoyens sur la manière de payer les biens; de les mettre dans l’impossibilité d’acquérir avec la monnaie ordinaire, de les forcer à acheter des assignats ; qu’ils ne seront pas tous à portée de s’en procurer avec facilité, ce qui empêchera une partie des ventes, ce qui au moins apportera beaucoup d’entraves ; que si la caisse destinée au versement des fonds peut une fois être suspecte de négligence et d’infidélité pour retirer les assignats de la circulation avec l’or et l’argent qui y seraient déposés, on ne peut pas se fier davantage à elle pour l’extinction des assignats qui y entreraient; qu’il faut bannir toute injuste défiance; que l’essentiel est de bien organiser cette caisse, et de la mettre hors la main du ministère. J’avoue que je suis très balancé entre ces raisons et plusieurs autres qu’on peut opposer de l’un et de l’autre côté ; et ce n’est pas avec une volonté bien déterminée que j’incline pour admettre exclusivement les assignats dans l’acquisition des biens nationaux. QUATRIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils être divisés en ‘petites sommes jusqu'à 24 livres ? S’il est un vice qui se soit fait vivement sentir dans les assignats mis en émission jusqu’à ce jour, c’est qu’ils représentent des sommes trop considérables, et qu’ils ne se prêtent pas dès lors à une facile et fréquente circulation. — Ils deviennent nuis pour les besoins journaliers de la vie et pour les objets de détail ; ils deviennent nuis pour toutes les opérations partielles du commerce. — Ils deviennent tantôt une raison, tantôt un prétexte pour arrêter le cours des affaires. Le débiteur d’une petite somme renvoie sans cesse son créancier qui est dans le besoin, en lui offrant des assignats dont la valeur est de beaucoup supérieure à la dette. Avec de forts assignats, les appoints deviennent très difficiles, et nous avons à cet égard une expérience suffisante pour nous éclairer. Des assignats de 50, de 36, de 24 livres, entreraient aisément dans toutes les transactions, dans tous les échanges; ils donneraient une trèsgrande activité à la circulation ; ils vivifieraient l’agri- 518 [Assemblée nationale.] ARCHIVES culture, le commerce, les arts. Je pense qu’on pourrait, sans inconvénient, créer pour deux cents millions de ces assignats. On m’objectera, je le sais, que le numéraire disparaîtra aussitôt que les citoyens pourront traiter entre eux sans cet intermédiaire. Rien ne peut faire disparaître le numéraire, que la crainte et les alarmes. Ce ne sont ni les petits ni les gros assignats qui, dans des temps de calme et de confiance, produiront cet effet; mais, toutes choses égales, les assignats à fortes sommes feraient plutôt cacher l’argent. Il ne faut, pour s’en convaincre, que considérer ce qui arrive aujourd’hui où il n’en existe pas encore une très grande quantité. Que serait-ce, si nous en avions pour deux milliards en émission? Celui qui n’aurait entre les mains que des assignats ne 1,000 livres, de 300 livres, de 200 livres, voudrait nécessairement s’en servir, et il intercepterait le cours des opérations habituelles et de détail, qui sont les plus nombreuses et les plus pressantes. Si nous n’avions pour seule monnaie que des louis, quelles difficultés nombreuses, insurmontables, les citoyens n’éprouveraient-ils pas à eha-Î[ue instant dans les achats minutieux de toutes es choses nécessaires à la vie, et en général pour régler entre eux leurs affaires. Il en doit être de la monnaie fictive comme de la monnaie réelle, il faut la subdiviser, si on veut qu’elle soit commode et utile. L’argent sortira, quand l’ordre régnera, quand la confiance sera établie ; ce ne seront point alors les petits assignats qui l’empêcheront de se montrer. Les citoyens se lassent d’enfouir dans leurs Coffres des trésors stériles, et leur intérêt, plus uissant que toutes les lois, les force invinci-lement à s’en servir. On m’objectera encore que ce sera l’homme pauvre, l’ouvrier, qui éprouvera de l’embarras des assignats à petite somme, parce qu’on le payera avec cette monnaie. Je réponds que, sans ces assignats, le pauvre serait au comble du malheur, parce que la circulation étant arrêtée, il ne trouverait pas à s'occuper ; le commerce, les manufactures, tous les arts étant dans un état de stagnation, il n’aurait aucun débouché pour gagner sa vie. Je réponds que la classe immense des hommes de peine, des journaliers et des petits artisans qu’on paye au jour le jour, et au plus tard à la Rn d’une semaine, ne recevront pas d’assignats, parce qu’ils ne gagnent pas en aussi peu de temps Une aussi forte somme. Je réponds que celui qui aura reçu un assignat de 24 livres en payement, le doonera en retour avec la même facilité. Je termine enfin par un exemple qui réfute avec avantage tout ce qu’on peut dire sur les petits assignats ; c’est que, dans plusieurs pays, il existe des billets de banque de sommes très faibles, et on ne s’aperçoit pas qu’ils nuisent, ni à la circulation, ni à la prospérité publique, pi à la prospérité individuelle (1). Il est vrai que les billets de banque peuvent se réaliser à l’instant en argent ; mais c’est ce qui pourrait également se pratiquer pour les (i) En Ecosse il y a eu et il cireule encore des billets de 6 livres de notre monnaie. En Suède il en existe de la même forme. A New-York il y en a de 15 sols. PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] assignats de 24 livres. Dans le chef-lieu de chaque département et autres villes importantes on établirait des caisses pour changer ces assignats contre des écus. L’homme qui a développé le système des assignats avec tant de sagacité, de profondeur et de persévérance, qu’il peut en être regardé comme le créateur, M. Glavière, a pris rengagement de donner des moyens simples et faciles d’organiser ces caisses, et nous attendons avec grande impatience qu’il remplisse cette promesse (1). Il nous reste maintenant à répondre aux objections principales qui ont été faites, non pas sur les assignats en eux-mêmes, mais sur leur trop grande émission. On a dit, on imprime et on répète en tout lieu que cette opération renouvelle le système de Law; que la France va être inondée de billets qui seront la ruine des citoyens et renverseront une multitude de fortunes. Cette idée propre à remuer les imaginations faibles, à frapper les hommes irrélléchis, est véri-bablement absurde ; un mot suffit pour le prouver. Il n’y a aucun parallèle à établir entre les assignats et les billets de Law; tous les efforts qu’ont faits plusieurs écrivains à cet égard, n’ont fait que déceler leur impuissance. Une seule circonstance détruit toutes les comparaisons qu’on pourrait être tenté de faire; c’est que les billets de Law étaient hypothéqués sur des chimères, sur des prestiges séduisants, ou, pour mieux dire, sur rien ; c’était une monnaie de papier mise en circulation à l’aide d’actions de commerce; au lieu que les assignats reposent sur des propriétés solides, immuables, que chacun connaît, a sous les yeux, et qu’il est le maître d’acquérir : c’est-à-dire que le système de Law n’avait point de base, et que le système des assignats a la base la plus sûre, la seule vraie, la seule invariable.... la terre. Je n’en dirai pas davantage, et je passe à d’autres difficultés. Le grand nombre des assignats effraye; on craint une commotion trop subite et trop violente; le renchérissement des denrées, le renchérissement de la main-d’œuvre, par contre-coup la ruine des manufactures, du commerce, des propriétaires même : examinons si ces maux sont à craindre. J’observe d’abord, et c’est une vérité reconnue, que la France n’a pas assez de numéraire; que c’est principalement à cette cause qu’on doit attribuer les faibles progrès de son agriculture, de son commerce et de son industrie; nous avons des ressources immenses, et il nous manque de quoi les développer. L’Angleterre, qui ne peut être comparée à la France ni pour l’étendue du sol, ni pour la population, a, outre son numéraire réel, pour cinq milliards à peu près de billets de diverses banques et de l’Echiquier ; et l’Angleterre est riche: sa culture est excellente ; son commerce s’étend dans toutes les parties du monde; son industrie surpasse celle de toutes les nations, et le peuple vit dans l’aisance. Comment un numéraire fictif de deux milliards occasionnerait-il tant de désordres dans la France, lorsqu’un numéraire fictif, beaucoup plus consi-(1) Nous ignorions lors de la prononciation de ce discours, qu’il eût publié ses moyens d’organisation. Lyoa et Bordeaux ont établi des caisses patriotiques pour échanger les assignats contre des écus. [Assemblée satiooale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790. J dérable produit tant de prospérité en Angleterre ? Si dans les temps ordinaires et calmes le numéraire est rare en France, il l’est bien davantage encore dans ces moments de troubles et d’orages ; et c’est à cette époque que l’on paraît redouter l’abondance des signes circulants et des moyens d’échange ! Je suis d’une opinion bien opposée; car je pense que rien ne peut être plus salutaire qu’une grande émission d’assignats. Je pense que cette émission seule peut rouvrir les sources de la prospérité publique qui se tarissent de jour en jour, et donner une nouvelle vie au corps social. Plus les espèces sont abondantes, plus l’intérêt baisse, plus l’agriculture et le commerce fleurissent, plus le propriétaire et le négociant s’enrichissent, plus la classe indigente est occupée, plus la société entière prospère. — Par quelle fatalité cet ordre invariable varierait-il pour nous, si nous mettions de nouveaux signes en circulation ? La secousse serait trop brusque, dit-on. Remarquez d’abord, qu’il ne serait ni prudent ni même possible de jeter au même instant pour deux milliards d’assignats dans la circulation. L’émission sera nécessairement successive, ne le fût-elle que par le temps même de la fabrication. Remarquez ensuite, et celte observation est digne de votre attention, que l’effet de cette secousse est tempéré et rendu presque insensible par le débouché naturel des acquisitions des biens nationaux. Là est la destination, là est l’emploi des assignats, là, après des détours plus ou moins longs, ils disparaissent. Remarquez que, par la nature impérieuse des choses, émis successivement, ils' ne s’anéantiront pas non plus tout à coup ; car ce serait là une véritable calamité. De même, comme je l’espère, un nouveau signe monétaire les remplacera, et dans une proportion au moins aussi grande. Oui, Messieurs ; car si la France s’élève au degré de prospérité et de grandeur où elle doit naturellement atteind re, il est impossible qu’elle reste dan? une semblable pénurie de numéraire, et croyez qu’il importe peu que ce numéraire soit de métal ou de papier, lorsque la loi, la convention, la confiance et la solidité, en auront déterminé Dusage et la valeur. _ Les lettres de change ne sont-elles pas un véritable signe qui fait fonction de monnaie dans le commerce? Elles se reçoivent sans peine, sans embarras, sans défiance; et cependant la lettre de change souscrite parle négociant le plus honnête, et même le plus riche, n’est pas aussi assurée, ne présente pas la même certitude que les assignats; parce qu’enfin des circonstances malheureuses, des événements imprévus peuvent détruire la fortune de ce négociant, fortune presque toujours mobilière, fortune de portefeuille, tandis que la terre ne change pas, ne s’anéantit pas, et offre un gage sans cesse en évidence. Je suppose qu’une grande quantité d’assignats fît hausser les denrées et par suite la main-d’œuvre. Cette hausse, effet naturel de l’aisance, n’aura pas lieu subitement, nous en avons donné la raison ; elle ne sera pas non plus aussi considérable qu’on affecte de le craindre. — Mais enfin le numéraire augmentera dans la même propor-(1) J’espère qu’alors oa sentira la nécessité et les avantages nombreux du beau projet de M. Ferrière sur l’établissement de caisses territoriales ; projet que j’ai développé dans cette Assemblée, et qu’elle a renvoyé à l’examen de ses eomités de finance et de commerce. 519 tion, et l’équilibra s’établira naturellement. Le manufacturier, le négociant l’agriculteur trouveront de l’argent à plus bas prix, ils n’en gagneront pas moins, je dis même que leurs produits seront plus multipliés et plus avantageux. Qu’importe de payer double, lorsqu’on a le double de numéraire? C’est toujours la masse du numéraire qui règle le prix de toutes choses; si cette masse augmente, le prix hausse et dans une juste progression. Aujourd'hui que Tardent est plus commun qu’il y a deux siècles, ne donnons-nous pas plus d’argent qu’on n’en donnait alors pour la même quantité de marchandise ? En Hollande, en Angleterre, où le numéraire est proportionnellement beaucoup plus considérable qu’en France, où toutes les denrées se vendent plus cher, où la main-d’œuvre est plus chère, le manufacturier et le négociant y font-ils mal leurs affaires, et le peuple y est-il malheureux? Qu’on cesse donc de nous inspirer de fausses terreurs, de nous épouvanter par des prédictions sinistres. Examinons de sang-froid, pesons avec sagesse les raisons pour et contre les assignats; et je ne doute pas qu’on ne se décide en leur faveur. Si M. le premier ministre des finances eût suivi cette marche; si en parlant des inconvénients des assignats, qu’il n’a fondés que sur des spéculations sombres et de fausses hypothèses, il en eût examiné en même temps les avantages; si surtout il n’eut jamais perdu de vue que les assignats étant dans un des bassins de la balance, les biens-fonds sont dans l’autre, qu’il y a dès lors équilibre, ce qui éloigne toute idée de désordre, de renversement, de destruction, il se serait épargné des déclamations aussi inutiles que dangereuses et des contradictions manifestes. Quant à ce qu’il appelle l’immoralité de l’opération, nous ne trouvons rien de plus moral que de payer ses dettes, de les payer d’une manière réelle, effective. Au reste, nous attendons avec empressement qu’il nous indique un mode, et meilleur, et plus sûr, et plus moral. Savez-vous pour qui les assignats sont à craindre? Pour les banquiers, pour les agioteurs, parce que rien ne fait tomber l’agiotage comme l’aboo-dance de l’argent; parce que n’y ayant plus qu’un seul signe dans la circulation, lorsque ce signe aura fait disparaître cette multitude de contrats divers qui servent d’aliments au jeu le plus scandaleux, que deviendront alors toutes ces spéculations coupables, tous ces moyens infâmes ée s’enrichir des dépouilles d’un grand nombre de dupes et de victimes? Savez-vous pour qui ces assignats sont à craindre? Pour un ministre des finances. Eh! pourquoi? C'est que si les dettes étaient acquittées, si le régime de l’impôt était bon, si la comptabilité était claire et simple, alors un ministre des finances n’est plus un homme aussi important; il ne peut plus éblouir le vulgaire par l’appareil d’une fausse science et d’une prétendue habileté; ce n’est plus qu’un chef de bureau; et, je l’espère, nous en viendrons à ce point où le ministre se croira enfin comptable, subordonné, et le commis de la nation. Savez-vous pour qui les assignats sont à désirer ? — Pour toutes les classes utiles et laborieuses de la société qui trouveront dans un accroissement de numéraire, les ressources les plus précieuses à l’industrie et de nouveaux moyens de prospérité. Savez-vous pour qui les assignats sont à désirer? — Pour ceux qui veulent, qui aiment sincèrement 520 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790 ] la Constitution non seulement parce que tous les acquéreurs des biens nationaux deviendront nécessairement les apôtres et les défenseurs de cette Constitution, mais parce qu’ils sentent que le désordre affreux qui règne dans les finances, ne peut disparaître que par une mesure grande, ferme et vigoureuse ; que les petits moyens, les palliatifs dans la crise violente où nous sommes, ne feront que prolonger le mal, fatiguer, épuiser la nation, et amener enfin la plus terrible catastrophe. Or, cette mesure grande, ferme et vigoureuse, est celle des assignats. Et remarquez en même temps combien elle est simple, combien elle est à la portée de tous les esprits ; peut-être même est-ce son extrême simplicité qui lui enlève un grand nombre de partisans. Je ne sais pourquoi, mais en tout, les idées simples sont celles que les hommes adoptent les dernières et avec le plus de difficulté. On pourra trouver, sans doute, quelques inconvénients dans le système des assignats, parce qu’il n’est aucun système humain qui en soit exempt ; mais, certes, il n’en est point qui présente d’aussi immenses avantages, et je ne crains pas de le dire ; il est le seul qui puisse sauver la chose .publique. — J’adopte donc le projet de M. de Mirabeau, et je me réserve d’y faire quelques amendements. M. de Sinéty. Messieurs, la question soumise a pu m’effrayer par son importance, mais elle n’a point arrêté mon zèle. On a proposé l’émission de deux milliards d’assignats ; les avantages de cette opération peuvent-ils en balancer les dangers? Vous soulagez le Trésor public de plusieurs millions d’intérêt, vous donnez un débouché aux biens nationaux, et vous intéressez les créanciers au maintien de la Constitution. Mais pouvez-vous répondre de la faveur de cette opération? Les valeurs qui croîtront en apparence ne perdront-elles pas en réalité? Votre œil prévoyant doit suivre tous les mouvements de cette opération. Est-il démontré qu’aucun créancier n’aura à se plaindre? Et quand je parle de créancier, je ne considère pas seulement celui que vous allez solder; le créancier sera toujours celui qui se trouvera nanti des effets. Il n’est pas de pacte admissible, s’il n’est établi sur la confiance. Etes-vous sûrs que votre opération l’attirera? Je ne suis environné que d’incertitudes ; les quittances des finances n’offriraient-elles pas moins d’inconvénients? Quoi qu’il en soit, ne désespérons pas du salut de l’Etat; c’est à l’espoir que nous devons la Révolution ; c’est au désastre dans les finances que vous devez votre convocation. Vous touchez à l’époque la plus difficile : l’égoïsme, l’avarice et la cupidité militent contre vous; vous n’êtes point accoutumés à être effrayés par les dangers; la sagesse a dicté toutes vos opérations; elle dictera encore celle-ci. Dans mon opinion particulière, je crois entrevoir que les quittances des finances sont préférables. M. Delandine (1). Messieurs, le problème présenté à la discussion de cette Assemblée, ce problème important sur la liquidation de la dette publique, peut changer dans ses effets la face du royaume et les destinées de la France. Doit-on rembourser les créanciers de l’Etat par une émis-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Delandine. sion considérable d’assignats, ayant, comme mon naie, un cours forcé? Doit-on, au contraire, se garantir d’une ressource si violente, et lui en substituer une plus modérée, en créant des quittances de finance? L’une ou l’autre opinion a ses partisans; l’une et l’autre trouvent des adversaires. C’est dans vos mains que la balance politique sur cette question conserve encore son équilibre : mon sentiment ne peut y être d’un grand poids; mais je viens y déposer mon faible grain, comme un tribut que je vous dois, comme un tribut de mon désir d’éviter tout choc trop violent dans les rouages du gouvernement, et de mon amour sincère pour la paix et la vérité. Deux milliards d’assignats-monnaie, jetés, en ce moment au milieu de toutes les classes de l’Etat, m’ont paru le plus grand des maux; je viens donc en combattre l’émission. Deux milliards de papiers-nationaux, ou quittances de finance, distribués aux seuls créanciers de l’Etat, me paraissent satisfaire à la fois la justice et l’intérêt public; je viens donc en soutenir les avantages. Loin de détruire un système pour ne le remplacer par aucun autre, j’ai examiné successivement les deux propositions du comité; j’ai fait mon choix entre elles, et c’est ce choix qu’il est de mon devoir de vous déclarer. L’Etat va se trouver grevé d’une dette exigible montant à 1,900 millions : il faut la liquider; il faut la solder. Sera-ce au moyen d’une création de deux milliards d’assignats, représentant, dans leur valeur particulière, depuis une somme considérable jusqu’à la plus modique? Considérons dès lors quel effet leur cours va produire, et dans le moment actuel, et dans le temps qui doit le suivre. Embrassons, pour un instant, par la pensée, ce qui doit être, ce qui sera; osons enfin déchirer le masque trompeur du présent, pour découvrir les horribles traits que l’avenir peut nous présenter. En éloignant les froids calculs de l’agiotage, et tout raisonnement subtil de la banque, il faut en revenir aux idées simples, qui sont les idées vraies. Pourquoi les peuples se sont-ils accordés à donner une valeur représentative aux métaux? Quelle est cette convention tacite, mais générale, qui les rend les signes réels des denrées, des marchandises, les moyens certains et invariables de se. procurer le nécessaire, l’aisance et les plaisirs; de savourer toutes les productions de la nature, comme toutes les jouissances des arts; de s’approprier, enfin, tout ce qui est grand, tout ce qui est beau, tout ce qui est utile? Pourquoi, au lieu de ces signes métalliques, le papier plus léger, plus commode à transporter, plus expéditif pour les échanges, n’a-t-il pas été universellement préféré? Quelle puissante raison, enfin, a donc assis inébranlablement l’empire de l’or et de l’argent, et a fait successivement disparaître, comme usurpatrices, comme indignes de crédit et de confiance, ces monnaies de cuir, de vélin, de papier, qui, dans des époques désastreuses, en ont éphémèrement tenu lieu? Cette préférence s’est établie sur deux bases qu’il est très important de ne pas perdre de vue : 1° la rareté des •métaux, et l’abondance des autres matières qu’on aurait voulu leur substituer; 2° le travail considérable que les premiers exigent, pour se transformer en monnaie. Depuis l’instant où l’esclave descend dans les mines du nouveau monde, où il sonde d’horribles abîmes pour en retirer le mobile de toutes les entreprises, de toutes les espérances humaines, jusqu’à celui où le métal, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] «21 devenu monnaie, peut les réaliser, que d’efforts, que de peines, que de dangers! C’est en considérant un éeu de six livres que le législateur doit se dire : Cet objet, dans un petit espace, renferme réellement la valeur de six journées d’hommes; il a fallu réellement six journées de son travail constant, pour en faire ce signe utile : on peut donc en payer aussi le labeur de six journées; car celui qui le recevra, aura échangé son travail de la semaine contre la représentation réelle, intrinsèque et non fictive, d’une semaine de travaux. Si la vraie richesse repose uniquement sur le bras de l’homme, si elle est le produit seul de l’emploi de son temps, c’est un véritable trésor que celui qui a concentré le produit de beaucoup de travaux, dans un signe dont la peine et le salaire dé la fabrication égalent la peine et le salaire que l’on veut payer. Quelle autre monnaie offre la même rareté dans sa matière, la même valeur dans sa fabrication, et par conséquent la même valeur dans son échange? La confiance générale accordée aux métaux n’est donc pas illusoire et vaine? Elle doit donc l’être pour tout autre signe. D’après cette réflexion dont vos lumières, Messieurs, feront dériver toutes les conséquences, j’en reviens directement à la question, c’est-à-dire à l’influence que cet autre signe, ces assignats doivent avoir sur le moment présent. Des créanciers, qui ont contracté avec l’Etat, s’en emparent, mais pour les verser à leur tour sur leurs créanciers. Les premiers, redoutant à la fois et d’éprouver une baisse sur le numéraire fictif, dont l’abondance doit avilir la valeur, et de l’employer à des acquisitions qui leur paraîtront d’autant plus onéreuses qu’elles seront urgentes, et portées par la concurrence de la crainte au delà de leur prix, chercheront une issue pour se débarrasser des assignats, sans acquérir; et ils la trouveront aisément cette fatale issue, puisque l’assignat aura un cours forcé et sera monnaie. Toute dette particulière sera payée en assignats; tout débiteur se liquidera; tout créancier de bonne foi se verra rembourser en papier le produit de l’économie de ses pères, et des travaux de sa vie. Ainsi, ces papiers viendront refluer sur les véritables familles de l’Etat, sur les propriétaires. Ceux-ci, déjà surchargés de terres et d’impôts, perdant néanmoins le revenu en argent, qui seul leur permettait de fertiliser les unes et de payer les autres, se verront encore contraints d’ajouter des domaines à leurs domaines, et des champs infertiles à des champs ingrats. Dans la terreur de perdre, ils accroîtront leurs propriétés en voyant s’évanouir les seuls moyens de les faire valoir. Pauvres, au milieu des biens, ils auront des terres, et point de bras. Ils récolteront peu, et l’Etat leur demandera beaucoup. Mais s’ils sont ruinés, c’est l’Etat qui supportera leurs pertes ; il n’est riche que de la richesse publique; il n’est florissant que par la juste division des héritages, les succès de l’agriculture, une imposition facile à retirer ; en un mot, par les bienfaits de sa propre administration. Quel bouleversement dans les fortunes ! Que d’échanges, que d’actes, que de procès, que de troubles! Au milieu de tous les citoyens en agitation, se flatte-t-on que la France reste tranquille? Les convulsions des individus assureront-elles le repos public? A peine sortis d’une crise heureuse, et seulement obscurcie par quelques désastres particuliers, voulons-nous l’échanger contre une crise terrible et funeste, faiblement adoucie par les avantages que sauront bien en retirer quelques individus isolés? Là, ce fut une vagte mer où le calme a reposé sur l’ondulation légère et la mutinerie de quelques flots; ici, ce sera une tempête générale produite par le gonflement de toutes les vagues, leur choc effrayant et continuel, le chaos de leurs mouvements tumultueux, et dont le bruit sinistre s’augmentera encore parles cris des oiseaux de proie, se réjouissant toujours au milieu des orages et des ténèbres de l’horizon. Tel sera, je le redoute, le moment présent: l’avenir, du moins, nous offrira-t-il quelque espoir plus consolateur? Non, Messieurs, et voici mes preuves. L’émission des papiers, pour deux milliards, double le numéraire du royaume, et dès lors les denrées doublent de prix. Il est, vous ne l’ignorez pas, une proportion invincible qui tend sans cesse à mettre un parfait niveau entre la rareté ou l’abondance des espèces, et la cherté ou la diminution du prix des fruits de la terre. Pour toutes les nations, cette proportion est successive et graduelle; pour nous, elle s’établirait par secousse et presque tout à coup. D’un autre côté, le salaire de l’ouvrier et de l’artisan doit se combiner, soit avec la circulation plus ou moins facile de l’argent, soit avec l’abondance plus ou moins grande des denrées : pour nous, l’avarice de celui qui occupe viendra lutter contre la demande de celui qui est occupé ; l’un voudra assujettir l’autre par le besoin, au taux qu’il voudra fixer ; celui-ci combattra par l’inertie, par le tableau de ses souffrances, et peut-être par cet effrayant remède aux maux extrêmes, l’insurrection. Pour nous, cette gradation que le temps amène insensiblement entre les richesses publiques et les travaux particuliers, ne pourra plus exister; tout échelon sera rompu. Si les denrées enchérissent, si leur prix accroît indispensablement celui des salaires, alors nos manufactures périssent; l’Etat est ruiné. C’est la modicité de la valeur des comestibles qui permet au fabricant de travailler pour une rétribution modique. L’objet fabriqué passe, dès lors, à bon compte dans les magasins du manufacturier. Aussitôt, ce dernier éteint toute concurrence avec l’étranger. La perfection de sa main-d’œuvre, le fini de l’ouvrage et son prix avantageux lui font accorder la préférence dans tous les marchés : dès lors, les commissions affluent; le numéraire des Etats voisins s’en échappe pour se répandre au milieu de nous: les mers se couvrent des navires de notre négoce; les foires s’embellissent par le luxe de nos productions ; nos ateliers se peuplent d’ouvriers; la mendicité cesse; l’indigence fuit, et le commerce national s’élève, s’accroît et propage sa splendeur. Alors, mais seulement alors, cette branche de la prospérité publique se couvre de fruits pour celui qui la cultive, et l’avantage de l’univers. Mais le commerce national, qui n’est que le produit d’un échange mutuel que fait la France avec les nations voisines, ne peut exister sans le numéraire réel. Nul autre ne peut en tenir lieu. Sans ce numéraire, le commerce, loin de nous être utile, va nous appauvrir; et l’Etat verra se convertir en poison funeste, cet aliment qui lui est cependant si nécessaire. Des assignats naîtront la perte du crédit, de nos ateliers, de notre population, de notre marine marchande, et tous les maux que doit entraîner la privation d’objets de luxe, dont l'usage est devenu inhérent à, notre bonheur. Il ne faut pas réfléchir longtemps pour reconnaître que nous ne recueillons point au mi- 522 [Assen-blée nationale.] lieu de nous les deux matières premières de notre principal négoce : la laine et la soie. L’une nous est fournie, en grande partie, par les Etats septentrionaux, l’autre par les régions du Midi. Nos plus beaux draps, nos plus riches étoffes, ont reçu de nos mains le mérite de leur fabrication; mais ce sont nos voisins qui nous ont fuuroi ee qui les compose. Pour me borner à un seul exemple, chaque année les manufactures de Lyon retirent, pour plusieurs millions, des soies fines et l’organsin du Piémont, du royaume de Naples et des contrées de l’Italie. Ces soies sont achetées avec de l’argent, ou en échange de marchandises qui le représentent. Ces soies, pour obtenir les diverses nuances et les couleurs du goût, ont besoin de drogues et de bois de teinture que l'Inde et l’Amérique nous cèdent par les mains de laborieux navigateurs, dont la plupart sont encore étrangers; et de toutes parts alors l’argent sort de nos comptoirs pour aller alimenter les leurs. Sitôt que l’emplette des soies est faite, que l'art les a préparées, c’est l’instant où l’industrie nationale s’en empare, pour rendre à son tour tributaires les autres nations. Les mains de l’artisan sont guidées, et Iracent ces dessins riants et voluptueux qui assurent à nos fabriques le tribut du luxe et de la vanité européenne. Les* commissions s’expédient; l’Espagnol envoie en retour ses piastres, et le Russe ses roubles: le change s’en effectue ; mais ces nations vont bientôt trouver le moyen de le rendre avantageux. C’est du papier qu’elles achèteront; c’est avec des assignats qu’elles satisferont à leurs créances: plus de retour en numéraire; partout uu discrédit sur le papier de nos principales villes de commerce ; un échange onéreux les flétrit : dès lors, tandis qu’un fleuve d’or sortant de nos frontières s’étend chaque jour sur des plaines étrangères qu’il fertilise, une aridité dévorante, de vains papiers, de stériles assignats, tarissent les sources de la prospérité publique, dès lors, l’argent disparaîtra entièrement. Sa rareté en accroîtra la rareté, comme la terreur double le péril et multiplie les fantômes. Plus d’échange, plus d’arts, plus de commerce. Nos richesses réelles au loin ; des richesses imaginaires dans nos foyers. Plus d’or, mais du papier ; des biens à vendre, et tant d’incultes; mille domaines, et pas un écu pour les faire cultiver; l’Etat gonflé sur-le-champ d’un embonpoint funeste, mais qui disparaît pour montrer l’horrible maigreur et son entière dissolution. Tel peut être le fruit d’un remède extrême, créant, pour, un instant, une espérance mensongère et un réveil trompeur, que doit suivre un inévitable et mortel engourdissement. Ainsi, l’opium émeut d’abord, enivre ensuite, éteint peu a peu la vie, et produit enfin d’horribles convulsions et l’affreux repos du néant. Non, ce n’est point une fiction désordonnée que celle qui nous fait présager qu’en augmentant les causes du mal, on ne peut le faire cesser. Mais, nous a-t-on dit, la création de 400 millions d’assignats a été très utile à la province, puisque celle-ci a retiré de la capitale cent millions qu’elle devait, et qu’il aurait été impossible de payer par le resserrement du numéraire. Ce n’est point tant à la province qu’aux banquiers, qu’aux faiseurs d’affaires que cette émission a été utile. Eux seuls sont parvenus à se libérer, en rejetant le déficit des papiers sur leurs créanciers. Eux seuls, après avoir reçu des espèces monnayées ou des marchandises, les ont acquittées avec un prix d’opinion. Je ne sais [3 septembre 1790.] pourquoi on se refuserait à proposer, au lieu du bonheur fantastique de posséder tant de papiers pour moyens d’échange, ce problème arithmétique plus simple, et dont la solution pourrait être bien plus utile. Si l’émission de 400 millions d’assignats a augmenté la valeur de l’argent, si les premiers éprouvent une perte de 5 à 6 pour 100, quelle sera la valeur de l’argent et le taux de la perte sur le papier, lorsqu’il y en aura eu circulation cinq fois davantage? Certes, ee serait vraiment, comme on vous l’a dit dans un autre sens, une décision bien hardie que celle qui, nous sortant de l'état où nous nous trouvons, ferait prendre 40 pour 100 aux capitalistes, aux commerçants et aux propriétaires ? Je sais qu’avant l’émission des assignats, les billets, depuis l’embarras delà caisse d’escompte, éprouvaient déjà une perte considérable, puisqu’on ne pouvait les changer à simple présentation contre de i’argeat; mais je le demande, ces assignats si prospères� qui ont remplacé les billets, ont-ils diminué cette perte, ont-ils changé cette pénurie d’espèces, ce discrédit de tout papier forcé, cette augmentation du prix dans les ventes, parce que le vendeur calcule toujours la perte du change et le déficit réel du payement ? Lorsqu’il y aura pour deux milliards de plus d’assignats circulants, je le demande, trouvera-t-on un change plus facile, et la confiance, le crédit, descendront-ils sur nous par une miraculeuse et subite inspiration? Je consulte, pour répondre, et les terreurs des provinces, et les caisses d’échanges d’assignats contre le numéraire, que le patriotisme a été forcé d’v établir; et cet effroi public et général de ne voir entre ses mains, pour gage de sa vie, de sa subsistance, de sa propriété, que du papier. Voyez les provinces et Paris en regorger ; voyea tous les impôts payés en celte monnaie, et le gouvernement haletant de besoin avec cette chimérique richesse. Tous ses marchés seront faits à perte, toutes ses opérations coûteuses et pénibles. Il faudra qu’il subisse la loi d’un échange énorme, pour fournir lasolde des troupes de terre et de mer. 11 faudra qu’il arrête l’émigration des ouvriers, qu’il modère en plusieurs lieux la ehertê des denrées, qu’il adoucisse les peines, qu’il console des sacrifices, et qu’il calme le désespoir. 11 faut s’arrêter ; car vos lumières, Messieurs, devancent ce que j’aurais à ajouter, ce que d’autres opinants présenteront, sans doute, sur cette matière; mais, en me résumant, je dis qu’en créant pour une somme exorbitante d’assignats, c’est avilir notre numéraire et diminuer notre véritable richesse ; je dis que jamais le papier ne peut représenter l’or, et soutenir sa concurrence ; je dis que celui que vous croirez attaché à l’acquisition des biens nationaux, n’acquerra point, et qu’il fera passer à ses légitimes créanciers le produit de votre émission ; je dis que ces créanciers, propriétaires économes, véritables soutiens de l’Etat, supporteront presque seuls le fardeau de l’emploi des papiers, et que ceux-ci, comme une lèpre politique, viendront frapper leurs cœurs d’accablement et leurs champs de stérilité. J’ai pensé qu’un mouvement aussi rapide, aussi général, s’unissant aux étincelles d’insubordination particulière, pourrait malheureusement allumer un incendie dévorant et funeste que la prévoyance législatrice doit prévenir. J’ai pensé que i’aecroissement du numéraire augmentant le prix des denrées, le riche ne deviendra pas plus opulent, tandis que le peuple deviendra plus malheureux. J’ai pensé quà la ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] cherté des denrées tenait celle des marchandises, et que le commerce, cette grande ressource des Etats modernes, s’anéantit pour nous, si l’ouvrier ne peut, à bon compte, vivre et travailler. Je dis enfin que chaque nation voisine s’armant d’un syphon funeste, épuisera notre or, fouillera dans le sein du corps politique, le desséchera, et en produira l’anéantissement. C’est au nom de la patrie, qu’on vous a demandé, Messieurs, pour deux milliards d’assignats ; c’est en son nom encore que je vous demande de les repousser loin d’elle. Une pareille ressource couvre trop de dangers; et si ses ennemis avaient pu concevoir un vœu contre sa liberté et sa future splendeur c’est peut-être celui-ci qu’ils auraient formé. Si la première proposition du comité de liquidation me paraît inadmissible, il n’en est pas de même de la seconde. Les quittances de finance en effet présentent un moyen plus doux, et par conséquent préférable. L’Etat est débiteur de dix-neuf cents millions de créances échues ou qui vont être exigibles. Il doitd’abord à ses créanciers une prompte liquidation de leurs prêts, de leurs avances, et aussitôt une reconnaissance légale de leur valeur. L’Etat ressemble, en ce moment, à un nombre infini de ses citoyens qui, quoique riches en propriétés foncières, manquent de numéraire, et qui, sans rien faire perdre à leurs créanciers, leur offrent des champs pour se libérer, ou s’engagent à leur déléguer le produit certain de leur vente. Gelai qui présente plus de ressources que de dettes, plus de biens territoriaux que de charges à acquitter, est dans une position gênée, mais non périlleuse. Le créancier hypothécaire n’a pas droit de se plaindre, lorsqu’en lui conservant ses droits, on lui donne le choix, ou de l’acquisition du fonds, dont une partie de la propriété lui a déjà été aliénée par son hypothèque, ou de la délégation du prix qui va se trouver entre les mains de l’acquéreur. Cette opération est celle que doivent produire les quittances d’Etat, les reconnaissances liquidées de la dette publique. Chaque porteur de ces quittances devient dès lors un créancier hypothécaire des biens mis en vente par la nation. Dans le court intervalle et de la liquidation et de la vente, un intérêt attaché à ces quittances témoignerait le respect du Corps législatif pour les revenus de la propriété. Mon désir serait que cet intérêt fut de 3 0/0, et à peu près égal au produit des terres. Il ne serait point assez modique pour priver de secours ceux qui, ayant toute leur fortune dans les créances du gouvernement, ne trouveraient pas de ressources ailleurs. Il ne serait point assez considérable pour engager le créancier à préférer son titre à l’acquisition des propriétés nationales. Tout paraît plus juste alors, et tout devient plus aisé ; car le crédit des Etals se fonde sur la facilité de ses opérations, et la justice de ceux qui ordonnent, console ceux qui sont soumis, et assure leur obéissance. Plus d’inquiétudes dans toutes les classes ; et les nuages nébuleux abandonnent notre atmosphère. Les quittances de tinance n’étant plus un papier-monnaie, mais devenant réellement une Obligation foncière, et par conséquent le vrai papier territorial, ne circulent plus dans les conditions les moins aisées, et n’y emportent point toute espérance. Ces quittances, divisées en coupons de valeur diverse, rendraient tout échange, toute acquisition plus facile; mais s’il était possible, ce que je ne puis présumer, que ce papier 513 garanti par le taux modéré de ses intérêts, par une hypothèque spéciale et certaine, par l’honneur de la nation ; si ce papier pouvait encore éprouver la fluctuation de l’agiotage, pourquoi cette alternative d’accroissement ou de diminution dans sa valeur, ne frapperait-elle pas plutôt les créanciers de l’Etat que les simples cullivateurs ; plutôt ceux qui ont fait avec l’Etat des opérations lucratives, que les citoyens tranquilles qui n’ont connu du gouvernement que les charges et les impositions ; plutôt enfin ceux qui ont brillé dans le luxe et les profits de la finance, que ceux qui, obscurs, pauvres et trop oubliés des rois, des grands et des administrateurs, ont cependant fabriqué ou ces vêtements fastueux qui les couvrent, ou fait naître les denrées bienfaisantes qui les nourrissent. Avec un papier-monnaie le peuple doit en supporter le discrédit ou du moins en partager les dangers ; avec des quittances de finance, les hommes de cour, les hommes de banque, les hommes de loi restent attachés au sort de l’Etat. Le titre qu’ils ont en main les avertit sans cesse qu’ils doivent être citoyens. Ce n’est point au peuple, ce n’est point au propriétaire qu’il faut apprendre à aimer la patrie ; tout les y attache, et leurs travaux continus, et leurs jouissance-si rares, et leur espoir toujours renaissant. C’est pour les hommes qui ont concentré tomes leurs vues, tout leur bonheur dans un portefeuille que vous devez créer une patrie. Il est temps qu’ils connaissent et le désir de la servir généreusement et pour elle-même, et la douceur d’en avoir une. Forcés, par leur propre intérêt, à devenir citoyens, c’est alors que ces nombreux créanciers s’efforceront d’échanger leur papier territorial contre les fonds qu’il représente. « On parle de vendre, a dit mon éloquent confrère M. de Mirabeau, et l’on ne fournirait au public aucun moyeu d’acheter! Ignorerait-on qu’avec rien on ne fait rien ? » Les quittances de lioancesout les m oyens justes et modérés d’acheter, et de faire tout ce qui est avantageux d’exécuter. En vain les possesseurs de ces quittances voudraient-iJs les faire circuler dans les ateliers et les manufactures; ils n’y ont pas cours. L’agriculture seule les sollicite; l’agriculture seule leur offre des champs, et ses travaux, de tous les plus naturels à l’homme; elle seule les appelle pour leur rendre le repos, des sentiments patriotiques et peut-être un cœur. C’est alors, Messieurs, que loin de vous être égarés dans votre route, vous êtes arrivés au bot. Divisez les possessions, multipliez les propriétaires, créez de nouveaux sujets à l’Etat, attachez tous les hommes au sol qui les a vus naître ; c’est le moyen de régénérer les mœurs publiques, et c’est la régénération des mœurs publiques qui peut seule assurer la gloire et le bonheur de votre Constitution. L’émission des quittances de finance, mais non celle des assignats ayant un cours forcé, peut fixer le véritable point de vue du tableau que vous a offert M. de Mirabeau. G’est alors que vous pourrez réellement y considérer le civisme se réveillant tout à coup dans de certaines classes, après une profonde léthargie. Mais pour faciliter ce réveil, mais pour que l’Etat soit à la fois bienfaisant et juste, il peut assurer un avantage à ses créanciers, il peut leur accorder une faveur dans les acquisitions à faire. Que celui qui soldera ses achats avec le papier national obtienne, à enchères égales, la préférence sur l'argent. Dès lors la valeur de ce papier ne pourra qu’accroître : du moins son émission, 534 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 septembre 1790.] quelque considérable qu’elle soit, circonscrite dans d’heureuses limites, et bornée par des rives opulentes, ne viendra pas comme deux milliards d’assignats, c’est-à-dire comme un torrent dévastateur, entraîner dans son cours, et les comptoir des villes, et les cabanes des laboureurs. Sans doute, les besoins urgents de nos finances, pour la fin de cette année et le commencement de la prochaine, exigeront encore une nouvelle émission d’assignats ; mais du moins qu’elle soit de peu d’étendue, et simplement proportionnelle au déficit du Trésor public; mais du moins qu’elle soit sans cet intérêt qui doit la discréditer ; qu’elle soit annoncée invariablement comme la dernière. Prenons alors les moyens les plus prompts d’accélérer la perception des impôts, de mettre le niveau entre la dépense qui, n’est point encore parfaitement connue, et la recette à exiger des contribuables. Augmentons d’efforts, doublons le temps, s’il est possible, et travaillons la nuit et le jour à cet important objet. C’est le palladium de la Constitution ; c’est le salut du peuple : c’est la loi suprême. Par cette double émission, et d’assignats très-limités, et de quittances de finance, nulle convulsion, aucun déchirement déplorable. Ah ! ne devenons pas, je vous en conjure, semblables à ces empiriques qui, lorsqu’on aurait pu guérir sans froissement, sans séparation cruelle, avec des calmants et le baume du temps, prennent hardiment le fer et le feu, et viennent, inconsidérément, porter les angoisses et la douleur sur des êtres d’autant plus respectables, qu’ils sont malades et sensibles. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité des finances, a décrété ce qui suit : 1° Il sera incessamment procédé à la liquidation de la dette publique ; et, à cet effet, il sera adjoint trente nouveaux membres à chacun des comités de liquidation et de judicature, pour reconnaître chaque partie des créances exigibles et arriérées ; 2° Immédiatement après, il sera délivré à chaque créancier, dont la créance aura été liquidée, une quittance de finance, ou reconnaissance de sa valeur, suivant la forme qui sera déterminée; 3° Les quittances de finance seront divisées en coupons de 1,000, 500, 300 et 200 livres; et il leur sera fixé un intérêt annuel de 3 0/0, décroissant, d’année en année, de 1/2 0/0 ; 4° Tout porteur de quittances de finance sera admis à l’acquisition des biens nationaux, et celui qui en versera pour une somme plus considérable aura, à enchères égales, la préférence sur l’argent; 5° Le comité des finances présentera incessamment Je projet d’une nouvelle émission d’assignats proportionnelle aux besoins de cette année et du commencement de la prochaine. M. de Folleville. Je demande l’impression du discours de M. Delandine, afin qu’on puisse en faire la comparaison avec celui de M. de Mirabeau. M. de Croix. Je crois que l’impression serait une faute, pour le cas où l’Assemblée décréterait la création des assignats. M. de Folleville. Cela prouverait, au contraire, que l’Assemblée s’est décidée en connaissance de cause. (L’impression du discours de M. Delandine est ordonnée.) M. Dnbois-Craneé. Je demande l’impression du discours de M. Pétion. M. de Laehèze. Je demande celle de tous les discours qui seront faits sur cette matière. (L’impression du discours de M. Pétion est décrétée à une très grande majorité.) M. le Président. Je viens de recevoir de M. de La Tour-Du-Pin une lettre et des pièces relatives à l 'insurrection de Nancy, dont un de MM. les secrétaires va donner lecture. Lettre de M. de, La Tour-du-Pin. « Monsieur le Président, j’ai l’honneur de vous adresser une lettre de M. de Souillé et du directoire du département de la Meurthe. Je ne crois pas devoir perdre un moment pour vous communiquer les originaux. Je n’ai pu encore faire connaître ces nouvelles au roi, mais je suis sûr que je préviens ses intentions. » Copie de la lettre de M. de Bouillê à M. de La Tour-du-Pin (1). De Nancy, le l#r septembre 1790. Messieurs, j’ai été trop occupé de toutes les manières depuis que je suis entré dans cette ville, pour avoir pu vous faire le rapport de tout ce qui s’y était passé. J’ai prié Monsieur votre fils de vous en instruire sur-le-champ, et j’ai l’honneur de vous en envoyer aujourd’hui le récit. J’ai réuni, le 31 dans la matinée, à Frouard et Champigneulle, sur la route de Pont-à-Mousson à Nancy, les troupes destinées à faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale. J’y avais fait joindre les grenadiers et chasseurs de la garnison de Metz ; je voulais connaître l’esprit des troupes ; je jugeai à leurs dispositions que je pouvais tout entreprendre avec elles, et qu’elles regardaient les régiments de la garnison de Nancy comme des rebelles à la loi. J’étais également satisfait du zèle et de la bonne volonté des gardes nationales de Metz et des environs. Je reçus, à onze heures et demie, une députation de la municipalité et des soldats des régiments de la garnison de Nancy; il y avait même aussi un député des carabiniers. Je leur donnai audience au milieu des soldats dont on avait peine à calmer la fureur et l’emportement. Je leur répétai ce que j’avais exprimé dans ma proclamation, et je dis aux soldats, que i’ordonnais que les trois régiments sortissent de la ville, et qu’alors je ferais exécuter l’arrêt prononcé contre eux par le décret; que je voulais qu’avant, MM. de Noue et de Malseigne fussent remis en liberté. Ces députés de la municipalité me demandèrent à ne pas rentrer dans la ville, craignant d’être égorgés par le peuple qui avait pillé les arsenaux et enlevé plus de 4,000 fusils. On entendit tous les soldats crier à ceux de Nancy, qu’ils étaient des traîtres et des rebelles, et ils me (1) Le Moniteur ne donne qu’un extrait de ce mé» moire.