336 [Assemblée nationale.] bre de M. le Dauphin et de Madame Royale, seront mis en liberté. » (Ce décret est adopté.) M. le Président lève la séance à qnatre heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU VENDREDI 15 JUILLET 1791. De la république ou un roi est-il nécessaire A LA CONSERVATION DE LA LIBERTÉ? par M. Condorcet. Discours dont l'assemblée fédérative des amis de la vérité a demandé l'impression en votant des remerciements à son auteur (1). Les Français n’ont plus besoin que l’éloquence les appelle à la liberté. Le courage ardent qu’ils ont déployé pour la recouvrer, et la fermeté tranquille avec laquelle ils ont contemplé le grand danger qui vient de la menacer, prouvent assez qu’ils seront fidèles au serment de vivre et de mourir pour elle. C’est donc à leur raison seule qu’il faut parler des moyens de s’assurer une liberté paisible, fortunée, digne en un mot d’un peuple éclairé. Affranchis, par un événement imprévu, des liens qu’une sorte de reconnaissance leur avait fait une loi de conserver et de contracter de nouveau, délivrés de ce reste de chaîne que, par générosité, ils avaient consenti à porter encore, ils peuvent examiner enfin si, pour être libres, ils ont besoin de se donner un roi. Car la nécessité seule peut excuser cette institution corruptrice et dangereuse. Si le peuple se réserve le droit d’appeler une Convention nationale, dont les membres élus par lui soient chargés de prononcer en son nom, qu’il veut ou qu’il ne veut plus conserver le trône ; si l’hérédité se borne à suivre ce mode de remplacement pour le très petit nombre d’années qui doit s’écouler entre deux Conventions, alors on ne peut pas regarder l’existence de la royauté comme essentiellement contraire aux droits des citoyens et c’est à cette condition seule que l’on peut, sans crime et sans bassesse, se permettre de peser les dangers et les avantages du gouvernement monarchique. Les raisons qui peuvent engager des hommes à se créer un roi pour l’intérêt même de la liberté existent-elles ou n’existent-elles point parmi nous? Telle est donc la question qu’il faut résoudre. I. — Les amis de la royauté nous disent : il faut un roi pour ne pas avoir un tyran; un pouvoir établi et borné par la loi est bien moins redoutable que la puissance usurpée d’un chef qui n’a d’autres limites que celles de son adresse et de son audace. Mais cette puissance d’un usurpateur est-elle à craindre pour nous? Nun, sans doute. La division de lEmpire en départements suffirait pour rendre impossibles ces projets ambitieux; et ce qui aurait été imprudent peut-être avant cette (1) C’est ce discours auquel fait allusion M. Goupil-Picfeln dans son opinion sur les événements relatifs à l’évasion du roi.— Voy. ci-dessus, même séance. [15 juillet 1791.] mesure si bien combinée, si utile, est aujourd’hui sans danger. L’étendue de la France, plus favorable que contraire à rétablissement d’un gouvernement républicain, ne permet pas de craindre que l’idole de la capitale puisse jamais devenir le tyran de la nation. La division des pouvoirs fondée non seulement sur la loi, mais sur la différence réelle des fonctions publiques, est encore une autre barrière. L’armée, la flotte, l’administration des finances, celle de la justice, sont partagées entre des hommes dont l’éducation, les lumières, les habitudes, sont essentiellement différentes; il faudrait avoir détruit, corrompuou dénaturé tous ces pouvoirs, avant de pouvoir aspirer à la tyrannie. Enfin la liberté de la presse, l’usage presque universel de la lecture, la multitude de papiers publics, suffisent pour préserver de ce danger. Pour tout homme qui a lu avec attention l’histoire de ['usurpation de Cromwell, il est évident qu’une seule gazette eût suffi pour en arrêter le le succès ; il est évident que si le peuple d'Angleterre eût su lire d’autres livres que la Rible, l’hypocrite, démasqué de ses premiers pas, eût bientôt cessé d’être dangereux. Les tyrans populaires ne peuvent agir que sous le masque, et dès qu’il existe un moyen sûr de le faire tomber avant le succès, de les forcer à marcher le visage découvert, ils ne peuvent plus être à craindre. Ne cherchons donc point à nous faire un mal réel pour prévenir un danger imaginaire. II. — Un roi est nécessaire pour préserver le peuple de la tyrannie des hommes puissants. Mais je lis notre Constitution, et je demande où ces hommes puissants peuvent encore se trouver. 11 n’existe plus de dignités, de prérogatives héréditaires, le partage égal des successions, la publicité de toutes les opérations de finances, l’administration populaire de l’impôt, la liberté du commerce, ont opposé des limites suffisantes à l’inégalité des richesses. En détruisant la noblesse, le clergé, les corps perpétuels de magistrature, le peuple français a détruit tout ce qui lui rendait utile la protection d’un monarque; et ceux qui ont prétendu que la reforme de tant d’abus était l’anéantissement de la monarchie, ont dit plus vrai qu’ils ne le croyaient eux-mêmes. III. — Un roi est nécessaire pour défendre les citoyens des usurpations d’un pouvoir législatif? Cette raison pourrait avoir quelque poids, s’il s’agissait d’un pouvoir législatif antérieurement établi, car il serait possible que son action n’eût pas été renfermée dans de justes limites et dans un pays où il existe un roi, il pourrait être dangereux de le supprimer, en conservant étourdiment tout le reste, sans examiner si cette suppression ne rend pas d’autres changements nécessaires. Aussi, qui jamais s’est avisé de le proposer? Les ennemis de la liberté voudraient bim que ses défenseurs se livrassent à de pareilles absurdités. Mais, en France, comment les usurpations du pouvoir législatif seraient-ellesà craindre ?N’y est-il pas fréquemment renouvelé? N’y a-t-il pas entre les citoyens et lui des officiers publics, des exécuteurs "des lois choisis par le peuple?Les bornes de ses fonctions ne sont-elles pas fixées par des lois qu’il ne pourra changer; des Conventions nationales que le peuple aura le droit de demander; qui de plus seront convoquées à des époques fixes, ne veilleront-elles pas sur les usurpations ARCHIVES PARLEMENTAIRES.