�Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1791.] attention, s’il est conforme aux principes de l’organisation que vous adopterez pour les gardes nationales d'établir au milieu d’elles une espèce d'armée auxiliaire, d’établir une distinction frappante, entre une partie des gardes nationales et le reste de ce même corps. Sans entrer dans le développement de ces raisons, qui ne me paraît pas placé dans ce moment, je conclus à ce que vous renvoyiez cette partie du décret lors de l’organisation de la garde nationale. M. Le Chapelier. Loin que je sois de l’avis qu’il faut un corps séparé pour maintenir la tranquillité publique, je crois, au contraire, que pour le maintien de la tranquillité, il ne faut pas de force séparée. Il faut que tous les citoyens, devenus militaires au nom de la liberté, soient employés à la défense de la tranquillité publique. Je demande que ces articles soient ajournés jusqu’à l’organisation des gardes nationales. M. Barnave. Je demande à proposer un amendement à l’ajournement. Le préopinant, dans les principes qu’il a établis, a évidemment méconnu la teneur des articles qu’il combat; il suppose que ces articles tendent à établir deux corps, à établir des distinctions dans la garde nationale. Qu’il me soit permis de dire la vérité, et cela est important dans la circonstance. Les articles proposés présentent trois dispositions: L’une, c’est que lorsque par un décret du Corps législatif les gardes nationales pourront être employées à la défense de l’Etat, elles n’agiront que par extrait ; car il est évident que tous les citoyens actifs étant gardes nationales, on ne peut pas dépeupler un pays pour envoyer les citoyens dans une autre partie du royaume. La seconde disposition, c’est que ces hommes, extraits de la garde nationale au moment où il faudrait servir, nommeront eux-mêmes leurs officiers. La troisième, enfin, c’est que la composition du corps aura lieu par cantons et districts. ( Interruptions. ) On ne crée pas deux corps dans la garde nationale, du moment que ceux qui marcheront à la réquisition, qui en sera faite en vertu du décret du Corps législatif, ne seront choisis que pour l’occasion unique dans laquelle ils devront marcher et que, rentrés chez eux, ils reprendront leur place dans le corps, sans aucune distinction. Je demande l’ajournement à jour lixe et très prochain, à lundi. M. de Mirabeau. J’éplucherai aussi sévèrement qu’un autre les motifs de l’organisation des gardes nationales, de quelque côté de la salle et de quelque côté du royaume qu’elle arrive; mais certes, il est un peu singulier que l’on veuille despotiquement empêcher vos comités de donner leurs motifs. Jecommence par dire que l’ajournement me paraît bon, que j’adopte l’ajournement. Mais j’ajoute deux choses: d’abord, je pense avec M. Barnave que, comme une de nos mesures les plus rassurantes et fondées sur les circonstances est d’augmenter notre force active, l’ajournement doit être à jour lixe ; la seconde, qu’il y a une très piquante singularité à ce que ce soit au moment où les comités déclarent qu’ils adoptent l’ajournement, que M. Le Chapelier vienne chercher un sens caché dans les articles. {Applaudissements.) Je déclare, au nom des 40 membres composant les 3 comités, que notre intention n’a jamais été de séparer dans ce projet de décret la garde nationale en deux corps. Nous déclarons aussi que nous trouvons extrêmement simple que la rédaction en soit plus soignée, plus débattue, que l’ajournement soit adopté. Nous ne voulons pas de garde nationale en deux corps; nous voulons encore moins servir l’ambition de qui que ce soit. M. Ae Chapelier. Nous ne le voulons pas plus que vous. Qu’on relise l’article 1er du projet de décret et l’on verra si j’ai eu tort dans ce que j’ai dit. M. de Mirabeau. Cela est faux. M. Alexandre de Carnetli, rapporteur. Cela est faux. M. Robespierre. Je demande si, daus l’Assemblée on ne peut dire son opinion contre l’avis d’un rapporteur sans être insulté. (L’Assemblée ajourne la discussion après la distribution du projet sur l’organisation des gardes nationales.) L’Assemblée passe à la discussion du projet de décret présenté par M. de Mirabeau. M. de Mirabeau donne lecture des divers articles de ce projet : « L’Assemblée nationale décrète : Art. 1er. « Que les comités des pensions et diplomatique réunis seront chargés de faire, dans 3 jours, un rapport sur les pensions de retraite qu’il convient d’accorder aux agents du pouvoir exécutif, dans les pays étrangers, en cas de remplacement. » (Adopté.) Art. 2. « Que le roi sera prié de donner des ordres pour porter au complet de 750 hommes par bataillon, 30 régiments d’infanterie; et au complet de 170 hommes par escadron, 20 régiments de troupes à cheval, dont 8 de 4 escadrons, et 12 de 3 escadrons, pour, lesdites troupes, être réparties dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, des Ardennes, du Nord, de la Haute-Saône, du Doubs, du Jura, du Yar, de l’Isère, des Hautes et des Basses-Alpes. » M. Gaultier Riauzat. Je demande, par amendement, que tous les régiments qui seront placés dans les départements désignés par l’article, soient des régiments français. M. d’André. Il n’y a plus que des régiments français. M. Gaultier Riauzat retire son amendement. (L’article 2 est adopté.) Art. 3. « Que le ministre de la guerre présentera incessamment l’état de la dépense extraordinaire [Assemblée nationale.) qu’exigera cette augmentation de troupe?, avec le train d’artillerie et l’attirail des campements proportionnés, et tous les autres préparatifs nécessaires à un système de pure défense. » (Adopté.) M. de Menou, rapporteur du comité militaire. Messieurs, vuus avez renvoyé au cours de celte séance, pour rédaction, au comité militaire, un projet de décret relatif à la distribution de fusils aux départements. Voici le nouveau texte que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité militaire, décrète : « 1° Que le roi sera prié d’ordonner qu’au nombre de 50,000 fusils, qui, d’après un décret en date du 18 décembre dernier, doivent être distribués aux gardes nationales, soit ajouté celui de 47,903 autres fusils, total 97,903 fusils, qui, pris dans les magasins de l’Etat par le ministre de la guerre, seront par lui remis au ministre chargé par le roi de la surveillance de l’intérieur du royaume, et distribués par lui aux départements d’après les proportions indiquées dans l’état ci-après : « 2° Ces fusils seront marqués des deux lettres A. IN., signifiant Armée nationale; les départements, districts et municipalités veilleront à ce qu’ils ne soient pas dilapidés. En conséquence, les noms des citoyens auxquels ces armes auront été confiées, seront eniegistrés dans chaque municipalité qui en enverra un double au district dont elles relèvent, et celui-ci au département 2 fois l’année; chaque municipalité se fera représenter ces armes, et veillera à ce qu’elles sount conservées dans le meilleur état, sans que ceux qui en seront dépositaires puissent y faire aucune espèce de changements ; « 3° Tout citoyen qui serait convaincu d’avoir vendu ou perdu son fusil, sera déclaré pour 3 années, incapable de porter les armes; « 4° Les dépenses necessaires pour l’encaisse-sement et le transport de ces armes seront supportées par la nation, et payées par le Trésor public. » M. de Broglie. J’observe au troisième paragraphe que celui qui a perdu son fusil ne doit pas être puni comme celui qui l’a vendu. Je demande que la distinction en soit faite. M. de Menou, rapporteur. Je retire les mots : ou perdu. (Le projet de décret, ainsi modifié, est adopté.) M. le Président lève la séance à 4 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 28 JANVIER 1791. Suite de l'opinion de M. Malouet, sur les me-. sures proposées par MM. de Mirabeau et de La-meih, relativement à la sûreté intérieure et extérieure du royaume. J’ai dit, ce matin, à l’Assemblée qu’une des causes des désordres intérieurs et de l’agitation générale était, de l’aveu de M. de Mirabeau, cette [28 janvier 1791.) influence tumultueuse de la multitude sur leu affaires publiques : il est temps, nous a dit le rapporteur, que le peuple qui, dans toutes les fonctions publiques, a des mandataires de son choix, s’en repose sur eux, et les laisse paisiblement exercer leur minisière. J’ai dit que cette observation juste et sage ne pouvait rester sans application dans les mesures à prendre pour la sûreté intérieure du royaume, et qu’il était bien plus important d’en faire un article du décret, qu’un paragraphe du rapport. M. de Mirabeau m’a répondu qu’il ne savait pas convertir une réflexion en un décret; comme si nos décrets étaient ou devaient être autre chose qu’un résultat de réflexions sages et lumineuses. M. de Mirabeau a ajouté que ce n’était pas le moment, que si les comités recevaient l’ordre de rédiger.,. Je n’ai pas entendu le reste; car le cri de l’ordre du jour a étouffé sa voix comme la mienne. Ah 1 je reviendrai jusqu’à l’importunité à ma constante réclamation; et je veux prouver aujourd’hui que dans le sens de la Révolution pour les intérêts de la Révolution, en politique comme en morale, dans tons les systèmes de liberté possible et sous tous les rapports imaginables, il n’y a rien de plus cruel et rien de plus fou que l’insouciance qu’on inspire à l’Assemblée pour les mesures tendant efficacement au rétablissement de l’ordre. Qj’est-ce qu’une révolution dans un Etat? C’est un changement de principes et de formes dans le gouvernement, soit que ce soit un conquérant qui établisse une nouvelle dynastie, ou le peuple lui-même qui reprenne l’exercice de ses droits. Dans l’un et l’autre cas, la révolution s’opère en mesurant les moyens aux obstacles. Dans les deux cas, les moyens font la force; mais la direction supérieure de cette force, sagement combinée dans tous les périodes de la révolution, peut seule en assurer le succès. S’il s’agit d’éiablir la puissance d’un seul, la terreur d’abord, mais bientôt la justice et l’ordre lui sont aussi nécessaires qu’à ses nouveaux sujets. S’il s’agit d’établir la liberté du peuple sur les ruines du pouvoir absolu, les chefs, les repré-en-tauts de ce peuple ne sauraient trop accélérer sa jouissance , et lui présenter avec tous ses avantages la différence du nouvel ordre de choses à l’ancien. Soyons donc ce que vous avez voulu détruire? C’est l’autorité arbitraire, le pouvoir absolu du prince ou de ses ministres. Fort bien. — Que mettez-vous à la place? l’autorité delà loi. — C’est aussi mon avis. — Mais parcourons le royaume, et voyons ce qui se passe. Taudis que vous tenez votre loi de liberté comme la lumière sous le boisseau, ou que vous la promulguez pour la forme, où est sa puissance ? qui lui obéit? qui est-ce qui eu est protégé? — Pourquoi cetle multitude furieuse qui accuse, qui met en pièces l’innocent ou le coupable? Pourquoi les propriétés et les personnes sont-elles en danger aussitôt qu’il plaît à un assassin de provoquer un attroupement? Pourquoi ces emprisonnements arbitraires, lorsque vous avez proscrit les lettres de cachet? Pourquoi laissez-vous exercer par chaque section du peuple-, tous les pouvoirs publics, lorsque vous avez défini, divisé, distribué tous les pouvoirs? — Vous avez brisé avec colère ce qui n’était que défectueux, et vous laissez subsister avec indulgence ce qu’il y a de plus monstrueux dans l’ordre social. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.