88 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes ] RAPPORT FAIT AU NOM DU COMITÉ D’AGRICULTURE ET DE COMMERCE, SUR LE PROJET DU CANAL DE NAVIGATION DE SOMME-VOIRE A CUALETTE PAR LA RIVIÈRE DE VOIRE, ET DE CHALETTE A LA SEINE PAR L’AUBE, PRÉSENTÉ A L’ASSEMBLÉE NATIONALE PAR LE SIEUR MOURGUE ET COMPAGNIE, Par M. D’ÉPERCY, Député du Jura. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, Une compagnie, dont les moyens de solvabilité sont parfaitement connus, offre d’ouvrir à se� frais un canal de navigation, qui procurera de nouvelles communications à la Seine par les rivières de Voire et d’Aube. L’avantage général du commerce, l’intérêt particulier des départements que cette navigation traversera, la facilité le son exécution , la sûreté que présente la fortune des entrepreneurs, et plus encore la possibilité très prochaine d’employer un nombre considérable d’ouvriers, dans une saison où leur réunion dans la capitale peut devenir funeste à la liberté, sont autant de motifs également puissants, qui doivent déterminer l’Assemblée nationale à accepter la soumission que fait le sieur Mourgue, citoyen français, tant en son nom qu’en celui d’une compagnie, de faire à ses frais un canal de navigation depuis Somme-Voire, dans le département de la Haute-Marne, jusqu’à l’embouchure de la petite rivière de Voire, entre Ghalette et Magnicourt, dans le département de l’Aube. La navigation de la rivière d’Aube éprouve de grandes difficultés : l’exécution du projet du sieur Mourgue rendra cette navigation très facile et très sûre. Des constructions d’écluses feront éviter les dangers que courent les navigateurs aux passages des Pertuis, d’Arcis, de Plancy et d’Anglure. Votre comité s’est procuré l’avis et les observations des deux départements :il a ensuite soumis la demande du sieur Mourgue, ainsi que ses plans, à l’examen de l’assemblée des ponts et chaussées. Je vais avoir l’honneur de vous en rendre compte. La navigation projetée parcourra un espace de terrain, dans le département de la Haute-Marne au district de Saint-Dizier, dans une longueur d’environ 4 lieues : elle y améliorera les prairies : elle ouvrira de nouveaux débouchés au débit des denrées et des bois; et, parcourant environ 7 lieues dans le département de l’Aube, elle procurera le dessèchement de plusieurs milliers d’arpents de marais qui, par leurs exhalaisons pestilentielles, repoussent une population qui serait si nécessaire à cette contrée. Cependant le département de la Haute-Marne a adopté l’avis du district de Saint-Dizier, qui s’oppose à l’ouverture de ce canal. Les moyens d’opposition employés par le directoire de ce district sont d’une espèce rare, et plutôt propres à faire admettre la proposition du sieur Mourgue qu’à la faire rejeter. Personne n’a jamais douté que plus un pays est traversé par des routes ou des canaux, plus le commerce y est abondant, plus le débit de ses productions devient facile, et plus enfin ses habitants vivent dans l’aisance. Cependant les administrateurs du district de Saint-Dizier ne craignent pas d’assurer que, si le projet du sieur [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexe#.] 89 Mourgüe était adopté, le commerce de Saint-Dizier et celui de tous les pays baignés par la Marne, depuis Saint-Dizier jusqu’à Paris, serait absolument anéanti : d'où ils tirent la conséquence que l’ouverture de cette nouvelle Communication ne serait pas une augmentation de richesses pour la patrie, qui est la mère commune. Les administrateurs soutiennent que les prairies de Moutier-en-Der et de Somme-Voire ne sont pas marécageuses; en conséquence, que le canal devient inutile pour en procurer l’amélioration : mais ils conviennent que des fossés, pratiqués à propos, sont nécessaires pour les rendre productives. Ces administrateurs tiennent ensuite un langage bien étrange : ils demandent s’il est nécessaire que la ville de Paris reçoive un surcroît immense d’approvisionnements des objets les plus essentiels à la consommation , tels que les bois, les charbons, les grains, les farines, les fourrages, et toute sorte de comestibles. Suivant eux, une telle augmentation ne peut qu’appauvrir les départements. Ils ajoutent que cette nouvelle communication porterait le ravage et la désolation dans les familles de tous ceux qui auraient le malheur d’avoir des propriétés, comme bois, terres, prés et moulins, auprès desquels passerait le prétendu canal, qui nuirait singulièrement à la vente des biens nationaux qui sont très considérables dans ces contrées. Enfin, ils soutiennent, et cette raison serait sans réplique si elle avait le caractère de la vérité, ils soutiennent, dit-on, que ce canal est impossible à exécuter, puisqu’il ne pourra être alimenté que par 2 ou 3 ruisseaux confondus, qui sont presque toujours à sec par les chaleurs brûlantes de rété, et qui ne pourront fournir le volume d’eau nécessaire; mais (et nous aurons occasion de le dire bientôt) les 2 fontaines qui forment la rivière de Voire, procurent une quantité d’eau telle que, même dans les plus grandes sécheresses de l’été, elles fourniront toujours une quantité d’eau infiniment supérieure à celle u’il faudra pour la navigation la plus active u canal. Le directoire du département de l'Aube tient bien un autre langage que celui de la Haute-Marne. Il nV pas pris sur lui de donner un avis sans connaissance de cause : c’est après avoir fait vérifier le local par des gens de l’art, c’est après avoir fait constater la possibilité, la facilité de l’exécution de ce canal, qu’il présente son vœu à l’Assemblée nationale; c’est enfin sur le rapport du sieur Carrier, ingénieur du département, et du sieur Blanchot, hydraulicien , que ce directoire a pris l’arrêté dont j’aurai l’honneur de vous rendre compte. Deux commissaires nommés par le directoire ont accompagné dans toutes leurs opérations les sieurs Carrier et Blanchot : ils ont pris le vœu, recueilli les observations des municipalités riveraines; et le résultat de leur rapport prouve la possibilité de l’ouverture du canal et la facilité de son exécution : il démontre en même temps les avantages immenses que procurera la navigation projetée. D’abord ils ont dû vérifier .si les sources qui forment la rivière de Voire, et les petites rivières et ruisseaux qu’elle rencontre dans son cours, sont suffisantes pour alimenter constamment le canal et fournir à la dépense des écluses, en supposant la navigation aussi fréquentée que celle des canaux construits dans l’intérieur du royaume ; 2° Etudier la nature, la pente du terrain que le canal doit parcourir, pour juger de la facilité des fouilles et des obstacles qui peuvent se rencontrer dans l’exécution, et ils ont reconnu « que des deux fontaines qui forment la rivière de Voire, la première fait tourner un moulin de 25 toises de sa source : elle donne, d’après leur calcul, deux muids d’eau de 8 pieds cubes par seconde, et par conséquent 172,800 muids en 24 heures. On sait qu’un pouce cube d’eau donne 72 muids en 24 heures : en divisant par 72 le produit de la fontaine pendant le même temps, on trouvera que la jauge est de 2,400 pouces cubes. La seconde fontaine, qui se réunit à la première au-dessous de Somme-Voire, fournit encore un plus grand volume qu’ils n’ont pu calculer rigoureusement; mais en portant l’évaluation à 3,000 pouces cubes, ils la croient très faible. La jauge des deux sources ensemble peut donc être évaluée à 5,400 pouces cubes; mais, en la réduisant aux plus grandes sécheresses, le volume moyen pour toute l’année sera de 3,600 pouces cubes. D’après ces calculs, ces deux ingénieurs estiment que cette quantité d’eau est suffisante, et même au delà, pour la dépense des écluses. L’on ne doit donc pas craindre que la construction du canal puisse nuire aux usines actuellement existantes; mais, au contraire, ce serait plutôt un moyen de les multiplier, si on les jugeait convenables. Puis, passant aux motifs d’utilité particulière, qu’ils ont approfondis, soit en observant le terrain qu’ils ont parcouru, soit en recueillant le vœu des municipalités riveraines de la Voire, et des propriétaires d’usines, ces experts ne laissent rien à désirer, et démontrent jusqu’à l’évidence ue l’adoption du projet du sieur Mourgue rendra orissantes les contrées que cette navigation parcourra, en leur procurant un nouveau moyen d’augmenter leur commerce, et d’y faire fleurir l’agriculture. Depuis Somme-Voire jusqu’aux environs de la Chapelle-aux-Planches, sur 4 ligues et demie de longueur, les prés sont de bonne qualité et d’un assez grand rapport ; mais la construction du canal les rendra plus précieux, les améliorera par des canaux d’irrigation et de dessèchement, et en facilitera l’exploitation. De Villerey jusqu’au Pont de Rosnay, la Voire traverse des marais immenses sur deux lieues et demie de longueur, et près d’une lieue de lar-gueur. Plusieurs communautés n’ont d’autres propriétés foncières que ces marais, et leurs habitants, d’autres occupations que la chasse et la pèche. Toute communication de village à village y est impraticable. Par l’ouverture du canal, ces marais seront desséchés, l’abondance naîtra dans cette contrée son territoire décuplera de valeur, et un nombre infini de bras seront arrachés à l’oisiveté et à l’indigence; la circulation du numéraire dans un pays où il est si peu connu y portera la vie et l’activité. Combien de malheureux, jusqu’à présent sans propriété productive, se procureront une aisance durable, en cultivant les terres que le canal leur rendra, et s’enorgueilliront de contribuer comme citoyens à la prospérité publique, en payant exactement les contributions que leur 90 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] indigence actuelle ne leur permet pas d’acquitter ! C’est d’après ce rapport, que le directoire du département de l’Aube a pris, le 28 mai dernier, un arrêté, par lequel il supplie l’Assemblée nationale de décréter la plus prompte exécution du canal de Somme-Voire, et de la perfection de la navigation de l’Aube entre Magnicourt et An-glure, aux risques, périls et fortunes du sieur Mourgue et compagnie, aux conditions qui lui seront imposées. Quelle différence entre l’opinion du directoire de ce département, et celle de celui de la Haute-Marne! Dans l’une, on n’aperçoit que des vues d’utilité générale, et d’utilité particulière à la partie de l’Empire dont l’administration leur est confiée. Dans l’autre, on ne voit au contraire qu’un intérêt mal entendu d’une petite portion de ce département, le district de Saint-Dizier ; mais l’on cessera d’être surpris de cette différence, lorsque l’on se rappellera que des forêts et des forges sont la principale richesse de ce district; que les maîtres des forges sont intéressés à écarter toute concurrence; que l’ouverture du canal procurera un débouché par la vente des bois; et à bien examiner l’avis de ce district, on serait tenté de croire que des maîtres de forges ont présidé à sa rédaction; mais votre comité est loin de s’arrêter à un pareil soupçon ; il aime à croire que les administrateurs de ce district ont été séduits par la crainte de voir occasionner une augmentation dans le prix des denrées, et que cetie augmentation ne se fît principalement sentir pour la partie la plus indigente de leurs administrés. Mais s’ils avaient voulu mettre en balance les avantages qu’ils en retireront, ils auraient bientôt été convaincus qu’ils l’emporteront de beaucoup sur les prétendus désavantages qu’lis croient apercevoir dans cette navigation, qui doit vivifier leur pays en même temps qu’elle augmentera la valeur des domaines nationaux et de ceux d< s panicuiiers. Votre comité doit encore, Messieurs, vous rendre compte de l’avis de l’assemblée des ponts et chaussées, à qui la demande du sieur Mourgue et tuutes pièces à l’appui ont été communiquées. Cette assemblée a reconnu que le canal proposé présente des avantages, non seulement pour lier le commerce des ci-devant provinces d’Alsace et de Lorraine avec celles qui bordent la Seine, mais aussi pour la sortie des bois, charbons, fourrages et autres productions des dépar-partements de la Haute-Marne et de l’Aube, qui seront traversés par le nouveau canal, et qui profiteront principalement des fruits de cette nouvelle navigation; Que, d’après le rapport des sieurs Carrier et Blanchot, le volume d’eau nécessaire pour alimenter le canal depuis Somme-Voire jusqu’à son embouchure dans l’Aube, au-dessus de Magnicourt, pour le tenir en état de navigation, lui a paru suffisant. Mais cette assemblée n’a pas cru devoir donner une plus longue extension à son avis sur l’exécution du projet, soit sous le point de vue des difficultés que cette navigation doit rencontrer, soit dans la dépense qui doit en résulter, n’ayant nas fait par elle-même les opérations propres à lui donner la certitude nécessaire pour fixer cette dépense. Votre comité n’a pas cru que cette observation pût arrêter l’Assemblée nationale dans sa décision. 1° Le rapport des sieurs Carrier et Blanchot est suffisant pour démontrer la possibilité du canal et la facilité de son exécution; 2° La dépense est à la charge d’une compagnie dont les moyens sont parfaitement connus; 3° Les ingénieurs des départements que le canal doit traverser seront adjoi nts au sieur Mourgue pour la formation des projets, et ces projets ne pourront être exécutés qu’après avoir été soumis à l’examen de l’assemblée des ponts et chaussées, et approuvés par l’administration centrale : précaution très sage que l’on n’a pas encore prise jusqu’à présent, et au moyen de laquelle on sera certain de réunir un concours de lumières suffisant, et de prévenir toutes réclamations et oppositions au tracé de ce canal. Votre comité, après avoir examiné attentivement la demande du sieur Mourgue, après avoir pesé avec scrupule tous les avanlages que le canal qu’il propose procurera à l’Etat, aux départements qu’il traversera, et à la ville de Paris, n’a pas hésité d’adopter sa proposition. Je vais avoir l’honneur de vous tracer rapidement les motifs qui l’ont déterminé. Pour l’Etat. Il a aperçu un avantage inappréciable d’ouvrir une nouvelle communication prompte et sûre des bords du Rhin et des départements voisins, jusqu’à l’Océan par la Seine; de faciliter le transport des bois propres à la marine de guerre et marchande; de faire cesser les tributs que nous payons à l’étranger, qui nous fournit à grands frais des bois de construction, dont les forêts de la ci-devant province de Champagne sont peuplées, et qui, faute de communication, n’ont pu être enlevés en masse, et ont toujours été principalement employés pour l’aliment des usines. Pour les départements que ce canal traversera. Votre comité y a trouvé un moven efficace d’y accroître l’industrie par la circulation, d’y augmenter la population, de convertir en citoyens utiles et laborieux, des hommes livrés à l’oisiveté et languissant dans l’indigence. Pour la ville de Paris , qui dorénavant doit retrouver dans le commerce le dédommagement des pertes que la Révolution lui a fait éprouver. Votre comité a reconnu que ce canal étendrait ses relations commerciales avec les départements, et même chez l’étranger; que ce canal procurerait une augmentation énorme dans les approvisionnements des objets de première nécessité, tels que les grains, fourrages, et principalement pour les bois et charbons dont la consommation est telle que l’on s’est vu, depuis plusieurs années, obligé d’anticiper les coupes dans la plus grande partie des forêts qui fournissent à l’approvisionnement de Paris, et de se livrer à des opérations désastreuses. La municipalité également convaincue de l’importance de cette navigation, de sa grande utilité pour la capitale, vous supplie de prendre cet objet dans la plus sérieuse considération, et vous conjure d’accorder au sieur Mourgue l’autorisation nécessaire pour qu’il puisse sans obstacle, et le plus tôt possible, se livrer à son exécution. A toutes ces considérations très puissantes s’en joint encore une non moins importante : c’est la nécessité d’employer une très grande quantité d’ouvriers que les promesses du sieur Bruilée ont retenus et rassemblés à Paris, dans l’espoir d’être occupés aux travaux du canal qu’il était obligé de construire : ce canal ne peut avoir lieu ; le sieur Bruilée est convenu de sou impossibilité de remplir ses engagements. La tranquillité pu- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 91 blique exige de votre sollicitude que vous procuriez les moyens de donner de l’ouvrage à ces hommes qui, réunis dans la capitale, peuvent être égarés par les ennemis du bien public, et porter les plus funestes atteintes à la liberté en se livrant à des excès qu’il est de votre sagesse de prévenir. Vous n’aurez pas à craindre, pour l’exécution du projet que j’ai l’honneur de vous présenter, les mêmes retards, les mêmes dangers que le sieur Brulléea fait éprouver; il a voulu faireune opération de finance du décret qu’il a obtenu: mais ses spéculations n’ont pas réussi, et le canal ne se fera pas. Votre comité a pris les renseignements les plus exacts sur les talents et les facultés du sieur Mourgue, et des personnes qui forment sa compagnie; et votre comité peut vous assurer que ces renseignements ne laissent rien à désirer. Il ne s’agit point de former une société d’actionnaires, mais ce sont des personnes dont la fortune est connue, et qui offrent une responsabilité telle qu’elle devient le garant des obligations qu’elles s’imposent. Enfin, sans qu’il en coûte un sol à l’Etat, votre décret lui fournira une nouvelle source de richesse et de prospérité. Pour indemniser les entrepreneurs de ces sortes d’ouvrages des dépenses qu’ils entraînent, vous leur avez jusqu’à présent accordé la jouissance des canaux pendant 50 années, à l’expiration desquelles ils deviendront une propriété nationale. Votre comité vous proposera d’étendre cette jouissance en faveur du sieur Mourgue et compagnie, jusqu’à 80 ans. Le motif de cette différence est que le canal de Somme-Voire étant une espèce de cul-de-sac, n’ayant derrière lui aucune navigation, aucune communication assurée, comme les autres canaux décrétés ou proposés jusqu’à présent, ils ne peuvent espérer un assez grand produit éventuel pour se récupérer, dans un espace de temps aussi limité, des capitaux qu’ils verseront dans cette entreprise, des intérêts qui en résulteront et des frais d’entretien et de régie : votre comité a donc pensé qu’il était juste de prolonger cette jouissance de 30 années. C’est d’après toutes ces considérations, que j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport qui lui a été fait au nom de son comité d’agriculture et de commerce, de la demande du sieur Jacques-Antoine Mourgue, citoyen français, demeurant à Paris, tant en son nom qu’en celui de sa compagnie; « 1° De construire à leurs frais et aux conditions consignées dans leurs soumissions du 12 décembre 1790, un canal de navigation qui prendra sa naissance au lieu de Somme-Voire, dans le département de la Haute-Marne, et viendra aboutir dans la rivière d’Aube, au confluent de la petite rivière de Loire dans celle de l’Aube, un peu au-dessus du lieu de Magnicourt, district d’ Arcis, département de l’Aube ; « 2° De faire les travaux nécessaires pour faciliter la navigation de l’Aube de Magnicourt à Arcis, de construire des écluses à Arcis, à Plaucy à Anglure pour éviter les passages dangereux des pertuis, placés à ces trois endroits; « Après avoir également entendu l’avis des départements de la Haute-Marne et de l’Aube, et le rapport des commissaires, gens de l’art, nommés par ce dernier département; enfin l’avis de l’assemblée des ponts et chaussées, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Le sieur Mourgue et compagnie sont autorisés à ouvrir à leurs frais un canal de navigation qui commencera à Somme-Voire jusqu’à spn embouchure dans i’Aube, au-dessous de Chalettes, à faire les berges, levées et contre-fossés, à construire les écluses, ponts et bacs, qui seront nécessaires; « A faire les travaux nécessaires pour rendre la rivière d’Aube navigable depuis Magnicourt jusqu’à Arcis, soit parla construction des écluses, soit par le dragage et clavonnage aux endroits où il y aura des bas-fonds; “ « A faire un canal et une écluse à Arcis, à Plancy et Anglure pour éviter les passages des pertuis desdits lieux. Art. 2. « Le canal de Somme-Voire, les parties des canaux à creuser à Arcis, à Plancy, à Anglure; les berges, chemin de halage, francs-bords et contre-fossés, seront exécutés sur une largeur de terre de 27 toises; cette largeur sera augmentée dans les endroits où il sera nécessaire de former des quais ou ports d’embarcation, suivant ce qui sera déterminé dans l’exécution. Art. 3. « Le canal de Somme-Voire, les parties de ce canal à former à Arcis, à Plancy, à Anglure auront 8 toises de largeur à la superficie de l’eau: leur profondeur sera de 4 pieds et demi d’eau ; le talus des bords sera d’un pied et demi sur un. Art. 4. « La compagnie du sieur Mourgue construira des ponts sur les routes coupées par le canal; ces ponts seront conformes à ceux existant sur lesdites routes et chemins de traverse; il sera établi des bacs publics partout où il y en avait et partout où des gués rendaient facile la communication d’une partie du territoire d’un village à l’autre, qui sera coupé par le canal. Art. 5. « Cette compagnie ne pourra mettre à exécution aucun des travaux principaux ou accessoires de la construction du canal de Somme-Voire, des écluses à y établir, de celles à construire sur la rivière d’Aube à Arcis, à Plancy, à Anglure et partout où de pareilles constructions seront reconnues nécessaires, qu’aupara-vant les plans et projets n’aient été déterminés par l’ingénieur des ponts et chaussées, qui sera nommé par le roi; et seront ensuite lesdits plans examinés dans l’assemblée des ponts et chaussées, et autorisés par l’administration centrale. Quant aux moyens d’exécution d’après les plans ainsi autorisés, ils seront totalement soumis à l’expérience de cette compagnie, et à ses risques, périls et fortune. Art. 6. « Ladite compagnie acquerra les propriétés nécessaires à l’exécution du canal de Somme-Voire 92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes .] des écluses à y pratiquer, de celles à établir à Arcis, à Plancy, à Anglure, ceux pour les chemins de halage, les talus, les francs-bords, les contre-fossés, les ponts et embarcadères, ceux nécessaires aux remblais des terres où besoin sera; l’estimation de ces terrains sera faite par des experts nommés de gré à gré, ou par le directoire des districts ; et s’il survenait quelques difficultés à cette occasion, elles seront terminées par les directoires de département. « Le propriétaire d’un héritage divisé par le canal pourra, lors du contrat, obliger le sieur Mourgue et compagnie d’acquérir les parties restantes, ou portions d’icelles, pourvu qu’elles n’excèdent pas celles acquises pour ledit canal et ses dépendances. Si la partie restante d’un héritage se trouvait cependant réduite à un demi-arpent ou au-dessous, les entrepreneurs seront obligés de les acquérir, s’ils en sont requis par les propriétaires. Art. 7. « Le sieur Mourgue et sa compagnie ne pourront se mettre en possession d’aucune propriété qu’après le payement réel et effectif de ce qu’ils devront acquitter : en cas de refus dudit payement, ou s’il s’élève des difficultés, la consignation de la somme à payer sera faite dans le dépôt public, que le directoire de département ordonnera, et sera considérée comme payement, après qu’elle aura été notifiée : alors toutes oppositions et autres empêchements à la prise de possession seront de nul effet. Art. 8. « Quinzaine après le payement ou la consignation notifiée, les entrepreneurs seront autorisés à se mettre en possession des bois, pâtis, prairies, terres à champ, emblavées ou non, qui se trouvent dans l’emplacement dudit canal et de ses dépendances. Art. 9. « Les hypothèques dont les biens qu’ils ac-uerront pour la construction du canal et de ses épendances, pourront être chargés, seront purgées en la forme ordinaire; mais il ne leur sera expédié chaque mois qu’une seule lettre de ratification par tribunal pour tous les biens dont les hypothèques auront été purgées pendant ce mois. Art. 10. « Ce canal supportera toutes contributions, ainsi qu’elles seront réglées pour les autres établissements de ce genre. Art. 11. « Le sieur Mourgue et sa compagnie sont autorisés à détourner les eaux qui pourraient être nuisibles au canal, et à y amener celles qui y seront nécessaires ; à former des canaux d’irrigation dans la campagne, en indemnisant préalablement ceux dont les propriétés pourraient être endommagées. Si ces opérations mettent quelques moulins en chômage, le meunier sera indemnisé par chaque journée de 24 heures, de moitié en sus du prix de son bail, compensé par chaque journée, demi-journée, quart de journée, et heure, s’il l’exige. Art. 12. « Pour indemniser le sieur Mourgue et sa compagnie des frais des contre-fossés de dessèchement, indépendants de la navigation, et dont le seul but est le dessèchement des prairies et la salubrité de l’air des pays voisins, ils serout autorisés à construire, sur les côtés du canal et à la chute des écluses, des usines, moulins et autres établissements, sans que cela puisse, sous aucun prétexte, nuire et préjudicier à la navigation, à l’agriculture et autres établissements déjà construits, « 11 sera établi, à chaque prise d’eau, dans le canal, des repaires indicatifs de l’eau nécessaire à la navigation ; et les entrepreneurs ne pourront disposer que de celle surabondante. Art. 13. » Les propriétés d’usines et de moulins déjà existants sur la rivière de Voire et sur celle de l’Aube, seront inviolablement respectées : on ne pourra toucher à aucune, à raison des opérations nécessaires à la navigation, avant d’avoir constaté par-devant la municipalité du lieu, la hauteur de l’eau à la vanne ouvrière, et celle du coursier, la hauteur de l’eau dans le coursier ; et il en sera dressé procès-verbal pour constater que les propriétés des anciennes usines n’auront point été diminuées : on y fera mention de l’avantage qu’elles auront pu recevoir, afin qu’il ne soit plus rien changé par la suite à l’élévation des eaux. Art. 14. « Le sieur Mourgue et sa compagnie auront le droit d’établir sur le canal et sur la rivière d’Aube, des coches, diligences, galiotes et bâte lets, pour le transport des voyageurs, dans la quantité qui sera jugée convenable pour l’utilité du service public; et tous mariniers et conducteurs pourront, coneurrement avec les entrepreneurs, charger et conduire les personnes, et toute espèce de marchandises, moyennant les droits du canal qui seront fixés par le tarif. Art. 15. « En considération de l’entreprise, de son importance et des grandes dépenses qu’elle occasionnera, le sieur Mourgue et sa compagnie jouiront pendant 80 ans (dans lesquels le terme fixé ci-après pour l'achèvement du canal, n’est point compris), du droit de péage qui sera décrété, et après ce temps, le canal de Somme-Voire et ses dépendances appartiendront à la nation; mais le sieur Mourgue et compagnie conserveront la propriété absolue : « 1° Des magasins qu’ils auront construits, maisons, auberges, moulins, et généralement de tous les établissements qu’ils auront faits, tant sur les bords du canal de la rivière d’Aube, que sur les terrains qu’il auront acquis; « 2° Des francs-bords, berges et contre-fossés du canal, à la charge de souffrir, sans indemnité, le dépôt des vases provenant du curement du canal, ainsi que des matériaux nécessaires aux réparations, sans qu’ils puissent s’opposer à ce qu’il soit fait des quais pour l’utilité des communautés riveraines. « Il sera fait défense à toute personne de les troubler tant dans la confection des ouvrages [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes .] 93 nécessaires à ladite entreprise, que dans la perception des droits qui leur sont accordés, d’y apporter empêchement ni retard, sous peine d’être poursuivie suivant la rigueur des lois, et de tous dépens, dommages et iutérêts. « Il sera en outre ordonné que, nonobstant tous procès et différends qui pourraient être intentés aux entrepreneurs pour raison de ladite entreprise, empêchement ou opposition quelconque (en attendant le prononcé), ils seront autorisés à poursuivre leur travail jusqu’à perfection de la navigation, qui ne pourra être différée, le moindre retard pouvant entraîner des inconvénients d’une très grande importance. Art. 16. « Le sieur Mourgue et sa compagnie mettront, dans 2 mois, à compter du jour de la sanction du présent décret, les travaux en activité : ils achèveront dans l’espace de 4 années consécutives les travaux relatifs à cette entreprise. Ils justifieront de leurs facultés devant telles personnes qu’il plaira au roi de nommer. Art. 17. « Sera le présent décret présenté sans délai à la sanction au roi. TARIF Des droits du canal de Somme-Voire et dupassage par les écluses d'Arcis , de Plancy , d’Anglure et autres qu'il pourra être jugé convenable d’établir sur la rivière d’Aube. Art. I8r. « Les bateaux, tels qu’ils soient chargés de grains, vins, chanvres, bois d’équarrissage, planches, fers, charbons de toute espèce, foins, pailles, poteries, pierres, chaux, tuiles, ardoises, grès et toutes autres marchandises, payeront quatre deniers par quintal, poids de marc, en raison de chaque lieue de 2,000 toises qu’ils feront sur ledit canal. Art. 2. « Le bois à brûler, transporté sur des bateaux, payera 3 sols par lieue et par corde, dimensions et mesures du bois à Paris. « Les trains de bois à brûler, les bateaux vides payeront 8 sols par toise de leur longueur et par lieue. « Les bateaux qui n’auront que le tiers de leur charge ou moins, payeront ces mêmes droits en sus de ceux dus par les marchandises qu’ils porteront. a Les batelets et bachots d’environ 20 pieds de longueur, lorsqu’ils passeront à vide, payeront 4 sols par lieue. Art. 3. « Le passage par les écluses d’Arcis, de Plancy, d’Anglure et autres qu’il pourra être jugé nécessaire d’établir sur la rivière d’Aube, seront comptés pour une lieue pour chaque écluse, et payeront, en conséquence, suivant ce présent tarif. Art. 4. « Les voyageurs par les coches, diligences, batelets et galiotes payeront 3 sols par personne, par lieue ; et 5 sols par quintal, aussi par lieue, pour leur malle ou effets qui excéderont le poids de 15 livres, ou de ce qui excédera un sac de voyageur de 15 à 25 livres, porté par le voyageur même. « Il sera fait un règlement pour la police du canal ; et, pour éviter toute altercation relative à la préférence pour le départ ou pour l’entrée dans le canal, ainsi que pour le passage aux écluses sur l’Aube, l’ordre de préférence sera statué comme suit : « 1° Aux bateaux qui passeront avec des ordres de préférence, de la part du roi, pour le service de l’Etat ; 2° Aux poissons ; 3° Aux fruits et comestibles ; 4° Aux huiles; 5° Aux eaux-de-vie ; 6° Aux vins ; 7° Aux sels ; « Les bois et les charbons céderont le passage à toutes sortes de marchandises avec lesquelles ils pourraient se trouver en concurrence pour le passage. « Toutes les autres marchandises passeront suivant l’ordre de leur arrivée et de leur présentation aux écluses. »