3g2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790. cussion mise à la seule question de l’ordre du jour. Les juges du tribunal d’appel seront-ils sédentaires? Examinons d’abord lé but direct de toute organisation judiciaire, et ses rapports avec la qualité du juge. Il se présente quatre conditions absolument nécessaires : il faut que la justice soit d’un abord facile, qu’elle soit expéditive et peu dispendieuse; enfin, il faut qu’elle soit éclairée, et, si j’ose m’exprimer ainsi, il faut que la justice soit juste. On n'a pas besoin d’être près de son juge; la plupart des plaideurs ne viennent pas dans le iieu du tribunal, ou bien iis y viennent pour faire des sollicitations qui sont une véritable séduction. Pour rendre facile l’abord de la justice, il n’est pas indispensable d’avoir des assises. Sans doute, il convient que la justice soit briève, mais il ne faut pas qu’elle soit trop hâtive ; il est souvent nécessaire d’accorder des délais aux parties. Toutes les affaires d’un tribunal ne sont pas toujours prêtes. On juge un procès pendant que l’autre s’instruit. Avec des assises, celui qui pourrait être prêt quinze jours après le départ des juges sera renvoyé à l’année suivante. Vous ne préviendrez pas cet inconvénient par des jugements provisoires; vous ferez péricliter mes droits par un délai, pendant lequel mon débiteur deviendra insolvable. La justice ne sera donc pas plus prompte. Sera-t-elle moins dispendieuse? Il faut sans doute soustraire les plaideurs à l’avidité des avocats et des procureurs, qui s’abreuvent du plus pur de leur sang. Les assises ne remédieront pas à ces abus : la réforme du code peut seul les détruire. C’est l’intégrité, ce sont les lumières du juge qui peuvent conduire à une bonne justice. Si le juge n’est point intègre, vous aurez beau le faire changer de lieu ; la séduction, qui saura pouvoir l’atteindre, le suivra au galop. Il faut aux juges des lumières extérieures, des lumières personnelles et des qualités morales. Les lumières extérieures tiennent à l’instruction de l’affaire. Vous concevez que si l’appel a lieu dans le même endroit où la première instance a été intentée, si les défenseurs ont mal instruit, ils instruiront mal encore. L’appel deviendra donc un bénéfice inutile. Quant aux lumières personnelles, l’étude est un magasin ; mais il est des cas nouveaux où le juge le plus instruit est obligé de consulter les livres. Mais, qu’ai-je dit, les livres? on prétend qu’il faut les brûler, qu’il faut livrer au feu tous ces gros in-folio qui garnissent nos bibliothèques. Heureusement pour nos libraires, que l’on n’a pas dit qu’il fallait livrer aux flammes les livres d’histoire, de science et de littérature. Quant à ceux que vous avez rendus inutiles, j’en ferais volontiers le sacrifice; mais je demande grâce pour quelques autres, parce que je leur dois le peu que je vaux. Je n’aurai jamais de confiance dans un juge qui viendra décider de ma fortune en portant toute sa science en croupe sur son cheval. Considérons maintenant la question sous son rapport avec l’ordre politique. Voici à quoi se réduisent tontes les objections : si vous faites des tribunaux souverains sédentaires, ce seront des parlements, et vous n’en voulez pas. Je n’en veux pas plus que vous; mais des tribunaux sédentaires, tels que je les conçois, ne ressembleront pas à des parlements : les causes qui ramèneraient cette ressemblance ne peuvent plus exister, puisque ces causes sont l’origine des parlements, la qualité des personnes, l’influence de ces tribunaux dans la législation, et leur autorité sur les tribunaux subalternes. Quant aux trois premières causes, l’impossibilité de leur réexistence me parait démontrée; j’observerai seulement, à l’égard de la quatrième, que les j«ges des cours n’auront pas de supériorité sur les autres juges : c’est le hasard de l’élection qui fera parvenir à tel ou tel tribunal. Il y aura aussi de grands obstacles à toute entreprise dangereuse : la résistance à l’oppression, autorisée par la Déclaration des droits et la présence perpétuelle de la législature. Je conclus à ce que les tribunaux d’appel soient sédentaires. (On demande que la discussion soit fermée.) La manière de poser la question au fond donne iieu à quelques débats. — L’Assemblée ne délibère pas, et continue la discussion à demain. La séance est levée à trois heures. . ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’àBBÉ GOUTTES. Séance du lundi 3 mai 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. le comte de Crillon, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Ce procès-verbal est adopté. M. le comte de Mazancourt, suppléant de M. le comte de Barbançon, démissionnaire, est admis à la place de ce dernier, en qualité de député de Villers-Cotterets, et prête le serment civique. M. Merlin, membre du comité féodal, donne lecture de la série entière des articles précédemment adoptés sur le mode et le taux du rachat des droits féodaux. Dans le cours de cette lecture, le rapporteur propose, à l’égard du 14e article, la modification suivante : Après les mots ; s'il n’y en a pas dans le lieu , terminer l’article par un paragraphe ainsi conçu : « Pour former l’année commune, on prendra les quatorze années antérieures à l’époque du rachat; on en retranchera les deux plus fortes et les deux, plus faibles; et l’année commune sera formée sur les dix années restantes. » (Ce changement, mis aux voix, est adopté par l’Assemblée.) M. Tronchet, autre membre du comité féodal . Un grand nombre d’articles additionnels vous ont été présentés, mais ils n’offrent pas assez d’intérêt pour faire la matière d’une délibération ; nous nous bornons à vous proposer trois articles nouveaux qui nous paraissent nécessaires pour compléter la loi du rachat des droits féodaux. En conséquence, je demande que vous placiez à la suite de l’article 35 de la série qui vient d’être lue, un article relatif à une disposition particulière de la coutume du grand Perche, dans les termes suivants : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 mai 1790.] 363 « Art. 36. Dans la coutume du grand Perche, si celui qui devait ci-devant porter la foi pour les puînés ou boursaux, veut racheter les droits casuels dont est tenu le fief boursal, il sera tenu de payer au propriétaire desdits droits, conformément à l’article précédent, les cinq sixièmes d’un droit de rachat, liquidé sur les évaluations portées par la coutume ; et, au moyen dudit rachat, il pourra exiger de ses puînés ou boursaux, la contribution dont ils étaient ci-devant tenus, lorsqu’il arrivera dans sa position du fief une mutation de la nature de celles qui donnaient lieu à cette contribution, et si les puînés ou boursaux veulent se racheter eux-mêmes vis-à-vis de leur aîné, de cette contribution, il lui sera payé les cinq douzièmes d’un droit de rachat, au payement desquels cinq douzièmes chacun des puînés ou bourseaux qui voudra se racheter, contribuera pour sa part et portion. » M. Moreau, député de Touraine. Je demande que l’article qui vous est soumis se rapporte à toutes les coutumes qui ont des dispositions semblables et je propose l’addition suivante : « Il en sera de même dans les pays et les lieux où les mêmes règles et les mêmes usages, ci-dessus rappelés quant à la coutume du grand Perche, ont lieu. » (La motion et l’amendement mis aux voix sont adoptés, sauf la rédaction quant à l’amendement.) M. Trouchet. Le comité féodal vous propose d’introduire dans la loi un article nouveau qui prendrait place après l’article 52 et qui est relatif aux intérêts des créanciers qui sont éloignés du domicile de leurs débiteurs. M. dauïtier de ESianizat. Gomme cet article pourrait causer un préjudice au débiteur, je demande le renvoi au comité. M. Gonpil de IVéfela. Je ne vois dans l’article aucun préjudice pour le débiteur et je m’oppose au renvoi. Plusieurs membres proposent des amendements. M. ï« comte de IL a üoqac fait la motion suivante : Messieurs, j’ai cru remarquer que quelques-uns de nos décrets relatifs aux rachats des droits féodaux n’étaient pas rigoureusement conformes aux lois de la plus exacte justice, et que le rachat en lui-même, et surtout le rachat partiel, était impolitique. Les pauvres censitaires seront toujours dans l’impossibilité de profiter de la faculté du rachat, et les propriétaires de fiefs seront totalement ruinés. D’ailleurs, le mode adopté du rachat partiel va produire une bigarure entre les fonds rédimés et les fonds encore grevés, bigarure qui sera la source d’un million de procès par l’extrême difficulté de discerner, dans la suite, les véritables limitées des uns et des autres. Enfin, ce système me paraît impolitique, parce que les propriétaires de fiefs ne pourront placer les petites sommes qu’ils recevront successivement, que sur de petites propriétés et que, par conséquent, ils tenteront toutes sortes de moyens de les réunir à leur domaine. Ainsi, cette opération tend à concentrer les propriétés foncières ; conséquence funeste, parce que personne n’ignore que les grandes propriétés sont moins bien cultivées que les petites, et que la prospérité d’un Etat agricole tel que la France dépend surtout des succès de l’agriculture. Je ne vous propose point, Messieurs, de revenir sur les décrets que l’Assemblée a rendus. Que ceux qui voudront profiter du mode de rachat décrété par l’Assemblée en profitent, rien de plus juste. Mais je vous propose de venir au secours des pauvres, et de remédier à une partie des inconvénients qui sont la suite inévitable de vos décrets. Il suffira pour remplir ce double objet d’adopter le décret suivant : L’Assemblée nationale, toujours guidée par les mêmes principes de soulager la classe indigente de la nation, et surtout celle des pauvres cultivateurs, et persistant dans la résolution d’effacer jusques aux moindres traces du régime féodal, a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. Chaque département du royaume sera tenu de procéder à l’évaluation de tous les droits féodaux rachetables qui sont assis sur les fonds situés dans son arrondissement et d’en envoyer l’état aux législatures suivantes. Art. 2. Tout censitaire qui sera racheté des droits féodaux auxquels ses biens étaient soumis, sera tenu de donner, à chaque département dans lequel pourraient être situées les différentes propriétés foncières qu’il a rédimées de gré à gré, ou autrement, un état détaillé des devoirs féodaux par lui rachetés ; et d’en administrer la preuve dans le mois, à peine de nullité du rachat. Art. -3. Le directoire de chaque département cotera par émargement chaque article de remboursement à côté de l’article auquel il correspond. Art. 4. Aussitôt que l’extinction successive des rentes viagères aura produit un fonds annuel de douze millions, cette somme sera destinée uniquement au remboursement des droits féodaux non rachetés. Art. 5. Le 1er janvier 1794, les noms des 82 départements du royaume seront placés dans une roue dé fortune, et le premier nom qui sortira, indiquera le département auquel sont destinés les douze millions qui doivent être employés uniquement à racheter les droits féodaux de ce département. Art. 6. Le directoire paiera de préférence, et toujours en totalité, les propriétaires de fiefs auxquels il sera dù moindres sommes, réservant les plus fortes pour les derniers payements. Art. 7. Si, comme il y a lieu de le croire, sur ies douze millions destinés à cet usage, il existe un reliquat, il sera annexé aux douze millions de l’année suivante, et dans le cas contraire le département recevra ce qu’il lui manque sur les douze millions du tirage suivant. Art. 8. Le 1er janvier 1795, et chaque année, à pareille époque, tous les procédés contenus daùs les articles précédents, seront observés jusqu’à ce que la France soit entièrement délivrée de tous les droits féodaux. M. Tronche!, rapporteur , adopte quelques-unes des modifications proposées et il les fond dans l’article, ainsi qu’il suit : Art. 53. « Les offres tendant au rachat des droits seigneuriaux, fixes ou casuels, seront faites au chef-lieu du fief dont dépendront les droits rachetables; pourront néanmoins les parties liquider les rachats, et en opérer ie payement, en tei lieu qu’elles jugeront à propos. Dans ce der-