394 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lll août 1789.] (Assemblée nationale.] ecclésiastiques. Or, défendre la pluralité des bénéfices, n’est-ce pas dire : nous ne voulons point récompenser ceux qui travaillent; les bénéfices simples ne doivent être conférés qu’à ceux qui ne font rien? N’est-ce pas interdire à un seigneur de donner un bénéficeae cent écus à son curé,. quelqu'une qu’il soit dans sa paroisse, quelque bien qu’il se conduise envers lui? Lorsqu’une abbaye viendra à vaquer, n’est-ce pas dire au Roi : vous cherchez un homme sans état, sans occupation pour la lui donner? Peut-on dire à celui qui possède une abbaye de 40,000 livres de rente, et qui serait très-propre pour un évêché de 30,000 livres, vous ne pourrez devenir utile qu’en sacrifiant votre revenu? Enfin, comment approuver qu’un homme puisse posséder un bénéfice de cent' mille livres, et qu’il ne puisse pas réunir deux chapelles de cent écus? Il n’est point de questions qui n’ait une certaine latitude. 11 n’est point de changement qui n’entraîne des suites. Ne serait-il passage, n’est-il pas digne d’un corps législatif de les prévoir, et de songer aux moyens de remédier aux inconvénients, avant de rien statuer? M. Garat, le jeune. Les individus et les corps tels que le clergé, ont une existence toute différente dans la société. Les individus existent par eux-mêmes; ils portent dans la société les droits qu’ils ont reçus de la nature ou qu’ils ont acquis par leur industrie; la société existe par les individus; les corps au contraire existent par la société. En les détruisant elle ne fait que retirer la vie qu’elle leur a prêtée, ce qui peut être quelquefois un grand acte de bienfaisance et pour les membres de ce corps, et pour la société tout entière. (De vifs murmures l’interrompent. On n'a pas besoin de discussion philosophique, lui disait-on d’un côté; de l’autre, on lui criait : Parlez, parlez l) M. Garat, le jeune. Les biens des particuliers et ceux du clergé nese ressemblent pas davantage; il y a entre eux des différences essentielles, et je demande que la dîme soit convertie en un traitement payé par le trésor public; que pour les possesseurs actuels, la proportion du traitement soit celle du produit de leurs dîmes, et que pour leurs successeurs le traitement soit proportionné à l’étendue de leurs paroisses, d’après l’avis des administrations provinciales. Les murmures qui interrompent l’orateur se prolongent longtemps après qu’il est descendu de la tribune. Ou demande à aller aux voix, mais le président ne peut pas se faire entendre. Enfin, après une longue agitation, l’Assemblée se disperse sans prendre aucune délibération. La séance est levée à onze heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHAPELIER. Séance du mardi 11 août 1789 (1). La discussion est reprise sur l'article 7 du projet présenté par le comité de rédaction pour l'abolition des privilèges. L'article 7 est relatif aux dîmes. M.I*ét!on de Villeneuve expose que la question n’est pas éclaircie, qu’elle pourrait donner lieu à de vifs débats et qu’il vaudrait mieux en renvoyer la discussion à une autre époque. M. Goupil de Préfeln. Dans la nuit du 4 août, le clergé, en consentant à la suppression des dîmes, avait entendu sans doute faire un acte de patriotisme, et accorder un bienfait au peuple; mais, si le rachat est ordonné, s’il est accordé de la manière que le clergé le demande, quel bienfait la nation aura-t-elle retiré de la suppression des dîmes, dont le rachat sera plus greveux que la dîme elle-même? M. BBicard. Lorsque le clergé se levait avec tant d’ardeur pour prononcer la suppression des droits féodaux, était-ce pour élever sa puissance sur les débris des autres ordres? Ce doute si naturel ne disparaîtra que lorsque vous apprendrez au peuple ce que vous vouliez faire pour lui. Vous avez voulu sans doute soulager la nation ; vous avez entendu faire quelques sacrifices? Eh bien l au moyen du rachat des dîmes, la nation serait surchargée; vous n’auriez fait aucun sacrifice, puisque vos revenus en seraient augmentés. On remet dans ce moment à M. Ricard des pièces dont il demande de faire la lecture. Ce sont, dit-il, des actes par lesquels plusieurs curés, reconnaissant que la conversion des dîmes en argent serait plus onéreuse aux peuples, les remettent et en font abandon dans les mains de la nation. Aussitôt plusieurs curés, qui n’avaient point connaissance de cette déclaration, se lèvent pour déclarer qu’ils y adhèrent. La déclaration est remise sur le bureau, et un grand nombre de membres du clergé s’empressent d’y. apposer leurs signatures. On compte parmi les premiers signataires!. LeFrancdePompignan, archevêqued’Aix, plusieurs évêques, dom Chevreuse. M. Decoul-miers, abbé d’Abecourt, et un grand nombre de gros bénéficiers. Pendant une demi-heure le bureau est plein de membres qui vont signer leur déclaration, au milieu des applaudissements et des mouvements tumultueux de la joie de l’Assemblée et de l’auditoire. M. l’abbé Ouplaquet, député des communes de Saint-Quentin, donne sa démission, dans les mains de la nation, d’un prieuré, en disant qu’il s’en remet à sa justice pour un traitement; attendu, quoi qu’en dise M. de Mirabeau, qu’il est trop vieux pour gagner son salaire , trop honnête pour voler, et qu’il avait rendu des services qui devaient le dispenser de mendier. Lorsque le calme est un peu rétabli, M. l’archevêque de Paris demande la parole. e M. BLe Clerc de Juigné. Au nom de me? confrères, au nom de mes coopérateurs et de tous les membres du clergé qui appartiennent à cette auguste Assemblée; en mon nom personnel, Messieurs, nous remettons toutes les dîmes ecclésiastiques entre les mains d’une nation juste et généreuse. Que l’Evangile soit annoncé, que le culte divin soit célébré avec décence et dignité, que les églises soient pourvues de pasteurs vertueux et zélés, que les pauvres du peuple soient secourus : voilà la destination de nos dîmes, voilà la lin de notre ministère et de nos vœux ; nous nous confions dans l’Assemblée nationale, et nous ne doutons pas qu’elle ne nous procure les moyeqs de remplir dignement des objets aussi respectables et aussi sacrés. (On applaudit.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [li août 1789.] 395 M. le cardinal de Larochefoucauld s’avance vers le bureau, et déclare que le vœu que M. l’archevêque de Paris vient d’énoncer est celui du clergé de France, qui met toute sa confiance dans la nation. M. làeyris Desponchez, évêque de Perpignan. Les sentiments que M. l’archevêque de Paris vient de vous exprimer étaient déjà gravés dans nos cœurs. La précipitation des délibérations nous a empêchés de les exprimer tous à la fois. Nous avions cru que les dîmes étaient une propriété sacrée ; la nation en désire la suppression, nous cédons à ses désirs. Mais je demande qu’il ne soit pas fait mention des signatures particulières. Plusieurs membres sont absents, d’autres sont liés par leurs mandats, les causes qui les empêchent de signer ne seraient pas connues. M. le Président. Je crois qu’il vaut mieux qu’il existe une déclaration commune, et qu’il soit constaté que l’abandon des dîmes a élé fait par le clergé. M. deTalleyrand-Pérlgord, évêque d'Autun, propose l’article présenté hier par M. Ghasset, et il demande qu’on y ajoute qu’il a élé adopté unanimement. On demande la lecture de l’article tel qu’il a été proposé par le comité. Plusieurs membres font diverses observations et mo litications. On en fait une nouvelle rédaction qui a été adoptée. (Voyez tous les articles tels qu’ils ont été décrétés. Séance du 11 août au soir.) On fait lecture de l’article 8 du projet du comité, qui perte le rachat des rentes foncières , soit en nature , soit en argent. M. Wesmeuniers dit qu’il faut : 1° ajouter à l’article que le prix et le mode du rachat seront fixés par l’Assemblée ; 2° additionner le droit de champart, de terrage, et autres droits fonciers ; 3° n’autoriser que le rachat solidaire et non partiel. M. Couppé réclame pour la Bretagne une exception pour les domaines congéables. D’après les observations faites et les additions proposées par quelques membres, on fait une nouvelle rédaction de l’article qui a été adopté. On passe à la discussion de l’article 9, qui porte u’il sera pourvu incessamment à l' etablissement e la justice gratuite , et à la suppression de la vénalité des offices de judicature. Plusieurs membres proposent par amendement qu’il soit dit que dès ce moment la justice sera rendue gratuitement. M Salle de Choux, et plusieurs autres membres, officiers de justice, offrent l’abandon des droits de leurs charges. M. le vicomte de Mirabeau. Messieurs, d’après votre arrêté, vous devez vous occuper de rapprocher les justiciables des tribunaux royaux; vous devez vous occuper de couper court à tous ces frais, à toutes ces vexations de tous genres qu’entraîne après soi la justice ou plutôt la chicane. Vous savez aussi bien que moi, Messieurs, qu’il y a longtemps que la justice est impayable, et que, tout en la rendant, on se rend coupable des plus grandes injustices. Votre intention est de remédier à ces abus , et vous vouiez eu conséquence procéder à l’établissement d’une justice gratuite. Gardez-vous d’abuser, sous cette dénomination illusoire, le peuple, qu’on a si souvent trompé à cet égard. Tout le monde a connu ces tribunaux de Mau-peou, qui devaient rendre gratuitement justice au peuple. On sait qu’il n’y eut jamais de temps où tous les suppôts de la chicane montrèrent plus de voracité et de rapacité. C’est dans ce temps, plus que dans aucun autre, où les extorsions, les exactions de toute espèce, pesaient sur le peuple. J’ose donc vous observer qu’avec les meilleures intentions du monde vous verriez avorter les fruits de vos travaux, si vous ne preniez les plus sages mesures pour contenir ou anéantir tous les subalternes suppôts de la justice, les huissiers, les sergents, les procureurs et les avocats. C’est la voracité de ces sortes de sangsues qui a fait enfanter au ciseau d’un sculpteur ces deux statues pittoresques, dont l’une représente un homme nu, parce qu’il a perdu son procès, et l’autre un homme en chemise, parce qu’il a gagné le sien. Si donc vous ne trouvez le moyen d’écarter les maux qu’apportent dans la société tous les agents de la justice, vous aurez manqué votre coup. Je demande qu’il soit permis à tout homme de plaider sa propre cause, sans qu’il soit besoin de faire passer ses papiers par les mains de ces agents rapaces, sans qu’il soit besoin du ministère ni d’un huissier ni d’un procureur, etc. Je ne suis pas capable d’indiquer les moyens d’opérer cette grande révolution: c’est à l’Assemblée nationale à les rechercher dans sa sagesse. Je le demande, parce que de tous les impôts sous lesquels le peuple gémit, c’est celui-là qui lui pèse le plus. Je demande encore qu’il ne soit permis à aucun officier de justice de s’établir dans les bourgs et villages. Les paysans payent à grands frais de mauvais conseils qu’ils leur donnent; et partout où il existe de ces agents de la justice, les serpents de la discorde remplacent les doux sentiments de confiance. Ici l’orateur est interrompu. Aussi finit-il par dire assez précipitamment: Ce faisant l’Assemblée nationale fera justice. M. Target. Je m’élève également contre la vénalité. Je ne ferai point le tableau des maux qu’entraîne après soi la distribution de Injustice, telle qn’elle se rend aujourd’hui. Rien n’est plus douloureux, rien n’est plus funeste que la vénalité de la justice. Les guerres les plus désastreuses causeraient moins de maux que n’en cause dans trois cent mille familles l'esprit de chicane enfanté par la vénalité ..... Cette abolition est donc de la plus grande importance pour le bien général ; c’est au' comité à vous indiquer les moyens les plus prompts et les plus efficaces ..... L’Assemblée nationale les pèsera dans sa sagesse. Les citoyens se disputent l’honneur de faire les plus grands sacrifices à la patrie. Pénétres de l’enthousiasme du patriotisme qui vous anime, les tribunaux se feront un devoir d’obéir à vos décrets et de rendre gratuitement justice au peuple. On avait demandé que l’on commençât à rendre gratuitement la justice, dès que la promulgation de l’arrêté aurait eu lieu. Mais, Messieurs, combien d’officiers de justice seront dans l’impuissance de suivre l’impulsion de leur cœur; combien d 'officiers de justice eu [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 août 1789.] 396 effet seront obligés de se retirer, faute des moyens de subsister! Les tribunaux seront déserts, et nous aurons la douleur d’avoir contribué à les désorganiser : il faut donc attendre à faire exécuter' pleinement votre arrêté, que vous ayez pourvu d’une manière digne de la nation à l’organisation de ces tribunau x pour rendre la justice gratuite. La seule errreur à laquelle cette Assemblée peut se laisser aller est la noblesse et l’amour du bien public. Vous en êtes pleins, il faut vous en délier. M. le duc de Larochefoucauld demande qu’on se borne à déclarer : 1° La suppression de la vénalité des offices, en pourvoyant au remboursement des titulaires : 2° Que la justice soit gratuite, à la charge de payer les ofiieiers de justice comme on paye les officiers militaires ; 3° Que les juges soient élus par les justiciables de leur ressort. M. d’André. Les sacrifices que l’on demande des officiers de justice ne sont pas au-dessus des facultés des officiers des cours souveraines ; mais les juges inférieurs ne seront peut-être pas en état de supporter ce sacrifice. (Plusieurs officiers de bailliage se lèvent pour dire que ces sacrifices sont déjà" faits.) Ces sacrifices ont été faits par les officiers qui sont ici présents; mais en est-il de même de tout le royaume? Je pense que Ja vénalité doit être abolie; mais on ne peut dépouiller les officiers de justice de leur état, sans leur assurer leur remboursement. M. de Foucault insiste sur un article de son cahier, relatif à la justice gratuite. Au moyen de quelques changements, l’article est adopté. On décrète successivement les articles Xll et XIII, qui n’ont pas donné lieu à de grandes discussions. Avant la fin de la séance, M. de Fally-Tol-lcndal fait lecture d’une lettre du syndic des banquiers expéditionnaires en cour de Rome, qui envoient à l’Assemblée un mémoire sur les annales. On renvoie à ce soir pour en prendre connaissance. La séance est levée. Séance du mardi 1 1 août au soir. La séance est ouverte par la lecture du mémoire envoyé par le collège des expéditionnaires en cour de Rome, sur les annates. Ce mémoire présente comme impolitique la suppression de cette contribution, qui est modique, et qui facilite le commerce de la France avec l’Italie. V article 12 concernant les annates et les déports est mis en délibération. M. Camus (1 ;. Messieurs, le mémoire dont on vous a donné lecture contient deux parties : l’une qui concerne les annales , l’autre le déport ; il est aussi peu complet dans l’une de ces parties que dans l’autre. (1) Le discours de M. Camus n’a pas été inséré au Moniteur. Les annates sont le revenu d’une année des bénéfices consistoriaux qu’on l’on paye à Rome, lorsqu’on demande au pape des bulles pour en être pourvu. C’est une des plus dures vexations de cette cour. Et de là vient que très-fréquemment, dans le langage ordinaire, les plaintes contre les annates, indiquent les plaintes contre toute servitude qm1 la ccur de Renie nous impose. Réclamer contre les annates, c’est réclamer contre toutes ces servitudes , et tel a été certainement l’esprit de l’Assemblée dans la séance du 4. II faut maintenant entrer dans quelques détails sur ces servitudes. Le payement des annates entraîne, sans objet, un transport d’argent hors du royaume. Rome est le centre d’unité de la religion catholique; le pape est le chef visible de l’Eglise. Je suis très-éloigné d’attaquer ces vérités que je respecte ; mais il me semble qu’on peut reconnaître un centre d’unité, sans porter un tribut d’argent à l’évêque qui l’occupe. Les autres servitudes consistent dans l’expédition d’une multitude de bulles et de signatures pour des provisions, des dispenses, etc. Pourquoi s’adresser au pape à raison de tous ces objets auxquels il est du pouvoir et du devoir des évêques de subvenir. D’ailleurs, les expéditions ne sont pas gratuites ; Rome nous envoie ses bulles scellées de plomb, et nous lui remettons l’or du royaume. Nos pères ont sans cesse réclamé contre ces abus. Nous ne devons pas échanger l’or de France contre le plomb de Rome. Qu’on veuille bien me passer cette expression, c’est celle des Pithou , des Dupuy. Autre abus : ce n’est pas seulement à Rome qu’on envoie ainsi chercher des bulles et des provisions ; on envoie également en la vice-légation d’Avignon pour le Dauphiné et la Provence; en la nonciature de Lucerne pour quelques pays voisins de la Suisse, et dans tous lieux, on paye. Autre abus encore : nous ne connaissons que des pays libres. L’Eglise gallicane entière est une Eglise “libre. Mais a Rome, on distingue dans la France des pays libres et des pays d’obédience, parce qu’on les regarde comme sujets à une domination particulière de la part du pape ; telles sont la Provence et la Bretagne. Là, les expectatives, les réserves ont lieu, les bénéfices sont conférés alternativement parle pape et par l’évêque. Voilà des abus qu’il faut abolir du même coup. 11 n’est pas nécessaire de parler, dans le décret de l’Assemblée nationale, des préventions, résignations et dévoluts ; les noms de tous les actes introduits dans les derniers siècles souilleraient la pureté de son décret. Il faut dire que toutes les églises de France sont, également libres, et statuer que, sous quelque prétexte que ce soit, on n’enverra plus d’argent à Borne. Mais qui donnera, dit-on, les provisions aux évêques? La réponse est dans les anciens canons des conciles : les évêques seront confirmés par le métropolitain, et celui-ci par le concile national. Un député observe que le collège des expéditionnaires avait adressé un mémoire à l’Assemblée relativement au produit des annates. Et M. Roussillon ajoutait que François Ier ne consentit au droit d’annates qu’en considération du commerce exclusif que la France ferait avec les Etats du pape. Il a présenté ensuite les avantages que l’importation et l’exportation donnaient à la province de Languedoc et les rapports de ce