268 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791. faut donc que vous dissolviez les ateliers avant la moisson, alors les ouvriers pourront aller chercher du travail dans la province et, par conséquent, ne seront plus exposés à la fainéantise et peut-être même au brigandage. Un ajournement avec l’impression peut entraîner des inconvénients. On dit : à demain, mais on ne peut pas d’ici à demain imprimer ce décret, c’est impossible. Cela nous mène au moins à 5 ou 6 jours, et, peut-être dans ce temps-là vous ne pourrez plus prendre la mesure pour le 1er juillet. Je ne propose pas de décréter de confiance ; je demande que l’on discute et que l’on délibère, et je répondrai à une des principales objections qu’on a faites. On se récrie contre le million donné au département de Paris. Or, remarquez bien que sur les 31,000 ouvriers qui sont dans les ateliers de charité, il n’y a peut-être pas 3,000 Parisiens. Presque tous ces ouvriers sont des gens de province qui n’ont pas trouvé de travail chez eux, et qui sont venus à Paris, parce qu’ils ont su qu’ils y trouveraient du travail, ou plutôt de l’argent sans travail; car ils ne font presque rien. ( Applaudissements .) Ainsi, Messieurs, il est nécessaire que vous vous occupiez de cet objet ; et, quand vous devriez scinder l’article de Paris des autres articles pour les décréter, j’invoque en ce moment votre humanité, votre justice, votre économie et votre attention sur le salut de l’État, En effet, le salut de l’État dépend de ne pas congédier, dans un moment comme celui-ci, des gens qui pourraient répandre le désordre dans le royaume. 11 est donc nécessaire de licencier les ateliers, et pour cela, il faut que vous donniez la somme qui vous est demandée : le prompt licenciement des ateliers est une économie; car on ne vous demande pour les travaux du département de Paris qu’un million, tandis que le Trésor public lui donne en ce moment 900,000 livres par mois, pour ses ateliers de charité. Je demande donc qu’on discute d’abord ce qui regarde Paris; ensuite nous examinerons le reste. M. Regnand (de Saint-Jean-d' Angély.) Si personne ne s’oppose à la mesure proposée par M. d’André, je prie M. le Président de la mettre aux voix. Si quelqu’un veut parler contre, je répondrai. M. Boissy-d’ Anglas . La difficulté n’est pas de savoir s’il faut licencier les ateliers de Paris; à cet égard, tout le monde est d’accord. Mais je demande s’il est nécessaire d’accorder 50,000 écus au département du Gard, pour faire un canal, et 50,000 livres au département des Bouches-du-Rhône, pour nettoyer l’embouchure du Rhône. Pourquoi, d’ailleurs, accorderait-on du travail dans un département et pas dans un autre? Je demande que l’on ajourne le décret à 4 jours, afin que l’on ait le temps de faire des représentations, soit aux comités, soit au ministère, sur la répartition des 2,600,000 livres... M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Aagèly). Il y a une réponse bien simple à faire... M. de Tracy. N’interrompez pas l’opinant. M. IBoissy-d’Anglas. Je demande en outre que l’on fasse la répartition totale des 8,360,000 livres, afin que l’on ne puisse pas dire à ceux qui n’ont pas reçu : «Vous aurez demain.» Un grand nombre de membres persistent à demander que la distribution soit étendue à leurs départements respectifs. (La chaleur de ces demandes produit une longue agitation dans l’Assemblée.) M. de La Rochefoncauld-Lianconrt, rapporteur. Je prie les opinants d’observer que, si leurs départements ne sont pas compris dans cette distribution, c’est parce qu’ils n’ont pas encore rendu compte de l’emploi des 80 millions qui leur ont été donnés, c’est parce que vous avez décrété qu’aucun secours nouveau ne leur serait accordé avant que ce compte fût rendu; c’est enfin parce qu’ils ne présentent aucuns travaux prêts à être ouverts. Les membres qui se plaignent n’ont qu’à écrire à leurs départements pour exciter leur diligence, ou porter leurs plaintes au ministre de l’intérieur, dont vos comités ne peuvent être, dans cette partie, que les organes. M. de Tracy. Je suis comme le préopinant d’un département qui, dans la position présente, n’a pas un petit écu, qui a proposé des travaux, qui en a besoin et qui, je l’espère bien, aura sa bonne part des 5,700,000 livres qui restent. Mais j’appuie de toutes mes forces pour que le décret actuel passe ( Applaudissements ;), parce que je crois que l’intérêt général de l’État, que la nécessité de donner de l’ouvrage aux ouvriers qu’on licencie, doit passer avant les intérêts particuliers des départements. Les ateliers sont inutiles, chers et dangereux; il s’agit de les détruire d’une manière raisonnable et juste, de manière que les hommes que l’on licenciera trouvent de l’emploi ailleurs. Il s’agit de leur assigner cet emploi dans les endroits où il y a des travaux évidemment prêts à les recevoir : il s’agit de ne pas perdre de temps, il s’agit de ne pas ménager, par un ajournement d’un mois, le million que vous destinez au département de Paris, par exemple; et enfin il s’agit de penser au mal présent. Ensuite, je pense très fort que tous les départements qui ont de justes droits, auront et doivent avoir une très bonne part dans les 5,700,000 livres restant à peu près sur le3 8,360,000 livres; mais je pense que le décret actuel doit passer. Je demande ensuite un travail bien fait pour les répartitions des sommes restantes. (Applaudissements.) Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix I (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion et passe à l’examen des articles du projet de décret). M. de Ta Rochefoucauld-Uanconrt, rapporteur, donne lecture de l’article 1er ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités des domaines, des finances, de commerce, d’agriculture et de mendicité, décrète ; Art. 1er. « Conformément à la loi du 19 décembre 1790, et sur les observations et avis du ministre de l’intérieur, la distribution des 2,600,000 livres, acompte sur les 8,360,000 livres restant des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1791.] 269 15 millions destinés, par cette même loi, à subvenir aux dépenses des travaux utiles établis en conséquence, sera faite ainsi qu’il suit : « La Somme , 150,000 livres, pour la navigation de la rivière de Somme. « La Seine-Inférieure , 150,000 livres, pour le curement de la retenue de Saint»Valery-en-Gaux. « Le Calvados , 100,000 livres, pour la rivière d’Orne. « La Charente-Inférieure , 50,000 livres, pour le déblaiement du bassin de la Rochelle. « Le Gard, 150,000 livres, pour le canal de Beaucaire à Aigues-Mortes. « Les Bouches-du-Rhône, 50,000 livres pour les travaux à l’embouchure du Rhône. « L’Isère, 50,000 livres, pour la continuation des digues contre les rivières et torrents. « La Côte-d’Or, 50,000 livres, pour la continuation du canal de Bourgogne aux abords de Dijon. « L’Yonne, 600,000 livres, pour les travaux du canal de Bourgogne entre Saint-Florentin et Montbard. « Le Bas-Rhin, 150,000 livres, pour les travaux du Rhin. « Le Nord, 100,000 livres, pour le canal de la Sensée. « Paris, 1,000,000 livres, pour la démolition de la porte Saint-Bernard et de la Géole, réparations des quais, et nouveaux ouvrages de constructions, tant en amont qu’en aval du pont de Louis XVI, ouverture d’un nouveau canal à la Seine, en face de Passy , gare à exécuter au-dessous du pont de Charenton. » M. Vernier. Le décret est très juste en lui-même, mais il ne faut point que les départements rivalisent entre eux. Il reste une somme à distribuer; mais il ne faut pas commencer par prendre une somme très forte sur ces 8 millions, de manière que, si vous apercevez des besoins dans les autres départements , vous ne puissiez pas y satisfaire. Je demande que, sur toutes les dépenses attribuées aux départements, on retranche la moitié des sommes comprises dans cet article. ( Murmures ). M. de La Rochefoucauld - Liancourt, rapporteur. Ce n’est pas ainsi qu’on peut donner de l’argent pour faire des travaux. Les travaux que nous vous proposons ne peuvent être fructueux qu’autant qu’on y emploie un grand nombre de bras à la fois. En réduisant de moitié comme on le propose, l’économie qu’on ferait pendant cette année triplerait peut-être les dépenses de l’année prochaine ; et les dépenses de celle-ci, pour avoir été trop médiocres, seraient faites en pure perte. M. Rcgnaud (de Saint-Jean - d’ Angêly). Il faut surtout se rappeler que les secours actuels, n’étant destinés qu’à des dépenses d’utilité générale, ne sont pas de nature à être répartis en portions égales, puisque les départements n’ont pas tous des travaux également importants à faire. On ne peut pas donner de l’argent à un département de l’intérieur pour construire un port ou une rade. M. La venue. En ce qui concerne Paris, je demande que le million qui lui est accordé ne soit pas appliqué à la démolition de Ja porte Saint-Bernard, à la réparation des quais et autres opérations qui n’intéressent que lui seul, mais qu’on l’emploie à des travaux d’utililé générale, tels que la construction du canal projeté vis-à-vis de Passy et la création d’une gare à Gharen-ton. M. de La Rochefoucauld -Liancourt , rapporteur. En ce qui concerne Paris, nous ne vous dirons pas qu’étant la capitale du royaume, le chef-lieu de la législation, les dépenses mêmes de son embellissement intéressent la nation entière. (Murmures à droite.) M. de Lachèze. Il est impossible d’employer de tels arguments. M. d’André. Vous ne devez pas interrompre. (Bruit.) M. de La Rochefoucauld-Liancourt, rapporteur . J’ai dit que je ne faisais point valoir ces raisons. M. de Lachèze. Vous les faites valoir. M. de La Rochefoucauld-Liancourt , rapporteur. Non, je dis que Paris est dans une position particulière et que ces travaux-là sont des travaux utiles. Je demande donc la question préalable sur les amendements et qu’on aille aux voix sur l’article. A gauche : La question préalable sur les amendements ! (L’Assemblée, consultée, décrète, après deux épreuves, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements, et adopte sans changement i’ar-licle premier des comités.) M. Garat. Quel est celui des départements qui n’a pu voir que ses députés sont devenus Parisiens? M. Roissy-d’Anglas. Je demande que les sommes accordées par l’article que vous venez d’adopter ne puissent être remises aux départements que lorsqu’ils auront justifié du payement de leurs impositions de 1789 et 1790. (Applaudissements à droite.) Cette proposition a déjà été faite pour les dépenses des départements et pour leurs hôpitaux et mon amendement me paraît d’autant plus important que je constate que les 12 départements compris dans la distribution sont précisément ceux qui ne payent pas leurs impositions. M. de La Rochefoucauld - Liancourt , rapporteur. Je demande la question préalable sur l’amendement qui vient de vous être proposé, parce qu’il tend à faire souffrir les pauvres de la mauvaise foi des contribuables. Quand le préopinant a fait cette motion, il y a quelques jours, lorsqu’il s’agissait de faire une avance aux villes pour l’entretien de leurs hôpitaux, il avait parfaitement raison, car il s’agissait des dépenses particulières à la charge des villes; mais ici il est question d’ordonner des travaux utiles au royaume, qui doivent être payés par le Trésor public, et ce ne sont pas des faveurs que l’on accorde aux départements. Si l’on adoptait la proposition du préopinant, il en résulterait que, parce que les riches ne payent pas, parce que les ennemis de la chose public ne payent pas, on refuserait du travail aux pauvres,