584 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790. réunie au district d’Àix, et appartiendra, suivant son vœu, au canton dont Roquevaire est à présent le chef-lieu.) M. le comte de Crillon, secrétaire , fait lecture d’une adresse de la communauté des lingères de Paris ; elle contient leurs protestations de soumission et de respect pour les décrets de l’Assemblée nationale; elles jurent d’élever leurs enfants dans ces sentiments. Elles offrent un don patriotique, indépendamment de leur contribution patriotique qu’elles annoncent avoir déjà réalisée en grande partie, et s’être élevée fort au delà du quart de leurs revenus. M. le dnc de Liancourt, député du Clermon-tois, lit une adresse d’adhésion, de sou mission et de respect pour les décrets de l’Assemblée nationale de la communauté de la Chalade : il ajoute qu’il est chargé de déclarer de la part de cette communauté, que son don patriotique, provenant de la libéralité des habitants, se monte aune somme de 5,521 livres 15 sols 3 deniers, dont 184 livres 7 sols 6 deniers, en deniers comptants, déposés entre les mains des personnes chargées de recevoir les dons patriotiques ; 86 livres 6 sols 6 deniers, qui restent à lever sur les différents particuliers qui en ont fait leur promesse, et 5,521 livres en contrats de constitution, y compris les intérêts échus, offerts et adressés audit député par les religieux de l’abbaye de la Chalade, pour leur tenir lieu, tant de contribution, que de don patriotique; ce que l’Assemblée n’accepte pas, attendu que lesdits religi.ux ne peuvent disposer d’un objet qui fait partie des fonds de ladite maison delà Chalade, qui appartient à la nation; au moyen de quoi, ledit don patriotique est réduit, pour le moment, à ladite somme de 184 livres 7 sols 6 deniers, qui est acceptée par l’Assemblée nationale. M. de Cernon, membre adjoint du comité de Constitution , fuit un rapport sur la question de savoir si le faubourg d’Alençon appelé Monifort, doit continuer à faire partie du département de l’Orne ou être rattaché à la Sarthe. Le comité est d’avis de faire émettre un vœu par les habitants en présence d’un des commissaires du roi. M. Goupil de Préfeln, député d'Alençon , fait remarquer que ce serait contrevenir aux décrets généraux précédemment rendus sur pareilles questions; il fait la motion de maintenir les décisions antérieures. Cette proposition est adoptée en ces termes: « L’Assemblée nationale décrète que, conformément à son décret du 16 février dernier, le faubourg Monfort d’Alençon continuera de faire partie du département de l’Orne. » M. de Cernon présente ensuite, au nom du comité de Constitution, un projet de décret relatif à une demande des électeurs du district de Guise et de Vervins. Plusieurs membres demandent l’ajournement de cette affaire à la séance du soir. L’ajournement est prononcé. L’Assemblée passe à son ordre du jour qui est la cominuation de la discussion sur la question constitutionnelle du droit de paix et de guerre. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Pour établir, dès ce moment, la grande et importante délibération qui vous occupe, il est nécessaire de séparer deux questions indépendantes ; savoir: la question constitutionnelle du droit de guerre et de paix, et la proclamation qu’on vous a proposée pour manifester à tous les peuples du monde votre renonciation à tout esprit de conquête. Le premier point de la question est celui de savoir auquel des deux pouvoirs il est plus convenable pour la nation de déléguer le droit de traiter les rapports politiques; le second est l’intérêt delà nation dans ses rapports extérieurs. Après avoir séparé de la délibération ce qui me semble ne pas lui appartenir, je réunirai plusieurs questions qui se rallient au même principe. Je joindrai au droit de faire la paix et la guerre celui de faire des alliances ou des traités de commerce. Le pouvoir auquel l’un sera délégué doit réunir les autres. En accordant au roi le premier de ces points, le refus du second devient illusoire; de même en donnant au roi le droit exclusif de faire des alliances et de conclure des traités, il sera encore arbitre de la guerre et de la paix, car tel traité peut nécessiter une guerre, soit parce qu’il est contraire aux intérêts de la nation, soit entin sous le prétexte de violation de ce même traité. S’il est démontré que l’un de ces pouvoirs doive être délégué à l’un ou à l’autre, le second doit nécessairement être confié au même dépositaire. Le roi, en sa qualité de chef suprême de la nation, a le droit dérégler les opérations de la guerre : pour reconnaître un autre droit indépendant du premier, je dis qu’il peut aussi conclure des trêves. Gomme modérateur suprême des mouvements des troupes, U peut presser les hostilités ou arrrêter l’impulsion de la force publique, selon les circonstances. Après avoir ainsi distingué tous les points étrangers à la question, dégagée de tout intérêt particulier, je vais l’aborder avec le sentiment profond de son importance. Le droit de déclarer la guerre ne peut être définitivement délégué qu’au Corps législatif. Je chercherai les tempéraments nécessaires pour arrêter des inconvénients de cette attribution. Si l’on considère les reiatiens politiques, on ne pourra pas révoquer en doute que ce serait compromettre la liberté de la nation de déléguer au roi le droit de faire la guerre. Que n’auriez-vous pas à redouter de celui qui pourrait mettre sur pied des troupes nombreuses pour les diriger d’abord vers l’ennemi; mais qui, les ramenant eusuites victorieuses au sein de soa empire, pourrait s’en servir pour porteries coups les plus funestes à la liberté publique'. Il faut calculer toute l’étendue de ce droit dangereux de déclarer la guerre. Ebranler le crédit national, épuiser les finances, changer les dispositions, absorber la force des esprits par l’idée d’un danger prochain, tels sont les moyens qu’on pourrait mettre en œuvre pour se soustraire à la souveraineté du peuple. C’est ainsi que l’on conduisait le peuple romain au siège de Yeies lorsqu’il osait réclamer ses droits. Combien ce pouvoir ne serait-il pas plus dangereux encore si l’on voyait d’un côté le peuple demander la paix, et le monarque ordonner la guerre! Pendant la paix, les ministres, toujours arrêtés par cette responsabilité à laquelle vous les avez si sagement assujé-tis, ne trouvent pas de moyens faciles de déprédations; mais vient-on à déclarer la guerre, alors la promptitude des mesures, et le secret que l’on suppose nécessaire dans toutes les opérations, servent à voiler leurs rapines . Je ne suis rassuré ni par la fâculté qu’a la na- [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.] 588 tion de refuser les subsides, ni par l’exemple de l’Angleterre : cette faculté nYst pas libre;. la nation est maîtrisée par des circonstances impérieuses qui la forcent à continuer ses secours pour l’armée dont le roi a ordonné la marche. Quant à l’exemple de l’Angleterre, la prospérité de ce peuple rend ses institutions recommandables. Deux motifs l’ont engagée à l’aliénation du droit de faire la guerre. Placée dans une île, elle n’a rien à redouter des manœuvres étran-ères, et les forces navales sont peu redoutables la liberté publique; 2° la forme de son gouvernement lui reudait la conservation de ce droit impossible; le principe de sa puissance réside dans le Parlement, c’est-à-dire dans la chambre des communes et des pairs; chacunede ces chambres est armée d’un veto. Ainsi sa Constitution suppose une inaction momentanée, et le droit de faire la guerre ne peut être conlié qu’à une puissance toujours active et dont rien ne peut arrêter les déterminations. En France, au contraire, l’unité des éléments du Corps législatif engage à lui confier ce droit comme au dépositaire qui peut le moins en abuser. Je ne dirai rien des traités d’alliance et de commerce, ils sont intimement liés au droit de déclarer la guerre; et je soutiens qu’en France il est souverainement impossible de conserver la liberté, si l’exercice de tous les pouvoirs n’est confié au Corps législatif. Quant aux précautions provisoires, elle seront confiées au roi, toujours attentif à repousser tout ce qui pourrait porter atteinte à la prospérité ou à la majorité de l’empire. Il pourra envoyer des ambassadeurs en pays étrangers et faire di s pactes et des traités provisoires, qui seront ratifiés par le Corps législatif. La France ne voulant point se porter à des attaques imprévues contre ses voisins doit voter publiquement ses déclarations de guerre, après avoir été instruite des circonstances politiques. M. Pétion, dans son discours, a bien aperçu le cas où les puissances étrangères nous attaqueraient dans l’intervalle des sessions, ef alors il a proposé de convoquer le Corps législatif dans le plus court délai. Si la France n’avait que les possessions de son continent, cette précaution suffirait; mais elle a des colonies qu’il lui importe de conserver. En cas d’attaque, il faut des .armements extraordinaires. Si le Corps législatif n’est pas assemblé au moment des hostilités, jusqu’à ce qu'il l’ait été et u’il ait pu délibérer, il s’écoulerait un espace de eux mois, et ce retard fatal pourrait ruiner notre commerce. Les colonies ne peuvent être défendues qu’aulant que nos flottes seront expédiées en nombre égal, à l'instant où une escadre étrangère causerait de l’ombrage. Il faut donc laisser au roi, dans l’intervalle des sessions, les armements que les circonstances rendront nécessaires ; ce devoir de la royauté ne peut alarmer les amis de la liberté, car même en ce cas il restera toujours la responsabilité des ministres, et le pouvoir à la nation de refuser les subsides. Une autre question politique s’est jointe prématurément : je veux parler de cette proclamation qui révèle les nobles secrets de la politique française. Il serait à propos d’établir un comité politique. G’est d’apres le travail de ce comité que vous pourrez asseoir un système qui fera respecter de toutes les nations les vues politiques de la France. Voici le projet de décret : « Le Corps législatif exercera seul le droit de déclarer la guerre et de faire des traités d’alliance et de commerce. « Le roi, en sa qualité de chef suprême de la nation, conduira les opérations de la guerre, pourra suspendre par trêve les hostilités, pourra envoyer des ambassadeurs auprès des prince étrangers, et faire des traités de paix, sous la condition de la ratification de la législature. « Aucunes armées extraordinaires ne pourront être levées sans un décret exprès du Corps législatif. » Si, dan* l'intervalle d’une session, les circonîf-tances politiques nécessitaient des préparatifs de guerre, le roi sera chargé de la défense de son empire contre la violence, équipera des floues, donnera ordre aux troupes de passer sur les frontières pour repousser les attaques hostiles, le tout sous la responsabilité des ministres, pour l’exécution des ordres qu’ils auront donnés, et des chefs de l’armée, pour l’exécution des ordres qu’ils auront reçus. » Dans ces circonstances, le Corps législatif s’assemblera dans le délai d’un mois; il approuvera ou révoquera les armements ordonnés par le roi. « L’Assemblée nationale décrète qu’il sera nommé un comité de huit membres, chargé de recevoir des ministres du roi les renseignements qui ont nécessité le dernier armement, et il en rendra compte incessamment à l’Assemblée nationale. » M. de Bonsmard. La nation doit-elle déléguer au roi le droit de faire la guerre? C'est ainsi que devrait être posée la question. If y a peu de franchise à demander si ce droit appartient au roi. Personne ne conteste la souveraineté de la nation; mais en confondant la nation avec l’Assemblée nationale, rien de plus coulant que de dire que le droit de faire la guerre appartient au Corps législatif. Comme il est certain que la nation ne peut exercer ce droit, elle doit en déléguer l’exercice, soit au Corps législatif, soit au roi. Il faut toujours être en garde, et ne pas se reposer sur la bonne foi de nos voisins. Les relations politiques ne peuvent être traitées que dans un cabinet. Si les législatures s’en emparent, la lenteur et la publicité de leurs délibérations feront perdre toute espérance de succès. Nous avons besoin de la plus grande diligence dans les armements : l’authenticité de nos mesures et leur faiblesse publiée par nos débats les feraient toutes échouer. Mais, ait-on, de grandes masses de troupes réunies dans les circonstances actuelles intimideraient les patriotes et encourageraient les aristocrates. Si Ton pouvait être arrêté par de pareilles chimères, il faudrait se passer de troupes ; car à quoi bon des troupes qu’on ne pourrait rassembler en corps d’armée? Pour remédier à ces inconvénients, l’Angleterre ne souffre pas, pendant la paix, une force armée trop puissante dans l’empire, et aussitôt après la paix les troupes subissent une réforme : qui nous empêche de faire de même? Je vous devais, Messieurs, l’hommage de celle vue d’utilité, et je vous l’ai soumise. Je ne vois donc dans aucun cas rien de raisonnable qui puisse empêcher de confier ce droit au roi. Si par hasard vous étiez arrêtés par la crainte qu'une guerre ne tendît à opérer une contre-révolution, je vous dirais : si l’on nous fait la guerre, malgré tous nos efforts pour l’éviter, il nous faudra cependant bien la soutenir : soyez même sûrs que nps craintes, si nous en manifestons, ne servirons qu’à nous l’attirer plus vite. M. Chabroud. La question ainsi posée : « Doit-on déléguer au roi le droit de faire la paix et la guerre, » n’est pas difficile. Si j’avais à répondre précisément et sans explication, je dirais nette- $86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [19 mai 1790. ment : Non. Si l’on demandait : La nation doit-elle retenir ce droit ou le déléguer au Corps législatif? je dirais encore : Non. Si vous donniez au roi le droit de paix et de guerre, ce serait déposer à ses pieds la Constitution, en lui disant comme à Dieu : « Que votre volonté soit faite. » Le prince est toujours disposé à élever son autorité sur les débris de la liberté des peuples. Quand je dis le prince, j’entends ses ministres : la volonté intime du prince est amie du peuple; l’infortune de l’un est l’adversité de l’autre. Les ministres, au contraire, ne trouvent pas leur bonheur dans la félicité publique, et pourvu qu’en passant ils moissonnent, la fécondité à venir ne les inquiète pas. Le peuple écrasé gémit, il se tait jusqu’à ce que les siècles amènent une insurrection générale, qui met tout à sa place. On présente deux remèdes au danger que peut entraîner la délégation au roi du pouvoir de faire la guerre, le refus de l’impôt et la responsabilité. Le refus de l’impôt n’est-il pas illusoire quand les ministres ont attiré sur nos frontières des rivaux insolents? que peut la responsabilité sur les malheurs d’une guerre? Désespérant de séduire votre raison, on a cherché à gagner vos cœurs. On a parlé de cet antique amour des Français pour leurs rois ; on a prétendu que vous vouliez attenter à la prérogative de la couronne. C’est bien ainsi qu’on est sûr de nous intéresser, et le nom de Louis XVI produira toujours dans l’Assemblée nationale des acclamations et des transports. (La partie gauche de l’ Assemblée , les tribunes et les galeries retentissent d'applaudissements.) Mais est-il sûr que les prédécesseurs de Louis XVI aient tous joui du droit de déclarer la guerre ? Voici ce que dit l’abbé de Mably : Dans l’Assemblée qui se tenait à la lin de l’automne on discutait les intérêts du royaume relativement aux puissances voisines; on examinait les traités ; un voyait s’ils devaient être maintenus : c’était ensuite au mois de mai que ces matières étaient définitivement arrêtées. Charlemagne n’avait donc pas seul le droit de paix et de guerre ; il aurait pu ramener tous les droits de la Dation à son autorité, mais à l’avantage de les ravir à la nation il préféra celui de les lui conserver et de l’aider à en faire usage. On a donc voulu vous faire illusion : il est certain que la couronne, telle que la portait Charlemagne, n’était pas une vaine parure... Tout offre, dans un grand empire, des chances funestes pour la liberté; tout présente une grande et continuelle action contre elle, sans aucune réaction pour elle. Si vous laissez une seule ouverture au despotisme, s’il est un sentier où la Constitution n'ait pas placé de barrières, si vous déléguez sans prudence le droit de déclarer la guerre, vous offrirez une voie large et commode, dans laquelle le despotisme marchera librement contre la liberté publique, et le siège ne sera pas long. Que faire donc d’un droit que la nation ne peut exercer, qu’on ne saurait déléguer au roi sans danger, et qui périrait peut-être entre les mains desreprésentants de la nation? Ilest des circonstances où la nation doit déclarer la guerre,- de là deux mesures, les préparatifs et la délibération. C’est au roi à faire les préparatifs, à disposer à l’avance toutes les mesures : qu’il convoque les représentants de la nation, etqu’ après la délibération, le roi commande l’armée, en règle les mouvements et nomme les généraux... Les clauses des traités exigent des délibérations paisibles : si deux Assemblées nationales traitaient ensemble, deux siècles ne suffiraient pas pour rédiger le préambule d’un traité', 11 faut donc que le roi entame les négociations, que les conditions soient d’abord convenues, que les articles soient arrêtés, et que la nation ratifie par ses représentants... Si les ministres sortaient des mesures et continuaient la guerre, quand la paix pourrait être faite utilement, le Corps législatif pourra, en révoquant une partie de l’armée, obliger à faire la paix. Peut-être ce moyen, qui me paraît efficace, n’est-il qu’un rêve : mais je me suis endormi en m’occupant affectueusement de la chose publique. M. Dupont (de Nemours) (1). Messieurs, les questions qui paraissent les plus épineuses, se décident toujours par des observations extrêmement simples, lorsque l’on veut prendre la peine de remonter aux principes; et si l’on en a bien saisi le fil, si l’on est bien parti des idées mères, aucune difficulté ne demeure réellement embarrassante. Il a déjà été reconnu parmi vous, il est évident aux yeux de la morale et de la raisoD, que le droit de guerre offensive u’appartient à personne, non pas même aux nations. Une nation ambitieuse et injuste peut, il est vrai, attaquer ses voisins, leur causer des dommages, et faire sur eux des conquêtes, mais un pouvoir n’est pas un droit; et une nation serait odieuse aux autres, elle serait déshonorée si, en fondant sa constitution, elle plaçait au rang de ses droits, celui de faire des injustices, quoiqu’elle en ait le pouvoir. Une nation ne peut donc transmettre à son chef le droit de faire des guerres offensives, puisqu'elle ne l’a pas elle-même. C’est, Messieurs, tout ce qui a été établi par ceux des préopinants qui ont déployé le plus d’éloquence en vous peignant les dangers de l’influence des rois sur la guerre. Tous leurs raisonnements, tous les exemples qu’ils ont cités, n’étaient applicables qu’aux nations insensées qui remettraient ou qui ont remis à leurs chefs le pouvoir terrible et injuste d’attaquer à leur gré leurs voisins. Sur ce point, Messieurs, les orateurs qui ont excité vos applaudissements, étaient parfaitement d’accord avec ceux qu’ils paraissaient combattre. Et j’oserai dire qu’il n’y a pas deux sentiments dans cette Assemblée sur aucune des vérités principales qu’on a mises en question. Aussi ne suis-je monté dans cette tribune que pour achever de mûrir la discussion, en classant, si je le puis, dans leur ordre naturel, les idées que vous avez tous ; en montrant combien elles sont générales, et avec quelle simplicité elles dérivent des principes de justice, de morale et d’intérêt bien entendu qui sont dans la tête et dans le cœur de tout homme honnête et sensé. Si le droit de faire offensivement la guerre n’existe pas; si, par conséquent, il ne peut être délégué; si nul de vous n’a prétendu rien de pareil, vous avez tous reconnu en même temps que le droit de faire ia guerre défensive appartient à tout le monde, aux nations. aux rois, aux individus, à l’homme privé, à l’homme public à l’homme en troupe, à l’homme isolé. Chacun a le droit d’établir sa sûreté, même par la force, lorsqu’il n’y a pas d’autres moyens. C’est ce droit indélébile de l’humanité, qui fait que, dans les temps malheureux où la force publique manque, les hommes sont réduits à ( 1 ) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours 'de M. Dupont (de Nemours). [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19mail790.J ; 587 recourir à leur force privée et que les duels deviennent plus communs et en quelque façon plus tolérables. L’homme alors dit à la loi et à ses concitoyens : Faites ma sûreté, sinon, je la ferai. Lorsque l’attaque est évidente, nul homme n’a besoin d’attendre l’ordre d’aucune autorité, pour se défendre lui-même, ni pour défendre sa femme, ses enfants, sa maison, son village, sa patrie. Ce que tout citoyen peut en ce dernier cas, tout chef militaire le peut et le doit. Le chef de la société, le commandant de tous les militaires le peut et le doit même, et à plus forte raison. Il serait très coupable et ses ministres devraient être punis s’il laissait entrer l’ennemi sur le territoire de l’Etat, s’il laissait prendre les vaisseaux de la nation sans y mettre obstacle ; Bi, pour repousser les hostilités parla force publique dont le dépôt ne lui a été confié à aucune autre fin, il se permettait d'attendre que le Corps législatif fut assemblé et eût délibéré. Mais, puisque la nation doit vouloir que toute atteinte à ses droits soit réprimée par la puissance exécutive, il est clair qu’elle ne doit pas vouloir être jamais exposée aux surprises, ni à combattre avec des armes inégales, dont il lui faudrait ensuite compenser l’inégalité en prodiguant le sang et la richesse du peuple. On n’est pas le maître de vivre en paix toutes les fois qu’on le veut. Il faut que les autres consentent à vous y laisser ; et si une nation doit se garantir de pouvoir être entraînée à la guerre par ses chefs, il est manifeste qu’elle ne doit pas moins songer à s’en préserver de la part des rois et des ministres des autres nations. Si tous les empires avaient une Constitution pareille, comme un jour la chose arrivera ; s’ils avaient tous un Corps législatif permanent, dont les délibérations fussent publiques, et s’il n’était ni permis ni possible à aucun d’eux de faire même aucun préparatif de guerre sans le vœu de son Corps législatif, il est clair qu’étant au pair et n’apportant pas plus de secret les uns que les autres dans les mesures qu’ils prendraient, les Corps législatifs pourraient et devraient se réserver de décider seuls, même des moyens préparatoires qui pourraient être indispensables pour leur sûreté. Si, au contraire, une nation est environnée de plusieurs puissances gouvernées plus ou moins arbitrairement par des rois et par des ministres qui peuvent décider de la paix et de la guerre à leur volonté, qui veulent faire des préparatifs très mystérieux, des alliances très ignorées et très nuisibles à leurs voisins, et qui peuvent appuyer, de toute la puissance de leur nation, leurs desseins injustes : c’est une espèce de danger contre nature, auquel, tant qu’une réforme générale de tous lés gouvernements ne l’aura pas fait cesser, il faudra que les nations qui ont des Gorps législatifs permaneuts et dont le travail ne comporte aucun secret, pourvoient par une délégation plus ou moins grande de fonctions publiques à leurs chefs. La première règle, pour établir la sûreté d’un Etat, et même d’un particulier, est;de ne pas s’exposer au combat avec des armes inférieures à celles de ses ennemis. Or, le corps politique qui voudrait lutter contre des opérations secrètes, en faisant précéder toutes les siennes par des délibérations publiques, marcherait sans défense sur des mines et devant des batteries masquées. Je sais, Messieurs» que l’on vous a proposé de pourvoir à cet inconvénient en formant, dans votre sein, un comité des affaires étrangères. Je n’ai pas bien compris la constitution de ce comité. Sera-t-il associé au ministère, et pour-ra-t-il autoriser les opérations dont le secret ne devra pas être divulgué? En ce cas, il devra être responsable comme le ministre même ; et, d’après vos décrets, il ne devra pas être choisi parmi vous. Devra-t-il vous rendre compte de tout, comme le fait votre comité des finances, et soumettre à votre discussion des propositions sur lesquelles vous prononcerez des décrets préalables à toute opération ? alors ce comité ne fera que multiplier les longueurs et ajouter aux dangers de la publicité des plans militaires et politiques. Il faut nécessairement du secret dans les négociations. Il en faut souvent dans les préparatifs. On ne peut pas même dire aux puissances ennemies qu’on les soupçonne, et l’on doit bien se garder de leur faire apercevoir qu’on est instruit de leurs desseins. Il faut, cependant, se prémunir contre elles par des approvisionnements, par des armements, par des conventions avec d’autres. La nation qui se priverait de ces moyens de défense, ne cesserait jamais d’être en péril : son droit de faire la guerre défensive ne serait jamais exercé qu’à son désavantage. 11 nous reste à examiner une troisième espèce de guerre, dont les préopinants ne vous ont presque point parlé : c’est la guerre protectrice ou défensive d’autrui. Et vous remarquerez encore, Messieurs, qu’il en est du droit relatif aux guerres protectrices comme de tous les autres droits, et qu’il ne peut appartenir aux nations, ni être administré par elles, que parce que c’est un droit naturel des individus. La providence à remis ce droit de guerre protectrice à chaque homme, avec une portion plus ou moins grande de raison, d’équité, d’humanité et de valeur pour l’exercer. Si j’eutends des assassins former contre un homme un projet sinistre, si je les vois le bras levé sur lui, j’ai non seulement le droit et le de-' voir de l’avertir, j’ai de plus le droit et le devoir de me jeter entre eux et lui, d’arrêter par ta force l’exécution de l’attentat, de réprimer les coupables ; à plus forte raison, si l’homme attaqué est mon ami, à plus forte raison si, dans l’amitié qui nous lie, nous nous sommes promis de nous défendre réciproquement contre tout danger. Ce droit de guerre défensive pour autrui est le principe des traités. Un particulier n’a besoin pour en défendre un autre, ni d’ordre, ni de conseil ; il juge le péril, il évalue ses forces et son courage. Une nation ne peut être engagée à en défendre une autre, si ce n’est de même par sa volonté; mais la volonté des nations ne se connaît que par leurs actes publics, par leurs lois, par leurs traités. Les traités d’alliance entre les nations doivent donc être l’effet d’un acte de la volonté générale, c’est-à-dire de celle de la majorité qu’il a bien fallu convenir de regarder comme étant la volonté générale. Il est sensible que le chef de la société ne peut être l’organe de cette volonté que lorsqu’elle lui a été manifestée. La volonté générale elle-même, cependant, la la volonté unanime, ne pourraient pas rendre obligatoire un engagement injuste. L’homme qui s’est laissé entraîner à promettre de faire un 588 [Afiemblée national*! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.} crime, n’est pas obligé de tenir cette conpable parole. Une guerre offensive ou pour conquérir est un crime ; les traités offensifs sont donc nuis par leur nature même ;et il faut que les nations qui se les permettent, on se les sont permis, sachent et soient nettement prévenues qu’en signant un traité offensif, elles n’ont rien fait qu’un délit, et n’ont rien acquis que de la honte. Les traités défensifs, au contraire, n’étant que conservatoires de la paix et des droits des nations, et ne portant préjudice à personne, doivent être religieusement observés. Le pouvoir, chargé de l’exécution de la volonté générale, doit remplir toutes les obligations de ces traités, comme il doit faire exécuter les autres lois. Car une loi est un traité entre les concitoyens d’un même empire, et un traité est une loi entre les nations. Lorsqu’une société politique se donne une Constitution nouvelle, elle peut, sans doute, changer toutes ses lois intérieures et extérieures ; mais elle ne peut pas, elle ne doit pas, ses représentants peuvent et doivent encore moins le faire sans examen; et jusqu’à ce que ce changement soit effectué, et que la loi nouvelle ait été établie, l’ancienne est en vigueur, Un traité est un contrat; il oblige les deux parties. Il demande, pour être détruit ou modifié, encore plus de soin et d’attention qu’une loi intérieure, car, en tout contrat, la partie qui veut le rompre, doit prévenir l'autre, à peine d’être regardée comme injuste et déloyale, surtout si le contrat a pour objet d’établir la suite réciproque. Votre allié n’a pas gardé le côté qu’il était fondé à croire que vous couvririez. 11 a compté vos forces parmi ses moyens de défense; lui enlever tout à coup leur secours, ce serait l’immoler vous-mêmes dans le moment ou sa sécurité reposait sur votre amitié et sur votre honneur. Le droit incontestable de changer vos traités ou d’y renoncer, est donc lié au devoir de les exécuter tant qu’ils subsistent et de ne les rompre qu’après un très mûr examen et des formalités préalables. On vous a dit, il est vrai, qu’il ne convenait pas à la France d’avoir des alliés ; que sa bonne foi et sa puissance pourvoiraient à tout. Ce délire est très noble, mais c’est un délire. La France n’a aucun voisin qui soit, à lui seul, redoutable pour elle ; mais une confédération pourrait la mettre en danger ; et si les deux puissances germaniques pouvaient s’entendre à la fois avec /Angleterre et la Hollande, actuellement gouvernée par l’Angleterre et par la Prusse, pourattaquer notre empire, le secours de nos alliés naturels, pour établir t’équilibre sur mer et pour opérer sur terre des diversions efficaces, nous serait certainement d’une grande utilité. Comment conserverions-nous ces alliés, s’il était possible que nous ne repoussions pas, avec toute la hauteur de notre dignité nationale, l’inconcevable proposition de déclarer, par notre premier acte public relatif au droit des gens, que nous renonçons à nos engagements réciproquement défensifs ? Quoi ! Messieurs, vous avez confirmé les contrats faits en votre nom avec les créanciers de l’Etat, parce que leur forme était la seule que la nation pût alors employer; et l’on croirait que les traités défensifs qui ont été conclus entre la France et ses alliés sous des formes éqçorç plue authentiques, plus sacrées, regardées comme telles par toutes les nations, ne roua obligent pas? J’ai entendu dire qu’avant de les exécuter, il fallait les juger: Vous repousserez encore cette proposition, quant à toutes les dispositions défensives de ces traités ; car ce serait les rompre sans les juger, ne vous réservant que de les juger et de les renouer ensuite. Mais la justice, l'honneur, la prudence, votre sûreté même exigent impérieusement que les engagements défensifs, pris sous la garantie du nom Français soient maintenus. La justice, l’honneur, la prudence et votre sûreté surtout veulent que vous ne rompiez pas ces traités défensifs, à la prière, et moins encore à la menace d’un ancien ennemi. Mais, Messieurs, c’est trop vous parler de la guerre et du droit de la guerre; revenons à celui de faire la paix, si simple, si naturel, si facile et si doux à exercer. C’est le retour à l’ordre ; s’il peut être effectué sans sacrifices, on ne saurait trop le hâter, ni trop en abréger les difficultés. Lorsque la guerre n’a pas été entreprise dans un but de conquête, et jamais vous ne vous permettrez une telle guerre, tout moment est boa ban poor la finir, et certainement le chef de la nation, comme il a pu opposer la force à la force, peut convenir d’en arrêter l’usage, lorsque cet usage n’est plus nécessaire. Le consentement du peuple est toujours supposé dans ce cas, car il est certain. Mais, si pour obtenir ou faciliter la paix, il fallait consentir à échanger ou à céder une partie des propriétés nationales, alors le chef des négociations ne peut accompagner la cessation des hostilités que des stipulations conditionnelles qui ue sauraieut avoir leur effet qu’après que la nation a examiné si ces échanges et ces cessions lui conviennent et qu’elle a ratifié la promesse. Si les conditions proposées pour la paix étaient plus graves encore, si le malheur de la guerre avait été tel qu’il fallût renoncer non seulement à une partie de son territoire, mais à une partie de ses engagements, le chef de la nation, qui ne connaît de lois que celles qui ont eu lessuffrages du peuple, ne peut, même pour le bien inestimable de la paix, renoncer aux anciennes alliances ou en contracter de nouvelles; il ne peut se permettre à cet égard aucune stipulation, même provisoire ; il est obligé de consulter les représentants de la nation et de leur exposer les propositions qui lui ont été faites, car la nation seule peut être juge des engagements qu’elle a pris et de ceux qu’elle doit prendre. Vous voyez, Messieurs, que la théorie que j'ai l’honneur de soumettre à vos lumières est extrêmement simple, qu’elle s’applique à tous les cas et qu’elle tient à un juste milieu entre les opinions qui vous ont été proposées : Nulle guerre offensive; Droit au monarque de prendre publiquement ou secrètement toutes les mesures nécessaires pour la sûreté publique, à la charge par ses ministres d’en être responsables lorsqu’ils proposeut à la natiou de déclarer la guerre; Droit au monarque encore de repousser la force par la force, sans attendre la déclaration de guerre, dès que la nation essuie des hostilités; Droit au monarque de /aire la paix lorsqu’il le peut sans manquer aux alliances de la nation, ou sans diminuer son territoire; Nécessité du concours de la nation pour tout échange ou toute cession de territoire; Nécessité de consulter la nation d’avance, né- m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.] cessité d’être autorisé par sou vœu lorsqu’il s’agit de déroger à des traités d’alliauce, de navigation ou de commerce; Obligation à celle-ci d’exécuter fidèlement tous ses traités, tant qu’ils subsistent, sous la réserve néanmoins du droit de les revoir, de les améliorer ou d’y renoncer après un mûr examen. Tel est, Messieurs, l’esprit des différents articles que j’ai l’honneur de vous proposer. Ils embrassent une grande étendue de conditions, mais chacun d’eux est concis et clair et ce D’est pas trop si votre droit des gens ne présente que neuf articles. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. La nation française ne se permettra aucune guerre offensive pour s’emparer du territoire d’autrui, ni pour porter atteiute aux droits ou à la liberté d’aucune nation. Art. 2. La nation française maintient et maintiendra, en toutes leurs* dispositions défensives, les traités qui ont été conclus en son nom. Mais ils seront successivement soumis à l’examen des représentants de la nation pour aviser aux changements, modifications ou améliorations qui pourraient être nécessaires dans les autres dispositions de ces traités. Art. 3. Dans le cas où les opérations et les préparatifs des puissances étrangères paraîtraient exposer la France à quelque danger, le roi pourra donner tous les ordres, et prendre, même secrètement toutes les mesures nécessaires pour assurer la défense de la nation et celle de ses alliés, conformément aux traités subsistants; mais il ne pourra déclarer la guerre , sans le concours du pouvoir législatif. Art. 4. Toutes les fois que l’ennemi commettra une hostilité, le roi repoussera la force par la force, à l’instant même, sans déclaration de guerre et par simple forme de représailles] mais si le cas arrive dans l’intervalle des sessions d’une législature, les vacances cesseront par le fait même et la législature se rassemblera sur-le-champ. Art. 5. Lorsque le roi fera connaître à la nation les mesures qu'il aura prises, les ministres eu seront responsables. S’il en est quelques-unes néanmoins sur lesquelles le secret doive être prolongé, le roi le déclarera et il sera sursis à en prendre connaissance et à les examiner jusqu'au temps où le secret ne sera plus nécessaire. Art. 6. Dans le cas de guerre, le roi pourra cen-clure la paix sans aucun concours du pouvoir législatif, si elle n’emporte pas dérogation aux traités d’alliance, ni échange ou cession de territoire. Art. 7. Le roi ne pourra déroger aux traités d’alliance même pour conclure la paix que de l’aveu de la nation donné par ses représentants, en Assemblée ou Convention nationale . Art. 8. Le roi pourra conclure des traités de paix même avec stipulation d’échange ou cession de territoire. Mais ces traités n’emporteront nécessairement que la suspension provisoire des hostilités ; l'échange ou la cession ne pourront être effectués qu’après que le traité aura été ra-; tifié par une Assemblée ou Convention nationale ... Art. 9. Les traités d’alliance, de navigation ou de commerce, ne pourront être conclus par le roi qu’après l’examen, le concours et l'autorisation spéciale du Corps législatif. M. l’abbé de Montesqulou. Après avoir entendu les difiérentes opinions, il ne reste peut-être qu’une tâche à remplir, c’est de les combiner, de les rapprocher, d’examiner la justesse des objections, la justesse des réponses. La nation doit-elle déléguer au roi le droit de déclarer la guerre, de faire la paix, de faire des alliances et de conclure des traités? Cette question n’est pas posée dans ses véritables termes: il faut demander a qui ces droits seront délégués. Deux concurents se présentent : l’Assemblée nationale et le roi. Lequel mérite le lus de confiance? Telle est la question. Toute onstitution a deux point de vue : la liberté politique, la gloire et la prospérité nationales. La liberté politique se trouve dans la division des pouvoirs, et dans la séparation du pouvoir de faire la loi et de celui de la faire exécuter. Déclarer la guerre, selon les uns, c’est établir un nouvel ordre de choses, c’est appeler sur la nation la vengeance et l’oppression; suivant les autres, le pouvoir exécutif doit être chargé de veiller à la conservation des propriétés nationales. Quel parti prendre? Puisque tout le monde est dans les extrêmes, la vérité doit être dans le milieu ....... .. L’état de guerre est un état extraordinaire, il es impossible que le Corps législatif décide quand commencera la guerre; il est également vrai qu’il doit donner au roi les moyens de repousser quiconque attente aux propriétés nationales. Ici se présentent deux moyens : 1° distinguer la guerre offensive et la guerre défensive; 2° donner au roi le droit de faire la guerre, mais réserver à l’Assemblée nationale celui d’en assurer les moyens. On a eu raison de dire que toute guerre défensive devenait bientôt offensive. Celui qui la fait et et celui qui la souffre se disent également �attaqués. Il est impossible que, dans un ordre de choses pareil, l’Assemblée nationale ne dise pas toujours : C’est moi qui fais la guerre. Cette distinction serait une source de débats. Le secoad moyen est celui de l’argent. On me dit que c’est un moyen convulsif, puisque, d’une part, le chef demande; que, de l’autre, la nation refuse. Cette : mesure est un contrepoids nécessaire ; il faut avoir l’air d’accorder beaucoup au roi, de lui confier tout ce qui peut lui assurer que jamais sou autorité ne sera vaine quand elle ne compromettra pas la liberté. Mais, dit-on, le droit de déclarer la guerre est le droit d’obtenir des subsides, parce qu’il est impossible, lorsqu’elle est commencée, de refuser les moyens de la faire. Je conviens que cette objection est solide; mais l’ou se place dans l’ancien ordre de choses sans penser au nouvel ordre, on ne voit que le roi et son conseil. Gomment peut-on supposer que le roi déclarera la guerre avant d’avoir demandé des subsides? Nous verrons qu’il n’y aura pas une grande affaire qui ne soit portée à l’Assemblée nationale. L’Assemblée demandera les comptes aux ministres; on peut échapper à la responsabilité; mais on ne peut s’empêcher de répondre, et l’on ne peut répondre sans que cette affaire devienne une affaire nationale. On a dit qu’une guerre étrangère augmentera l’autorité des princes; mais, dans tous les systèmes, le roiaura toujours les moyensde commencer la guerre. Peut-être dans le système qui consiste à donner au roi le droit de la déclarer, il y aurait plus de danger pour lui. Quand il sera chargé par 590 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mai 1790.] la Constitution de déclarer la guerre, il sera impossible qu’il n’en envisage pas les malheurs, et qu’il ne voie pas la malédiction des peuples s’élever contre lui. Mais si l’Assemblée nationale se réserve ce droit, ne dira-t-il pas : Si la guerre est malheureuse, on ne s’en prendra pas à moi ? Permettez que je vous cite un exemple très connu. Le roi Guillaume, roi en Hollande, et stathouder en Angleterre, décidait la guerre en Hollande, et ne la faisait jamais par lui-même en Angleterre. Le droit de déclarer laguerre appartenait cependant en Hollande à une assemblée représentative, en Angleterre au roi seul. J’avoue que, quant à moi, je suis frappé de l’idée que nous ne donnons as assez au roi. Quand on veut avoir une famille éréditaire sur le trône, il faut la regarder comme le chef héréditaire d’une grande famille. Si le roi est vraiment le père de son peuple, il ne peut être étranger à aucune des opérations de ce peuple. Il ne peut y avoir entre notre chef et nous une continuelle défiance. Nous assurerons notre liberté en l’encourageant à nous défendre, en lui montrant des dangers, s’il usait de ses droits pour nous opprimer. Je passe au second point, la gloire et la prospérité de la nation. Je fais, tout comme un autre, le vœu de voir se réaliser l’impraticable paix de l’abbé de Saint-Pierre. La nation française aura toujours intérêt d’être juste ; les nations voisines seront toujours un peu injustes. Une nation si favorisée par la nature doit être continuellement pour la justice; mais les nations artificielles, pour ainsi dire, arrivées à un degré de gloire que semblait leur interdire la nature, doivent chercher à avilir celles à qui la nature a tout donné. Gela posé, attendons-nous à des guerres injustes; il nous faudra devenir nation commerçante, et toutes les nations commerçantes sont toujours un peu injustes. Puisqu’il est certain que nous serons en état de guerre, donnons-nous doncJes moyens d’entretenir un équilibre indispensable. Aujourd’hui l’argent est l’unique moyen de s’assurer des avantages : celui qui en a le plus finit toujours par être victorieux. Si l’Angleterre se réunissait avec l’Espagne, elle aurait cet avantage, et la nation française ferait inutilement des actions de valeur, qui couvriraient les enfants de la gloire que les pères ont acquise. Il nous faut donc des alliances. Pour faire les alliances, il se présente deux moyens : le premier, noble et généreux, est la publicité de tous nos projets; le second, qui paraît être bien eu généreux, est le mystère dans nos opérations. 'injustice se cache et travaille dans le silence : . c’est un moyen heureux pour elle, mais dangereux pour la justice. La plupart des nations sont régies par un seul homme, dont les passions disposent de la prospérité des peuples.... On ne fait jamais la paix que dans une position peu sûre. Geini qui est victorieux désire souvent la paix, • mais il cherche à voir quelle est au juste la position du vaincu, pour être plus ou moins difficile avec lui. Ainsi, celui qui donne la paix et celui , qui la reçoit sont également intéressés à cacher : les motifs qui les déterminent. Si l'on considère ensuite les traités d’alliance et de commerce, tout change : il s’agit alors d’un étal durable qui peut être discuté publiquement. Dans un traité de paix on doit laisser au roi une grande latitude. Quant aux traités de commerce, chacun y est intéressé, chacun doit y concourir par ses représentants. Les traités de commerce doivent donc être discutés par l’Assemblée nationale. On n’attaquera pas les traités que je n’appellerai plus pactes de famille; ce nom ne leur convient pas. L’Espagne ne va-t-elle pas chercher pour vous dans un autre hémisphère, lorsqu’elle n’arrache à la terre qu’en prodiguant la vie des hommes? La Bretagne ne reçoit-elle pas d’elle dix millions de piastres pour des toiles ? Nos provinces méridionales ne donnent-elles pas à 1 Espagnedes denrées pour de l’or?.... Je pense donc qu’il faut accorder au roi le droit de déclarer la guerre et celui de faire la paix, et que les alliances ainsi que les traités de commerce doivent être discutés dans l’Assemblée, et ne peuvent être consommés sans elle. J’ai entendu dire que, dans ce moment, il était dangereux de laisser au roi l’exercice du droit de guerre. Qu’on fasse, si on le veut, des restrictions provisoires ; mais n’oublions pasquenousformons une Constitution, que nous travaillons pour les siècles. Je n’entends pas ce que veulent dire ces mots ; révolution, contre-révolution. La Constitution ne pourra être attaquée si elle est bonne; si elle était mauvaise, c’est-à-dire si elle ne plaisait pas à la nation, rien n’empêcherait qu’elle ne fût détruite. On dit qu’elle sera examinée; la raison doit être son juge, mais ce juge pourrait-il en ce moment faire entendre ses oracles? La raison fuit toujours devant la guerre et n’habite jamais que le séjour de la paix. M. de Menou. J’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée qu’au moment où je suis monté à la tribune, M. Paul Nairac, député de Bordeaux, m’a dit qu’il venait de recevoir des dépêches importantes relatives aux troubles de Montauban, et que du parti que vous prendriez dépendait peut-être le salut de cette ville. Si l'Assemblée le veut, je lui céderai la parole, en réclamant mon tour, quand on aura délibéré sur cet objet. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide que son ordre du jour seru interrompu et que les pièces relatives aux troubles de Montauban lui seront communiquées. M. Paul Hairac II m’a été envoyé par la municipalité de Bordeaux un courrier porteur de deux lettres adressées à l’Assemblée nationale; je les ai remises à M. le président, qui me lésa ensuite confiées, pour me laisser la satisfaction de vous ea faire la lecture. LETTRE DE LA MUNICIPALITÉ DE BORDEAUX. « Messieurs, les nouvelles les plus alarmantes viennent jeter le désespoir dans Pâme de tous nos cencitoyens. Ce sont vos décrets, Messieurs, qui sont attaqués; c’est une Constitution qui doitfaire le bonheur d’un grand empire, que des ennemis du bien public et de leur propre félicité, osent tenter de renverser. Il est une ville où les bons patriotes, les vrais Français gémissent sous l’oppression, et où ceux que le glaive a épargnés sont dans les fers ou errants sans asile ; c’est à Montauban, Messieurs, que se passent ces scènes désastreuses; et le détail des maux qui affligent cette ville vient troubler le bonheur et la paix dont jouissent nos concitoyens et qu’ils ne doivent qu’à vos travaux et à leur respect pour tout ce qui émane de votre sagesse. « Ils n’ont pas vu avec indifférence le malheur de leurs frères, de ces bons patriotes, avec lesquels un pacte d’union et de fraternité les a si étroitement unis. Ils n’ont pas cru devoir rester dans l’inaction lorsqu’on opprimait, lorsqu’on égorgeait Leurs amis et leurs frères. Pénétrés