f Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1790.] 521 mune de Paris, qui désire présenter à l’Assemblée une adresse sur le marc d’argent. L’Assemblée décrète que cette adresse sera envoyée au comité de constitution. L’Assemblée reprend la suite de son ordre du jour et passe à la discussion des rapports de son comité militaire sur la constitution militaire. M. Alexandre de Aaineth, député de Pé-ronne (1). Messieurs, vous avez entendu les deux rapports qui vous ont été faits par votre co mité militaire : je suis loin de refuser à ces ouvrages le genre de mérite que chacun d'eux présente, et dont leurs auteurs paraissent s’être particulièrement occupés. Le premier offre, sans doute, des vues utiles, des détails intéressants, des données indispensables pour l’organisation de l’armée. Le second y joint des dispositions importantes sur la constitution militaire; mais il semble que ni l’un ni l’autre n’a présenté l’ensemble du travail dont vous avez à vous occuper; et que surtout la marche que vous devez suivre n’y est pas assez clairement indiquée. Vous avez été envoyés, Messieurs, pour rendre la France libre, et pour lui donner une constitution ; cette idée principale est celle à laquelle vous devez ramener sans cesse vos pensées; c’est le centre auquel toutes vos opérations doiventaboutir; c’est le principe qui doit toutes les diriger. Ainsi, quand vous portez vos premiers regards sur l’organisation de l’armée, sa liaison à la constitution, les lois générales qui, déterminant son usage et le but de son institution, la rendront propre à défendre la France contre l’étranger, sans compromettre jamais sa liberté intérieure; celles qui, conciliant son existence, non seulement avec la prospérité publique, mais avec les droits naturels des individus, marqueront avec précision ce que le soldat doit à la discipline, et ce que la loi militaire doit au citoyen engagé sous les drapeaux. Voilà, selon moi, les premiers rapports sous lesquels vous devez envisager la tâche que vous avez à remplir. De là naîtra, Messieurs, une première classe de lois sur l’armée, lois fondées immédiatement sur les maximes éternelles des droits des hommes, liés à la forme de notre gouvernement, qui seront une partie essentielle de la constitution, et que, par conséquent, il n’appartient qu’à vous de décréter avec l’acceptation du Roi. Les lois subordonnées, nécessaires à l’application de celles-là, mais susceptibles, pour le bien de l’Etat, de varier suivant les circonstances, nous présentent ensuite une féconde classe de lois militaires; leur établissement appartiendra aux simples législatures. Enfin, après l’émission de ces lois, doit suivre l’organisation intérieure de l’armée, qui exigera des règlements et des ordonnances sur la formation des troupes, sur les manoeuvres, sur la discipline, enfin, sur toutes les parties de l’économie militaire. Je pense que ces règlements subordonnés et assujettis aux lois que vous aurez portées, doivent, à tous égards, être abandonnées au pouvoir exécutif; et parmi les objets que votre comité vous a présentés, je crois qu’il en est plusieurs qui rentreront dans cette classe. En considérant pour la première fois, Messieurs, les lois militaires dans leurs rapports avec une constitution libre, il est impossible de se dissimuler les difficultés d’une si grande et d’une si importante tâche; des préjugés invétérés, de longues (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Alexandre de Lamelh. épreuves, et l’exemple de presque toutes les na-tioos, semblent se réunir pour nous donner des craintes et pour exciter notre inquiétude ; unir dans une grande monarchie, dans une vaste région à qui sa situation n’a pas assigné de toutes parts des limites naturelles, une puissance formidable au dehors avec une liberté solide au dedans, concilier dans une armée nombreuse une discipline exacte, avec les droits sacrés que des soldats citoyens ne peuvent jamais aliéner; ce sont peut-être, Messieurs, les plus grands problèmes politiques qui aient encore réel amé votre attention , et qui vous restent encore à résoudre. Peut-être avant l’heureuse Révolution, qui a changé la face de cet empire, et qui a pressé si rapidement les progrès de toutes les idées, personne n’aurait-il osé croire à la possibilité d’une pareille combinaison ; où en effet aurait-il cherché des modèles ? Où aurait-il puisé l’idée d’une armée à la fois disciplinée et citoyenne ? Serait-ce chez ces nations qui font delà science militaire leur unique étude, et chez lesquels, depuis longtemps, nous étions accoutumés à en chercher des leçons ? Jetez les yeux, Messieurs, sur les divers peuples de l’Europe, et vous verrez, presque partout, les armées agir en raison inverse de leur véritable institution ; faites pour défendre les peuples, elles ne sont occupées qu’à les contenir; destinées à protéger la liberté, elles l’oppriment; à conserver les droits des citoyens, elles les violent; elles sont une espèce de propriété royale, entretenue à grands frais par les peuples pour assurer leur oppression. Si, dans un coin de l’empire, quelques hommes généreux ont assez d’énergie pour n’être pas arrêtés par la crainte, et réclament l’exercice des droits naturels, on y envoie des soldats, les faibles plient, les courageux périssent, et tout rentre dans l’ordre, c’est-à-dire dans l’esclavage. Vivant au sein, je ne dirai pas de leur patrie, mais de leur pays, comme des conquérants au milieu de peuples vaincus, les officiers et les soldats, aveugles instruments des volontés d’un maître, ne sont occupés qu’à étendre ce qu’ils appellent sa gloire, c’est-à-dire son autorité. En entrant au service, ils doivent renoncer aux plus chères affections de la nature; leur religion est de ne connaître ni parents, ni frères, ni amis, de ne savoir qu’obéir. Tel est, Messieurs, l’affligeant spectacle que présentent les armées du nord, et telle est la conséquence presque nécessaire de cette étrange corruption des institutions humaines, qui plaçant dans un état continuel de discorde et de guerres, des nations faites pour s’aimer et s’entresecourir, a placé, dans les forces mêmes qu’elles sont obligées d’entretenir pour leur défense, une source de ruine, et un moyen continuel d’oppression. Sans doute le moment approche où les lumières universelles mettront un terme à cet inconcevable délire; une révolution, peut-être lente, mais inévitable, prépare à toutes les nations la connaissance et la conquête de leurs droits : alors une des premières vérités qui viendra frapper tous les yeux, c’est l’intérêt qu’elles ont de s’unir, et l’étrange abus de laisser à un petit nombre d’hommes le pouvoir de sacrifier des peuples entiers à leurs ressentiments personnels, à leurs méprisables caprices. 1! ne sera plus nécessaire alors d’entretenir, au sein d’une nation, une multitude d’hommes armés; et les moyens de concilier leur existence, soit avec les revenus publics, soit avec la constitution et la liberté, ne seront plus un des points les plus difficiles de la science des gouvernements.