[24 décembre 1790. J [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. D’ANDRÉ. Séance du vendredi 24 décembre 1790, au matin (1) La séance est ouverte à neuf heures et demie du matin. M. ülerlin, rapporteur du comité de Constitution : Messieurs, ayant eu l’honneur de vous proposer, le sept septembre dernier, plusieurs articles que vous avez décrétés, et qui font partie du titre XJV de la loi générale sur l 'organisation judiciaire, j’ai été chargé par le comité de Constitution de vous rendre compte des difficultés qu’ont fait naître deux de ces articles, et sur lesquelles le ministre des finances lui a adressé des observations, avec prière instante de vous les soumettre le plus tôt possible. Ces articles, Messieurs, sont les 22 et 23® du titre dont je viens de parler. Voici comment iis sont conçus : Art. 22. « Quant aux chancelleries créées par « l’édit du mois de juin 1771, près les sièges « royaux, il en sera provisoirement établi mie « près chai un dos tribunaux de district, à l’effet « de sceller les lettres de ratification pour tout « son iC'Sort. Art. 23. En conséquence, lorsque dans le ressort « d’un tribunal de district, il ne se trouvera « qu’une desdites chancelleries, elle sera trans-« léiée pjès ce tribunal. — S’il s’en trouve piu-« sieurs, le plus ancien des conservateurs des hy-« pothèques et le plus ancien des greffiers expé-« ditionuaires seront de préférence admis à « l’exercice de la chancellerie qui sera établie « près le tribunal de district. — Dans l’un et « l’autre cas, l’office de garde des sceaux sera, « en vertu do présent décret et sans qu’il soit « besoin de provisions ni de commissions parti-« cuiièies, exercé gratuitement, à tour de rôle et « suivant l’ordre du tableau, par les juges du a tribunal de district, le tout sauf à statuer par « la suite ce qu’il appartiendra pour le départe-« ment de Paiis, et sans rien innover à Pégard « des anciens ressorts des cours supérieures, qui «n’ont pas enregistré l’édit du mois de juin 1771. » Tels sont, Messieurs, les articles qui ont donné lieu aux difficultés dont je suis chargé de vous rendre compte. La première est relative aux fonctions des conservât; ms des hypothèques et des gieffiers expéditionnaires. L’édit du mois de juin 1771 avait érigé ces fonctions en titre d’offices formés et bérédbaiivs; et c’est en les supposant ainsi exercés ans la presque totalité des bureaux des hypothèques, que vous avez provisoirement ordonné que les plus anciens d’entre eux seraient préférés pour l’exercice des chancelleries à établir près les tribunaux de district, parce qu’eu effet, il est naturel, il est juste qu’entre officiers ayant, parla nature de leurs titres, un droit égal à une fonction qui ne peut être confiée qu’à un seul, cette fonction soit déférée à celui qui, par son ancienneté, annonce le plus d’expérience, en même temps qu’il est censé avoir le mieux mérité de la chose publique. Cependant, Messieurs, vérification faite de ce 643 qui s’est passé depuis 1771, relativement aux offices de conservateurs des hypothèques et de greffiers expéditionnaires, il se trouve que peu, très peu, de ces offices ont été levés, et, que presque tous ont été, jusqu’à présent, exercés sur les simples commissions des administrateurs des domaines. Ces commissions ont été données aux contrôleurs des actes pour la place de conservateur des hypothèques, et aux greffiers des sièges royaux pour celle degreflier-expéditionnaire. Il n’a élé attaché aux unes et aux autres que de très modiques rétributions ; et ni celles-ci, ni celles-là ne sont suffisantes pour assurer seules, et indépendamment île tout autre emploi, le sort de ceux qui, par leur ancienneté, seraient obligés de se déplacer. Ainsi, quand même les per-otmes revêtues de ces commissions seraient fondées à réclamer la disposition de l’article 23 du titre XIV du décret général sur l’organisation judiciaire, elles n’en tireraient évidemment aucun avantage. Mais ce n’est pas pour ces personnes qu’a été faite cette disposition ; bornée, parla nature des choses, aux conservateurs des hypothèques et aux greffiers expéditionnaires existants en titre d’office, elle ne peut pas être invoquée pas Je simples commis; un commis est essentiellement révocable au gré de sou commettant; et il serait aussi contraire à la raison qu’au bien du service d’ôter à un commettant, qui peut d’un moment à l’autre renvoyer son commis, le droit de lui préférer, pour un avancement qui se présente, un autre commis plus intelligent et plus sûr. C’est d’après ces considérations. Messieurs, que votre comité, de concert avec le ministre des finances, vous propose délaisser aux administrateurs des domaines, chargés en ce moment de la régie des hypothèques, la liberté du choix des employés qui doivent tenir les chancelleries établies près les tribunaux de district, sans être obligés de donner la préférence aux plus anciens conservateurs ou greffiers expéditionnaires. La seconde difficulté, que le ministre des finances-� déférée au comité de Constitution, résulte de ce que ni les articles 22 et 23, ni aucun antre arlicle du titre XIV du décret sur l’organisation judiciaire, n’a pourvu aux précautions à prendre, soit pour assurer l'application des oppositions formées sur des immeubles, qui par leur situation ne se trouveraient plus du ressort du tribunal de district, où serait établie la nouvelle chancellerie, soit relativement à l’exposition des contrats, soit enfin pour déterminer le lieudu dépôt des registres des bureaux de conservateurs qui seraient supprimés, et des minutes de lettres de ratification. Du silence de la loi sur ces objets nXssent trois grands inconvénients : D’abord, les oppositions formées entre les mains des conservateurs supprimés ne peuvent pas être connues de ceux qui sont actuellement établis près des tribunaux de district ; En second lieu, ces oppositions, par les changements de ressort, frappent sur des immeubles qui se trouvent situés dans l’étendue de plusieurs juridictions ; Enfin, l’exposition qui a été faite de contrats sur lesquels il n’a pas encore été expédié de lettres de ratification, ou qui avait fieu dans les I bailliages et sénéchaussées, au moment où les tribunaux de district sont entrés en activité, ne peut pas servir dans ces nouveaux tribunaux. IL est donc indispensable ue rendre, sur ces différents points, un décret qui rétablisse l’ordre (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 644 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 décembre 1790.) interverti, dans cette partie importante, par l’établissement des nouveaux tribunaux; et c’est à ce but que tendent trois des articles que j’aurai dans l’instant l'honneur de vous proposer. Une troisième difficulté, Messieurs, s’est élevée sur ce que l’article 23, en ordonnant que l’office de garde des sceaux serait exercé gratuitement , n’a pas prononcé formellement la suppression des droits qui y sont attachés par l’édit du mois de juin 1771. Le ministre des finances demande, en conséquence, si l’intention de l’Assemblée nationale a été de supprimer ces droits, ou si elle a voulu que la perception en fût continuée, pour en être compté au Trésor public, avec les autres droits des hypothèques. Votre comité s’est décidé pour ce dernier parti, et c’est dans ce sens qu’est rédigé un des articles qu’il a l’honneur de vous soumettre. Telles sont, Messieurs, les difficultés qu’ont occasionnées les deux articles que vous avez décrétés, le 7 septembre sur ma proposition. Mais ce même jour, vous en avez décrété un autre qui avait été proposé additionnellement par un honorable membre, et sur lequel il s’élève dans ce moment des doutes non moins importants à éclaircir. Cet article est le vingt-quatrième; en voici les termes : « Les contrats à l’insinuation, au sceau ou à « la publication seront provisoirement insinués, « scellés et publiés près le tribunal de district « dans l’arrondissement duquel les immeubles « qu’ils auront pour objet seront situés, sans « avoir égard aux anciens ressorts ». Vous savez, Messieurs, qu’à l’époque où vous avez décrété cet article , on distinguait deux sortes d’insinuations : l’une d’ordonnance, l'autre fiscale. On appelait insinuation d’ordonnance celle que prescrivent la déclaration du 17 février 1731 et , l’ordonnance du même mois, pour la validité des donations entre vifs. Elle ne pouvait, suivant ces lois, être effectuée, pour les donations d’immeubles réels, que dans les bureaux établis près les bailliages ou sénéchaussées, tant du domicile du donateur que de la situation des choses données, et, à l’égard des donations de meubles ou d’immeubles fictifs, dans les bureaux établis près les bailliages ou sénéchaussées du domicile du donateur seulement. L’insinuation fiscale était celle qu’avait établie la déclaration du 19 juillet 1704, et à laquelle étaient soumis, par cette loi même, les contrats devante et d’échange, les testaments, les contrats de mariage contenant exclusion de communauté, don mobile, augment, contre-augment, agencement, droits de rélention, gains de noces et de survie, les séparations de biens entre mari et femme, les renonciations à succession ou communauté, etc. Cette espèce d’insinuation, que vous venez de supprimer et de remplacer par le droit d’enregistrement, pouvait être remplie indistinctement, soit dans les bureaux du domicile des parlé s, soit dans ceux de la situation des immeubles, quoique ces bureaux lussent établis dans des lieux où il n’y avait pas de justice royale. En voilà sans doute, Messieurs, plus qu’il n’en faut pour vous faire sentir que, si une discussion s’était ouverte, le 7 septembre, sur l’art. 24, avant que vous ne l’eussiez décrété, vous y auriez fait des distinctions qui ont été omises, qu’on n’a pas même eu le temps de proposer, entre les actes assujettis à l’insinuation d’ordonnance et les actes assujettis à l’insinuation fiscale, entre les donations entrevifs d’immeubles et les donations entrevifs de choses mobilières. En effet, Messieurs, votre intention n’a pas été, en décrétant l’article 24, de déroger au fond des règles établies pour l’insinuation, mais seulement d’indiquer les bureaux où elle devrait se faire d’après la nouvelle division judiciaire que vous veniez de déterminer. Lors donc que vous avez déclaré, par l’article dont il s’agit, que les insinuations se feraient près les tribunaux de districts de la situation des immeubles, vous n'avez ni entendu ni pu entendre autre chose, si ce n’est que les tribunaux de districts représenteraient les anciens bailliages ou sénéchaussées, à l’effet que, pour les immeubles situés dans leurs ressorts respectifs, on ferait près d’eux les mêmes insinuations qui devaient, dans l’ancien ordre des choses, se faire près des bailliages et sénéchaussées, sous la juridiction desquels existaient précédemment ces mêmes immeubles; et la preuve que c’est là tout ce que vous avez voulu dire, c’est que l’article est terminé par ces mots : sans avoir égard aux anciens ressorts . Ainsi, vous n’avez ni dispensé les donations de l’insinuation au tribunal domiciliaire du donateur, ni dérogé à la faculté que la déclaration de 1704 laissait aux parties de faire insinuer dans leur domicile plutôt qu’au lieu de la situation des immeubles, les divers actes assujettis à l’insinuation fiscale. De ces deux points, le premier seul mérite en ce moment, de votre part, une explication précise; la proximité de l’époque où doit cesser l'insinuation fiscale rendrait inutile tout ce que vous pourriez décréter à cet égard. Voici, Messieurs, le projet de loi que je suis chargé de vous présenter : PROJET DE DÉGRET (1). L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Constitution sur les difficultés et les doutes qu’ont fait naître tes articles 22, 23 et 24 du décret des 6 et 7 septembre dernier, concernant l’organisation judiciaire, sanctionné par la proclamation du roi du 11 du même mois, décrète ce qui suit: Art. 1er. La disposition dudit décret par laquelle les plus anciens d’entre les conservateurs des hypothèques et greffiers expéditionnaires des chancelleries des anciennes juridictions royales, sont appelés, dans les cas y mentionnés, à exercer de préférence les chancelleries établies près les tribunaux de districts, ne pouvant s’entendre que de ceux desdits conservateurs ou greffiers ui seraient en titre d’office, les administrateurs es droits d’hypothèques demeurent libres de choisir, ainsi qu’ils jugeront à propos, entre ceux qui ne sont pourvus que de simples commissions, sans être astreints au rang d’ancienneté. Art. 2. Il ne pourra être scellé aucunes lettres de ratification clans les tribunaux de districts, que fl) Il est inutile d’avertir que ce projet de décret n’est pas destiné pour les parties du royaume, dans lesquelles l’édit du mois de juin 1771 n’a pas été publié ni exécuté quant aux hypothèques ; l’article 23 du décret des 6 et 7 septembre 1790 s’est expliqué très clairement là-dessus. Voy. ci-dessus, page 643.