[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juin 1790.] 231 M. Duval d’Eprémesntl. Je n’abuserai pas des moments de l’Assemblée. M. de Mirabeau a réduit la question dont il s’agit à une question d'ordre, et a prétendu qu’on devait entendre le rapport de la pièce comme étant l’initiative de l’information ; ceci est absolument contraire aux principes de la liberté et à ceux de M. de Mirabeau lui-même. L’histoire d’aucun peuple ne fournit point de pareils exemples; les délations anonymes ne peuvent être produites que par des fripons et acceptées que par des tyrans. M. de Mirabeau nous a parlé de libelles ; il y en a, en effet, beaucoup qui viennent de Paris. M. de Mirabeau lui-même a été calomnié dans quelques-uns ; je lui demande s’il trouverait digne d’une assemblée législative, qui alors se transforme en juge, qu’on lût dans cette assemblée toutes les horreurs calomnieuses qu’on répand contre lui, et qu’elles devinssent le sujet d’une délibération. Je crois aussi parler comme un homme libre. Un délateur qui voudrait en même temps servir de témoin n’aurait pas d’autre voie à prendre. Il en résulte que, contre les principes de la liberté et contre les principes de M. de Mirabeau, cette forme tendrait à admettre des accusations anonymes et des dépositions mendiées. Je demande formellement que cette pièce ne soit pas lue. M. le comte de Faucigny. En admettant les principes de M. de Mirabeau, on ne serait pas libre même après la prise de la Bastille. M. le comte de Mirabeau. M. Duval d’E-prémesnil n’a pas dit, ce me semble, un mot relatif à mon opinion et à la question. (De bruyants murmures se font entendre de la partie droite). Si cette assertion se jugeait par les éclats dont on fait retentir cette salle, il semblerait que je n’ai parlé que d’une délation. J’atteste tout ce qui est impartial que voici ce que j’ai dit : « Dans la série des pièces que présente votre comité, il s’en trouve une qui n’est pas signée. » Cette pièce n’est pas la dénonciation ; c’est un arrêté, une demande quelconque. (Le bruit recommence dans la partie droite). Lorsqu’on parle au milieu de feux qui se croisent avec tant de rapidité, il est bien heureux de n’avoir que des choses très faciles à dire. On me demande si les faits consignés dans la pièce dont il s’agit sont vrais ; je réponds que c’est ce qu’il s’agit de déterminer par l’information ; on me dit encore : eh bien ! lisez-la ! Ce n’était pas la peine de m’interrompre, c’est ce que je demande depuis longtemps. Le comité des recherches ne peut être soumis aux formes méthodiques d’un tribunal ordinaire. La pièce est jointe à une lettre d’envoi signée; nulle difficulté, elle doit êlre lue. M. de Menon. Il s’agit seulement de savoir si à la pièce était jointe à une lettre d’envoi signée. M. de Lachèze. Que le comité des recherches se rende responsable au moins, afin qu’on puisse le prendre à partie. M. Voidel. Depuis une heure on se débat pour savoir si on lira la pièce relative aux troubles très avérés de Nîmes. Le comité ne l’a point présentée comme anonyme, mais jointe à une adresse qui l’accompagnait et qui était signée. Fût-elle anonyme, on devrait encore la lire. Il y a eu de grands désordres, il s’agit d’en connaître les instigateurs. Le comité ne demande pas qu’on informe nominativement sur telle ou telle personne, mais sur tel ou tel fait. (Plusieurs membres de la partie droite s'écrient : C’est la honte de l’Assemblée nationale que ce comité des recherches !) Votre comité ne se dissimule pas qu’aux yeux de certaines personnes son existence est un délit social ; mais, quoi qu’il en soit, il remnlira son devoir. Si, par exemple, on lui donnait avis nue le salut de l’Etat est en danger, et qu’il refusât de vous en donner avis, sous prétexte que les annonces seraient anonymes, je vous le demande, ne serait-il pas criminel, et ne le jugeriez-vous pas ainsi ? Toute la partie gauche se lève et demande à grands cris que le rapport soit continué sans interruption. L’Assemblée le décide ainsi. M. de Macaye continue son rapport : 9° Le dimanche 2 mai, la compagnie du n°31, qui avait déjeuné chez le maire, et dont la majeure partie s’était livrée à des excès sur le Cours, fut requise par le maire pour faire la garde et la patrouille de nuit, quoique ce ne fût pas son tour de service. 10° Le lundi 3 mai, à huit heures du matin, il y eut à l’hôtel de ville un attroupement d’environ deux cents personnes en cocardes blanches; un protestant ayant passé, ceux qui étaient au balcon, où il y avait un officier municipal, crièrent : Tue, tue ! Aussitôt ceux qui se trouvaient devant la porte tombèrent sur ce particulier, qui fut sauvé par l’intrépidité du sieur Castanet, plâtrier. Le sieur Alet et le sieur François Ribe furent chassés de l’hôtel de ville en présence du maire. Dans la rue et devant la porte de l’hôtel de ville, des travailleurs disaient : « Ferons-nous feu? » Une femme leur observe : « Vous devriez avoir du respect pour M. le maire (il était présent) »; aussitôt celui-ci répondit: « Qu’on fasse retirer cette femme. > 11° Le même jour 3 mai, à six heures du soir, il y avait à la place des Récollets un attrou pâment de gens à cocardes blanches, armés de fusils et de sabres. Le maire et le sieur de Com-bières, notable, précédés de deux valets de ville, survinrent; des coups de fusil furent tirés, des coups de sabre donnés au sieur Manipe fils : le maire et le notable présents se retirèrent. 12° Le lendemain, 4, les officiers municipaux se transportèrent chez les sieurs Armand et Ma-rignan, qui, la veille, avaient été assaillis à coups de pierre ; ceux-ci voulurent leur raconter ce qui s’était passé; le maire leur dit d’un ton menaçant5: « On ne vous demande pas cela. » 13° Le même jour, au soir, M. le maire dit chez M. d’Augier, juge-mage, en présence de plusieurs personnes : « Ne sait-on pas que si le maire avait reçü une êgratignure, cent des plus notables et des plus riches de la ville auraient été massacrés à l’instant sans qu’il en échappât un seul ? d 14° La nuit du 5 au 6, le procureur de la commune introduisit chez lui plus de deux cents hommes armés qui y passèrent la nuit. 15° Le dimanche 9 mai, un frère capucin, du couvent de Nîmes, distribua un imprimé intitulé Nouvelles de Paris, et dont un exemplaire est ici joint, à un officier municipal de la commune de Rodessan, lieu voisin de Nîmes, et à un autre particulier. Je vais actuellement, Messieurs, vous faire lec- 232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 juin 1790.] ture de deux délibérations de la ville de Nîmes et de deux autres de la ville d’Uzès. Extrait des délibérations. Le mardi 20 avril, les citoyens catholiques de la ville de Nîmes soussignés, assemblés dans l’église des pénitents blancs de ladite ville, ont unanimement délibéré de demander au roi et à l’Assemblée nationale : 1° Que la religion catholique, apostolique et romaine soit déclarée, par un décret solennel, la religion de l’Etat, et qu’elle jouisse seule des honneurs du culte public ; 2° Qu’il ne soit fait aucun changement dans la hiérarchie ecclésiastique, et que toutes les réformes qu’on jugera nécessaires dans les corps séculiers et réguliers ne puissent être opérées sans le concours des conciles nationaux, conformément aux lois canoniques de l’église gallicane; 3° Que l’Assemblée nationale sera suppliée d’employer toute son autorité pour faire rendre au roi le pouvoir exécutif dans toute son étendue, conformément à son décret du 23 septembre dernier, portant que le pouvoir exécutif suprême résidera exclusivement dans les mains du roi; 4° Que le roi discutera dans sa sagesse tous les décrets qu’il a sanctionnés depuis le 19 septembre dernier, et qu’il les sanctionnera de nouveau, s’il le juge nécessaire, pour qu’on ne puisse point à l’avenir attaquer la Constitution, sous quelque prétexte que ce puisse être ; 5° Que M. le président etMM. Michel, conseiller, capitaine de la compagnie n° 24 ; Vigne, négociant, capitaine de la compagnie n° 30 ; Folacher, avocat, capitaine de la compagnie n° 36 ; Robin, négociant, lieutenant de la compagnie n° 36 ; Froment, avocat, capitaine de la compagnie n° 39 ; Velut, négociant, capitaine de la compagnie n°40 ; Ribens, avocat, François Faure, marchand de bois ; Melquion aîné, négociant, capitaine de la compagnie n° 34 ; et Fernel, marchand libraire, commissaires nommés, sont chargés de faire présenter au roi une copie de cette délibération, d’en adresser une copie au président de l’Assemblée nationale, pour qu’elle daigne y avoir égard, et une troisième copie au conseil général de la commune ; étant persuadés, les délibérants, que le zèle du conseil pour la religion et son amour pour notre auguste souverain, le porteront à y adhérer • 6° Enfin, lesdits commissaires sont autorisés à faire imprimer la présente délibération, et à en envoyer des exemplaires partout où besoin sera. (La délibération de la ville d’Uzès contient les mêmes principes, exprimés en des termes différents.) Autre déclaration et pétition des catholiques de Nîmes , en date du 1er juin. « Les citoyens catholiques de Nîmes, formant la très grande majorité des habitants de ladite ville, assemblés dans l’église des Jacobins, surpris de voir élever des doutes sur leurs véritables sentiments, ont cru devoir en donner une véritable explication... Gomment pourrait-ou blâmer les citoyens de Nîmes d’avoir manifesté, à l’exemple de Châlons-sur-Marne, de tout le pays de Comminges, des principales villes d’Alsace, de Toulouse, d’Uzès et d’autres villes, leur attachement pour la religion de leurs pères ? (M. Lavie proteste contre celte assertion pour l’Alsace ; M. Roger pour le Comminges ; M. de Sillery pour Ghâlons.) Les citoyens catholiques de Nîmes déclarent et délibèrent unanimement : 1° qu’ils persistent dans leur pétition du 20 avril ; 2° qu'ils adhèrent à la déclaration d’une partie de l’Assemblée nationale, du 19 du même mois, concernant la religion; 3° qu’ils adhèrent aussi aux déclarations de Montauban,d’Albv,d’Alais, d’Uzès et des autres villes qui en ont pris de semblables ; 4° que, pour faire connaître au roi et à l’Assemblée nationale leurs véritables sentiments, qu’on a mal interprétés, et la pureté des motifs qui ont dicté leur pétition du 20 avril, la présente délibération leur sera adressée, qu’elle sera imprimée, etc. » Vous avez entendu, Messieurs, la lecture des ièces ; elles sont bien suffisantes, et n’ont pas esoin, je crois, d’être appuyées par de nouvelles réflexions. Voici, en conséquence, le projet de décret que j’ai l’honneur de vous proposer : « L’Assemblée nationale, sur le rapport qui lui a été fait, au nom de son comité des recherches, de deux délibérations des soi-disant catholiques de Nîmes, des 20 avril dernier et 1er de ce mois, ainsi que d’une autre délibération des soi-disant catholiques d’Uzès, en adhésion aux deux premières et en date du 2 mai dernier ; considérant que lesdites délibérations contiennent des principes dangereux et propres à exciter des troubles et des dissensions dans le royaume, a décrété et décrète que MM. Pierre-Michel Vigne, Folacher, Robin, etc., qui ont signé en qualité de président et de commissaires, seront mandés à la barre de l’Assemblée pour y rendre compte de leur conduite, et que, jusqu’à ce qu’ils aient obéi au présent décret, iis demeureront privés des droits attachés à la qualité de citoyens actifs ; 2° sur l’observation faite par le comité des recherches, qu’il lui a été remis un très grand nombre de pièces concernant les troubles de la ville de Nîmes, et qu’il est indispensable d’acquérir les preuves des faits y énoncés, circonstances et dépendances , l’Assemblée nationale a arrêté que son président se retirera sans délai par devers le roi, pour supplier Sa Majesté d’ordonner qu’il sera informé desdits faits par devant le présidial de Nîmes. » (On demande l’ajournement à jeudi soir. Cette proposition est adoptée.) La séance est levée à onze heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ GOUTTES, EX-PRÉSIDENT. Séance du mercredi 16 juin 1790 (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. l’abbé Gouttes , ex-président , occupe le fauteuil en l’absence de M. Sieyès , président en fonctions. (1) Ce document u’a pas été inséré au Moniteur.