258 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 38 Un membre [POULTIER] prend la parole pour soumettre à la Convention nationale, des réflexions et des mesures propres à ranimer le commerce et à vivifier l’industrie dans les départemens du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme et de l’Aisne. La Convention renvoie le projet de décret aux comités réunis de Commerce, des Finances et d’Agriculture (89). POULTIER: Je viens payer un tribut à la chose publique ; je viens vous soumettre des réflexions et vous proposer des mesures propres à ranimer le commerce et revivifier l’industrie. Je puis me tromper, mais il faut que vous écoutiez tout ; à travers les erreurs, il se rencontrera des vérités disséminées, qui, réunies en un faisceau par vos comités, dirigeront vos déterminations définitives. Il ne suffit pas de vaincre ses ennemis ; il faut encore assurer, par une administration prévoyante, des ressources réparatrices aux besoins de ceux qui ont souffert. Obligés jusqu’alors de multiplier les sacrifices pour la cause de la liberté, nous n’avons point calculé les dépenses pour la faire triompher. Semblables aux matelots battus par l’orage, qui, oubliant l’avenir pour le présent, jettent à la mer jusqu’à leurs provisions, nous n’avons rien ménagé pour conduire au port le vaisseau de l’Etat, si longtemps agité par les tempêtes. Cette profusion, qui a dû paraître indiscrète, a été dans nos mains un moyen actif de déployer cette énergie révolutionnaire qui a déconcerté les funestes projets de nos ennemis. Aujourd’hui nous devons tendre une main secourable aux départements qui ont le plus souffert des désastres de la guerre, et leur procurer des avantages qui, en faisant leur bonheur particulier, amènent nécessairement la prospérité publique. On ne peut se dissimuler que les habitants du Nord ont vu ravager leurs propriétés ; ils ont vu périr jusqu’aux germes des productions, et cet anéantissement des matières premières a fait ressentir un contre-coup funeste au commerce de ces contrées. Vous porterez sur elles un regard attentif et consolateur; si, sous l’emprise des tyrans, elles ont pu mettre à contribution tout le reste de la terre, à quelle hauteur ne s’élèveront-elles pas sous l’empire des lois et de la liberté? Oui, c’est au commerce à rouvrir les sources de l’abondance que la terreur avait taries, et à réparer toutes les pertes causées par l’ignorance. Trop longtemps à cette tribune même, le commerce a été flétri d’inculpations qu’une sévérité trop exagérée a pu surprendre à la bonne foi, ou plutôt que l’esprit contre-révolutionnaire voulait propager. la Républ., n° 68 ; J. Fr., n° 793 ; Gazette Fr., n° 1060 ; M.U., n° 1355 ; J. Univ., n° 1828 ; Mess. Soir, n° 831 ;Ann. R.F., n° 67 ; J. Perlet, n° 794. (89) P.-V., L, 145. Poultier rapporteur selon C*II, 21. On a dit que le commerce n’avait point de patrie ; il eût fallu dire plutôt que le commerce n’a point d’ennemis, ou qu’il fait tourner leurs efforts au profit de la République; il eût fallu dire qu’au milieu des fléaux de la guerre, tandis que les armées et les flottes portent avec elles la dévastation et la mort, le commerce est le médecin bienfaisant qui adoucit nos maux ; par lui, par ses combinaisons hardies, souvent même par ses sacrifices, une moisson de richesses console la patrie de tout ce qu’elle a souffert. Gardons-nous d’en conclure que jamais son influence ambitieuse puisse guider ou entraver le gouvernement ; celui-ci, au contraire, doit le diriger, et encourager d’une main invisible ses efforts, et en recueillir les avantages. Un temps viendra, sans doute, où tous les Français ne connaîtront d’autre mobile que l’amour de la patrie, où ils ne connaîtront plus d’intérêt particulier, mais le soin de son bien-être, de préparer par son travail l’existence de sa famille, serait-il donc un crime ? Et le gouvernement ne doit-il pas, au contraire, mettre enjeu l’intérêt privé pour servir l’intérêt général? C’est à lui de veiller partout, à protéger les talents, à réprimer ce qui est nuisible, à encourager ce qui est utile. Qu’il ne persécute point ce qui prospère; en un mot, que le gouvernement soit la Providence, et non pas le fléau des particuliers. Déjà votre déclaration de protéger le commerce l’a fait sortir de son assoupissement léthargique; il se souvient qu’il est encore des ressources; il sait déjà où trouver les matières qui nous manquent; son œil a percé l’horizon; il ne lui faut plus que des échanges. Mais quinze armées sur pied, toujours agissantes, ont beaucoup consommé, et ont dû nécessairement le faire : il faut journellement les alimenter et les entretenir, et il est temps de s’occuper de rendre au commerce la possibilité de continuer cet entretien. Il faut retrouver les matières premières dont le malheur du temps a fait négliger la culture ; par exemple, celle du lin et du chanvre, aliment premier d’une branche importante de commerce aujourd’hui anéantie, et qu’il faut raviver; qui, après bien des mutations, devient indispensable aux fabriques de papier, dont l’emploi est aujourd’hui immense. Cette culture occupait une multitude de bras depuis les rives de la Somme jusqu’à celle de la Seine et au delà. Je vous proposerai de la faire renaître en exemptant pendant quelques années d’impositions ceux qui s’y livreront. Il en sera de même, dans le Midi, de la garance, si nécessaire aux teintures, et du soin des troupeaux dont la laine peut, avec le temps s’améliorer et nous affranchir du tribut que nous payons à nos voisins. Je pense donc que, pour commencer à réaliser ces grands principes d’équité naturelle et d’administration paternelle, les cultivateurs dont les possessions ont été longtemps désolées par les hordes sanguinaires de nos ennemis méritent les premiers votre sollicitude. Fécondez ces terres desséchées, et que les productions de l’industrie revivifient ces plaines immenses couvertes de ruines et de stérilité, et que les habitants de ces contrées, passant tout à coup du malheur à